Le Vote des femmes/L’inscription sur les listes électorales

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V. Giard & E. Brière (p. 124-130).


L’INSCRIPTlON SUR LES LISTES ÉLECTORALES


« Une femme fait autrement la
« même chose qu’un homme. »


Les Françaises les plus dignes d’estime et de considération, sont dans l’impossibilité d’obtenir une seule carte électorale ; alors, que les repris de justice peuvent parfois collectionner ces certificats d’honorabilité.

On jugeait dernièrement une affaire de vol dans laquelle était impliqué un receleur qui avait engagé au Mont-de-Piété des objets volés.

– Comment avez-vous procédé pour engager ces objets au Mont-de-Piété demanda le juge au prévenu ? Le prévenu. – En produisant ma carte d'électeur.

Le président, avec stupéfaction. – Comment, vous avez été plusieurs fois condamné pour vol – et une fois à treize mois de prison – vous êtes électeur ?

Le prévenu. – Oui, je suis électeur. Mais je me borne à retirer ma carte d'électeur. J’en ai cinq chez moi…

Le président. — Il est bien bizarre qu’il y ait des électeurs de votre espèce. Les hommes voleurs peuvent voter, tandis que les femmes intègres sont frappées d’interdiction civique.

Depuis longtemps nous réclamons contre cette anomalie. Dès 1880, dans tous les arrondissements de Paris, des dames membres de la Société « Le Droit des Femmes » ont demandé leur inscription sur les listes électorales.

Le maire du Xe arrondissement, motiva dans la lettre ci-dessous, son refus d’inscrire les femmes.

VILLE DE PARIS
Mairie du Xe arrondissement

Nous, maire du Xe arrondissement de Paris,

Vu la demande à nous présentée le 2 février courant, par Mlle  Hubertine Auclert, tendant à obtenir son inscription sur la liste électorale du Xe arrondissement

Vu les motifs longuement développés sur lesquels cette demande est fondée.

Vu les lois électorales actuellement en vigueur, notamment le decret organique du 2 février 1852, les lois des 7 juillet 1874 et 30 novembre 1875.

Considérant que, depuis 1789, jusqu’à nos jours, toutes les lois électorales qui se sont succédé ont été sans exception aucune, interprétées et appliquées en ce sens qu’elles ont conféré et confèrent des droits seulement aux hommes et non aux femmes ;

Considérant que la prétention formulée par la réclamante de faire ressortir du texte de ces lois une interprétation dont le résultat serait de créer en faveur des femmes des droits d’électorat et d’éligibilité identiques à ceux appartenant aux hommes, constitue dès lors une innovation politique dont il n’est pas de notre compétence de déterminer ni le mérite, ni la valeur légale.

Considérant qu’il nous appartient encore moins par conséquent de prendre sur nous d’en admettre la mise en pratique.

Décidons qu’en l’état actuel de la législation, la demande de Mlle  Hubertine Auclert est déclarée inadmissible.

Paris, le 1 février 1880.
DEVISME.

Les dames de la Société « Le Droit des Femmes » firent publier par toute la presse cette protestation :

« Nous soussignées, nées de parents français, remplissant tous les devoirs et les obligations qui incombent aux Français, nous nous sommes présentées munies de pièces justificatives établissant notre identité, majorité, temps de séjour, à la mairie de nos arrondissements respectifs, pour nous faire inscrire sur les registres électoraux. »

On nous a répondu que, parce que femmes, nous ne pouvions être inscrites.

........................................................

Nous en appelons à l’opinion, de l’injustice que consacre la République après les autres régimes en nous maintenant esclaves.  »

Bien que notre demande eût été rejetée, nous persistâmes à réclamer notre inscription électorale. En 1885, la commission (pour le quartier du faubourg Montmartre) chargée de juger les réclamations électorales, formula ainsi son refus d’admettre ma requête :

« Considérant que la qualité d’électeur dérive de la qualité de citoyen aux termes de toutes les constitutions et lois électorales françaises ; que toutes les constitutions et lois ne reconnaissent qu’aux hommes la qualité de citoyen.

