Le Vote des femmes/Le forçage des idées

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V. Giard & E. Brière (p. 207-209).


LE FORÇAGE DES IDÉES


Les Françaises déprimées par la servitude ont peur de la liberté et haïssent ceux qui veulent les affranchir. Il y a plus d’un siècle que Condorcet fit de cela la remarque en disant : « que les femmes ne lui pardonneraient point de réclamer leurs droits politiques. »

Les Françaises ont une docilité de brebis qui surprend même les bergers.

Eh bien ! il suffirait qu’un berger entre-bâille devant ces brebis, les femmes, la porte des gras pâturages politiques, pour que le troupeau féminin entier s’efforce de s’y précipiter. Mais, qu’est-ce qui décidera un berger, c’est-à-dire un député, à monter à la tribune de la Chambre, pour demander que les femmes aient leur part des prérogatives dont les hommes ont le monopole ?

— Les principes ? L’égalité ?

— Hélas ! tout cela est trop passé de mode pour pouvoir aiguillonner un être et susciter un effort.

Actuellement, la plus juste des causes reste en souffrance si l’on ne gagne rien à la défendre.

Les détenteurs du pouvoir n’ont aucun intérêt à servir les dégradées civiques d’origine.

Mais, cet intérêt, les femmes pourraient l’exciter en offrant des primes au dévouement. Recourir à l’achat des vouloirs, négocier les réformes souhaitées serait moins long, que de décider la masse des électeurs à forcer, en notre faveur, la main aux députés.

À notre époque de mercantilisme où tout s’acquiert à prix d’argent, pourquoi les femmes riches n’achèteraient-elles pas avec des votes et des projets de lois la liberté de leur sexe ?

Le droit s’achète, les réformes se négocient comme les affaires. Très souvent au Parlement, des avantages sont offerts, par les ministres, aux chefs de groupes, pour s’assurer en certaines circonstances, le vote de ces groupes.

Le seul mobile des actions humaines est l’intérêt, et c’est seulement l’intérêt, qui sera le stimulant déterminant à prendre parti pour les femmes.

L’argent est un moteur plus puissant que le temps pour changer les mentalités. Il est urgent que les revendicatrices aient un trésor libérateur ; afin d’être en mesure d’activer l’épanouissement du féminisme, en appliquant aux idées le forçage que les jardiniers appliquent aux plantes dont ils veulent hâter la floraison.

Le jour où les Françaises seront à même d’encourager à vouloir les affranchir, ceux qui ont le pouvoir de les affranchir ; il est certain qu’il se produira chez les hostiles à nos revendications un revirement, que la question féministe deviendra passionnante et sera aussitôt résolue.