Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise III/Dessein VII
Les enigmes que l’Empereur apporta du Palais des ſecrets. L’Empereur demande encor la raiſon de l’ordre, & il en eſt eſclaircy.
Eluy qui vne fois a eu l’entree du grand Palais, & en eſt ſorti à ſon honneur, y a libre entree touſiours, principalement ſi c’eſt quelqu’vn de merite, & pour ce l’Empereur y a ſa libre entree. Ce que penſant & n’ayant rien veu entre les amantes qui fut de l’œr de ſon Etherine, il ſe leua du ſiege pour s’aller reſiouyr, & puis il ſe ſouuient de ce qu’il a veu chez Minerue, Sans liberté nul plaiſir : parquoy laiſſant faire à la Souueraine, il s’alla proumener, & de manda d’aller au grand Palais, auquel eſtant, il vid à gré tout ce qu’il y a de beau & d’exquis, & pour ſon plaiſir particulier il mit ſur ſes tablettes vne Enigme qu’il tira luy-meſmes de chaque cellule. Pour vous faire plaiſir nous vous expo ſons librement en veué les meſmes qu’il a choiſi, cóme la Fee nous l’a declaré, eſiouyſſez-vous en auec nous, iuſques à ce que le reſte ſoit commun & que nous vous en ferons part, lors que nous en aurons permiſſion, & que noſtre volonté s’enclinera à eſtaller les ſecrets aux yeux des mortels, & pource que la Belle de mon cœur eſt celle qui cauſe ces diſcours figurez, c’eſt à elle principalement à qui ie les preſente, comme vn vœu qui luy eſt deù : Il conuient que ie luy remette en memoire les meſmes accens que i’or donné pour elle, quand ie luy fis voir premierement ces enigmes, & puis le temps & l occaſion nous induiſent à ceſte reſſouuenance. Belle, aduiſez vous en doncques, & pour me gratifier iettez les douceurs de vos yeux ſur ceſt aer, & vous reſſouuenant de ma fidelité, rememorez-vous que vous auez en moy vn fidele ſeruiteur : Ce que ie vous preſente encor ces propos enueloppez, n’eſt que pour vous eſbattre à les faire interpreter aux autres, car vous les ſcauez, & pour ce ie vous dis,
Ma Belle ie vous pri ne tourmentervoſtre ame
Aux reſolutions de ces difficulte
Pluſtoſt conſiderez les ardeurs de la flame,
Que däs mon cœur fidele ont cauſé vos beaute
Vous n 7 cognoiſtrez point de dſtours d’artifice,
Mais vnfeu par vos yeux viuement attiſé,
Mon cœur qui n’a deſir quevousfaireſeruice.
N’oſeroit deuant vou paroiſtre deſguiſé,
Vous y diſcernerr(totu effaits de confiance,
Tous deſſeins de deuoir, toute fidelité,
Et ſi vou en voulex plus grande cognoiſſance,
Ordonnez vn deſſein de voir la verité.
Puis que vou entende{ ce qu’vne autre apparence
Cache pour exercer les eſprits curieux,
Uous verrez encor mieux par ma perſeuerance,
Ma paſſion naifue eſcrite dans mes yeux.
Uoyez doncques mes yeux, pourvoir mō cœur fidele,
Uous qui auez voulu vous obliger ma foy,
Et ie vous pri iugez que iamais autre belle
Que vou, n’eſtablira ſa puiſſance ſur moy.
Et puis quand vous aurez cogneu la ſimplicité de mon courage, & l’innocence de mon amour, eſpluchez ces diuerſitez pour voſtre plaiſir, afin que vous ayez du contentement de ce que vous auez cauſé pour contenter les beaux eſprits.
Les Enigmes qui ſont és cellules du Palais des Secrets, auec l’ordre & les caracteres de chaque cellule : ſuiuant quoy l’on pourra trouuer l’interpretation au plan du grand Palais par les ordonnances deduites au Palais de la Lune.
Je ſuis d’vne eau ſubtile vne pouldre legere,
Apres auoir monté ie tombe lentement,
Et par douce chaleur diſſoute en humeur claire,
je penetre par tout le ſolide Element.
Auec beaucoup de fraix le monde le fait faire,
Pour ayder au ſupport de vie, & de ſanté,
Et encor que chacun viuant en ait affaire,
On ne l’achete pas le quart qu’il a couſtè.
Frere demon ſubiet, i’exiſte ſans ſubſtance,
Et ſi ſommes conioincts d’vn eternel lien,
Pourtant ie ne ſuis point, toutesfois mon eſſence
Eſt telle que n’eſtant, il n’y auroit plus rien,
Vn pere a douze fils qui luy naiſſent ſans femme,
Ces douze auſſi ſans femme engëdrēt des enfans,
Quād vn meurt l'autre naiſt, & to° viuēt sās ame,
Noires les filles ſont, & les maſles ſont blancs.
Vn corps qui n'a point d'ame a vne ame mouuante,
N'ayant point de raiſon il rend raiſon des Tēps,
Bien qu'il n'ayt pas de vie, vne vie agiſſante,
Sans vie, le fait viure, en marchant ſur ſes dēts.
On tire vne liqueur d'vne ſubſtance eſpoiſſe,
Qui paroiſſant humeur eſt vn feu vehement :
Si dans ce feu coulant les prix de tout on laiſſe,
Il les fait imiter le liquide element.
Le marchand n'en veut point encor qu'il le cömāde,
Ceſtuy là qui le fait ne le veut pas auſſi,
Des paſſans le voyans aucun ne le marchande,
Et celuy pour qui c'eſt n'en apoint de ſoucy.
