Le chant de la paix/XIX

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CHAPITRE XIX

LE SOUVENIR DE RITA REVIT DANS UN CHANT
DE PAIX. LA PUISSANCE DE DIEU.


Avec la rapidité de l’éclair qui sillonne les nues, tout Paris apprit bientôt les détails de ce triste drame. À cette époque on semblait déjà avoir oublié l’effroyable guerre qui jadis avait bouleversé la France. Les rois et les gouverneurs sensés voyaient avec terreur que la haine et l’orgueil reprenaient encore leur empire sur l’humanité, laissant présager d’autres conflits que la science de l’homme rendue presque à son apogée ferait encore plus terribles que les précédents. C’était en vain que les nations cherchaient une entente, toujours leurs plans basés sur des choses purement matérielles s’effondraient lamentablement. Le souvenir de la jeune héroïne que toute la France acclamait en ce moment, allait apporter une lumière salutaire à cette conférence de paix qui devait, ce jour-là, réunir encore une fois un représentant de toutes les nations et à laquelle devaient assister également les savants et les hauts dignitaires de l’époque.

La pensée de cette jeune fille qui par ses lourds sacrifices avait conquis la faveur du public, allait peut-être démontrer à tous ces savants quel était le moyen le plus sûr d’arriver à cette entente qui pourrait avec le temps et la bonne volonté des hommes, apporter à jamais le bonheur et la paix tant désirés.

Rendue au paroxysme de la souffrance, Rita avait vu avec effroi dans quel précipice insondable semblait glisser l’humanité. Assoiffés du désir de triompher, deux peuples s’entrechoquaient dans une lutte sans merci et semblant détourner leurs yeux avec mépris du chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre que sont les dix commandements de Dieu et dont l’un dit aux hommes de s’aimer les uns les autres. Devant la puissance de ce Dieu qui s’était manifesté si clairement à ses yeux, elle ne pouvait arriver à comprendre comment il se faisait que ces lois d’une sagesse incomparable étaient reléguées dans l’oubli. Animée de cette fol. elle envisageait la mort sans frayeur. Victime de l’injustice des hommes elle avait dans sa dernière nuit, écrit les impressions qu’elle avait ressenties lorsqu’elle s’était vue condamnée au supplice par son propre peuple pour un crime qui lui paraissait odieux, mais qui l’avait pourtant sauvé de la défaite. Remise, le matin même, de cette nuit tragique, à la baronne de Castel, devenue plus tard la femme de l’illustre commandant Desgrives cette lettre avait été conservée précieusement. Après que Jean eut raconté à sa Jeune épouse tout ce qui s’était passé, fidèle à la promesse qu’elle avait juré d’accomplir, elle lui remit ces écrits.

Cet adieu déchirant fut pour Jean Desgrives, toute une révélation, alors, les horreurs des anciens jours repassèrent dans son esprit. Il lui semblait que tous ses soldats tombés, précédés de cette grande âme, se redressaient maintenant pour reprocher à l’humanité sa coupable ingratitude, pour proclamer d’une magistrale façon l’existence de l’âme. Inspiré par la reconnaissance et par la Justice, Jean Desgrives avait résolu de produire à cette conférence de paix ces écrits, afin de faire la lumière sur cette pénible tragédie, et démontrer d’une façon juste et précise, que par lui-même, l’esprit forçait l’homme à croire à l’immortalité de l’âme et à reconnaître même pour son bien temporel, la sagesse des commandements de Dieu. C’était le sujet de méditation qui le hantait, lorsqu’il pénétra dans l’immense edifice où devaient être discutés les problèmes susceptibles de ramener la paix entre les peuples.

Pour rehausser l’éclat de cette réunion exceptionnelle, une fanfare puissante exécutait le chant national de chaque pays représenté. Lorsque la Marseillaise retentit, Jean Desgrives que l’on présentait à la foule commanda d’un geste solennel et d’une voix forte et vibrante, le silence qui se fit à l’instant même. Une vive anxiété s’empara de l’auditoire. De toutes parts des cris de protestation s’élevèrent.

