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Le Talon de fer/À l’ombre de la Sonoma

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Traduction par Louis Postif.
Edito-Service (p. 307-320).


18. À l’ombre de la Sonoma


Je n’ai pas grand’chose à dire de ce qui m’arriva personnellement durant cette période. Je fus gardée six mois en prison, sans être accusée d’aucun crime. J’étais simplement classée parmi les suspects, mot terrible qui devait bientôt être connu de tous les révolutionnaires.

Cependant, notre propre service secret, encore en voie de formation, commençait à fonctionner. Vers la fin de mon second mois d’emprisonnement, un de mes geôliers se révéla à moi comme révolutionnaire en rapport avec lui. Plusieurs semaines après, Joseph Parkhurst, qui venait d’être nommé médecin de la prison, se fit connaître comme membre de l’un de nos groupes de combat.

Ainsi, à travers toute l’organisation de l’Oligarchie, la nôtre tissait insidieusement sa toile d’araignée. J’étais tenue au courant de tout ce qui se passait dans le monde extérieur, et chacun de nos chefs emprisonnés restait en contact avec nos braves camarades déguisés sous la livrée du Talon de Fer. Bien qu’Ernest fût enfermé à trois milles de là, sur la côte du Pacifique, je ne cessai pas un instant d’être en communication avec lui, et nous pûmes échanger nos lettres avec une parfaite régularité.

Nos chefs, prisonniers ou libres, se trouvaient donc en mesure de discuter et de diriger la campagne. Il eût été facile, au bout de quelques mois, d’en faire évader plusieurs ; mais dès lors que l’emprisonnement n’entravait point notre activité, nous résolûmes d’éviter toute entreprise prématurée. Il y avait dans les prisons cinquante-deux représentants et plus de trois cents autres meneurs révolutionnaires. Nous décidâmes qu’ils seraient délivrés simultanément. L’évasion d’un petit nombre eût éveillé la vigilance des oligarques, et peut-être empêché la libération du reste. D’autre part, nous estimions que cette rupture de geôles, organisée dans tout le pays à la fois, aurait sur le prolétariat une énorme répercussion psychologique, et que cette démonstration de notre force inspirerait confiance à tous.

Il fut convenu, en conséquence, quand je fus relâchée au bout de six mois, que je devais disparaître et préparer un refuge sûr pour Ernest. Ma disparition même n’était pas chose facile. À peine étais-je en liberté que les espions du Talon de Fer s’attachèrent à mes pas. Il s’agissait de leur faire perdre la piste et de gagner la Californie. Nous y réussîmes d’une façon assez comique.

Déjà se développait le système des passeports à la russe. Je n’osais traverser le continent sous mon propre nom. Si je voulais revoir Ernest, je devais faire perdre ma trace complètement ; car si j’étais suivie, il serait repris. Je ne pouvais pas non plus voyager sous un costume de prolétaire. Il ne me restait qu’à me déguiser en membre de l’Oligarchie. Les Oligarques suprêmes n’étaient guère qu’une poignée, mais il y avait des milliers de personnages de moindre éclat, du genre de M. Wickson, par exemple, qui possédaient quelques millions et formaient comme les satellites de ces astres majeurs. Les femmes et les filles de ces Oligarques mineurs étaient légion, et il fut décidé que je me ferais passer pour l’une d’entre elles. Quelques années plus tard, la chose eût été impossible, car le système de passeports devait se perfectionner à tel point que tout homme, femme ou enfant, dans toute l’étendue du territoire, serait inscrit et signalé dans ses moindres déplacements.

L’instant venu, mes espions furent détournés sur une fausse piste. Une heure après, Avis Everhard avait cessé d’exister ; tandis qu’une certaine dame Felice Van Verdighan, accompagnée de deux bonnes et d’un chien bichon qui avait lui-même une servante[1], entra dans le salon d’un wagon Pulman[2], qui, quelques minutes plus tard, roulait vers l’ouest.

Les trois filles qui m’accompagnaient étaient des révolutionnaires, dont deux faisaient partie des Groupes de Combat : la troisième entra dans un groupe l’année suivante, et fut exécutée six mois après par le Talon de Fer ; c’est celle-là qui servait le chien. Des deux femmes de chambre, l’une, Bertha Stole, disparut douze ans plus tard, tandis que l’autre, Anna Roylston, vit encore et joue un rôle de plus en plus important dans la Révolution[3].

