Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein VI

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DESSEIN SIXIESME.


Diſarchee tenant maiſon ouuerte, eſt cauſe des amours des deux Amās ouurans ceſfe ſeance. L’Ambaſſadeur de la Chine eſt receu & ſatisfait. L’eſtat des vrais Amans. Celuy qui voyoit croiſtre les arbres.



ON auoit fait pluſieurs triomphes en l’Hermitage, tant pour l’obſeruation des ſacrez myſteres de l’Anniuerſaire, que pour donner plaiſir à l’Empereur, qui receuoit telles diuerſitez d’occupation d’eſprit, ſi pres les vnes des autres, qu’il n’auoit plus loiſir de penſer à ſa melancholie : Ces beaux diuertiſſemens abattoyent ſa triſteſſe, & releuoyent ſon cœur d’eſpoir, & ſur tout voyant qu’il luy ſuccedoit à plaiſir, ce qui fut occaſion qu’il ſe reſolut, croyant qu’il luy auiendroit vn bien parfait s’il continuoit. Beaux eſprits qui eſpluchez deſia les riches threſors, qui ſont icy enuelopez, cōme en voiles de ſoye, ne penſez pas que nous ſuyuions icy l’ordre par fait de ce qui eſt requis à l’eſtabliſſement de noſtre ouurage, nous pourſuyurons l’auanture declaree. Ceux qui auront le iugemét propre à ces particularitez ſauront choiſir le temps, les endroits & les apparences, ſelon raiſon, cependant nous conduirons cét Empereur au vent de ce deſſein. Le mardy au matin iour attribué à Mars, & à la domination de ceſte planette du Fer ou Acier : Le Monarque fut habillé de pourpre ex quis, & en cét equipage tout accompli, auec la ſuite & entiere magnificence, fut conduit au ſe cond Palais, dont tous les vtenſiles eſtoyent de fin acier rechargé de ſa propre eſſence, les enri chiſſemens eſtans de ceſte verdeur belle, & brillante qui ſe forme par la violence vitrifiante du feu, auquel s’affine ce metal. L’Empereur ſitué, & la Fee auſſi, ainſi que la bien-ſeance de l’ordre l’auoiteſtabli dés hier. Apres la voix du heraut, il entra pluſieurs Amans qui vindrent au vaiſſeau où repoſe la liqueur Emfrone, laquelle eſtre ceuë de la diſtilation de la lauande d’amour, qui croiſt en ce païs.C’eſt ceſte liqueur quifait par la vertu ſpecifique quiy reſide, que quiconque viēt icy poury rendre conte de ſes actions apresl’vſa ge d’icelle, r’entre en meſmes opinions& péſees, · qu’à l’inſtant meſme de ſes amours : car ceux qui l’ont ſauouree diſent les meſmes paroles qu’ils diſoyent enl’eſtat deleurs paſſiós, & ſuyuant les, meſmes actions, ſoit Nymfe ou Paladin, & meſ meauanture les retrouue : les Amans donc, ayans gouſté à ceſte fidele eſſence, &coulé en leur eſto mach ceſte eau celeſte, ſ’auancerent, Theofron qui vid Semnoſe ſa maiſtreſſe, &elle quil’apper ceut, ſ’enclinerent au meſme mouuement où l’a— mour les auoit conſtituez, lui qui ſe trouuoit en ſemblableauis, & elle en meſmes pčſees ſ’appro cherét de l’Empereur & de la Souueraine, rendås l’honneur deuà leur grandeur. Apres vne autre Nymfe ſ’auāça auec vne eſpinete, qu’elle toucha pour luifaire reſonner vn § premedité, qui eſt le meſme que l’Amant auoit aſſemblé, quâd il ſentit làviue pointe d’amour pour les yeux ay mez, les chantres y eſtoyent auſſi ſelon l’ordon nance & cét aer fut chanté à deux chœurs.

