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Le Violoncelle/Préface

La bibliothèque libre.
Costallat et Cie (p. i-v).

PRÉFACE


Ce livre comble une lacune. Jusqu’à ce jour, l’Allemagne avec Wasielewski, l’Italie avec Forino, l’Angleterre avec Olga Reister possédaient seules des historiens qui, d’une manière distinguée quoique incomplète, ont décrit l’évolution du violoncelle et narré la vie des violoncellistes.

Aucun livre analogue n’existait en France.

Maintes fois, amateurs et spécialistes s’en étaient plaint. Aussi, MM. Liégeois et Nogué ont-ils répondu à de multiples demandes en publiant ce très intéressant ouvrage.

Aidés par d’aimables traducteurs de toutes les langues, ils ont imité dans une certaine mesure les ouvrages étrangers. Mais ils ont aussi profité de l’expérience de leurs devanciers pour éviter les fautes de ceux-ci, pour rectifier et compléter sur bien des points une documentation par trop sommaire.

Je me rappelle avec plaisir le temps où M. Nogué portait à travers le Pays la bonne parole des conférences musicales, dont il a fait les trois premiers chapitres de ce livre. Avec une curiosité enjouée et inlassable, il interrogeait tour à tour les violoncellistes français et italiens. S’il ne pouvait plus sentir vibrer l’archet de ceux qui sont morts, il déchiffrait avec passion leur musique et allait causer avec eux dans le sanctuaire des bibliothèques recueillies, où dorment les souvenirs qu’ils ont laissés.

Il s’en serait probablement tenu là, si la haute amitié de M. Liégeois ne lui avait pas offert le trésor de ses souvenirs personnels et de ses appréciations particulièrement compétentes sur les violoncellistes belges, anglais, hollandais, allemands, hongrois et russes.

C’est ainsi que la compétence artistique de Liégeois associée aux qualités précieuses d’un jeune professeur plein d’avenir, ont fourni ce travail à la fois méthodique et littéraire, que les récits, les anecdotes, les appréciations et les documents font intéressant comme un roman et précis comme un dictionnaire.

Ces pages sont utiles pour compléter l’éducation musicale de tous les amateurs de violoncelle, en permettant de situer chaque œuvre dans son époque, dans son pays et dans son cadre.

Le nom de tel musicien, dans son pays et la biographie de tel autre, un détail ou le titre d’un ouvrage suffisent à rappeler à chacun de nous, au hasard de ses souvenirs personnels, la poésie des lointains paysages que nous avons traversés, les allégros qui firent cortège à nos joies, les andantes mélancoliques qui endormirent nos tristesses, la sonate qu’aimait à jouer le vieil ami disparu. Voici la romance évocatrice par laquelle une voix aimée vous accueillit un beau soir ; tournez la page… et c’est le requiem qui fut chanté lorsque la voix de l’aimée s’est tue.

Que de sensations d’art revécues en feuilletant ce livre, depuis les mélodies vaporeuses des pays de brume, les concertos savants et compliqués des Allemands, les souples caprices des tziganes, la raideur aristocratique des Anglais, les sonorités larges et puissantes des Italiens, jusqu’au style à la fois simple et profond de notre clair génie français.

L’histoire de la lutherie, celle de la musique et celle des musiciens se pénètrent, s’éclairent mutuellement et demeurent unies dans ces pages, comme elles le sont en réalité dans la vie.

Elles nous permettent de mieux connaître nos auteurs préférés, de savoir à quelles écoles 1ls se sont formés, de suivre les évolutions de leur art, d’avoir la liste complète de leurs œuvres et le nom des éditeurs qui peuvent procurer les morceaux.

Le violoncelle est l’ami des âmes tendres et raffinées.

Il me semble que de tous les instruments, c’est lui dont la sonorité se rapproche le plus de la voix humaine. À côté des lamentations graves du basson, des accents épiques du cor et du trombone, des chants héroïques de la clarinette, des pleurs du hautbois, des soupirs de la flûte, des traits sublimes du violon, le violoncelle berce ou traduit, de façon idéale et exquise, les mille nuances de la sensation, du sentiment ou du rêve.

Sa voix est délicate et modeste. C’est sans doute la raison pour laquelle nos historiens l’avaient jusqu’alors oubliée. Voilà une injustice qui est maintenant réparée. Les artistes et les lettrés seront unanimes pour en remercier et en féliciter les deux auteurs.