Le chef des Hurons/VI

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Tolra, libraire-éditeur (1p. 90-103).


VI.

LES PIRATES DU DÉSERT



Lorsque le pirate John et ses quatre compagnons étaient partis pour se rendre à la Mission afin de se faire admettre parmi les défenseurs, une vingtaine de leurs amis, bandits comme eux, étaient restés sur la lisière du couvert, attendant anxieusement qu’un signal quelconque leur apprit que le stratagème avait réussi et que, au moment du combat, les cinq traîtres faciliteraient aux Peaux-Rouges l’entrée dans la Mission.

Ils étaient là depuis une heure, quand l’un d’eux, nommé James, et frère de John, poussa un cri de fureur.

— Qu’y a-t-il donc ? firent ses compagnons.

By God ! vous êtes donc aveugles comme des taupes, que vous ne voyez pas ce qui se passe !

Et de la main il désignait le sommet de la colline, où les corps de leurs compagnons se balançaient au bout de leurs cordes.

Les pirates poussèrent des cris de rage et firent un mouvement pour s’élancer, mais James les arrêta d’un geste.

— Où voulez-vous aller ? leur dit-il. Venger nos amis, n’est-ce pas ? c’est-à-dire faire une folie, car vous pensez bien qu’avant que vous soyez au pied des retranchements, le colonel vous aura fait cribler de balles.

Les bandits frémissaient de colère impuissante. Ces écumeurs du désert, qui avaient tant de fois trempé leurs mains dans le sang des malheureux voyageurs que leur mauvaise étoile plaçaient sur leur route, ne pouvaient se faire à l’idée qu’un homme avait osé infliger à cinq des leurs une mort infamante.

— Calmez-vous et prenez patience, leur dit James avec un sourire terrible : mon frère et nos amis seront vengés, je vous le jure !

Cette promesse apaisa un peu la fureur des bandits.

— Que comptes-tu faire ? Interrogea l’un d’eux.

— Ce soir, pendant que les Indiens attaqueront la Mission, nous profiterons du désordre pour nous y introduire.

— Hum ! je doute fort que nous puissions venir à bout de la garnison.

— Vous vouliez bien tenter le coup tout à l’heure.

— C’est vrai, mais tu nous as fait comprendre que c’eût été un acte de folie. Aussi ai-je le droit d’être étonné en te voyant disposé à accomplir ce que tu as empêché de faire.

— Tu aurais raison si telle était mon intention.

— Explique-toi, car je ne te comprends plus.

— J’ai dit que nous nous introduirons dans la Mission, c’est vrai ; mais au lieu d’attaquer ceux qui s’y trouveront, nous nous dissimulerons, au contraire, le plus possible, et si notre présence peut n’être pas remarquée, nous enlèverons le fils et la fille du colonel.

— Et qu’en ferons-nous ?

— Ce que nous en ferons ? dit James avec un rictus cruel : nous les livrerons aux Peaux-Rouges, qui leur infligeront une mort indienne ; après quoi, nous renverrons au colonel les têtes de ses enfants.

— Bravo ! hurlèrent les pirates.

— Alors, dit James, vous trouvez que, de la sorte, nos amis seront suffisamment vengés ?

Des cris d’enthousiasme furent la seule réponse des bandits.

James, qui était le chef de la bande, prit aussitôt ses dispositions en vue du hardi coup de main qu’il avait décidé.

Au lieu de rester près des Peaux-Rouges, il longea le couvert de la forêt, de manière à tourner la colline, afin de se trouver, au moment du combat, en face du versant opposé à celui par où les Indiens devaient attaquer la Mission. Après avoir rampé dans les hautes herbes, ils atteignirent un petit bois dans lequel ils se dissimulèrent en attendant le moment propice à l’exécution de leur projet.


James, le bandit.

Lorsque le colonel ouvrit le feu sur les assaillants, les bandits recommencèrent à ramper silencieusement dans la direction de la colline, décidés à se faire tuer plutôt que de reculer d’un pas.

James quitta ses compagnons pour aller à la découverte.

En une demi-heure, il atteignit un endroit d’où il pouvait suivre toutes les péripéties du combat.

