Le château de Beaumanoir/33

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Mercier & Cie (p. 235-239).

XXXV

TROP TARD

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Claire était une vaillante fille, nous l’avons déjà dit, une vaillante fille, digne de sa mère, parente par le courage de ces femmes héroïques qui ont leur page dans notre histoire et qui firent le coup de feu contre l’anglais.

Après les premiers moments d’émotion, d’épanchement, Claire se souvint du complot qu’elle avait surpris, et n’écoutant que son patriotisme de française :

— Vite, mes amis, s’écria-t-elle, s’il n’est pas même déjà trop tard : courez à la ville, courez auprès de M. de Montcalm, de M. de Vaudreuil pour les prévenir que, grâce à une infâme trahison, les ennemis débarquent peut-être en ce moment au Foulon.

— Que dites-vous ! c’est impossible, puisque ces postes sont gardés, dit Claude bien près de croire que la douleur avait dérangé le cerveau de la jeune fille.

— Je vous jure que je sais ce que je dis et que j’ai des preuves de la trahison.

— Voyons, expliquez-vous.

— Eh ! bien ! vous n’en accuserez que vous-mêmes, si vous arrivez trop tard et je vais tout vous dire.

La jeune fille raconta alors comment elle avait été enlevée, les dangers qu’elle avait courus avec Pierre Maillard, La Grêlée d’abord et Bigot ensuite ; comment elle s’était protégée ; ses angoisses, ses larmes, son désespoir et finalement le complot qu’elle avait surpris, formé entre Bigot, de Péan et Vergor, de livrer la ville aux Anglais, complot dont nous connaissons tous les détails.

Mais ce que le lecteur ignore et ce que nous allons lui dire en quelques lignes, c’est la manière dont la jeune fille s’était échappée de sa prison.

Nous l’avons quittée au moment où les trois complices s’éloignaient du château, murmurant dans son indignation :

— Oh ! les infâmes ! les infâmes !

Elle tomba anéantie dans un fauteuil.

— Hélas ! comment faire ? comment les prévenir et empêcher cette infamie de réussir ? se dit-elle en se tordant les mains de désespoir.

En vain songea-t-elle ainsi pendant de longues heures, la situation lui semblait sans issue.

Corrompre ses gardiens ? Impossible d’y penser. D’ailleurs que pouvait-elle leur offrir ? — S’échapper ? La porte de sa prison était fermée et verrouillée en dehors, toutes les fenêtres avaient des volets bien sûrement cadenassés à l’extérieur.

C’est ainsi qu’elle arriva à la deuxième visite de La Grêlée, et les heures en s’écoulant, ne lui apportaient aucune résolution.

Elle vint à la cheminée et colla son œil à l’on droit, où, la nuit précédente, elle avait observé les conspirateurs. L’appartement était plongé dans une demi obscurité. Par un mouvement instinctif elle frappa sur le mur avec la crosse du pistolet de Bigot qu’elle tenait en ce moment dans sa main, et qui rendit un son creux. Alors la pensée lui vint qu’une porte secrète pouvait exister en cet endroit. Elle prit une bougie allumée et commença son examen, exerçant une pression sur toutes les sculptures qui se rencontraient sous sa main. Rien, rien, rien, partout, rien toujours.

De guerre lasse, Claire allait s’avouer vaincue, impuissante, quand une porte se démasqua devant elle. Sans le vouloir, en appuyant du talon sur un des coins du foyer, la jeune fille avait trouvé le bouton d’un ressort et mis en mouvement le mécanisme qui ouvrait cette porte.

Claire avança d’abord craintive, puis plus rassurée, et pénétra dans l’appartement dont nous parlions tout à l’heure, qu’elle traversa pour ouvrir une seconde porte placée à l’autre extrémité. Un escalier en spirale se présenta dans lequel elle s’engagea bravement et qui la conduisit dans une cave. Elle remonta alors pour se procurer de la lumière, puis redescendit et examina les lieux. Une porte basse attira son attention et elle présuma que les visiteurs de la nuit précédente avait dû passer par là.

En examinant de plus près, la jeune fille remarqua avec joie que cette porte n’était fermée qu’au verrou. Elle se disposait à l’ouvrir quand une réflexion l’arrêta : n’était-il pas à craindre que les abords du château fussent surveillés et qu’elle fut reprise dans sa fuite, ce qui la perdait infailliblement ? N’était-il pas imprudent de se risquer en plein jour en supposant même qu’elle n’eût pas à redouter la surveillance immédiate des alentours ?

Ces considérations l’arrêtèrent et elle se décida à attendre la nuit pour agir.

En jetant un regard prudent par une des fenêtres, Claire aperçut Pierre Maillard étendu sur l’herbe à quelque distance du château, les yeux fixés sur le second étage, ce qui ne fit que la convaincre qu’elle avait pris une sage résolution.

Le soir, quand La Grêlée lui apporta son souper :

— Ne soyez pas effrayée, mademoiselle, dit-elle à la jeune fille, si vous entendez un peu de bruit sous vos pas ce soir ; nous attendons des personnes qui passeront quelques heures au château.

En effet, dès neuf, Claire entendit des éclats de voix, des rires, dont elle ne put deviner la cause sur le moment, mais qui lui semblèrent bientôt prendre les proportions d’une orgie.

Elle attendit ainsi plusieurs heures. Quand elle eût constaté que le silence régnait dans le château, elle se couvrit d’un long manteau qu’elle avait trouvé dans la salle attenant à sa prison, fit jouer le ressort, prit l’escalier et descendit à la cave.

On sait le reste. Quand la jeune fille eût terminé son récit, Claude d’Ivernay s’écria en s’adressant à Louis Gravel :

— Il n’y a pas un instant à perdre, je cours à la ville donner l’alarme, tandis que tu ramèneras mademoiselle de Godefroy.

Claude d’Ivernay devait malheureusement arriver trop tard.