Jean Desgrives qui avait prévu cette réaction ne s’en déconcerta nullement. Sans s’occuper ne ces réflexions peu flatteuses, avec toute l’éloquence dont la nature l’avait si généreusement doué, il continua son discours. Bientôt le silence le plus complet se fit :

— Je vois, disait-il, que déjà l’auditoire à qui je m’adresse, a jugé avec sévérité mon étrange attitude. Je comprends ce qui peut se passer dans vos cœurs de patriotes. Je suis sûr que vous me pardonnerez en apprenant que j’ai agi ainsi pour donner un exemple nécessaire à la réussite de nos gigantesques plans… N’est-il vraiment pas urgent de vous rendre compte que dans des réunions telles que celle-ci, ce ne sont plus des peuples qu’il faut acclamer, mais un peuple. Par conséquent, ce n’est donc plus des chants qui pourraient efficacement nous unir, mais, une prière… Un appel sincère à la charité humaine et qui répondrait au désirs de tous… qui serait par conséquent son gage de paix et de pardon salutaire. Mais, me direz-vous, comment cette supplication pourrait-elle répondre aux aspirations si différentes de chacun d’entre nous ?… Dieu, par la sagesse de ses lois, répond éloquemment à la question, car forte de ses principes religieux qui l’ont inspirée, la Jeune fille qui m’a sauvé, a pu dans sa détresse écrire ce chant, cet appel à la paix qui semble s’adresser à ses bourreaux Qui sont-ils ces bourreaux ?… Nous tous qui par notre orgueil insensé provoquons ce fléau terrible : la guerre. Elle révèle d’une façon magistrale, l’existence de Dieu. La France entière se réjouit en ce moment à la pensée que l’innocente victime n’est pas tombée sous les balles de ses compatriotes… N’est-ce pas une inspiration sublime qui animait ce soldat, lorsqu’au risque même de sa propre vie il détourna les balles qui auraient rendu la France fratricide involontaire… Oui, Dieu existe ! Je proclame à la face de l’univers que je crois en Lui, en l’existence de l’âme… Et si je me permets de faire la lecture de ces pages, c’est qu’elles révèlent, d’une façon touchante, ces vérités qui échappent aux incrédules, à ceux qui ont placé leur idéal dans les biens périssables de la terre. L’homme se grandit-il en ne croyant pas à l’existence de Dieu et de l’âme ? Nest-ce pas comme un roi qui ne veut pas que ses domaines s’étendent plus loin que son œil peut percevoir. N’est-ce pas que le génie de l’homme condamne de telles balourdises. Ici-bas, tout parait n’être qu’illusion et mensonge. Même en faisant taire la voix de cette âme qu’il ne veut pas reconnaître, l’incroyant se voit condamner par une voix intime : sa conscience. Dieu est et sera toujours le maître absolu des humains. En refusant ses lois, l’homme se punit lui-même ; il devient son propre ennemi. C’est cette visite qu’a cherché à prouver cette héroïne qui a tant souffert en écrivant l’adieu touchant que voici et qui s’adresse à nous tous.