Tout à coup, il tressaillit : les deux détachements de soldats envoyés au secours du colonel, ouvraient un feu terrible sur les Peaux-Rouges massés dans la plaine. Mais avant qu’il fût revenu de sa stupéfaction, le colonel, en tête des défenseurs de la Mission, dévalait la pente de la colline et se jetait à corps perdu sur les Indiens.

À cette vue, James bondit sur ses pieds et courut rejoindre ses hommes.

Dix minutes plus tard, ils entrèrent dans la Mission, et aperçurent bientôt Marthe et Louis, qu’ils reconnurent facilement à l’élégance de leurs vêtements, et qu’ils emportèrent malgré leur résistance.

Ils descendirent précipitamment la pente de la colline et s’éloignèrent rapidement.

Tout à coup, James poussa un cri de rage. Taréas et ses Hurons apparaissaient derrière les retranchements.

Le bandit crut être aperçu. Il prit immédiatement un parti.

— Cette femme retarderait notre marche, dit-il au pirate qui tendit entre ses bras Marthe évanouie ; jette-la à terre.

Cet ordre exécuté, il tira un pistolet de sa ceinture et courut à Louis, que deux bandits entraînaient et entre les mains desquels il se débattait vainement.

— Cessez toute résistance, ou je vous brûle la cervelle, dit-il froidement au jeune homme.

Quoique Louis de Vorcel n’eût que seize ans, l’éducation qu’il avait reçue l’avait initié aux devoirs d’un gentilhomme ; aussi, son premier mouvement, en entendant cette menace, fut-il un rire de mépris ; mais il redevint subitement grave, car son arrêt de mort était écrit en toutes lettres dans les yeux du pirate et il comprit que toute résistance serait inutile.

— Marchons, dit-il simplement.

Les bandits partirent alors au pas de course.

James se tenait derrière le jeune homme, prêt à le tuer s’il tentait de s’échapper.

Les pirates gagnèrent la forêt, où leurs chevaux étaient entravés ; mais ils n’avaient pas fait vingt pas sous le couvert, qu’ils s’arrêtaient terrifiés.

La forêt était en feu.

— Longeons la lisière avant que les flammes aient envahi toute la forêt, dit James.

En deux heures, ils eurent contourné la droite de cette immense fournaise où les arbres se tordaient en crépitant et tombaient avec des craquements sinistres.

La nuit était complètement venue ; aussi n’y avait-il aucune poursuite à craindre.

Le vent d’ouest, en chassant les flammes dans la direction de la plaine, leur laissait toute sécurité.

Le feu devait bientôt s’éteindre faute d’aliments.

Il était près de minuit lorsque les bandits firent halte pour se reposer une heure ou deux.

Avant de se remettre en marche, James renouvela sa menace à son prisonnier, menace bien inutile, car le jeune homme n’avait plus de volonté.

Le premier moment de surexcitation passé, sa jeunesse avait repris toute sa timidité. De plus, la fatigue physique occasionnée par la longue marche qu’il venait de faire avait fortement influé sur ses facultés mentales ; de sorte qu’il se trouvait dans un état voisin de l’hébétement. Cette course nocturne au milieu de bandits sans foi ni loi, le remplissait de terreur.

— Que sont ces hommes et que me veulent-ils ? se demandait-il continuellement.

Ce qu’ils étaient ? deux visages patibulaires le lui disaient assez ; mais quant à ce qu’ils lui voulaient, c’était autre chose : il ne trouvait aucune réponse à cette question.

Au lever du soleil, James fit camper sa troupe dans une de ces nombreuses grottes que l’on rencontre à travers les déserts américains.

Louis se laissa tomber sur le sol, et, vaincu par la fatigue, s’endormit profondément.

James réunit alors ses compagnons.

— Camarades, leur dit-il, j’ai une proposition à vous faire !

— Parle, s’écrièrent-ils tous, nous t’écoutons.

— Je vous avais proposé de livrer les enfants du colonel aux Iroquois, n’est-ce pas ?

— Oui, dit un des bandits, mais il me semble que nous leur tournons le dos.

— Ta réflexion est juste, répondit James, et je vais m’expliquer à cet égard.

Les pirates se rapprochèrent de leur chef, attendant l’explication qu’il leur promettrait, car ils s’étaient déjà demandé pourquoi il les emmenait vers l’ouest, alors que les Iroquois étaient campés au nord.

— Après avoir bien réfléchi, je me suis dit que la mort de ce jeune homme ne ressusciterait pas mon frère et ses compagnons.

