Le corps humain représenté comme une forte citadelle

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CONFÉRENCE DU 2 JUILLET 1672 SUR LE CORPS HUMAIN
REPRÉSENTÉ COMME UNE FORTE CITADELLE[1]
PAR MICHEL ANGUIER


PRÉFACE

Ce me semble, Messieurs, que c’est avec juste raison que j’ai entrepris de vous représenter cette esquisse de la fabrique du corps humain par un discours mystique ou énigmatique, qui pourra donner à nos élèves les premières lumières des compositions et des expressions de plusieurs sujets, et afin aussi que tous ensemble nous puissions déclarer l’infinie sagesse de l’Architecte qui a composé et fait le dessin, et l’a exécuté de ses propres mains d’une façon si admirable qu’il n’y a en ce monde palais royal ni république si bien dressée qui ait tant de manières d’offices et d’officiers, je veux dire tant de diverses parties qu’en a le corps humain pour son gouvernement et conservation, desquels les unes servent pour le couvrir, comme est la peau, la chair et la graisse, autres servent à cuire la viande, comme l’estomac et les entrailles subtiles et déliées, autres font le sang, comme le foie, autres le conduisent par tous les membres, comme font les veines, autres engendrent les esprits de la vie, comme le cœur, autres conduisent et départissent ces esprits par tout le corps, comme les artères, autres font les esprits du sentiment, comme les sens, autres distribuent cette vertu par tout le corps, comme les nerfs, autres servent au mouvement qui dépend de notre volonté, comme les jointures, aucunes reçoivent les superfluités du corps, comme la rate, le fiel, les rognons, la vessie, les boyaux, par les autres passe l’air qui recrée les sens et le cœur, comme les narines, le gosier, les poumons et l’artère veineux ; les autres conviennent aux sens extérieurs, comme les oreilles à ouïr, les yeux à voir, la langue et le palais de la bouche à goûter, les poumons et le gosier à parler, autres servent de fondement et de soulèvement, comme les os et les tendons.


ENTRETIEN ACADÉMIQUE SUR L’ARCHITECTURE, SCULPTURE ET PEINTURE TIRÉ DU CORPS HUMAIN


Quand le divin Architecte universel eut donné l’exacte proportion et mesure à la grande voûte céleste, et quand il l’eut enrichie d’un grand nombre d’éclatants ornements, et après qu’il eut fait le grand marchepied terrestre orné d’un grand nombre de communes et belles perspectives, comme premier sculpteur il prit un rouleau de terre, la pétrit, et de ses divines mains en fit le premier modèle de l’homme, véritablement parfait en ses os, nerfs, veines, artères, muscles et peau, et par son grand amour il lui a exhalé un souffle de sa divinité, qui l’a rendu une œuvre parfaite et achevée.

Sur ces trois divines et naturelles parties faites de la main du Seigneur nous appuierons ce discours de l’architecture, sculpture et peinture, et nous le fortifierons sur la structure, proportion et assemblage du corps humain, puisqu’il contient en lui-même tout ce qui est représenté en tout l’univers, qui n’est autre chose qu’une habitation commune.

Je désire maintenant représenter cette divine œuvre du corps humain (à l’imitation de plusieurs savants écrivains) à (sic) une forte place dans laquelle nous verrons les principaux lieux, les rues, les habitations et logements des officiers, et le grand ordre qu’ils exercent quand ils suivent les bonnes volontés de leur sage gourverneur.

Et ensuite nous ferons voir les guerres civiles, qui troublent et mettent en désordre tous les habitants de cette noble citadelle, causées par les premiers officiers.

Nous représenterons en troisième lieu sept puissants ennemis étrangers qui attaquent continuellement cette forte place avec de puissantes armées.

Par ces désordres et troubles, nous remarquerons en l’homme plusieurs expressions de visages, selon les diverses agitations et émotions de l’âme.

L’orgueilleux au visage refrogné fera ses approches vers le quartier du gouverneur.

Le furieux colérique aux yeux enflammés tiendra lieu dans cette première attaque contre le premier ministre.

L’avaricieux mélancolique et fourbe épiera les quartiers les plus faibles pour surprendre la place.

Le brutal luxurieux attaquera le quartier du maître d’hôtel et du grand écuyer.

Le maigre et pâle envieux, emperruqué de serpents, avec sa dent envenimée, se glissera par les plus secrètes entrées en cette forteresse.