Je ſuis ce que i'eſtois de faict & d'apparence,
Et ſi ie ne ſuis pas, ainſi comme i'eſtois,
Et ieſuis tout les deux, de propre & de ſubſtāce,
Ainſi i'exiſteray, i'exiſte, & i'exiſtois.
Il eſt vn feu ſubtil extraict de l'eau coulante,
Cachant ſa viue ardeur dedăs ſes froids glaçōs,
Son froid eſt apparent ſa chaleur euidente,
Quand il imite en l'aèr du tonnerre les ſons.
e neſuis rien de moy, que ce quº l'on m'eſtime, e outes-fºispartºutieſº de tout le pris . ceſtuyla quiparº heureuſement s'animº Parte Yulgaire eſtmu aurang des bons eſpritk #. A« dhangéd'eſſence Ieſuunncºrps eſ? e ſuu d' Yna Ie n'ay potnt •t° · sans auoirrien perdu ie ſuis Et neſuu en rien moins que Bien qu'on m'y trouue tout cari'ay changè d'eſp A. A• .Acbandonnant mºn cºrpº » cela que i'eſtºi, enſent ma difference rit dans le corps qºe i'auoiº. eneſſence nouuelle Ieſuunn beleſprit enºrºſpirituel, parºnefºrcebelle Et merueilleux en faicts rel.
Ie puis tirer l'eſprit de l'º'tre corporel.
Nay dedans les foreſts aux maiſons on m’ameine Pour reparer l’erreur quela vieilleſſe fait, , Et m’employant du tout ie me perds, & ma peine Carfaiſant autruy beau, ma beauté ſe deffait. A. • « 1. je ſuis tiré de l’eau vnemaſſe ſolide, » Et rudement frappé ie brille tout en feux, Je ſuisfroid au toucher, ie me plais en l’humide, Mais par force mes feux apparoiſſent aux yeux. •t. : D. e I’ay paſsé par le feu dont ieſuis eſchappee, Iln a rien eu de moy, i’ay de luy retenu, Ce que iemonſtre aſſeX. lors que de l’eau trempee, Ie decelle le feu dedans moy contenu. + —, D. T. c#. Soit que dans le caillou, ſoit que dedans la plante, On m’aille recherchant, ſifuy-iefils dufeu, Ieſuisſemblable à l’eau, & ma forme brillante, — De ce qu’elle a le plus fait paroiſtre fort peu. D. D. A. · e_%fon corps eſt pris de terre & ma force des flames, Et tout du long des doigts on me fait ſublimer, Ieſuis auxplus hauts lieux miſe en eſpoiſſes lames, Ou mon humeurperduë on mefait rehumer. D. c# De l’enclos non ouuert de la ronde machine, Conceu ſans pere & mere, à la parfin ieſorts, Mais deuant que partir cruel ie me mutine, , Etrongeſesseſ pºurmetirerdehors’| D. D. ~.
femarche à pas egal de toute ameviuante, Choiſiſſant à mon grél’humble & leglorieux, Et ne ſuis rien du tout, toutesfois i’eſpouuante Et trouble tous ſuječts qui ſont deſſous les Cieux.
L’Empereur reuenu du grand palais retourna en la ſalle des cauſes de ce iour, & trouua la Sou ueraine leuee ayant donné congé aux amans, il ſ’auança & la prit par la main, & ſ’aſſéant ſur le lict de parade il fiſt approcher les Princes & Sar medoxe, & leur diſt apres quelques communs deuis : Ie ne m’arreſte pas ſeulement à la nuë eſ corce de cequi paroiſticy, car ayant à recouurer vn contentement ſpirituel, ie deſire ſçauoir ce qui peut reſtablir mon eſprit, parquoyievous prie me dire encor plus ouuertement, pourquoy vous ſuiuez cet ordre commencé de ſe trouuer iournellement aux Palais ayant plus d’eſgard au iour, ce rh’eſt il aduis, qu’au ſuiet LA S ov v E RAINE. Sire, vous auez eſté ſatisfaict de ce point en general, ie ne lairray pourtant de vous don ner le contentement que vous deſirez : ie croy que vous ſçauez aſſez que le germe de tout ſe deſcouure en blancheur ſortant de ſon contenu, ceſte couleur eſt appropriee à la Lune, cela eſt urement cauſe d’auoir commencé en la Lune : Et puis nous qui auons l’œil plus auancé que le vulgaire, nous ne nous tenons pas ſimplement à la ſuperfice, ains ſuiuant levray defir dont vous faictes profeſſion, nous profondons iuſque aux intimes lieux : & plus reculez, ayans dºnanta ge d’eſgard aux eſprits qu’aux — l p. & partant lors que les corps ſont de peu d’eſtime nous prenons garde aux eſprits, comme en la pla nette d’auiourd’huy, de laquelle le ſolide eſt petit, mais le ſubtil eſt grand & toutesfois fort ſeparable, ce qui auiétaux ſubſtäces de moindre force, & qui n’eſt pas en celles qui ſont de cópo ſition plus exquiſe, dont la ſeparation ſpecifi que eſt fort § corps ci eſt des plus forts ce ſemble, mais pourtant facile à ouurir, & fort preſt à laiſſer § enleuer ceſte ame ver meille & purpurine qui eſt en luy, & eſt ſavie Et ſelon l’analogie de noſtre diſpoſition, voſtre ſang qui eſtoit palli par la triſteſſe, ſera tiré de la maſſe peſante qui le retient, ſe reueillera, & ſera rechauffé par la vertu de Mars ſelon la cou leur duquel on imagine tout commencement de cuiſſon naturelle que l’on eſtime noire à cau ſe de ſon exuberante teinture. l’E M P E R E v R. Si comme i’eſpere, ie ſuis en tout autât ſatisfait, ie m’eſtimeraile plus heureux entre les mortels,’comme ie vous tiens les plus admirables en conſeil & prudence.