Sans la moindre aventure nous traversâmes les États-Unis jusqu’en Californie. Quand le train s’arrêta à Oakland, à la gare de la XVIe rue, nous descendîmes, et Felice Van Verdighan disparut à jamais avec ses deux servantes, son chien et la bonne de son chien. Les filles furent emmenées par des camarades sûrs. D’autres se chargèrent de moi. Une demi-heure après avoir quitté le train j’étais à bord d’un petit bateau de pêche dans les eaux de la baie de San-Francisco.

Il y avait des sautes de vent, et nous errâmes en dérive pendant la majeure partie de la nuit.

Mais je voyais les lumières d’Alcatraz où Ernest était enfermé, et ce voisinage me réconfortait. À l’aurore, à force de rames, nous atteignions les îles Marin. Nous y restâmes cachés toute la journée ; la nuit suivante, portés par la marée et poussés par une fraîche brise, nous traversions en deux heures la baie de San-Pablo et remontions le Petaluma Creek.

Un autre camarade m’y attendait avec des chevaux, et sans délai nous nous mîmes en route à la clarté des étoiles. Au nord je pouvais voir la masse indistincte de la Sonoma, vers laquelle nous nous dirigions. Nous laissâmes à notre droite la vieille ville du même nom et remontâmes un canyon qui s’enfonçait entre les premiers contreforts de la montagne. La route charretière devint une route forestière, qui se rétrécit en une sente à bestiaux et finit par s’effacer dans les pâturages de la région haute. Nous franchîmes à cheval le sommet de la Sonoma. C’était la voie la plus sûre. Il n’y avait personne par là pour remarquer notre passage.

L’aurore nous surprit sur la crête du versant nord, et l’aube grise nous vit débouler à travers les taillis de chênes rabougris[4] dans les gorges profondes, encore tièdes des souffles de cette fin d’été, où se dressent les majestueux séquoias. C’était pour moi une contrée familière et chère, et c’est moi qui maintenant servais de guide. C’était ma cachette, c’est moi qui l’avais choisie. Nous abaissâmes une barrière et traversâmes une haute prairie ; puis, ayant franchi une faible crête couverte de chênes, nous descendîmes dans une prairie plus petite. Nous remontâmes une autre crête, cette fois sous l’abri des arbousiers cuivrés[5] et des manzanitas[6] pourprés. Les premiers rayons du soleil nous frappèrent dans le dos pendant que nous grimpions. Une volée de cailles s’éleva à grand bruit des taillis. Un gros lapin traversa notre route en bonds rapides et silencieux. Puis un daim à plusieurs cors, le cou et les épaules empourprées par le soleil, franchit la pente devant nous et disparut derrière la crête.

Après un temps de galop à sa poursuite, nous descendîmes à pic, par une piste en zig-zag qu’il avait dédaignée, vers un magnifique groupe de séquoias entourant un étang aux eaux assombries par les minéraux apportés du flanc de la montagne. Je connaissais le chemin dans ses moindres détails. Naguère, un écrivain de mes amis avait possédé la ferme ; lui aussi était devenu révolutionnaire, mais avec moins de chance que moi, car il avait déjà disparu, et jamais personne ne sut où ni comment il était mort. Lui seul connaissait le secret de la cachette vers laquelle je me dirigeais. Il avait acheté le ranch pour sa beauté pittoresque et l’avait payé cher, au grand scandale des fermiers de la localité. Il prenait plaisir à me raconter comment, lorsqu’il en mentionnait le prix, ceux-ci hochaient la tête d’un air consterné, et, après une sérieuse opération d’arithmétique mentale, finissaient par déclarer : — Vous ne pourrez pas même en tirer du six pour cent.

Mais il était mort, et ses enfants n’avaient pas hérité de la ferme. Fait étrange, elle appartenait à M. Wickson, qui possédait actuellement toutes les pentes est et nord de la Sonoma, depuis le domaine des Spreckels jusqu’à la ligne de faîte de la vallée Bennett. Il en avait fait un magnifique parc à daims, s’étendant sur des milliers d’acres de prairies en pente douce, de taillis et de canyons, où les animaux s’ébattaient avec presque autant de liberté qu’à l’état sauvage. Les anciens propriétaires du terrain avaient été chassés, et un asile d’État pour les faibles d’esprit avait été démoli afin de faire place aux daims.