Mon eſprit releué deſſu ler de la gloire
Des ſuperbes deſſins dont vous eſtes l’honneur,
N’a point de volotez que pour vous faire croire
Que vous eſtes la loy des ſouhaits de mon cœur.
Les ſuiets accomplis dont vous ſerez la cauſe,
A l’eſclat de vos yeux dignement brilleront,
Et ce n’eſt point en vain que ie me le propoſe
Car comme vos beautez mes effets paroiſtront.
Vous ſerez pour iamais le soleil de mon ame,
Mô ame n’aura point d’autre aſtre quevosyeux
Au yifde vos beautez s allumera ma flame
Plus viue que le iour plus claire que les cieux.
Uoila que c’eſt d’anoir vn obiet de merite,
De cognoiſtre des yeux triomphans en pouuoir,
Mon ameau parauant eſtoit foible & petite,
Ores elle eſt par ſt/0f/4 magnifique en deuoir.
Uous releuez ainſi par vos beautez ma vie,
Excitant dedans moy ces pointes degrandeur,
La fin teſmoignera qu’one belle accomplie
M’aura mis dans le ſang, la vie, & la valeur.

Apres que ce ſouſpir euteſté dignement recher ché deuantl’Empereur, auant que les Amans ſe leuaſſent pour plaider, la Nymfe qui ſcauoit l’eſtat de † amours, s’auança & propoſa ceſte petite lumiere au diſcoursfutur de cesdeux ames d’amour. Sire, les Amâts diſent beaucoup de choſes cöme ils les penſent à l’inſtant de leurs extaſes, mais ſouuëtils deſcheent & fen reculét grãdemét, ce qui ſeiugera par les amoursde ceux cy : Il y a quelques annees que la ſage Diſarchee, dame cognue enAmerimnie, ſ’auiſa de tenir mai ſon ouuerte aux vertueux, ce qui luy ſuccede heureuſement, car là ſe range tout ce quiſe peut appliquer à la vertu. Ceſte façon de viure attira · ce gentilhomme curieux, lequel ſuiuât quelques deſſeinscelebres, paſſoit outre, maisà cauſe du nö de ceſte Dame, il ſe retint pour la voir, & lui ren dre de l’höneur, la Dame le receut ſuiuât les cou ſtumes de ſon abondante courtoiſie : Entre plu ſieurs dames & damoiſelles qui hantoyent là ſ’y trouua pour lors ceſte belle Semnoſe dont lare nommee auoit ſouuenteſmeule cœur de Theo fron, & lui qui n’auoit pas pris garde à ce qui ſe pouuoit preſenter, ne ſcauoit pas ſi ceſte belle tant renommee fut là, bien que voyant ceſte-cy, il la remarqua tres-accomplie : Ainſi que ce gen tilhöme deuiſoit auec Diſarchee, vn page veint qui parla à Semnoſe en l’oreille, adonc la Dame dit la voyant ſe leuer.Mabelle Semnoſe ſeras-tu longtemps ſans reuenir, Non, dit-elle, ma par faite, ie reuiens incontinent. Theofron l’oyant nommer tourna ſoudain ſes yeux vers ce Soleil, puis ſ’excuſa à la Dame, de ce qu’il n’auoit pas fait ſon deuoir vers ceſte Belle qu’il deſiroit tant rencontrer.Il prolongeoit ſon excuſe qte laBel le retourna, & que par la permiſſió de Diſarchee ilacoſta. Orça bellesames, paroiſſez envoſtre naiueté deuant l’Empereur. THEoFRoN. Bel le, dont l’honneur ſurpaſſe le renom de vos.perfections, Ie vous fais vne requeſte que ie vous ſupplie ne trouuer eſtrange, veu que c’eſt la premiere fois que ievous ayveuë, & que i’ay

