Le Vote des femmes/Revendication des femmes en 1789

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V. Giard & E. Brière (p. 77-88).


REVENDICATION DES FEMMES EN 1789


En voyant proclamer l’égalité des droits entre le seigneur et le vassal, le noir et le blanc, les femmes réclamèrent l’égalité des sexes. Elles adressèrent pétitions sur pétitions pour demander l’abrogation des privilèges masculins, la cessation de l’abus qui les empêchait de siéger à l’Assemblée Nationale, à l’Assemblée Constituante, à l’Assemblée Législative.

Les femmes firent déposer sur le bureau de l’Assemblée Nationale ce projet de décret :

L’Assemblée Nationale[1] voulant réformer le plus grand des abus et réparer les torts d’une injustice de six mille ans décrète ce qui suit :

« 1° Tous les privilèges du sexe masculin sont entièrement et irrévocablement abolis dans toute la France ».

« 2° Le sexe féminin jouira toujours de la même liberté, des mêmes avantages, des mêmes droits et des mêmes honneurs que le sexe masculin. » Nombreuses furent les femmes qui demandèrent leur part de la liberté et de l’égalité, que tous proclamaient. Mais, ce fut surtout la brillante improvisatrice Olympe de Gouges, qui formula avec précision les droits du sexe féminin, en sa fameuse déclaration des « Droits de la Femme. »


Déclaration des Droits de la femme et de la citoyenne

« La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droit. Les distinctions sexuelles ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la femme et de l’homme. Ces droits sont la liberté, la prospérité, la sûreté et surtout la résistance à l’oppression.

« Ce principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation qui n’est que la réunion de la femme et de l’homme. Nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

« La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose, Ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

« La loi doit être l’expression de la volonté générale. Toutes les citoyennes, comme tous les citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous.

« Toutes les citoyennes et tous les citoyens étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes les dignités, places et emplois publics selon leur capacité et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

« La femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune.

« La garantie des droits de la femme est pour l’utilité de tous et non pour l’avantage particulier de celle à qui elle est accordée.

« La femme concourt ainsi que l’homme à l’impôt public ; elle a le droit, ainsi que lui de demander des comptes à tout agent public de son administration. »

Olympe de Gouges mourut sur l’échafaud en 1793 à l’âge de 38 ans. Elle avait été traduite devant le tribunal révolutionnaire, non point pour avoir revendiqué le droit des femmes ; mais, parce qu’elle avait trop pris fait et cause pour les partis politiques ; s’était alternativement déclarée royaliste ou révolutionnaire et avait osé attaquer Robespierre.

La belle Liégeoise, Théroigne de Méricourt, qui le 5 octobre 1789, avec sa redingote de soie rouge, son chapeau d’amazone et l’épée nue au côté, séduisit le régiment de Flandres, aida à faire la royauté prisonnière de la révolution.

Cette courtisane si populaire qui n’aimait que les hommes austères, enthousiasmait les révolutionnaires et personnifiait pour les Français, la liberté.

Afin de lui enlever son prestige, des ennemis politiques n’hésitèrent pas en 1793 à relever ses jupes et dit Michelet à la fouetter comme un enfant, devant la foule lâche qui riait. Cet outrage rendit folle Théroigne qui mourut à la Salpêtrière en 1817 sans avoir recouvré la raison.

Les femmes de la révolution, s’employèrent bien plus à élever encore l’homme au-dessus d’elles, en soutenant ses plus hardies prétentions qu'elles ne se dévouèrent à procurer à leur sexe l’égalité avec le sexe masculin.

Des femmes cependant étaient puissantes, elles étaient écoutées de l’élite masculine qui se pressait dans leurs salons ; mais, ni Germaine Necker (Mme  de Staël) – que la politique absorbait et qui inspira à son père l’idée du suffrage universel, Ni Mme  Roland (Manon Phlipon) qui poussa son mari dans la voie républicaine et fut autant que lui ministre de l’Intérieur – ne songèrent à tirer leur sexe de l’asservissement.