Pour couronner le tout, le pavillon de chasse du sieur Wickson était situé à un quart de mille de mon refuge. Mais loin d’être un danger, c’était un gage de sécurité. Nous nous abritions sous l’égide même de l’un des oligarques secondaires. Tout soupçon était détourné par cette situation. Le dernier endroit du monde où les espions du Talon de Fer songeraient à nous chercher, Ernest et moi, c’était le parc à daims de Wickson.

Nous attachâmes nos chevaux sous les séquoias près de l’étang. D’une cachette pratiquée dans le creux d’un tronc pourri, mon compagnon tira tout un attirail d’objets divers : un sac de farine de cinquante livres, des boîtes de conserves de toutes sortes, des ustensiles de cuisine, des couvertures, une toile goudronnée, des livres et de quoi écrire, un gros paquet de lettres, un bidon de cinq gallons de pétrole et un gros rouleau de forte corde. Cet approvisionnement était si considérable qu’il faudrait de nombreux voyages pour le transporter à notre asile.

Heureusement, le refuge n’était pas loin. Je me chargeai du paquet de cordes et, prenant les devants, je m’engageai dans un taillis d’arbrisseaux et de vignes entrelacées qui s’enfonçait comme une allée de verdure entre deux monticules boisés, et se terminait brusquement à la rive escarpée d’un cours d’eau. C’était un petit ruisseau, alimenté par des sources, que les plus fortes chaleurs de l’été ne tarissaient pas. De toutes parts s’élevaient des monticules boisés : il y en avait tout un groupe ; ils semblaient jetés là par le geste négligent de quelque Titan. Dépourvus d’ossature rocheuse, ils se dressaient à des centaines de pieds sur leur base, mais ils n’étaient composés que de terre volcanique rouge, le fameux sol à vignes de la Sonoma. Parmi ces monticules, le petit ruisseau s’était taillé un lit très en pente et profondément encaissé.

Il fallut jouer des pieds et des mains pour descendre jusqu’au lit du ruisseau et, une fois là, pour en suivre le cours sur une centaine de mètres. Alors nous arrivâmes au grand trou. Rien n’avertissait de l’existence de ce gouffre, qui n’était pas un trou au sens ordinaire du mot. On rampait dans un inextricable fouillis de broussailles et d’arbustes, et l’on se trouvait tout au bord d’un abîme de verdure. À travers cet écran, on pouvait estimer qu’il avait cent pieds de long, autant de large, et la moitié à peu près en profondeur. Peut-être à cause de quelque faille qui s’était produite quand les monticules furent jetés là, et certainement par l’effet d’une érosion capricieuse, l’excavation avait été creusée au cours des siècles par l’écoulement des eaux. La terre nue n’apparaissait nulle part. On ne voyait qu’un tapis de verdure, depuis les menus capillaires appelés cheveux-de-vierge et fougères à revers d’or jusqu’aux imposants séquoias et sapins de Douglas. Ces grands arbres poussaient même sur la muraille du gouffre. Quelques-uns étaient inclinés à quarante-cinq degrés, mais la plupart s’élançaient tout droit du sol mou et presque perpendiculaire.

C’était une cachette idéale. Personne ne venait jamais là, pas même les gamins du village de Glen Ellen. Si le trou avait été situé dans le lit d’un canyon d’un ou plusieurs milles de long, il eût été bien connu. Mais ce n’était pas un canyon. D’un bout à l’autre, le cours d’eau n’avait pas plus de cinq cents mètres de long. À trois cents mètres en amont du trou, il naissait d’une source au bas d’une prairie plate ; à cent mètres en aval, il débouchait en pays découvert, et rejoignait la rivière à travers un terrain herbeux et ondulé.

Mon compagnon fit un tour de corde autour d’un arbre et, m’ayant attachée, me fit descendre. En un instant, je fus au fond, et, en un temps relativement court, il m’envoya par le même chemin toutes les provisions de la cachette. Il hissa la corde, la dissimula, et, avant de partir, me lança un cordial au revoir.