parlé à vous. semnose. Que deſirez vous de moy ? THEoF. Que vous me diſiez en braue cœur qui eſt voſtre ſeruiteur. sEMN. Penſez vous que ie n’aye qu’vn ſeruiteur ? THEoF. Ie croy que vous en auezinfinis, maisie vous eſtime tant ga lande que vous n’en auez qu’vn accepté, c’eſt de ceſtuy-la dont i’entens ſcauoir. SEMNosE. C’eſt vous ſi vous auez l’aſſeurance de l’eſtre.THEoFR. I’en aurayaſſez, pourueu que vous m’eſtimiés de merite pour vne ſi belle auanture. Et bien que vous me rendiés confus de premier abord, ſi eſt ce que i’ay le courage de vous ſeruir. sEMNosE. Si vo" auiés vne maiſtreſſe, la voudriez vous laiſ ſer pour mon ſujet : THEoF. Si i’eſtois engagé, vous auez vſé de telle vehemence que ce ne ſe roit pas moy qui laiſſeroit ceſte maiſtreſſe, mais vous qui m’oſteriés à elle : Auſſi vos propos & voſtre puiſſance abſolue me rendêt tout à vous, & me deſtournent de tout autre objet : Par quoyil faut que vous m’acceptiés, vos diſcours † arreſts, il n’y a plus moyen de ſ’en retra cter, & pource ie vous tiendray des auiourd’hui pour mon vnique maiſtreſſe. LA NYMFE. Si re, nous eſtions preſentes à ces diſcours, qui nous eſtoyent agreables, veu leur nouueauté, & la prompte rencontre de ces deux, qui de premier abord ſ’vnirent de reſpect& de volontez, princi | palement Theofron qui forma fi viuement cét # amour en ſon cœur, qu’il en deuint tout d’affe—. étion.Ie ſcay, Sire, que la muſique eſt vne de vos delices, & pource ie vous donneray le plaiſir allCC CCS § d’vne des extaſes de cét amant.

Uos beautez m’ont conquis de puiſſance abſolue,
Me uenant deſtourner de toute autre beauté,
A peine vous auois-ie encores apperccue,
Que vous vintes ſaiſir toute ma liberté.
Tenez voyla mon cœur poſſèdez le ma Belle,
Diſpoſez en maiſtreſle, ainſi que vous voudrez,
Ie ſcay bien que touſiours il vous ſera fidcle,
Car il demeurera tel que vous le rendrez
Bien que vous en iugiés voſtre gloire petite,
Si vous me comparez à vos perfeciions :
Toutefois vous direz que ie ſuis de merite,
Si vous faites eſtat de mes affettions.
Releuez mon eſprit pour le rendre admirable,
Formez-y des deſſeins tout grads & tout parfais,
Ainſi que vous ſerez ma cauſe fauorable
Auſſi ie vous ſeray l’honneur de beaux faits.
Si vous en deſirez vn iuſte teſmoignage,
Ne ballez recherchant que dedans uoſtre cœur,
C’eſt de vous que i’ay eu ce que i’aydecourage
Car vous m’auez choiſi pour voſtreſeruiteur.