Pourtant, l’heure semblait si favorable, que les étrangères elles-mêmes luttaient pour l’affranchissement féminin. En même temps que la Hollandaise Palm Aëlders envoyait à toutes les villes de France sa brochure revendiquant le droit des femmes qui lui fit décerner par la ville de Creil la médaille et le titre de membre honoraire de la garde nationale, l’Anglaise miss Wollstonecraft publiait son livre : La défense des droits de la femme où il est dit : que la femme devient un obstacle au progrès, si elle n’est pas autant développée que l’homme ». L’acte originel de la république est dû à Mme  Keralio-Robert[2]. Cette femme de lettres qui avait déjà appelé les femmes à l’action publique ; et, avait été l’inspiratrice du parti républicain fondé par les sociétés des deux sexes, improvise sur l’autel de la Patrie au Champ de Mars le 17 juillet 1791, la pétition républicaine pour ne reconnaître aucun roi.

Les femmes spoliées de leurs droits, eurent pour défenseurs Condorcet, Siéyès, l’abbé Fauchet, Saint-Just… Malheureusement, les protestations de ces hommes de principes furent étouffées par Mirabeau, Danton, Robespierre qui ne considéraient la femme que comme un instrument de plaisir charnel.

Condorcet secrétaire de l’Académie des sciences, demanda publiquement en 1788 que les femmes participent à l’élection des représentants[3]

Cet illustre philosophe qui réclama l’abolition de la royauté, la proclamation de la république, posa le principe de l’égalité de la femme et de l’homme qu’il regardait comme la base de la question sociale. Condorcet fut donc en France un des précurseurs du féminisme ; et, sa statue quai Conti recevra avant longtemps, les périodiques hommages des femmes reconnaissantes, Le 3 juillet 1700, Condorcet publia son fameux article sur l’admission de la femme au droit de la cité dont voici un passage :

« Au nom de quel droit, au nom de quel principe écarte-t-on dans un état républicain les femmes du droit public ? Je ne le sais pas. Le mot représentation nationale signifie représentation de la nation. Est-ce que les femmes ne font point partie de la nation ?

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« Plus on interroge le bon sens et les principes républicains, moins on trouve un motif sérieux pour écarter les femmes de la politique. L’objection capitale elle-même, celle qui se trouve dans toutes les bouches, l’argument qui consiste à dire qu’ouvrir aux femmes la carrière politique c’est les arracher à la famille, cet argument n’a qu’une apparence de solidité ; d’abord il ne s’applique pas au peuple nombreux des femmes qui ne sont pas épouses ou qui ne le sont plus ; puis, s’il était décisif, il faudrait, au même titre, leur interdire tous les états manuels et tous les états de commerce, car ces états les arrachent par milliers aux devoirs de la famille. »

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Les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles susceptibles d’acquérir des idées morales et de raisonner sur ces idées. Les femmes ayant ces mêmes qualités ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe a dès lors abjuré les siens. »

En plaidant aussi bien pour les femmes ce grand esprit n’espérait point se les rendre sympathiques, au contraire :

« Je parle de leurs droits à l’égalité, disait-il, et non de leur empire. On peut me soupçonner d’une envie secrète de le diminuer, et, depuis que Rousseau a mérité leurs suffrages, en disant qu’elles n’étaient faites que pour nous soigner et propres qu’à nous tourmenter, je ne dois pas espérer qu’elles se déclareront en ma faveur. Mais il est bon de dire la vérité dût-on s’exposer au ridicule. »

Les idées de Condorcet furent exprimées dans plusieurs cahiers de doléances ; celui de Rennes notamment, demande d’admettre les procurateurs des veuves, dont les maris auraient le droit de vote, à être électeurs et éligibles. Mais, les requêtes de ces précurseurs du féminisme ne furent pas entendues.

Quand dans les réunions publiques quelqu’un parlait d’appeler les femmes à exercer leurs droits ; aussitôt, des cris et des hurlements couvraient la voix de l’orateur et si l’on ne pouvait lui enlever la parole, la séance était levée.