Avant d’aller plus loin, je dois dire un mot de ce camarade, John Carlson, humble figurant de la Révolution, l’un des innombrables fidèles qui constituaient les rangs de son armée. Il travaillait chez Wickson, dans les étables du pavillon de chasse. De fait, c’est sur des chevaux de Wickson que nous avions franchi la Sonoma. Depuis près de vingt ans déjà, au moment où j’écris, John Carlson a été le gardien du refuge, et durant tout ce temps, je suis certaine que pas une pensée déloyale n’a effleuré son esprit, même en rêve. C’était un caractère flegmatique et lourd, à tel point qu’on ne pouvait s’empêcher de se demander ce que la Révolution représentait pour lui. Et pourtant, l’amour de la liberté projetait une lueur tranquille dans cette âme obscure. À certains égards, il valait mieux qu’il ne fût pas doué d’une imagination mobile. Il ne perdait jamais la tête. Il savait obéir aux ordres, et il n’était ni curieux ni bavard. Je lui demandai un jour comment il se faisait qu’il fût révolutionnaire.

— J’ai été soldat dans ma jeunesse, répondit-il. C’était en Allemagne. Là, tous les jeunes gens doivent faire partie de l’armée. Et dans le régiment auquel j’appartenais, j’avais un camarade de mon âge. Son père était ce que vous appelez un agitateur, et avait été mis en prison pour crime de lèse-majesté, c’est-à-dire pour avoir clamé la vérité au sujet de l’empereur. Le jeune homme, son fils, m’entretenait souvent du peuple, du travail, et de la façon dont il est volé par les capitalistes. Il me fit voir les choses sous un nouveau jour, et je devins socialiste. Ce qu’il disait était juste et bien, et je ne l’ai jamais oublié. Quand je suis venu aux États-Unis, je me suis mis en rapport avec les socialistes, je me suis fait recevoir membre d’une section, — c’était au temps du S. L. P[7]. Puis, plus tard, quand est venue la scission, je suis entré dans le S. P. local. Je travaillais alors chez un loueur de chevaux à San-Francisco. C’était avant le tremblement de terre. J’ai payé mes cotisations pendant vingt-deux ans. Je suis toujours membre, et je verse toujours ma part, bien que tout cela se fasse en grand secret maintenant. Je continuerai à remplir ce devoir, et quand adviendra la République coopérative, je serai content.

Livrée à moi-même, je fis cuire mon déjeuner sur le fourneau à pétrole et mis en ordre ma nouvelle demeure. Plusieurs fois, par la suite, de grand matin ou après la tombée de la nuit, Carlson devait se glisser vers le refuge et venir travailler pendant une heure ou deux. Je m’abritai d’abord sous la toile goudronnée ; puis nous dressâmes une petite tente ; plus tard, quand nous fûmes assurés de la parfaite sécurité de notre retraite, une petite maison y fut bâtie. Elle était complètement cachée à tout regard qui pourrait plonger du bord du gouffre. La luxuriante végétation de ce coin abrité formait un écran naturel. D’ailleurs, la maison fut appliquée à la paroi verticale ; et, dans ce mur même, nous creusâmes deux petites chambres, étayées de forts madriers, bien asséchées et aérées. Je vous prie de croire que nous y avions nos aises. Lorsque, par la suite, le terroriste allemand Biedenbach vint se cacher avec nous, il installa un appareil fumivore qui nous permit de nous asseoir pendant les soirées d’hiver devant un feu de bois crépitant.

Ici encore, je dois dire un mot en faveur de ce terroriste à l’âme tendre, qui fut certainement le plus méconnu de tous nos camarades révolutionnaires. Biedenbach n’a jamais trahi la Cause. Il n’a pas été exécuté par ses compagnons, comme on le suppose généralement. C’est un canard lancé par les créatures de l’Oligarchie. Le camarade Biedenbach était très distrait et de mémoire courte. Il fut tué d’un coup de feu par une de nos sentinelles au refuge souterrain de Carmel, parce qu’il avait oublié les signaux secrets. Ce fut une erreur déplorable, et rien de plus. Et il est absolument faux de dire qu’il avait trahi son Groupe de Combat. Jamais homme plus sincère et loyal n’a travaillé pour la Cause[8].