semnose. Ceſte Nymfe a raiſon, car voila Theofron les meſmes ſouſpirs par leſquels vous fiſtes profeſſion de me rendre teſmoignàge de voſtre deſir, mais vous ne duraſtes gueres en l’e— ſtat de ſi beau deuoir car ſans me dire adieu vous aſlaſtes où d’autres ſouhaits vous träſportoyêt, & m’ayât fait ceſte belle proteſtation, vous vous eſtes eſlongné de moy ſans cauſe. THEoFRoN. Belle vousauez occaſion de m’accuſer, pource que ie deuois tout oublier fors l’apparence & la | verité du ſeruice que ie vous doy : Ie me côdani ne moymeſme, & ſuis preſt de receuoir telle pu nition qu’il vous plaira de la faute que i’ay faite, de n’auoir pas eſtéreceuoir vos commandemens auant que partir : I’eſpere toutesfois que vous me ſerés fauorable, & croyrés que i’ay tant de fi deles conceptions pour voſtre ſujet, qu’ayſémët voſtreame ſe perſuadera, que ie ſuis reduit à tel deuoir d’obeiſſance, que les effets enferöt preu ue, & que vous pardönerez à mon eſprit confus, qui ne peut encör ſupporter l’eſclat del’auantu re ſi parfaite que i’ay rencontree, vous voyant ſi accomplie, & tant propice à mes humilitez. Le temps vous manifeſtera laverité, & la veritéap arente vous ſera teſmoin manifeſte de mes fide † proteſtations, vous iugerez aſſez par ces pre mieresatteintes de l’eſtat de mon ame, laquelle peu à peu ſe recognoiſtra, & alors eſtant digne ment conduite parvos belles lumieres, vous ver rés des effets magnifiques de la valeur que vous excitez enl’eſprit, qui ne ſouſpire autre felicité que de vous ſeruir. SEMNosE. Il eſt aiſé de par döner aux innocens, & à ceux qui ont le cœur fi dele, & puis ſi ce que vous proteſtez eſt vray, ie n’auray point d’occaſion de me meſcontenter. THEoF. I’en prenceſte belle main en teſmoigna ge, & la baiſe de tout mon cœur. s FMNosE.Vous vous auantagez beaucoup, & paſſez outre ceſte grande humilité que vous auanciés pour loy. THEoFRoN. M’accuſez vous deſia de preſom ption, meſcognoiſſez vous mon humilité en luy faiſant tort ? SE MNos E. Ie veux bien que vous péſiés quei’eſtime ceſte façon eſtre prelomptiö. THEoF.S’il eſt ainſi, ie preſente mon cœur à l’A— mour, quiiugera bien toſt, que vos perfections m’ayant reduit au ſeruice voué, ſiie ſuis preſomptueux que c’eſt auec raiſon, & que la grandeur que vous auez excitee en mon courage, eſt cauſe que ſans conſiderer mon deſfaut de merite, ie tante vne ſi auantageuſe fortune, que d’oſer par hommage vous baiſer la main. Mais en ce beaux diſcours, ie ſuis contraint de changer de propos, Ce n’eſt point moy qui ay eu † de vous rechercher, c’eit vous qui me rauiſſant à moymeſme, par vne violence extraordinaire, m’auez commandé d’eſtre voſtre. Si doncie cö metserreur, & ſi poſſible ma preſomption vous importune en vous honorant, il ne faut point m’imputer de vice, ains me dire ſectateur de parfaite obeiſſance : Or côme il vous plaira eſti · mez-en ; Sieſt-ce que mon plus excellët heur, eſt d’eſtre à vous, car vous eſtes l’vnique but de mes eſperances. LA NYMFE. Sire, tandis qu’ils confe royent ainſi du ſecret de leur cœur. Diſarchee ſ’aprochât leur dit, quels ſont les beaux diſcours dont vous vous entretenez, quel en eſt le ſujet ? THEoFRoN, Treſbeau, Madame, car nous diſcou rös de vos merites, & du ſeruice queie vous doy, ourl’honneur que i’ay par voſtre moyen d’e— ſtre à ma belle Semnoſe.A la veritéie ſerois trop + ingrat, ſi ie ne cherchois les occaſions de vous teſmoigner, que ie ſuis tant voſtre obligé, qu’il faut queie confeſſe que ie ne pourray iamais ve nir à l’effet de recognoiſtre dignement ce que ie vous doy. Et ie ne penſerois pas viure ſi ie ne vous ſollicitois de deſirer de moy ce que vous iugerez, que ie pourray pour voſtre ſeruice, afin · que ie vous monſtre, que ie n’ay point l’ame · meſlee d’humeur ingrate, ains quei’ay vn fidele & conſtant deſir de vous ſeruir comme ie le taſ cheray toute ma vie. LA NYMFE. Qui diroit que les puiſlances de ceans ſont manques, ſeroit trompé, car en voicy vn effet formel, d’autant qu’il a repeté les meſmes paroles que nous oyons, quand il les proferoit en l’ardeur de ſon zele. Ainſi que ceſte Nymfe parloit, les deux Amans eſtants debout en la preſence de l’Em pereur, pour acheuer leur cauſe, voicy douze Heraux qui entrerent, & faiſans ſigne de ſilen ce s’humilierent deuant l’Empereur, & ſe ren geans deça & delà, firent entrer vn Prince eſtran gel de grande & belle ſtature, ſuyui de vingt & quatre cheualiers bien equipez, & de plu ſieurs autres qui demeurerent dehors par hon neur. Ce perſonnage ayant ſalué l’Empereur, dit, Sire, voſtre ſeruiteur icy preſent, Prince de Vathiſoz vous eſt enuoyé du Roy de la Chine. Ie ſupplie voſtre Majeſté, que i’aye congé de parler. L’EMPERE vR. Tout eſt permis ceans, pourueu que la raiſon & la vertu, ſoyent le ter me des actions & des paroles. LE PRINcE. Sire,. mon Roy vous prie de luy faire ſcauoir, quel le eſt la fin de tout ce que vous pretendez, par ces belles rencontres & magnificences : Et pour ce qu’il eſt grand & puiſlant, comme vous ſca uez, & outre, eſt extremement curieux, il deſire entendre quelle eſt l’eſperance de ceux qui ſe peinent à ces auantures, afin que le ſachant, il continue à vous eſtimer & louer, & ait occa ſion de faire taire les Sages de ſon païs, qui luy perſuadent que ce ſont vanitez. 1’EMPE REvR. · Ie penſe que voſtre maiſtre vous a addreſſé auui luy perſuadent que ce ſont vanitez. L’EMPEREYR, · Ie penſe que voſtre mai(tre vous a addreſſé au Roy mon frere, qui eſt autheur de tout cecy : car de moy i’en ſuis ſimple ſpectateur. Voicy ſon filsayſné qui vous fatisfera. Là doncques, Ca ualiree, ie vous prie de contenter ce Prince, & comme vray interprete de la volonté du Roy, & de la Souueraine, declarez luy ce que ſon CCCl1r | deſire. CAVALIREE. Par le commandement de l’Empereur, ievous auiſe braue Prince, que noſtre but & de tous ceux qui vienent icy, eſt leſpoir que nous auons tous, qu’en fin apres plu ſieurs deſſeins & recherches, nous ſerons dreſſez à la cognoiſſance de la Sainte Galanctiſee, pour iouir en fin de la bien-heureuſe Xyrile. LE CHY NoIs. Tanty ont failly, & qu’eſperez vous, cA > vALIREE. Suyure la vraye intelligence d’Amour · qui nous y conduira parfaitement. L E c H 1 — N o 1 s. L’Amour vulgaire ne vous y conduira | pas, & les paſſions volages ne vous y meneront, point. cAvALIREE. Auſſi les Amours vulgai res ſonticy examinees, & nous les nottons exa ctement, afin que par comparaiſon nous ren—. contrions le fidele & non commun, lequel ſoit ſaint & exiſtant en belles veritez, non preſſé d’opinions, ains accompaigné de ſubſiſtences vrayes, conduiſant à l’heur parfait, à