Le Vote des femmes/Les prérogatives des femmes en l’ancienne France

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V. Giard & E. Brière (p. 70-76).


LES PRÉROGATIVES DES FEMMES EN L’ANCIENNE FRANCE


La féodalité fit des femmes juges. On a conservé des arrêts rendus par des femmes juges aux XIIe et XIVe siècles qui valent ceux de nos meilleurs magistrats.

Louis VII dit (le jeune) maintint dans ses droits contestés de justicière, Ermengarde, vicomtesse de Narbonne.

Au Moyen Âge on vit des religieuses, comme dans l’ordre de Fontevrault, avoir sous leur gouvernement des communautés d’hommes.

Mais, de nos jours, ne voit-on pas des sœurs francmaçonnes diriger en qualité de vénérables des loges où siègent beaucoup plus d’hommes que de femmes ?

Les abbesses de Remiremont et leurs doyennes jugeaient dans les domaines de l’abbaye.

La féodalité fit des femmes pairesses. La comtesse de Flandres siégea en qualité de pairesse dans les conseils du roi Louis IX, quand se discuta la possession du comté de Clermont.

Au Moyen Âge, les femmes nobles veuves ou célibataires qui possédaient des fiefs, étaient dans l’étendue de ces fiefs investies du droit de lever des troupes, de rendre la justice, de battre monnaie, d’imposer des taxes, d’octroyer des chartes.

Les clercs, révoltés de voir les détentrices de fiefs faire fonction d’hommes, voulurent que leurs prérogatives leur fussent enlevées. Un synode de Nantes contemporain des premières origines féodales injuria à ce propos les femmes. Les peu galants ecclésiastiques assemblés appelèrent les femmes « femmelettes ».

En l’ancienne France, ce n’était point seulement les femmes de qualité qui participaient à la politique : les simples « vilaines » eurent dès l’émancipation des communes le droit d’opiner dans leurs villes et villages.

Depuis les temps les plus anciens, dit Élisée Reclus, les habitants de Besançon avaient le titre et le rang de citoyen et de citoyenne. Les femmes dans les actes publics étaient qualifiées citoyennes.

Dès 1182, la loy de Beaumont ordonna aux veuves, aux filles ayant leur ménage et aux femmes mariées en l’absence de leurs maris, de prendre part aux délibérations et aux votes, non seulement lorsqu’il s’agissait d’affaires administratives ; mais même quand il fallait décider des questions politiques et sociales.

On retrouve dans les archives des Communes qui vivaient sous la loy de Beaumont, les procès-verbaux des séances où les veuves, les filles et les femmes, délibéraient avec les hommes.

Dans une Commune des environs de Montpellier, à Cournontéral, le 8 août 1334, l’établissement du Consulat fut mis aux voix et sur 175 votants pour cet établissement, on trouve 37 noms de femmes.

Le suffrage était dans cette commune, réellement universel et de plus obligatoire : Qui n’allait pas voter, payait une amende de cinq sols.

La loy de Beaumont qui confiait aux femmes comme aux hommes, l’administration municipale, fut en vigueur dans des milliers de communes jusqu’à la révolution.

Jusqu’à la révolution, les dames nobles veuves ou célibataires qui possédaient des fiefs, et les communautés de femmes participèrent à l’élection des députés.

« Il arriva donc, dit M. A. Aulard, que des députés de la noblesse et du clergé aux États-Généraux de 1789 durent leur élection à des voix féminines[1]

Les Premiers États-Généraux.

Quand Philippe IV dit le Bel, fut excommunié par Boniface VIII, il voulut faire prendre à la nation tout entière, parti pour lui contre le pape ; et convoqua les représentants du clergé, de la noblesse, du Tiers-État, le 10 avril 1302 dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris. Ce furent les premiers États-Généraux. Les dames nobles détenant des fiefs et les communautés de femmes étaient là représentées par les nobles et les ecclésiastiques qu’elles avaient contribué à faire élire.

Les femmes pouvaient être représentantes aux États Provinciaux : Anne de Bretagne tint en personne les États de Bretagne où Mme de Sévigné siégea.

En 1576 trente-deux veuves siégeaient aux États de Franche-Comté.