« Si je ne sentais pas la meurtrissure de ces chaines, je me croirais le jouet de mon imagination tant les événements qui se succèdent me paraissent invraisemblables… Quelle folie s’est donc emparée de l’humanité ? N'est-ce pas chose incompréhensible que de voir la nation dans cette lutte Infernale et sanglante. Le sol tremble, le ciel se rougit sous le choc de ces terribles et stupéfiants combats. On dirait que l’orgueil et la haine ont réussi à entr’ouvrir les portes de l’enfer, précipitant dans un chaos lamentable des millions de soldats. Démon maudit, c’est là ton ouvrage ! c’est toi qui en chassant du cœur des hommes le souvenir des lois de Dieu, as déchaîné l’esprit du mal ! Oui, c’est toi qui semas ce poison dans les âmes par tes doctrines fausses, faisant ainsi de la terre un véritable enfer. Je sais bien, va, que Dieu triomphe sur toi en ce moment. L’âme de tous ces soldats que tu as entraînés dans la mort ne t’appartient pas, puisque tous l’ont rachetée aux prix même de leur sang. Tu n’es pas seulement l’ennemi de l’âme, mais tu es l’ennemi de l’humanité entière et celui qui écoute tes paroles mensongères, souffre tôt ou tard. Une voix semble me dire en ce moment, que ce cataclysme servira à sortir le monde des ténèbres dans lesquelles tu l’as plongé : C’est par la douleur que le cœur se détache de la terre, que l’esprit éprouve instinctivement le besoin de se confier à une puissance plus grande que la sienne. Cette puissance, l’homme ne la trouvera qu’en Dieu. Ce maître souverain a pour prouver sa supériorité ses dix commandements, qui sont incontestablement le chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre. Solides comme le roc, ces lois demeureront toujours la base sur laquelle les peuples devront s’appuyer pour retrouver la sécurité et le bonheur qu’ils ont perdus. N’est-il pas étonnant que des hommes de grand génie cherchent à les détruire ou à les modifier ! Ne comprennent-ils pas qu’en les méconnaissant, c’est leur bonheur même qu’ils détruisent. Il faut vraiment que l’orgueil les aveugle pour qu’ils renient publiquement les bienfaits de ces lois qui sont les seules à défendre avec justice les droits communs de chacun d’entre nous… Qui donc oserait soutenir que les peuples ne seraient pas plus heureux, s’ils avaient au cœur une même croyance, un seul et vrai Dieu ! N’est-ce pas la division qui affaiblit et sème la discorde, poussant chacun à défendre ses droits comme bon lui semble… Hommes de toutes les nations, pourquoi ne pas choisir comme juge suprême de vos actes Dieu et ne pas observer ses lois, puisqu’elles peuvent apporter à chacun d’entre nous, sans exception, le plus de bonheur que l’on puisse désirer sur cette terre. N’est-ce pas le seul moyen d’enrayer à jamais ces guerres effroyables qui s’abattent sur le monde. Oui, je le répète, l'homme en méprisant la valeur des commandements de Dieu, tourne contre lui-même une arme terrible. Il sait bien que son esprit est trop faible pour combattre efficacement la forte perversité de son cœur. Instinctivement, il sent qu’il lui faut pour réagir un secours surnaturel ; une force invulnérable. Ce quelque chose, que les esprits les plus éclairés de la terre cherchent pendant des siècles, jamais ils ne le trouveront ailleurs que dans les lois de Dieu, jamais non plus nous ne vivrons dans la paix si les lois de ce Dieu sont méconnues. Ah ! répondront à ceci les incrédules, ces commandements ne peuvent que nous empêcher d'être heureux. À quoi bon se mortifier, souffrir, puisqu’après la mort tout sera fini, ne vaut-il pas mieux chercher à goûter tout le bonheur que nous offre le monde ? Hé bien, soit ! enlève de ta vie ton âme, chasse-la de ton esprit cette croyance afin de te vautrer à ta guise dans les faux plaisirs de la terre, mais prends garde que le jour où il te faudra mourir, la voix de ta conscience n’appelle en vain à son secours ce Dieu que tu auras malheureusement méconnu ! Tu t’apercevras à ton heure dernière que, si toutes ces lois n'étaient pour toi qu’illusion, c’était bien tout de même à elles que tu aurais dû t’arrêter pour atteindre ce bonheur que tu as poursuivi en vain. C’est à ce moment que l’on peut envisager la vie sous son vrai jour, apprécier à sa juste valeur Dieu et ses indestructibles vérités… Étudions-les profondément ces vérités ; servons-nous de notre esprit pour les admettre et de notre cœur pour les aimer afin d’être compris de ceux qui ne veulent pas reconnaître l’existence de leur âme, qui veulent malgré tout faire de leur vie, leur ciel. Ceux-là mêmes se rendront compte incontestablement