Voilà dix-neuf ans maintenant que le refuge choisi par moi a été presque constamment occupé, et dans tout ce temps-là, à part une seule exception, il n’a jamais été découvert par un étranger[9]. Pourtant, il n’était qu’à un quart de mille du pavillon de chasse de Wickson, et à un mille à peine du village de Glen Ellen. Tous les matins et tous les soirs, j’entendais le train arriver et partir, et je réglais ma montre d’après le sifflet de la briqueterie.


  1. Cette scène ridicule constitue un document typique sur l’époque et peint bien la conduite de ces maîtres sans cœur : pendant que les gens mouraient de faim, les chiens avaient des bonnes. Cette mascarade était pour Avis Everhard une affaire de vie ou de mort, qui intéressait la Cause toute entière : il faut donc en accepter la fidèle vraisemblance.
  2. Pullman, nom de l’inventeur des plus beaux wagons de luxe sur les chemins de fer de ce temps-là.
  3. En dépit des dangers continuels et presque inconcevables, Anna Roylston atteignit le bel âge de quatre-vingt-onze ans. De même que les Pococks éludèrent les exécuteurs des groupes de combat, elle défia ceux du Talon de Fer. Prospère au milieu des périls, sa vie semblait protégée par un charme. Elle-même s’était faite exécutrice pour le compte des Groupes de Combat : on l’appelait la Vierge Rouge, et elle devint l’une des figures inspirées de la Révolution. À l’âge de soixante-neuf ans, elle tua Halcliffe « le sanglant » au milieu de son escorte et échappa sans une égratignure. Elle mourut de vieillesse dans son lit, en un asile secret des révolutionnaires, sur les montagnes d’Oxark.
  4. Dans le texte, Chaparral. Un certain nombre de termes mexicains se sont acclimatés en Californie. (N. d. T.)
  5. Madronyos (Arbutus Menziesii). (N. d. T.)
  6. Manzanitas (Nom donné à divers arbres du genre Arctostaphylos). (N. d. T.)
  7. Socialist Labor Party.
  8. Malgré toutes nos recherches parmi les documents de l’époque, nous n’avons pu trouver aucune allusion au personnage en question. Il n’en est fait mention nulle part ailleurs que dans le manuscrit Everhard.
  9. Le voyageur curieux qui se dirigerait vers le sud en partant de Glen Ellen, se trouverait sur un boulevard qui suit exactement l’ancienne route d’il y a sept siècles. Un quart de mille plus loin, après avoir passé le second pont, il remarquerait à droite une fondrière qui court comme une balafre à travers le terrain moutonneux vers un groupe de monticules boisés. Cette fondrière représente l’emplacement de l’ancien droit de passage qui existait en ce temps de propriété individuelle à travers les terrains d’un certain M. Chauvet, pionnier français venu en Californie à l’époque de l’or. Les monticules boisés sont ceux dont parle Avis Everhard.

    Le grand tremblement de terre de 2368 détacha le flanc d’un de ces monticules, qui combla le trou où les Everhard avaient établi leur refuge. Mais, depuis la découverte du Manuscrit, on a pratiqué des fouilles et retrouvé la maison et les deux chambres intérieures, ainsi que les débris accumulés au cours d’une longue résidence. Entre autres reliques curieuses, on a découvert l’appareil fumivore dont il est question dans le récit. Les étudiants intéressés pourront lire la brochure d’Arnold Bentham qui doit prochainement paraître sur ce sujet.

    À un mille au nord-ouest des monticules, se trouve l’emplacement de la Wake Robin Lodge, au confluent de la Wild Water et de la rivière Sonoma. On peut remarquer, en passant, que la Wild Water s’appelait autrefois Graham Creek, comme l’indiquent les vieilles cartes. Mais le nouveau nom tient bon. C’est à Wake Robin Lodge qu’Avis Everhard demeura plus tard à diverses reprises, lorsque, déguisée en agent provocateur du Talon de Fer, elle put jouer impunément son rôle parmi les hommes et les événements. La permission officielle qui lui fut accordée d’habiter cette maison existe encore dans les archives, signée d’un non moins grand personnage que le sieur Wickson, l’oligarque secondaire du Manuscrit.