ce que le ſuyuant, nous venions au terme deſiré. L E c H 1 N o 1 s. Mon Roy vous fait ſcauoir, que ſi vous venez à bout de cét excellent deſſein, & ——, que de courtoiſie vous luy en faciés part, ilvous monſtrera l’egal, & ainſi le commerce, l’ami \ tié, & les bonnes aliances ſeront communes — cntre nous, s’il vous eſt agreable. A Dieu, Si re, & à vous tous courages Curieux, mes affaires, & le commandement ſuperieur me tirent ·’! autre part. Cet eſtranger eſtant ſorty, Theofron :, continua à parler à Semnoſe, & ſ’excuſoit de ce •* qu’il auoit eſté long téps ſans la voir, Ie m’accuſe · de pareſſe & non de ſouuenâce, de deffaut de deuoir, & nô d’amitié, auſſi i’eſpere pardö. Que feroit vn eſprit quine peut ſ’eſmouuoir que pour i I’admiratiö de ſon ſujet : Que pourroit executer vne ame qui eſt toute en la contéplation de la ſaincte Idee de ſes deſirs ? Ie ſuis tant arreſté, à ce que ie cóçoy pour vous manifeſter mö affectiö, que l’abiſme des diuerſitez qui m’y ſurprenent : m’engloutit, & ne puis me reduire à ce qui paroiſt aux autres eſtre tres-facile : Il faut que ie confeſſe ma honte, i’ay fait du braue, & tou tesfois ie n’ay pasl’aſſeurance de vous voir, i’ay crainte de vous aborder. On m’oppoſera à ce deſfaut, Quia-il de plus ayſé, que de s’adreſſer · à vne belle aymee qui le permet, & de deduire en paroles doucement exprimees l’eſtat des vœux que l’on luy offre ? Ie ſcay cela, & pour tant la difficulté ne m’en eſtoit pas moindre, que i’en penſois le hazardauantureux, d’autant qu’il y a vne certaine puiſſance qui retient quel ques eſprits : Et de fait, ie m’en rapporte aux experimentez, à ceſteheure que le courage m’eſt venu, Qui eſt le fidele ſe pouuant au commencement dilater ſi bien ſur les beaux deuis, qui ait l’induſtrie de depeindre au vray ſes paſſions pour les raconter à ſa maiſtreſſe, & l’en entretenir ? Ceux qui commencent à aymer paſſionnément, & qui ont l’ame touchee d’vn zele parfait, ſont retenus par la vehemence de leur ardeur, tellement qu’ils ne peuuent dire leurs penſees, & n’oſent aborder leurs objets, auſquels ils portent vne certaine reuerence ui ne ſe peut exprimer, les effets en paroiſ † & l’obſeruation ordinaire en eſt cognuë, & c’eſt ce qui me faiſoit auoir peur de vous eſtre importun, m’eſtant auis que ſi plus ſou uent ie me fuſſe approché de vous, i’euſſeen couru ce blaſme, tant ie vous reuere, & tant ceſte fade honte me troubloit : Mais à ceſte heure, que voſtre belle grace m’a rendu plus capable d’honneur, ie m’auanceray, & ſachant qu’il vous eſt agreable, ie tenteray cy apres la fortune, & me monſtreray plus galand, ie m’ex citeray brauement à vous manifeſter mes pre tentions pour vous ſeruir, & ſi vous en faites eſtat, ie † paruenu à l’entiere felicité des bien-heureux, & en ceſte belle pointe tout de cœur, ie vous iure que preſent ou abſent, tou tes mes occupations ſont arreſtees à voſtre ſer uice. S E M N o s E. Ie reçoy trop de gloi re en mon ame, de l’honneur que vous me fai tes, & iamais ie n’accuſeray d’aucun vice ou deffaut voſtre beau merite : Ie vous prie de croire que ie reſſens vn extreme contente — ment de voſtre bonne volonté, & vn ſouuerain plaiſir d’en eſtre aſſeuree, & vous prie de con tinuer, & encore plus, ores que ie croy que ſi i’ay quelque perfection, c’eſt vous qui me l’a— uez perſuadee, auſſi ie vous en rendray l’hom mage par quelque bon ſeruice. THEoFRoN. Puis que voſtre bonne volonté ſ’eſtend ſur moy, ie m’eſtime eſtre auancé au deſſus de ceux qui iouïſſent de l’entiere felicité : Mais repenſant à moy, ie m’apperçoy eſtre ſi peu qu’il n’eſt pas poſſible que voſtre belle penſee ſ’aui ſe queie ſois voſtre ſeruiteur : eſtant trop diſgra cié de fortune, toutesfois ie laiſſeray faire au temps qui deſcouurira ma perſeuerance, la quelle me ſera tout ce qui eſt neceſſaire à con querir vne Dame demerite, & me fortifiant de ceſte bonne opinion, ie vous feray voir que vous n’auez point de ſeruiteur plus humble ou plus fidele que moy. SE M N o s E. Ie ne man querayiamais d’affection pour vous, auſſi ay-ie vn parfait deſir d’eſtre continuee en voſtreami tié, vous me l’auez promis, & ie croy que rien ne merauira ce bien : Ie vous coniure de perſe nerer, car ie vous ſuis fidelement aquiſe. LA NYM FE. A mon grand regret, & au † des Dames, il faut que i’accuſe ceſte Belle, vous auez veu, Sire, comme elle a parlé d’af fection, & toutesfois ce deſir eſchappe : Si nousauions la veuë auſſi viue que l’auoit Mes xifurrece orfelin de Quimalee, qui voyoit croi ſtre les arbres, & groſſir le fruict, nous ver rions l’amour de ceſte Belle qui ſ’enuole, & change pour vn autre ſuiet qui la rendra miſe rable : Voyez ceſte inconſtante & la conſide rez encores vn peu, car à ce propos que luy va tenir Theofion elle aura vn petit reſte d’a— mitié pour luy, qui finira auſſi ſoudain. THEo FRoN, Belle Semnoſe l’eſperance qui porte mon eſprit, & le nourrit de l’œr de vos fa ueurs auec ſ’aſſeurance que i’ay de vous eſtre agreable, me ſont deux ſi fermes liens, que rieri ne vous ſeparera de mon ame, & n’en effacera la preſence que i’ay de vos perfe ctions. Ie ſcay bien ce que ma fidelité me per ſuade, c’eſt que comme vous eſtes l’vnique but de mes bons deſirs, auſſi vous faites eſtat de ma erſeuerance. Quand il vous plaira vous aurez † preuue de l’approbation de mon cœur : Ce que ie vous ayiuré, eſt ſtable car mon ame eſt tant reſpectueuſe, qu’elle n’oſeroit ſe deſguiſer deuant vos yeux, parquoy ie perſiſteray con ſtamment. Et puis la grace que vous me faictes de me permettre ce bien, m’oblige tellement à mon deuoir, queietiens à parfaite commodité · de cœur, de vous ſeruir & honorer. SEMNosE. C’eſt mon contentement extreſme que le vo ſtre, & ne veux viure agreablement que cro » , $ — 1-— — ; yant l’honneur que vous me faites, qui m’eſt auſſi gracieux que ma vie, qui n’a lieſſe qu’en penſant à la douce conqueſte que i’ay faict de voſtre courage. LA NYMFE. Qui penſeroit que ces deux beaux diſcours recherchez dans les delicates amorces d’amour fuſlent auſſi legers que le vent, qui eſtimeroit qu’il n’y euſt en ce ſtefermeté tant bien exageree, non plus de fixe qu’en vne tenuë glace qui fond ſous le moindre faix qui s’y poſe Voilà l’eſprit de ceſte belle tout changé, vn eſclaird’autre amour l’aviolen tementenuahie, l’oubly tout d’vn ſaut efface ſes contentemés premeditez en ce premier amour, elle ſe deſtourne de Theofron qu’elle meſconté te indiſcretement, auſſi elle n’a plus de reſpect qu à ſon nouuelamant. Confiderez ceſtuy-cy qui tout humble recherche ce qui tantoſt le re cherchoit : voyez comme toutsl’vn coup elle