que ces lois sont aussi faites pour eux, que leur destruction ne menace non pas seulement le bonheur et la vie future de leur âme, mais même leur vie et leur bonheur temporels. En effet, l’homme incroyant, celui qui ne sait plus respecter Dieu et ses préceptes, pourra-t-il respecter davantage l’individu, son semblable ? N’ayant plus rien pour l’arrêter, 11 suivra infailliblement les mauvais penchants de son cœur et alors naîtront pour toi et pour tous, des injustices de toutes sortes. Et si, révolté, tu t’avises de l’arrêter dans ses iniquités, il te répondra qu’il cherche comme toi-même le bonheur, qu’il suit le chemin que tu lui as tracé en proclamant que tous les moyens sont bons pour atteindre un illusoire bonheur. Tu vois dans quel abime tu te précipites ? C’est alors que tu t’apercevras de ta grave erreur en voyant que tous se retournent contre toi. Tu auras voulu le règne de la force et de la terreur ; victime de toi-même, n’ayant plus rien pour l’empêcher de glisser sur la pente fatale, les passions méprisables de toutes sortes auront vite fait de lui un homme au cœur méchant. Tu t’apercevras également que tu as livré à la cupidité de ces hommes tout ce que tu avais de plus cher. Tu verras alors ta femme et ta fille traînées dans la honte, on t’enlèvera tous tes biens, on te chassera de ta maison… Lorsque vaincu, anéanti, tu jetteras autour de toi un regard navré sur toutes ces ruines, tu fermeras malgré toi les yeux, incapable de faire taire plus longtemps la voix mystérieuse de ta conscience. Tu l’entendras te crier : Voilà le sort réservé aux hommes qui veulent faire de leur vie, leur ciel et leur seul idéal. Les destinées relèvent de Dieu. L’homme ne parviendra jamais à trouver le bonheur en suivant ses désirs pervers. C’est là une vérité indiscutable. Le ciel est la suprême consolation de ceux qui souffrent ici-bas… Ils sont légions, ne cherche pas à détruire en eux cette dernière, cette sincère espérance. Ouvre plutôt ton cœur à la vraie sagesse qui est la foi, écoute enfin la voix de cette conscience, et pour le bonheur de tous, va, de par le monde en criant : « Debout, athées, incroyants et infidèles, debout enfin toute l’humanité ! » L’heure de la bataille décisive et générale vient de sonner. Descendons bravement au fond de nos cœurs où se trouve le champ d’action de cette bataille ; la, détruisons sans pitié l’orgueil qui règne sur nous en maître, qui de ses puissances néfastes empoisonne notre vie. Croyons en Dieu et en l’éternité et craignons le génie de l’homme, car lorsqu’il aura atteint l’apogée de sa puissance, il inventera peut-être les armes par lesquelles ce Dieu justement courroucé, laissera s’entretuer le genre humain. Si la haine et l’ambition ne sont pas contrôlées, les guerres futures feront peut-être en un jour plus de ravages que la dernière n’a fait pendant de longues années. Le temps est maintenant venu de faire des nations, une nation, des peuples, un peuple, et des croyances, une croyance, car le bonheur et la paix du monde ne peuvent plus reposer sur d’autres bases. Lorsque, chacun aura vaincu l’ennemi qui a juré sa perte, son cœur régénéré, redevenu bon, fera affluer à son cerveau des idées justes. Si la vie lui apporte toutes sortes de souffrances et d’ennuis, il ne verra pas d’un œil d’envie le bonheur de son voisin, mais il comprendra qu’une autre vie le récompensera largement de toutes ses souffrances de la terre. Nul ne peut promettre une telle récompense ici-bas et ces simples faits devraient évidemment prouver cette fol indispensable au bonheur de l’humanité. Pour se passer de Dieu, il faudrait que l’homme pût à son gré et par ses propres moyens, éloigner de lui les souffrances et les amertumes de la vie. Or, comme tous savent par expérience que jamais l’homme n’a eu ce pouvoir, il est sage d’écouter la voix de son âme et de chercher enfin la vraie lumière. Il se peut qu’il se trouve encore des esprits trompés par l’erreur, dont la seule ambition sera toujours de semer la discorde ; mais qu’importe, si ceux qui ont pour mission de gouverner les peuples prêchent d’exemples ! Les nations alors seront sauvées de la ruine qui les menace. Alors succédera à ces cris de guerre et de mort une supplication de pardon et de paix. En voyant unis par le cœur et l’esprit, ces nobles défenseurs de races, ils comprendront que c’est au bonheur que l’on veut les conduire. En toute confiance, ils obéiront à la voix de ces hommes qui seront devenus doublement des héros. Enfin tous entonneront avec confiance, comme un cantique, cet humble appel à la paix que voici :