La cabale des clubs contre les droits de la femme, fut bientôt répercutée au sein de l’assemblée législative : La loi du 20 mai 1793 fit exclure les femmes des tribunes de la Convention, et la loi du 26 mai 1793 leur défendit d’assister aux assemblées politiques.

Trois journaux : l’Orateur du peuple, Le Cercle Social, La Bouche de Fer, soutenaient le droit des femmes, aidaient les femmes à organiser des réunions. Labenette dans son journal, Les Droits de l’Homme, demande l’admission des femmes dans les assemblées. « Pendant que vous vous tuez à délibérer, elles ont, dit-il, déjà saisi toutes les nuances qui vous échappent. »

Parmi les clubs de femmes «La Société Fraternelle des Patriotes des Deux Sexes», défenseurs de la Constitution dont Mme  Roland était membre, se fit surtout remarquer par ses protestations contre les décrets de l’Assemblée Constituante.

La société des Femmes Républicaines et Révolutionnaires que présidait l’actrice Rose Lacombe et dont faisait partie Mme  Colombe imprimeur de la feuille de Marat, dépassait les hommes en violence, quand il s’agissait de prendre une détermination[4]

Le 28 brumaire 1793, Rose Lacombe accompagnée d’une députation de femmes révolutionnaires coiffées comme elle de bonnets rouges, força l’entrée de la séance du conseil général de la commune – à ce moment, la pétition orale était admise – cependant, en voyant ces femmes, le procureur général Chaumette s’écria :

« Je requiers mention civique au procès-verbal, des murmures qui viennent d’éclater ; c’est un hommage aux mœurs, c’est un affermissement de la République ! Et quoi ! des êtres dégradés qui veulent franchir et violer les lois de la nature, entreront dans les lieux commis à la garde des citoyens et cette sentinelle vigilante ne ferait pas son devoir ! Citoyens, vous faites ici un grand acte de raison : l’enceinte où délibèrent les magistrats du peuple doit être interdite à tout individu qui outrage la nation ! … Et depuis quand est-il permis aux femmes d’abjurer leur sexe, de se faire hommes ? Depuis quand est-il d’usage de voir les femmes abandonner les soins pieux de leur ménage, le berceau de leurs enfants, pour venir sur la place publique dans la tribune aux harangues, à la barre du Sénat, dans les rangs de nos armées, remplir les devoirs que la nature a répartis à l’homme seul ? À qui donc cette mère commune a-t-elle confié les soins domestiques ? Est-ce à nous ? Nous a-t-elle donné des mamelles pour allaiter nos enfants ? A-t’elle assez assoupli nos muscles pour nous rendre propres aux soins de la hutte, de la cabane ou du ménage ? Non, elle a dit à l’homme : Sois homme ! les courses, la chasse, le labourage, les soins politiques, les fatigues de toute espèce, voilà ton apanage. Elle a dit à la femme : Sois femme ! les soins dus à l’enfance, les détails du ménage, les douces inquiétudes de la maternité, voila tes travaux.

« Femmes imprudentes qui voulez devenir des hommes ! n’êtes-vous pas assez bien partagées ? Que vous faut-il de plus ? Vous dominez sur tous nos sens ; le législateur, le magistrat sont à vos pieds. Votre despotisme est le seul que nos forces ne puissent abattre, puisqu’il est celui de l’amour…

« Autant nous vénérons la mère de famille qui met son bonheur à élever, à soigner ses enfants, à filer les habits de son mari et alléger ses fatigues par l’accomplissement des devoirs domestiques, autant nous devons mépriser, conspuer la femme sans vergogne qui endosse la tunique virile et fait le dégoûtant échange des charmes que lui, donne la nature contre une pique et un bonnet rouge – Je requiers que le conseil ne reçoive plus de députation de femmes. »

La proposition de Chaumette fut adoptée. En même temps que la femme était en la personne de l’actrice Rose Lacombe, traitée par Chaumette d’être dégradé ; la femme était élevée au rang des dieux, en la personne de Mlle  Maillard, actrice de l’Opéra, qui remplissait le rôle de déesse de la liberté, dans la fête de la raison célébrée dans l’église de Notre-Dame de Paris.

