Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 26

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Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 227-231).
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XXVI.

Mais voici encore une preuve manifeste de la fausseté des susdites prétenduës révélations divines : C’est le défaut de l’accomplissement des grandes et magnifiques promesses, qui accompagnoient les susdites prétenduës révélations divines, car il n’est pas croïable, qu’un Dieu toutpuissant et infiniment bon ne voudroit pas, ou n’auroit pas voulu accomplir des promesses, qu’il auroit véritablement faites, qu’il auroit plusieurs fois réitérées et qu’il auroit voulu même confirmer par jurement et par serment, comme il auroit fait. Or il est constant et manifestement visible, par les témoignages des Histoires, et même par celui de leurs prétendus saints livres, que les promesses, ci-dessus raportées, et que l’on supose avoir été faites de la part de Dieu même aux susdits Patriarches, n’ont jamais été accomplies etc… Pour voir clairement ce défaut d’accomplissement des promesses et la force de cette preuve, il faut remarquer que ces promesses consistent principalement en trois choses[1], 1o. à rendre la Postérité de ces Patriarches plus nombreuse que tous les autres Peuples de la Terre ; car elles portent expressément, que Dieu multiplieroit tellement leurs Descendans, qu’ils égaleraient en nombre les étoiles du Ciel, les grains de sable de la Mer et les grains de poussière, qui sont sur la Terre, et par conséquent, que leur Postérité seroit plus nombreuse et plus puissante que tous les autres Peuples de la Terre ; 2o. à rendre ce Peuple, qui viendroit de leur race, le plus heureux, le plus saint et le plus triomphant de tous les Peuples de la terre ; car ces promesses portent expressément aussi, que Dieu seroit tout particulièrement leur protecteur, qu’il les béniroit par dessus tous les autres peuples, qu’il les favoriseroit tout particulièrement de ses graces, et que ce seroit même en leur nom, qu’il béniroit toutes les autres Nations de la terre : elles portent, qu’il exalteroit leur nom, qu’il les éleveroit en louanges, en honneur et en gloire par dessus toutes les autres Nations, et enfin elles portent, que Dieu les rendroit victorieux de tous leurs Ennemis, qu’il les mettroit en fuite et en déroute et qu’il étendroit leur domination depuis l’Occident, jusqu’à l’Orient et depuis le Septentrion, jusqu’au Midi. 3o. Ces promesses consistent, de la part de Dieu, à rendre son Alliance éternelle avec leur Postérité, car elles portent expressément, que Dieu feroit avec eux une Alliance éternelle, et qu’ils posséderoient à jamais le païs qu’il leur donneroit. Or, il est constant, que ces prétenduës promesses n’ont jamais été accomplies. Premièrement il est certain, que le Peuple Juif ou le Peuple d’Israël, qui est le seul que l’on puisse regarder comme descendans des susdits patriarches Abraham, Isaac et Jacob, et le seul dans lequel les susdites promesses auroient dû s’accomplir, n’a jamais été si nombreux, pour qu’il puisse avoir été comparable en nombre aux autres Peuples de la terre, beaucoup moins par conséquent aux grains de sable de la mer, ni aux grains de poussière, qui sont sur la terre, et que ce même peuple se seroit en 2 ou 3 cents ans qu’il demeura en Égypte, multiplié si fort, qu’il est marqué dans leur Histoire (ce qui n’est cependant guères croïable) ; cette multiplication néanmoins n’étoit pas capable de faire un nombre comparable aux grains de sable de la mer, ni aux grains de poussière qui sont sur la terre ; si ce peuple s’étoit effectivement multiplié, comme il auroit dû faire, suivant les susdites promesses prétendues divines, il ne lui auroit certainement pas fallu moins que toute la terre pour