Unissons-nous, et par notre prière
Formons un chœur aux innombrables voix.
Pour apaiser la haine, puis la guerre
Fraternisons, recourons à la croix.
Chaque pays, pour vivre, a ses coutumes,
Au cœur, l’amour, droit de l’humanité.
Donnant ainsi par ces deux lois communes
Un élément de suprême pitié.

Prions toujours, pleins d’espérance
Le Dieu vrai roi des gouverneurs,
Pour que bientôt l’heure s’avance
Où finiront toutes ces horreurs.

Il faut des grands des maîtres dans le monde.
Droit naturel que nul ne peut changer.
Vivant unis, c’est la force féconde
C’est un bonheur qu’on ne peut ébranler.
Soyons enfin des immenses familles.
Réunies pour le suprême devoir…
D’anéantir tous ces desseins hostiles
Troublant la paix, semant le désespoir.

En déplorant ces drames de la vie.
Courbons nos fronts devant tous ces soldats
Qui sont tombés défendant leur patrie.
Ils sont tous grands mourant dans ces combats.
Rappelle-toi qu’en ces heures terribles,
La mort fauchait des cœurs comme le tien
Le souvenir dans ces mêlées horribles
D’un doux foyer, était leur seul soutien.

Notre plus grand ennemi sur la terre
Il est caché au fond du cœur humain
Et c’est l’orgueil au souffle délétère,
Semant la mort partout sur son chemin.
Pas un n’échappe à sa griffe infernale.
Tous nous souffrons sous son joug inhumain
Et sa blessure sera toujours fatale
Si l’on se rit des lois du Dieu divin.

Crions bien fort, pleins d’espérance :
« Vivent le roi, les gouverneurs »,

Pour tout peuple l’heure s’avance
Où Dieu viendra sécher ses pleurs.


À peine Jean Desgrives eut-il prononcé le dernier mot de ce poème, qu’aussitôt des applaudissements frénétiques éclatèrent de toutes parts dans l’immense hippodrome de Paris, qu’on appelait pour la circonstance le temple de la paix. En observant les délégués venus de tout les coins du monde pour assister à cette réunion qui devait décider du sort des nations, il lui sembla que c’était à l’humanité qu’il venait de s’adresser et que c’était aussi l’humanité entière qui semblait approuver les sages lois de Dieu… Ce triomphe avait été prévu par la baronne de Castel. C’est alors que vêtu d’un costume militaire qui lui allait à ravir, son jeune fils se présenta au milieu des cris et des vivats. Il s’inclina vers la foule déposant aux pieds de son père une magnifique croix de fleurs, en hommage à la grande disparue. Les applaudissements ralentis à l’arrivée de l’enfant, recommencèrent avec un enthousiasma nouveau. On semblait approuver à l’unanimité l’honneur rendu à l’héroïne sacrifiée. Tout ce qui se passa au cœur de Jean lorsqu’il vit apparaître son fils portant cette croix serait impossible à traduire. Incapable de maîtriser son émotion, et cédant à une inspiration subite, il sécrla :

— Rita, Rita, tu n’as pas souffert et parlé en vain ! Les peuples en ce moment semblent avoir compris ton appel. Celui que tu as si héroïquement sauvé va défendre ta cause, accomplir un serment que lui avait inspiré ton courage surhumain. Avec une éloquence que l’émotion grandissait davantage, ii continua :

— Peuples de toutes les nations, ayant été témoin des ravages et des sacrifices incroyables qu’exigeaient la guerre, j’ai juré de déployer le reste de mon énergie pour combattre cet épouvantable fléau. Le moment semble venu d’accomplir mon serment. C’est pourquoi après avoir été général de la guerre, je me fais général de la paix en répondant à l’appel de cette héroïne qui jadis sauva la France en me sauvant… Qui d’entre nous osera encore douter de ces paroles ? Ne sommes-nous pas forcés d’avouer malgré nous que c’est là l’expression de la plus sincère vérité. Adoptant de tout cœur les moyens proposés, je soutiens que le moment est venu pour les peuples de mettre en pratique le sublime commandement : Aimez-vous les uns les autres. La paix qui en découlera sera stable à jamais, surtout si toutes les nations reconnaissent également la nécessité immédiate du désarmement général. N’est-ce pas suspendre au-dessus de nos têtes le glaive de la mort en protégeant encore ces inventions de toutes sortes qui n’ont pour but que de semer la destruction et la ruine parmi les peuples. Ces inventions meurtrières devraient être rigoureusement bannies de la société. Jamais l’on ne jugera avec assez de sévérité ces engins infernaux.