Le gourmand ivrogne au large ventre attaquera la partie d’en bas avec l’efféminé paresseux accablé de misères qui ne manqueront pas d’apporter le désordre par leurs négligences.

Tous ceux-ci, comme généraux et capitaines ennemis de cette grande place, seront accompagnés d’un nombre infini de troupes de leur même qualité ; ils seront tous armés de diverses armes, et veilleront continuellement alentour de cette place pour la surprendre par trahison ou par force d’armes.

Or comme le Créateur universel voulut loger dans le palais de cette magnifique place un gouverneur capable de commander à un grand nombre de peuples, et de se défendre continuellement contre un si grand nombre d’ennemis, il le créa à sa similitude car le Seigneur est beau ; aussi l’a-t-il fait beau ; le Seigneur est immortel ; aussi le gouverneur est immortel ; le Seigneur travaille toujours, le gouverneur de même ; le Seigneur discourt, aussi fait le gouverneur ; le Seigneur fait tout par sa providence, le gouverneur par sa même prudence ; le Seigneur fait tout par raison, le gouverneur fait tout par compas et par règles.

Ce puissant gouverneur possède tant de si nobles qualités que Dieu l’a voulu loger dans le quartier le plus élevé du château, afin de contempler de plus près sa légitime demeure, et aussi pour commander plus facilement à un si grand nombre d’officiers qui sont sous sa dépendance ; mais si nous voulons regarder la gentille composition et la subtilité industrieuse que le grand Architecte a ingénieusement observées dans le noble divin appartement du gouverneur ; si nous considérons les colonnes, les voûtes lambrissées qui soutiennent la lourde masse de ce superbe édifice ; si nous contemplons les salles, les chambres, les antichambres, les quatre sinus, les miroirs transparents, la grande bibliothèque, et un labyrinthe industrieux de divers tours et détours, les escaliers du commun et les escaliers secrets, les passages et autres pièces nécessaires pour la commodité du gouverneur et des officiers logés dans son quartier, nous serons obligés de dire avec un ancien philosophe merveilles de la hardiesse de la nature.

Dans ce noble et divin appartement, il y a une forte et grande voûte (le crâne)[2], qui couvre la partie supérieure, incrustée de deux épaisseurs de stuc (les deux méninges) dont le premier est gros et dur, et le second est plus délicat et plus blanc, et au-dessus de cette grande voûte est posé le comble qui porte la couverture (le pannicule charneux, les cheveux).

Au-dessous de l’entablement (le front), sur la face de devant, sont deux fenêtres (les yeux), couvertes de manteaux en dehors (les paupières), très faciles à ouvrir et fermer ; le verre des vitres est convexe et très délicat, au travers duquel et par les réflexions on connaît les volontés du gouverneur (les yeux miroirs de l’âme), car il s’approche souvent de ces divines fenêtres ; au dedans de ces deux fenêtres sont plusieurs rideaux (six tuniques) six officiers ont charge de fermer et ouvrir les deux manteaux de ces admirables fenêtres (six muscles pour ouvrir et fermer les yeux).

Au-dessus de ces deux fenêtres sont deux grands auvents (les sourcils) pour la conservation de ces deux fenêtres, lesquels auvents se haussent et se baissent par la force de deux serviteurs qui ont cette charge (deux muscles).

Entre ces deux admirables fenêtres sont deux tuyaux d’égout, lesquels servent pour la descente des eaux superflues et des immondices qui pourraient embarrasser le gouverneur et les officiers qui sont en grand nombre logés auprès de lui (le nez). Quatre officiers (quatre muscles pour les narines) ont charge de nettoyer ces deux tuyaux de descente. Auprès de ces deux tuyaux de descente, il y a une grande porte (la bouche) remparée de boulevards, de fossés et de trente-deux tours (les dents) ; les gonds et les pentures de cette porte sont admirables pour la facilité de leurs mouvements ; quatre portiers sont employés pour ouvrir et fermer les deux manteaux de cette grande porte (quatre muscles pour ouvrir et fermer la bouche).

Aux deux côtés de ce noble appartement, il y a deux portes de secours en symétrie et toujours ouvertes (les oreilles), très ingénieusement faites en leurs larges entrées et chemins tortueux, en forme de limaçon ou d’une trompette et là sont deux portiers qui reçoivent les ambassades du souverain seigneur, et portent la parole au gouverneur jusque dans sa chambre ; six serviteurs ont la charge de ces deux portes (six muscles servent pour les oreilles).