meſpriſe & deiette celuy qu’elle cheriſſoit, iIla prie de lavoir, elle l’en recule, Ie les laiſſeray dire. THEoFRoN.Le reſpect que ie réds à ce que i’ho nore, fait que ie neveux prendre le temps de vo° viſiter qu’aux heures qu’il vous plaira me grati fier de ce bon-heur, & que vous ſerez eſloignee de toute autre occupation. SEMNosE. Le temps qui maintenant ſe pare de ſes beautez, l’hyuer eſtant paſſé, eſt cauſe que difficilement on me rencontre, & mes affaires ſuruenantes me tien nent diſtraite, ſi que ie ne puis auoir la commo dité de vous veoir : parquoy ie vous prie ne vous incommoder pour mon ſuiet, car ce vous ſeroit vne peine inutile. THEoFRoN. La façon dont vous m’eſconduiſez eſt cruelle & indecen te : elle monſtre l’alteration de voſtre cœur IH paroiſt que vous auez changé de volonté, ou que vous auez l’eſprit eſgaré, & en quelque ſorte que ce ſoit vous faites tort à mori humilité, & outra † deuoir d’en vſerainſi. SEMNosE. Ne § que les ſaiſons apportent des occaſions differentes, ou contraires à celles des autres temps, vous demandez mon loiſir, & ie n’en aypoint, la courtoiſie vous oblige de me croire, ou de penſer CC qu’il vo"plaira. THEoFR. Il n’y a rien qui penetre tant que telles rigueurs determinees, à ces geſtes & proposie cognoy fa cilement qu’il n’y a plus en vous d’amour pour moy. Or comme il n’y † tant humble à requerir que ie ſuis, auſſi n’y a il † d’eſprit ſi glorieux que le mien à meſpriſer le dédain. LA NYMPHE. En ce dépit ils ſe departirent, & l’a— mant dir à ſa l.taiſtreſſe ceſt adieu pour iamais,