Oui, réagissons et promptement, car la science est sur le point de devenir une autre grande ennemie de l’humanité. Ne voyons-nous pas en effet, la machine supplanter l’homme dans ses fonctions, arracher à l’ouvrier le pain nécessaire à son existence ? Le temps n’est peut-être pas très loin où de grandes usines fonctionneront sous la direction d’un seul homme. Ce jour-là marquera le triomphe du mécanisme. Alors, sous l'apparence du progrès, les nations iront vers la ruine… Le monde semble être sur le point de se diviser pour son malheur en deux catégories : Les riches et les esclaves.

Il faut convenir que si les têtes dirigeantes des pays s’imprègnent de l’esprit de justice que recommande cette grande héroïne, la science, loin de nuire à l’humanité, sera pour elle un bienfait. Par un moindre effort de l’homme, la terre produira de quoi la nourrir. Voilà le côté avantageux de la science. Envisageons-la maintenant, contrôlée par l’injustice et l’ambition. Prévoyons ses terribles ravages ; bannissant de l’humanité l’ouvrier devenu inutile, c’eat le triomphe pour un court moment de la richesse et de la force injuste. Ici, il est extrêmement nécessaire que l’ambitieux s’ouvre les yeux pour voir dans quel effroyable abîme il se plonge. Qu’il se rappelle que l’ambition de l’homme est insatiable, que jamais personne, à part Dieu et son Église, n’empêchera celui qui posséderait la moitié de la terre de désirer l’autre moitié. Il est évident qu’à ce point de vue, l’être abandonné à lui-même ne peut d’aucune manière espérer être heureux… Tu vois, incroyant et puissant par la force de l’or qu’un ouragan terrible fondra bientôt vers toi pour t’anéantir. Ton or ne sera pas assez fort pour arrêter cette rafale et le grondement de ce tonnerre que feront ces millions et ces millions d’humains en s’avançant vers ton palais, tels des loups affamés… Riche tu ne peux comprendre, toi qui n’as pas faim, ce qu’est la faim ; tu ne peux comprendre, toi qui est heureux, ce qu’est la misère : Ton œil, ébloui par l’éclat de ces richesses, ne pourra percevoir ce qui se passera au fond de ces misérables taudis où d’innombrables pères et mères de famille verront se grouper autour d’eux leurs enfants criant : J’ai faim, j’ai faim… Comme il sera épouvantable le sort de ces malheureux qui n’auront plus de travail ; la machine sous le mauvais génie de l’homme les aura remplacés… Prends garde, toi qui combats la religion ! Ces moments seront terribles pour toi, si tu triomphes, crains ton triomphe… ton triomphe sera ta perte. Tu t’apercevras qu’il faut un Dieu pour conduire l’humanité ; toutes ces victimes à qui tu auras arraché la foi et l’espérance se révolteront en voyant l’injuste douleur qui les accablera. Alors le flot incessant de ces bêtes humaines s’avancera vers toi. Ce sera bien en vain à ce moment que tu leur lanceras à la tête tes lourds écus d’or. Fous de désespoir, ils ne comprendront plus. Si tu t’avisais de les exterminer, l’amoncellement de leurs cadavres serait tel que tu verrais bientôt ton palais, tes richesses, ta gloire ensevelis. Voilà ce que sera la vie sans Dieu et sans éternité… Ce ne sera que des guerres et des luttes civiles qui ne devraient s’achever que le jour où le dernier des humains aura vaincu son adversaire… Malgré que ces paroles paraissent fantastiques et invraisemblables, en y réfléchissant profondément, l’esprit bien équilibré ne peut s’empêcher de s’inquiéter et de juger aussi les choses. Ouvrons les yeux ! Dieu est là, puissant et terrible. Il se pourrait fort bien que de sa main, Il fasse de nouveau éclater cette puissance en montrant son juste courroux. Après avoir désarmé nos cœurs, désarmons notre bras, donnons à nos enfants d’autres convictions. La science plus développée les exige impérieusement. Aimons nos enfants, aimons notre patrie, c’est Dieu qui nous le commande. Souvenons-nous que les nations doivent être comparées par nous tous à une famille, dont les enfants, aux différents caractères, ont droit malgré tout à une place dans le cœur de leurs parents. Or, pour aucune raison et malgré leurs défauts, ces enfants ne doivent désunir les liens sacrés de cette famille. Cherchons par les mêmes principes à réaliser cette union indissoluble des peuples et des nations. Puisque le temps moderne et le progrès ont presque changé la mentalité des hommes, montrons à nos enfants que le vrai héros n’est plus celui qui sait brandir une arme et terrasser un ennemi, mais bien celui qui sait vaincre ses passions et redresser ses mauvais penchants. Puisque c’est le génie qui l’emporte, les plus grands héros de demain, je le répète, seront ceux qui auront eu le courage de descendre au fond de leur cœur pour obtenir ces victoires morales, si utiles pour eux et pour l’humanité entière. Mon fils, mon fils, au nom de l’amour que je te porte, écoute-moi bien, grave dans ton esprit ces mots : « Regarde l’épée que je porte ; depuis mon enfance, on m’apprit à la manier avec bravoure. Je suis heureux d’affirmer que jamais je n’ai failli à ce devoir sacré. Toujours elle a défendu vaillamment les causes que je croyais bonnes. Maintenant, les temps sont changés, elle n’a plus la valeur de jadis, car dans un avenir très rapproché, le monde trompé et trompeur n’attaquera plus, face à face, son ennemi. Il ne sera donc plus nécessaire d’être brave pour faire la guerre puisque qu’en possédant les engins nécessaires, les plus grands assauts se déclencheront automatiquement. Ce sera donc la lutte à coup de science. Alors, vois ce que je fais de cette arme, devenue inutile. » D’un coup violent sur le parquet, il la brisa. Prenant les deux parties rompues, il les unit de manière à former la croix, et la brandissant devant l’assistance, il continua :