Rose Lacombe protesta contre la décision du Conseil général de la commune ; et elle parvint à entraîner beaucoup de femmes à demander leurs droits.

Ces femmes étaient souvent battues par les très royalistes dames des halles. Un jour que les républicaines, vêtues en hommes, reprochaient aux marchandes de poissons de s’abstenir de porter la cocarde nationale, celles-ci les assaillirent et les fouettèrent publiquement.

Les réunions des républicaines finirent par inquiéter le comité de sûreté générale, qui chargea un de ses membres de révéler le fait à la Convention.

Le Conventionnel Amar monta à la tribune et dit :

« Je vous dénonce un rassemblement de six mille femmes, soi-disant jacobines, et d’une prétendue société révolutionnaire… Plusieurs, sans doute, n’ont été égarées que par un excès de patriotisme ; mais d'autres ne sont que les ennemies de la chose publique et n’ont pris le masque du patriotisme ! que pour exciter une espèce de contre révolution. » .........................................................

« Les droits politiques du citoyen sont de discerner, de faire prendre des résolutions relatives aux intérêts de l’État et de résister à l’oppression. Les femmes ont-elles la force morale et physique qu’exige l’exercice de l’un et de l’autre de ces droits ? L’opinion universelle repousse cette idée… Et puis la pudeur des femmes leur permet-elle de se montrer en public, de lutter avec les hommes et de discuter à la face du peuple sur des questions d’où dépend le salut de la République ? Voulez-vous que dans la République française on les voie venir au barreau, à la tribune aux assemblées politiques comme l’homme, abandonnant la retenue, source des vertus de ce sexe ? ».

Il est curieux d’entendre ces révolutionnaires invoquer des lieux communs et des préjugés surannés, pour maintenir les privilèges de sexe, après que tous les privilèges de caste ont été abolis. C’est d’autant plus révoltant, que dans l’épopée révolutionnaire, des femmes se sont montrées à la hauteur des plus grands hommes et souvent les ont inspirés et dirigés quand elles n’ont pas agi elles-mêmes.

Après le discours d’Amar, un seul homme se leva des bancs de la convention, le député Charlier qui soutint énergiquement que les femmes avaient le droit de se réunir pour s’occuper des affaires publiques. « À moins, dit-il, que l’on constate comme dans un ancien concile que les femmes ne font pas partie du genre humain, on ne saurait leur ôter ce droit commun à tout être pensant. »

Mais la cause des femmes était perdue d’avance ; la convention resta sourde aux objurgations de Charlier et décréta que toutes les sociétés de femmes, quelles que soient leurs dénominations, étaient supprimées et dissoutes.

Ceux qui dénient le droit commun aux autres, tiennent suspendue au-dessus de leur tête la menace d’être à leur tour exclus du droit commun. Les hommes, qui supprimèrent les clubs de femmes, eurent tous leurs clubs fermés par Bonaparte.

Les femmes qui voulaient que la révolution s’accomplisse au profit des deux sexes, faisaient preuve de bien plus de sens pratique que les Jacobins, qui en leur fermant les portes de la révolution, rejetèrent les femmes dans la réaction.

Cependant, la liberté eut encore des militantes : En 1799, sous le Consulat, des femmes qui s’honorent du titre de « citoyenne » refusent d’être appelées de nouveau « madame » et font acte d’indépendance en s’assemblant rue de Thionville pour discourir sur leurs droits méconnus[5].


  1. Amédée le Fanre, « Le socialisme pendant la révolution ».
  2. MICHELET
  3. A. AULARD.
  4. LAIRTULLIER, Les femmes célèbres de la Révolution.
  5. Gilbert Stenger, La Société Française pendant le Consulat.