En ce temps-là, en imposant des taxes, en donnant des chartes, les femmes sauvegardaient les places fortes, gouvernaient les villes : Françoise de Cezelly, en l’absence de M. de la Barre son mari, gouverneur de Leucate, défendit en 1589 si admirablement cette place forte, que quand M. de la Barre fait prisonnier par les Espagnols eut été étranglé dans sa prison, Henri IV garda Françoise de Cezelly comme gouverneur de la ville qu’elle avait conservée à la France.

Les femmes qui participaient aux affaires publiques se montraient libérales : Aliénor d’Aquitaine donnait aux Aquitains la liberté du commerce.

Le bon sens des privilégiées qui n’étaient pas exclues du droit, faisait prévaloir le courant d’opinions favorables au relèvement du sexe féminin, sur la traditionnelle tendance à son abaissement ; et, incitait des écrivains à protester contre le préjugé assignant aux femmes une activité sociale inférieure à celle de l’homme. Parmi ces précurseurs du féminisme, Poulain de la Barre s’est fait remarquer. En son livre de L’Égalité des Sexes publié en 1673, il réclame avec énergie pour les femmes, l’égalité complète des droits politiques et sociaux avec les hommes.

« Il est, dit-il, aisé de conclure que si les femmes sont capables de posséder souverainement, toute l’autorité publique, elles le sont encore plus de n'en être que les ministres : Que pourrait-on trouver raisonnablement à redire qu’une femme de bon sens et éclairée présidât à la tête d’un parlement et de toute autre compagnie ?… Il faut reconnaître que les femmes sont propres à tout. »

Au XVIIe et au XVIIIe siècle, des femmes furent ambassadrices : Mme  Delahaye-Vanteley fut envoyée à Venise, Mme  de Guébriant à Varsovie.

En 1789, les femmes du Tiers-État adressèrent une pétition au roi pour demander que les hommes ne puissent exercer les métiers de femmes : tels que couturière, brodeuse, modiste. L’Assemblée Constituante, en avril 1791, par un décret-loi, donna aux femmes le droit d’héritage, en supprimant les droits d'aînesse et de masculinité dans le partage des successions. Mais en abolissant les privilèges féodaux et coutumiers, cette même Assemblée Constituante enleva à une catégorie de femmes, le droit qu’elle possédait de se faire représenter aux assemblées politiques.

À la suprématie nobiliaire, succéda alors la suprématie masculine, les ex-détentrices de fiefs, de même que les « vilaines » ; furent exclues de l’affranchissement général, c’est-à-dire que la majorité de la nation fut mise hors la loi et hors l’humanité.

En excluant les femmes des affaires publiques, on causa la faillite de la révolution ; car on fausse son principe égalitaire et on la prive des agents qui pouvaient faire rapidement triompher ses idées.

Les Françaises auxquelles on refusait leur part des conquêtes du mouvement révolutionnaire, avaient en participant à l’effervescence générale contribué à faire s’établir le conflit entre la nation et la royauté. Souvent, elles avaient donné le signal de l’action, en sonnant le tocsin dans les clochers.

En 1788, à la Journée des Tuiles, on avait vu les Dauphinoises mêlées aux Dauphinois, lancer en guise de projectiles des tuiles contre les soldats du roi qui s’opposaient à la convocation des États-Provinciaux.

Ces femmes, avaient les premières compris que Grenoble devait garder le parlement dans ses murs, sous peine de déchoir et de voir se restreindre sa prospérité. Aussi, elles s’en étaient constituées les gardiennes, montant la garde, veillant en armes, autour du château de Vizille où siégeaient les États du Dauphiné qui préparèrent la révolution.

Quand on convint d’obtenir de la cour, le retrait des troupes. Ce fut à une de ces si vaillantes femmes et à un colonel, que fut confiée la mission d’aller s’entendre, à ce sujet, avec le comte de Clermont-Tonnerre. On affirmait ainsi, que le maintien du parlement à Grenoble, était dû au sexe féminin.

La petite fruitière Reine Audru et la fameuse Théroigne de Méricourt reçurent, disent les historiens, un sabre d’honneur, en récompense de la vaillance dont elles avaient fait preuve, à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789.

  1. A. Aulard, Le Féminisme pendant la Révolution Française (Revue Bleue).