Ie ne fais plus d’eſtat de vos perfections,
Puis que vous me trôpe (quädie ſuis plus fidele,
Il ſe rencontre aſſez d’obiects d’affections,
Sans vous qui n’eſtes plus ma deſirable belle.
Adieu.i eſteins ces feux que i’auois allumez.
Au bel air des douceurs d’vne feinte apparence,
Ie n’ayplus de deſirs, ie les ay conſommez ;
Puis qu’ainſi vous auez fraudé mon esperance,
Voyons qui de nous deux premierement aura
Les picquans deſplaiſirs de ceſte departie,
Et quand le ſouuenir le cœur en ſaiſira,
Condamnons le ſuiet dont la cauſe eſt ſortie.
Que ie ramenteurois icy de beaux diſcours,
Si ie ſentois pour vous quelque reſte de flame,
Tout ainſi que pour moy vo° n'auez pl° d'amours,
Pour vous ie ne ſens plu de pointes en mon ame.
Soit en fin ce diſcours comme vn er meſpriſé,
Ceſt adieu ſoit ainſi qu’vne douce diſgrace,
Vrayment ie ne ſuis point en l’ame deſguiſé,
Comme vous m’oubliez mon amitié ſe paſſe.

Les parties ayans fait la reuerence, Xyuoye Procureur general d’Amour ſe leua & proteſta, Sire, vous auez ouy & cogneu les intentions de ces amans qui ont eſté fermes & puis legers : par quoyie requiers pour l’Amour, que les parties ſoientenuoyees à la Fee de diſgrace, & que leur nom au moins deSemnoſe ſoit pour iamais effa cé du regiſtre des Amans.L’Empereur prit les voix, ayant ouy le conſeil, & prononça ceſt Arreſt.