Il n’y a aucune entrée sur la face de derrière ; la maçonnerie y est beaucoup plus forte que sur le devant (les vertèbres et les autres os du derrière) ; les assisses des pierres sont admirables par leurs liaisons et enclavures (les ligaments) ; et les agrafes et crampons qui les tiennent serrées ensemble (les tendons) sont si bien scellés qu’elles ne se peuvent séparer ni disjoindre.

Dans ce noble et divin appartement du gouverneur, il y a une grande bibliothèque (la mémoire) remplie d’une prodigieuse quantité de beaux et rares livres et de plusieurs pièces curieuses et belles, faites des mains les plus savantes. Le bibliothécaire a la charge de toutes ces choses.

Ce savant bibliothécaire est vêtu d’un long manteau grave et modeste (la langue). Étant rempli de la vertu de son maître et des divines pensées du premier ministre, il fait ouvrir la grande porte du palais près de laquelle est sa demeure, et il s’avance pour chanter les louanges de son divin créateur ; là, il déclare aux auditeurs les volontés de son maître ; là, par sa parole emmiellée, il attire des milliers de personnes ; là, il civilise les peuples les plus barbares, et il enseigne les sciences et les beaux-arts à la jeunesse. Dix officiers sont à sa suite pour le servir à son besoin (dix muscles servent pour les mouvements de la langue).

Dans ce bel appartement du gouverneur, est logé son lieutenant général (des nerfs), afin qu’il puisse recevoir avec plus de facilité les commandements de son maître, d’autant qu’il ne doit faire aucune chose sans la volonté du gouverneur ; mais sitôt qu’il lui commande, en un instant le commandement est porte par l’agilité du lieutenant en tel quartier qu’il lui est commandé (la volonté fait le mouvement des nerfs). Et pour se faire obéir, il fortifie ce peuple par les vertus et l’ardente amitié que son seigneur a pour eux ; aussi il les anime par sa promptitude et sa grande agilité (la force et l’esprit des nerfs maintiennent toutes les parties du corps) ; et c’est par cette voie qu’il leur relève l’esprit et qu’il leur donne la force et mouvement pour faire promptement l’exercice de leurs charges et commissions (les nerfs, organes du sentiment et du mouvement pour les muscles et pour les fibres).

La seconde personne qui commande dans ce superbe château, c’est le premier ministre (le cœur)  ; c’est pourquoi il a son logement dans un quartier plus bas que celui du gouverneur, afin qu’il puisse recevoir ses commandements avec plus de facilité (le cœur moindre en dignité que le cerveau). Ce quartier est circuit (sic) en dehors de terre glaise humide et froide, plus d’une forte clôture et de fossés remplis d’eau par la conservation de ce noble ministre (la péricarde ou fortification de cet appartement : Jésus crucifié reçut le coup de lance dans la péricarde dont il sortit de l’eau et du sang). Il est aussi très commodément logé pour l’exercice de sa charge, d’autant qu’il est obligé d’agir partout et de donner ses ordres à tous les officiers, soldats et valets ; car tous en général et en particulier dépendent de lui, et de lui dépend tout. Son naturel est extrêmement prompt ; il est chaud, actif, robuste et fort au travail (qualité du cœur) ; son mouvement et agitation continuelle dans le devoir de sa charge lui fortifient son esprit (le diastole et sistole), et c’est par l’assiduité de ces travaux qu’il accumule de grands biens ; car ses richesses lui sont portées comme l’eau d’un torrent qui se décharge d’un haut rocher, et coule par un nombre infini de petits ruisseaux dans les prochaines campagnes (comme la veine cave s’ouvre au cœur) ; non pas qu’il retienne ses abondantes richesses dans ses coffres ; au contraire il les met en meilleure valeur, et par après, comme libéral, il les distribue à ses amis et à ceux qui en ont besoin.

Il a toujours grande provision dans ses caves d’un nectar vinifique qu’il distribue à ses amis par des chemins secrets (des artères) ; ce délicieux breuvage, par la vertu de son esprit, fortifie et réveille ceux qui en prennent discrètement (veine coronnaire) il se contente de peu pour sa nourriture ; il prend dans l’enceinte de son appartement quelque aliment duquel il se nourrit et sustente.

