Le Tour de la France par deux enfants/105

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CV. — Le Nord et la Flandre. — Ses canaux, son agriculture et ses industries. — Lille.

Les pays du nord sont ceux que la nature a le moins favorisés ; mais l’intelligence et le travail de l’homme ont corrigé la nature et y ont produit des richesses.

Le lendemain, nos amis se séparèrent en se promettant de se revoir bientôt. Guillaume allait retrouver sa femme, Frantz et ses neveux se dirigeaient vers Phalsbourg pour y terminer leurs affaires.

Lorsque le bateau quitta Dunkerque pour naviguer sur le canal, Julien, debout sur le pont, observait le pays avec attention. — Regarde bien, Julien, lui dit l’oncle Frantz, qui était tout près, enfonçant dans l’eau sa longue perche ; le département du Nord où nous voici vaut la peine que tu l’admires. C’est, après le département de la Seine, le plus peuplé de France, et l’agriculture comme l’industrie y est prospère.

En effet, tout le long des bords du canal, souvent noircis par la poussière du charbon de terre, on voyait se déployer de grandes plaines où travaillaient sans relâche les cultivateurs affairés. On était à la fin de janvier, et chacun préparait la terre à recevoir les semences du printemps.

FLANDRE, ARTOIS ET PICARDIE. — Ces provinces sont riches et couvertes de villes florissantes. Leur fertilité en blé les a fait nommer le grenier de la France. Lille a 210.600 habitants. L’ancienne capitale de l’Artois était Arras (25.800 hab.), fortifiée par Vauban. L’ancienne capitale de la Picardie était Amiens (90.700 hab.). Cette ville importante est située sur la Somme, rivière aux eaux dormantes. C’est encore un grand centre industriel ; on y fabrique des tapis et des velours renommés. Abbeville (20.400 hab.) est connue pour sa serrurerie.


— Dans deux mois, ajouta l’oncle Frantz, ce ne sera partout qu’un immense tapis vert : ici, du chanvre et du lin, dont on fera les belles toiles du Nord ou les dentelles de Valenciennes et de Douai ; là, le colza, la navette et l’œillette pour les huiles, le houblon pour la bière, les betteraves pour les raffineries de sucre et pour la nourriture des bestiaux, enfin les céréales de toute sorte ; car ici il n’y a jamais un mètre de terrain inoccupé.

L’ŒILLETTE. — C’est le nom vulgaire de certains pavots cultivés pour leurs graines. Le pavot renferme une substance vénéneuse, l’opium, mais ses graines en sont totalement dépourvues, et ce sont elles qui fournissent l’huile d’œillette, peut-être la meilleure après l’huile d’olive.

— Pourquoi ne voit-on pas de vaches dans les champs par ici ? observa Julien.

— C’est qu’on les nourrit à l’étable pour la plupart. Ce qui n’empêche pas les vaches flamandes d’être une des plus belles races françaises. Elles sont grandes et donnent beaucoup de lait. Les moutons flamands sont aussi renommés ; avec leur laine on fait les belles étoffes qui se vendent à Roubaix et à Tourcoing.

— Et toutes ces grandes cheminées, mon oncle, dit Julien, qu’est-ce donc ?

— Ce sont les cheminées d’usines de toute sorte, raffineries de sucre, distilleries d’eau-de-vie, fabriques d’amidon. Bientôt nous verrons les moulins à huile et à farine. Plus tard nous rencontrerons des puits de mines : les mines d’Anzin et de Valenciennes produisent à elles seules le quart de toute la houille retirée du sol français.

— Oh ! oh ! dit le petit Julien, je suis bien content de connaître la Flandre ; je vois que le nord de la France n’en est pas la partie la moins bonne.

UNE FILATURE DE LIN A LILLE. — Le lin est de toutes les fibres de plantes celle qu’il était le plus difficile de filer à la mécanique. C’est par une merveille de l’industrie que les machines réussissent maintenant à transformer ces fibres si courtes en fils longs et souples qui vont s’enroulant sur des bobines.


Bientôt on arriva à Lille, la cinquième ville de France, qui est en même temps une place forte de premier ordre, tout entourée de remparts et de bastions, et qui soutint plusieurs sièges héroïques. Julien fut envoyé faire quelques commissions à travers Lille : il revint émerveillé du mouvement qu’il avait vu partout, et du bruit des grandes filatures dont on entendait en passant siffler les machines à vapeur.

Comme il avait vu sur une place de Lille le nom de Philippe de Girard, il songea aussitôt à interroger son livre sur ce grand homme. — Quel bonheur, pensa-t-il, que j’eusse mon livre dans ma poche lors de la tempête ! L’Océan ne l’a pas englouti, mon cher livre ; il me semble que je l’aime plus encore, à présent qu’il a fait avec moi tant de courses extraordinaires. Voyons ce qu’il va m’apprendre sur Lille.

Et l’enfant ouvrit son livre.