— Tu parles comme un missionnaire ! ricana un pirate.

— Tu trouves ? fit James d’un ton narquois.

— Ma foi ! cela en a tout l’air.

— Eh bien ! tu te trompes, camarade, et si tu m’avais laissé achever, tu aurais compris que je raisonne, non comme un missionnaire, mais comme un philosophe. En effet, si ce jeune homme ne peut ressusciter ceux qui sont morts, il peut du moins nous faire riches ! Comprends-tu, maintenant ?

— Peste ! ton idée est sublime !

— Le colonel passe pour posséder une grande fortune. Ne lui rendons son fils que contre une rançon.

Des applaudissements frénétiques saluèrent cette proposition.

— Mais, objecta un des bandits, nous aurions pu avoir la vengeance et la rançon.

— Tu crois ?

— Dame ! avant d’abandonner la jeune fille, qui t’empêchait de la poignarder ?

— J’y ai pensé, mais comme j’avais déjà mon idée relativement à la rançon, je n’ai pas jugé à propos de mettre au cœur du père un désir de vengeance qui l’aurait fait se lancer sur notre piste avec toute sa troupe.

La logique de ce raisonnement frappa les bandits, qui se déclarèrent absolument satisfaits de la conduite de leur chef.

— Maintenant que vous m’avez bien compris et que vous approuvez la résolution que j’ai prise, il faut avoir pour le prisonnier les plus grands égards, afin de le conserver le plus longtemps possible, car nous n’obtiendrons une rançon qu’en le rendant à son père, sain et sauf.

— Comment feras-tu parvenir ta proposition au colonel, demanda Péters, le lieutenant de bande, Allemand à la figure cruelle.

— Ce sera bien simple : nous laisserons notre piste nettement marquée jusqu’à la rivière des Cèdres, afin que ceux qui nous poursuivront viennent d’eux-mêmes nous retrouver. Mais à partir du bord du fleuve, nous ne laisserons aucune trace derrière nous. De la sorte, si les poursuivants sont trop nombreux, nous les laisserons se livrer à leurs conjectures. Si, au contraire, ils ne sont que quelques-uns, je leur ferai une visite afin de m’expliquer avec eux.

— Comment le sauras-tu ?

— Tu resteras ici avec un de nos hommes, et dès que tu apprendras quelque chose, tu viendras me prévenir.

— Où ?

— À la caverne du jaguar : ce n’est qu’à quelques heures d’ici.

— C’est entendu. Tu peux compter sur moi.

— Qui garderas-tu près de toi ?

— Fritz. C’est un compatriote avec qui, tu le sais, je m’entends à merveille.

— Bien, Maintenant, camarades, préparez le déjeuner. Dans une heure nous nous remettrons en route.

Les bandits s’accroupirent à terre, tirèrent de leurs bissacs


Le pirate tenait entre ses bras Marthe évanouie.

différentes provisions et se mirent à dévorer avec un appétit féroce.

James éveilla le prisonnier.

— Que me voulez-vous ? lui demanda le jeune homme d’un ton craintif.

— Je veux vous annoncer une bonne nouvelle.

Louis de Vorcel eut un pâle sourire.

— Avant peu, reprit James, je vous rendrai à votre père.

— Oh ! s’écria Louis, faites cela, monsieur, et mon père vous donnera ce que vous lui demanderez.

— J’y compte bien, fit le bandit d’un air narquois. Mais, ajouta-t-il sérieusement, comme nous avons encore une longue route à faire, il faut que vous preniez quelque nourriture, car si vous ne pouviez nous suivre je serais contraint, à mon grand regret, de vous abandonner dans le désert.

À cette peu réjouissante perspective, Louis sentit un frisson courir dans ses veines.

— Je ferai ce que vous voudrez, monsieur, du moment que vous m’assurez que je reverrai mon père.

— Je vous en donne ma parole d’honneur !

Quoique l’honneur de ce bandit n’inspirât qu’une médiocre confiance au jeune homme, il fit contre fortune bon cœur, et accepta les aliments qui lui furent offerts.

Lorsque le repas fût terminé, la troupe se remit en route, tandis que Peters et Fritz s’installaient commodément dans la grotte, sur des lits de feuilles sèches.