l’habiter. Et on voit, que dans le tems même qu’il a été le plus nombreux et le plus florissant, il n’a jamais occupé que les petites Provinces de la Palestine et des environs, qui ne sont presque rien, en comparaison de la vaste étendue d’une multitude de Provinces, de Roïaumes et d’Empires florissans, qui sont de tous côtés sur la terre, et qui ne feroient, en comparaison d’un seul Roïaume de France, que comme les Provinces de Champagne ou de Picardie, en comparaison de tout le susdit Roïaume de France. Par où il est évident, que ce peuple n’a jamais été fort nombreux et n’a même toujours été qu’un fort petit peuple, en comparaison des autres Peuples de la terre ; et ainsi les prétendues promesses divines, touchant la multiplication prodigieuse et innombrable de ce peuple, ne se sont jamais trouvées accomplies. Secondement, elles n’ont jamais été accomplies non plus, touchant les grandes et surabondantes bénédictions, dont ils auroient dû être favorisés par dessus les autres Peuples de la terre. Quoiqu’ils aïent eu quelques victoires sur leurs ennemis, et qu’ils aïent ravagé leurs campagnes et pris plusieurs de leurs villes, et qu’ils aïent même conquis ou usurpés, à la pointe de l’épée, les Provinces de la Palestine et des environs, cela n’a pas néanmoins empêché qu’ils n’aïent été, presqu’en tout tems, le plus souvent vaincus par leurs ennemis et réduits misérablement sous leur servitude. Et quoiqu’ils aïent été aussi pendant quelque tems assez paisibles et assez florissants sous le règne de quelques-uns de leurs Rois, cela n’a pas empêché non plus que leur Roïaume n’ait été détruit, qu’ils n’aïent été même en captivité et que leur Nation n’ait été presqu’entièrement détruite par l’armée des Romains, sous les empereurs Tite et Vespasien, et maintenant encore nous voïons, que ce qui reste de cette misérable Nation n’est regardé, que comme le peuple le plus vil et le plus méprisable de toute la terre, n’aïant nulle part aucune domination, ni supériorité. Et ainsi il est encore évident de ce côté-là, que les susdites prétendues promesses divines n’ont jamais été accomplies. Troisièmement enfin, elles ne l’ont pas été non plus à l’égard de cette alliance éternelle, que Dieu auroit dû faire avec eux, suivant les susdites promesses, puisque l’on ne voit maintenant, et que l’on n’a même jamais vû, aucune marque certaine de cette prétendue alliance, et qu’au contraire on voit manifestement, qu’ils sont, depuis beaucoup de siècles, exclus de la possession des terres et païs, qu’ils prétendent leur avoir été promis et donnés de la part de Dieu, pour en jouir à tout jamais. Omnem terram quam conspicis tibi dabo et semini tuo usque in sempiternum… Dabo tibi et semini tuo terram peregrinationis tuae omnem terram Chanaan in possessionem aeternam, ero Deus eorum[2]. Et ainsi ces prétenduës promesses, n’aïant eu point leur effet, ni leur accomplissement, comme il est évident, c’est une marque assurée et évidente de leur fausseté, et par conséquent c’est aussi une preuve assurée et évidente, qu’elles ne venoient pas de la part d’un Dieu ; ce qui prouve manifestement encore que les susdits prétendus saints et sacrés livres qui les contiennent, n’ont pas été faits par l’inspiration de Dieu, puisqu’ils contiennent des promesses, qui se trouvent manifestement fausses, et les dits livres, n’aïant point été faits par l’inspiration de Dieu, ils ne peuvent nullement servir de témoignage assuré de la vérité ; et ainsi c’est en vain que nos Christicoles prétendent s’en servir, comme d’un témoignage infaillible, pour prouver la vérité de leur Religion.


  1. Gen. 12. 2 et 22. 17 et 28. 14. Exod. 23. 25 – 27. Deut. 7. 14. Gen. 26. 3. Deut. 26. 19. Gen. 26. 24. Deut. 15. 4. Exod. 20. 24. Gen. 28. 14. Gen. 17. 7 et 13. 15 et 18. 18. Psal. 110. 3.
  2. Gen. 13. 15, 17. 8, 35. 12.