Le chercheur de trésors ou L’influence d’un livre/00

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Texte établi par Imprimerie de Léger Brousseau (p. 5-8).

PRÉFACE


Ceux qui liront cet ouvrage, le cours de Littérature de Laharpe à la main, et qui y chercheront toutes les règles d’unité requises par le critique du dix-huitième siècle, seront bien trompés. Le siècle des unités est passé ; la France a proclamé Shakespeare le premier tragique de l’univers et commence à voir qu’il est ridicule de faire parler un valet dans le même style qu’un prince. Les romanciers du dix-neuvième siècle ne font plus consister le mérite d’un roman en belles phrases fleuries ou en incidents multipliés ; c’est la nature humaine qu’il faut exploiter pour ce siècle positif, qui ne veut plus se contenter de Bucoliques, de tête-à-tête sous l’ormeau, ou de promenades solitaires dans les bosquets. Ces galanteries pouvaient amuser les cours oisives de Louis XIV et de Louis XV ; maintenant c’est le cœur humain qu’il faut développer à notre âge industriel. La pensée ! voilà son livre.

Il y a quelques années, j’avais jeté sur le papier le plan d’un ouvrage, où, après avoir fait passer mon héros par toutes les tribulations d’un amour contrarié, je terminais en le rendant heureux le reste de ses jours. Je croyais bien faire ; mais je me suis aperçu que je ne faisais que reproduire de vieilles idées, et des sensations qui nous sont toutes connues. J’ai détruit mon manuscrit et j’ai cru voir un champ plus utile s’ouvrir devant moi. J’offre à mon pays le premier roman de mœurs canadien, et en le présentant à mes compatriotes je réclame leur indulgence à ce titre. Les mœurs pures de nos campagnes sont une vaste mine à exploiter ; peut-être serai-je assez heureux pour faire naître, chez quelques uns de mes concitoyens, plus habiles que moi, le désir d’en enrichir ce pays. Le Chercheur de Trésors ou l’Influence d’un Livre est historique, comme son titre l’annonce. J’ai décrit les événements tels qu’ils sont arrivés, m’en tenant presque toujours à la réalité, persuadé qu’elle doit toujours remporter l’avantage sur la fiction la mieux ourdie. Le Canada, pays vierge, encore dans son enfance, n’offre aucun de ces grands caractères marqués, qui ont fourni un champ si vaste au génie des romanciers de la vieille Europe. Il a donc fallu me contenter de peindre des hommes tels qu’ils se rencontrent dans la vie usuelle. Mareuil et Amand font seuls des exceptions : le premier, par sa soif du sang humain ; le second, par sa folie innocente. L’opinion publique décidera si je dois m’en tenir à ce premier essai. En attendant, j’espère qu’en terminant cet ouvrage mon lecteur aura une pensée plus consolante, pour l’auteur, que celle de Voltaire :

Tout ce fratras fut du chanvre en son temps.