Après avoir marché pendant près d’une heure, James divisa sa bande en trois corps, afin de tripler la piste. De plus, il ordonna à ses hommes de laisser le moins de traces possible.

Deux troupes s’éloignèrent alors dans des directions différentes qui, après de nombreux détours, devaient aboutir à la caverne du jaguar.

Quant à James il n’avait gardé que quatre bandits.

Louis se trouvait avec cette dernière troupe.

Après une marche assez longue, on arriva sur le bord d’une rivière.

James s’arrêta et examina attentivement les arbres qui s’élevaient à cet endroit. L’un d’eux, plusieurs fois séculaire, étendait sur un vaste espace ses larges et épaisses ramures.

D’un bond, James s’élança sur une maîtresse branche et disparut dans le feuillage.

Son absence ne dura que quelques minutes. Quand il reparut, il laissait glisser devant lui, à travers les branches, une pirogue d’écorce à laquelle étaient attachées deux longues pagaies.

— Ah ça ! fit un des bandits, il y a donc des arbres qui produisent des pirogues !

— Comme tu voies, dit James en riant ; mais, pour cela, il faut avoir eu la précaution d’en cacher une dans les feuilles.

— Ainsi, cette pirogue ?…

— A été placée par moi dans cet arbre, il y a deux mois. Nous pourrons donc continuer notre voyage sans laisser la moindre trace.

La pirogue fut mise à l’eau, et James invita son prisonnier à y prendre place.

Une idée surgit dans l’esprit du jeune homme. En posant le pied dans l’embarcation, il donna, au moment de sauter, un violent coup de jarret, et, saisissant les pagaies, il rama si rapidement que, avant qu’ils fussent revenus de leur surprise, les bandits se trouvèrent séparés de leur prisonnier par une distance d’une vingtaine de mètres.

James, au comble de la fureur, arma son fusil, l’épaula et fit feu ; mais la balle, mal dirigée, alla ricocher sur la surface du fleuve, de l’autre côté de la pirogue.

— Feu ! cria-t-il à ses bandits.

Quatre détonations retentirent, mais aucune balle n’atteignit le fugitif, qui continua de pagayer nerveusement, aidé par le courant, dont la vitesse était extrême.

Debout sur la berge, les pirates juraient et sacraient à faire crouler le ciel.

Peu à peu, ils se calmèrent.

— Voilà un gaillard qui promet, fit un des bandits.

— Le fait est qu’il a de la décision, ajouta un autre.

James s’arrachait les cheveux de colère.

— Joué par un enfant ! rugissait-il. Ah ! que n’ai-je suivi ma première idée ! À défaut d’argent, nous aurions eu, au moins, notre vengeance !

Et il jeta un regard consterné sur la rivière, où Louis n’apparaissait plus que comme un point noir, qui allait en diminuant.

Il fallait pourtant prendre un parti.

James donna en maugréant l’ordre du départ, et les pirates se mirent en route pour la caverne du jaguar, où ils avaient donné rendez-vous à leurs compagnons.

Tout à coup, James s’arrêta.

— Sanchez, dit-il à un de ses hommes, retourne à la grotte où nous avons laissé Péters et Fritz : leur faction est maintenant inutile. Dis-leur de venir me rejoindra à la caverne. Quand nous serons tous réunis, nous tiendrons conseil, car tout n’est pas perdu.

— Tu as l’espérance robuste, grogna le bandit.

— Va, te dis-je, et fais diligence.

Tandis que le bandit s’éloignait au pas de course, James et ses compagnons continuaient leur route vers le lieu du rendez-vous, où ils arrivèrent au coucher du soleil.

Quelques heures plus tard, toute la bande était réunie, hurlant et blasphémant contre la fatalité qui venait de ruiner ses beaux projets.

Un conseil fut alors tenu.

James était blême de fureur.

— Nous ne pouvons rester sous le coup d’un pareil affront, dit-il, les dents serrées. Non seulement la fuite de notre prisonnier est un échec à nos intérêts, mais encore nous devons laver la honte qui nous couvre, car, dès que cette affaire sera connue, nous serons la risée de tous les chasseurs du désert, à qui, jusqu’à présent, nous n’avons inspiré que la terreur.

— As-tu une idée ? interrompit Péters.

— Oui.

— Alors, explique-toi.

— Nous pouvons facilement retrouver le fugitif.

— Hum !

— Tu doutes ?