« Considérant qu’en fait et par application de ce principe, les femmes n’ont jamais été inscrites sur les listes électorales.

« Considérant que l’application constante universelle et non contestée d’une loi en constitue la meilleure interprétation.

«  La requête de Mlle  Hubertine Auclert demeurant Galerie Bergère, 8, tendant à son inscription électorale ne saurait être admise.

« La commission rejette.

« Le Maire du IXe arrondissement.
« E. FERRY. »

Au XIe arrondissement la commission chargée de juger les réclamations électorales nous a fait cette réponse :

« Attendu qu’une loi a été reconnue nécessaire pour permettre aux femmes d’être inscrites sur les listes électorales consulaires. « Attendu que les lois et décrets qui régissent les élections politiques ne contiennent aucune disposition permettant aux femmes d’être inscrite sur la liste électorale. Vu d’autre part, l’arrêt de la cour de cassation de mars 1885, stipulant que les femmes ne peuvent exercer des droits politiques, la demande d'inscription sur les listes électorales de Mme  Hubertine Auclert n’est pas admise.

« Le maire du XIe arrondissement. »

En nombre de villes et de communes, des citoyennes ont vainement demandé leur inscription électorale. Les femmes du peuple, les travailleuses, qui se laissent guider par la droite raison, ont depuis longtemps dans différents départements réclamé leur inscription sur les listes.

« Nous avions, disent-elles, lu les affiches pour la révision de la liste électorale et ignorant que les femmes n’étaient point électeurs, nous sommes allées une bande à la mairie demander qu’on nous inscrive.

Les hommes qui étaient là, se sont bien moqués de nous ; nous leur avons répondu qu’il n’y avait pas de quoi rire parce qu’on avait fait la bêtise d’empêcher de voter les femmes. »

Maintenant, quand les dames demandent à être électeurs on ne leur répond plus comme autrefois. «  Les chevaux et les bœufs voteront avant les femmes. » On leur donne un récépissé de leur demande d’inscription.

Dans les communes suburbaines comme à Paris, on consigne sur le registre, les demandes d’inscription électorale des femmes.

Celles qui possèdent le récépissé de leur requête et la réponse de la commission chargée de juger les réclamations en matière électorale, doivent garder précieusement ces papiers. Ce sont des parchemins en valant bien d’autres, puisqu’ils établissent la supériorité intellectuelle qui les a fait protester contre la mise de leur sexe hors la loi.

La loi stipule que sont électeurs tous les Français âgés de vingt-et-un ans. Ces termes « tous les Français » englobent les femmes quand il s’agit d’impôts à payer et de lois à subir ; mais, lorsqu’il s’agit de droits à exercer, ces mots « les Français » sont censés ne désigner que les hommes.

Les Françaises ont tout tenté, pour faire infirmer non point la loi inexistante, mais l’usage qui les annule politiquement ; elles sont allées devant toutes les juridictions : devant le conseil de préfecture, devant le Conseil d’État, devant la Cour de cassation, réclamer leur droit électoral.

Les juges de la Cour de cassation, pour stipuler que les femmes ne devaient pas exercer de droits politiques, ont appelé à leur secours la Constitution de 1791, qui ne reconnaissait qu’aux gens inscrits sur la liste de la garde nationale, la capacité électorale.

Or, comme pour pouvoir faire partie de la garde nationale, il fallait payer 40 francs d’impôts, le droit électoral dérivait de l’obligation d’être contribuable.

La Constitution de 1791 a d’ailleurs été abrogée par celle de 1848, dont la Cour de cassation n’a pas parlé, parce que justement, elle nous est favorable, puisqu’elle déclare que « la souveraineté réside dans l’universalité des Français, que cette souveraineté est inaliénable, qu’aucun individu, ni aucune fraction d’individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».

Les juges de la Cour de cassation n’ignorent point que les hommes ne peuvent s’approprier les droits des femmes ; pourtant, ils nous ont demandé de trouver un texte législatif autorisant les femmes à voter.

Indiquez vous-mêmes, messieurs les juges, un texte législatif interdisant aux femmes de voter.