L’inconſideration de vos deux fantaiſies vous ayant fait paroiſtre trop prompts & inconſtans, eſt cauſe que vous eſtes renuoyez, afin que vous appreniez la ſageſſe d’Amour. Semnoſe vous irez iuſques au regret apres voſtre ſecôde perte. Theofron, pour punition de voſtre temerité, vous conſolerez ceſte belle, ſi vous la retrouueX à propos, cependant voſtre dommage & ſon ennuy dureront tant que vous ayez les cœurs libres ou contents.

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DESSEIN SEPTIESME.


Les enigmes que l’Empereur apporta du Palais des ſecrets. L’Empereur demande encor la raiſon de l’ordre, & il en eſt eſclaircy.



CEluy qui vne fois a eu l’entree du grand Palais, & en eſt ſorti à ſon honneur, y a libre entree touſiours, principalement ſi c’eſt quelqu’vn de merite, & pour ce l’Empereur y a ſa libre entree. Ce que penſant & n’ayant rien veu entre les amantes qui fut de l’œr de ſon Etherine, il ſe leua du ſiege pour s’aller reſiouyr, & puis il ſe ſouuient de ce qu’il a veu chez Minerue, Sans liberté nul plaiſir : parquoy laiſſant faire à la Souueraine, il s’alla proumener, & de manda d’aller au grand Palais, auquel eſtant, il vid à gré tout ce qu’il y a de beau & d’exquis, & pour ſon plaiſir particulier il mit ſur ſes tablettes vne Enigme qu’il tira luy-meſmes de chaque cellule. Pour vous faire plaiſir nous vous expo ſons librement en veué les meſmes qu’il a choiſi, cóme la Fee nous l’a declaré, eſiouyſſez-vous