— Extraordinairement !

— Si tu prenais la peine de réfléchir un peu, tu ne raisonnerais pas ainsi.

— Où veux-tu en venir ?

— À ceci : le prisonnier a fui sans vivres ni armes ; il ne peut donc aller loin. Reposons-nous quelques heures et, ensuite, explorons séparément le désert dans un espace de quelques lieues. L’un de nous retrouvera certainement le fugitif, mourant de faim et de fatigue.

— Décidément, fit joyeusement Péters, tu es digne de nous commander. Ce que tu viens de dire est plein de sens, et je partage entièrement ton avis.

Ces paroles du lieutenant laissèrent les bandits absolument froids. La perspective de tomber dans une embuscade de chasseurs ne leur plaisait que médiocrement, car, le cas échéant, chacun était certain d’être accroché au premier arbre venu.

Habituellement, les bandits marchaient en troupe, et la conscience de leur force numérique les encourageait à tenter les plus folles entreprises. Mais s’en aller isolément, c’était autre chose. Leur identité ne pouvait être dissimulée, car les honnêtes chasseurs, dont ils volaient les peaux quand l’occasion s’en présentait, se connaissaient tous.

Cette hésitation de ses bandits fit froncer les sourcils à James.

— Voyons, dit-il brutalement, êtes-vous des hommes ou des femmes peureuses ?

— Nous sommes des hommes, répondit froidement un pirate, mais nous ne nous soucions nullement de faire connaissance avec la corde. Ceux d’entre nous qui seront pris par les chasseurs seront immédiatement exécutés d’après la loi de Lynch. Or, cette perspective ne nous sourit nullement.

— Ainsi, vous refusez !

— Oui, dirent nettement les bandits.

— Puisqu’il en est ainsi, je ne suis plus votre chef. Je veux bien commander à des hommes, mais je renonce à marcher plus longtemps avec des poltrons.

À cette injure, les bandits pâlirent. Plusieurs portèrent la main à leur couteau.

Mais James, debout et les bras croisés, promena sur eux un regard énergique.

— Ah ça ! mes maîtres, dit-il d’un ton goguenard, je crois que vous vous fâchez. Trouvez donc un autre nom qui soit applicable à des hommes que le danger fait reculer. J’ai dit que vous êtes des poltrons ; je maintiens le mot, jusqu’à ce que vous m’ayez prouvé le contraire.

Les bandits baissèrent la tête.

James sourit, jouissant de son triomphe.

Au bout d’un instant, il reprit :

— Vais-je vous quitter pour toujours ou m’obéirez-vous ?

— Nous quitter ! s’écria le lieutenant. Mais tu sais bien que nous ne te laisserons pas partir.

— Oui ! oui ! s’écrièrent les bandits, honteux de la faiblesse dont ils avaient fait preuve ; reste avec nous !

— Vous engagez-vous à ne plus discuter mes ordres ?

— Nous le jurons ! firent-ils tous d’une seule voix.

— À la bonne heure ! Je retrouve mes vaillants compagnons. Oublions donc ce qui vient de se passer. Que chacun se repose quelques heures, et nous nous mettrons en chasse ! N’oubliez pas qu’il y va surtout de notre renommée !

Les bandits acclamèrent bruyamment leur chef ; puis ils s’étendirent sur le sol et ne tardèrent pas à s’endormir profondément.

James, lui, ne se coucha point. Assis à l’entrée de la caverne, il fumait sa pipe en repassant dans son esprit les différents événements survenus depuis la veille.

Ainsi qu’il l’avait dit : le fugitif pouvait être repris, car, sans armes et sans vivres. Il ne pouvait aller loin, dans ces parages qui lui étaient totalement inconnus.

Il ne pouvait se faire à l’idée de perdre la riche rançon qu’il espérait obtenir du colonel, rançon qu’il se promettait bien de garder entièrement par devers lui, car la mort tragique de son frère lui avait suggéré de sages réflexions et, puisque l’occasion se présentait, il voulait en profiter pour se retirer définitivement des affaires.

Il fut tiré de ses méditations par le soleil qui, en émergeant de l’horizon, vint tout à coup le frapper en plein visage.

— Allons éveiller les dormeurs, dit-il en se levant.

Une heure plus tard, les bandits quittaient la caverne et s’éparpillaient dans les bols.

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