— Souviens-toi de mes conseils comme je me suis souvenu de ceux de mon père. Rappelle-toi toujours que la croix que je te montre doit être la seule arme qui te grandira aux yeux de l’humanité, et par laquelle tu pourras vaincre tes ennemis. C’est toujours elle qui éloignera de ta route les plus amères douleurs… Ne faiblis jamais dans l’adversité ; que ce soit elle toujours qui défende les causes que ton esprit et ta conscience jugeront bonnes. Je te donne en ce moment l’héritage que chaque humain peut offrir à ses enfants. Il vaut mieux que l’or et l’argent puisqu’il représente le bonheur de deux existences et dont l’une ne finira jamais… Accepte ces conseils comme le gage de mon suprême amour…

Jetant sur son fils un regard attendri, il se sentit envahi d’une immense pitié en songeant à l’incertitude de l’avenir. Vaincu par l’émotion, et pour cacher à la foule ses larmes, il saisit son enfant dans ses bras, et se déroba à l’assistance, sans plus se soucier des applaudissements qui éclatèrent. Se sentant incapable d’affronter de nouveau la foule qui le réclamait, il donna l’ordre à ceux qui l’entouraient de faire placer la croix de fleurs sur la tombe de l’héroïne, et en même temps de prévenir la baronne qu’il voulait définitivement quitter la salle. Après un court moment, sa noble épouse vint le rejoindre :

— Viens, dit-il, après que son émotion se fut un peu calmée, viens, à quoi bon rester plus longtemps ici. Dieu a permis que le seul nuage qui obscurcissait notre bonheur, se dissipe… Allons maintenant retrouver, à notre foyer, la douceur de la paix. Celle qui vient d’être si miraculeusement réhabilitée se rit sans doute de notre bonheur, puisque le sien, plus grand que le nôtre, est éternel.

Avec leur fils, par un passage qui les empêchait d’être vus de la foule, Ils abandonnèrent alors le temple de la paix.

Ainsi se termina le roman de Rita, qui, à l’apogée de son martyre, pardonna à ses bourreaux et légua comme preuve de ce pardon, un chant de paix qui devait être l’écho de sa dernière pensée.



— FIN —