Au plus bas de l’appartement de ce noble ministre, sont placés les offices (du ventricule), dans lesquels se fait la décharge des viandes pour la nourriture de tout ce grand nombre de peuple dont nous parlerons ensuite.

Toutes ces viandes sont apportées par dix pourvoyeurs (les doigts) jusque dans la grande porte du château dont nous avons parlé, auquel lieu elles sont visitées, fleurées et goûtées par trois officiers commis pour cette charge (la vue, l’odorat, le goût). Étant trouvées bonnes, elles sont déchargées dans une grande place pour être passées par une seconde porte (l’épiglotte) ; là elles sont reçues par quatre officiers qui les conduisent eux-mêmes dans une large rue courbe et en biais (l’œsophage, ses quatre muscles), à cause du logement du maître d’hôtel qui avance au devant (place du foie) ; au bas de cette rue sont plusieurs officiers et valets de cuisine qui les reçoivent dans les offices (les muscles qui attirent les viandes) et quand il se trouve quelque viande défectueuse, ou quand il s’en trouve trop grande quantité, tous les officiers de ce quartier s’accordent ensemble pour les repousser avec violence et les faire sortir par la grande porte par où elles étaient entrées (du vomissement). Or d’autant que la chaleur des offices entre dans cette grande rue, il y a des sources d’eau dans le milieu de cette rue pour rafraîchir les officiers de ce quartier-là, et pour maintenir les viandes en meilleur état (les deux glandes amygdales) ; en ce quartier il y a une troisième porte (l’entrée du ventricule), par où on les met dans la grande et nécessaire marmite, d’autant, dit Hippocrate, que d’elle dépendent toutes les vertus des habitants de ce lieu ; car si le feu, dit-il, est trop ardent, les officiers sont paresseux, les chemins sont larges et les peuples sont sujets à la colère.

C’est pourquoi le gouverneur et le premier ministre ont besoin que cette cuisine soit bien tempérée, afin de maintenir tous ces peuples en bonne intelligence (la santé) ; car quand ils manquent de quelque chose, ils sont tous en désordre, et abandonnent leurs charges et leurs commissions (les maladies).

L’écuyer de cuisine a grand soin de bien couvrir cette grande marmite afin de la bien laisser bouillir (fibres circulaires), et afin aussi que le gouverneur et le premier ministre ne soient point incommodés des vapeurs de cette marmite bouillante. Les valets sont soigneux d’entretenir le feu dans une égale chaleur (chaleur égale pour la coction).

Or pour souffrir le feu de cette grande cuisine, et pour rafraîchir les officiers de ce lieu, afin qu’ils puissent mieux vaquer aux devoirs de leurs charges, il y a un grand soufflet en forme d’éventail (le diaphragme), qui fait la séparation de l’appartement du premier ministre d’avec les offices, afin, dit Aristote, que le premier ministre ne soit point incommodé des fumées et des vapeurs des offices. Cet éventail a la forme presque ronde ; il est fort par le milieu et faible aux deux extrémités (forme du diaphragme) ; deux cercles tiennent deux cuirs étendus et bandés ferme (cause du chatouillement) : il est attaché par deux liasses de fort cuir aux murailles voisines (les deux tendons du diaphragme) ; le vent entre par un côté et sort par l’autre. Il est humecté par quatre vaisseaux rafraîchissants qui dégouttent dessus, de peur qu’il ne se dessèche trop par la grande chaleur du feu des offices (deux artères, deux veines).

Le gouverneur et tous les officiers, valets et soldats de ce superbe château ne pourraient subsister sans l’agitation de ce grand éventail ; c’est pourquoi son mouvement se fait par soixante-quatre ouvriers (soixante-quatre muscles servent pour l’expiration et l’inspiration), c’est à savoir trente-deux pour hausser et autant pour abaisser ; le vent entre froid et sort chaud par la grande porte et par les deux tuyaux d’égout dont nous avons parlé ci-devant (par la bouche et par le nez).

Encore que le premier ministre soit beaucoup agissant et robuste pour vaquer à l’exercice de sa pénible charge, cependant il ne peut souffrir l’incommodité du vent de ce grand soufflet ; c’est pourquoi il a un serviteur ou officier fidèle (le poumon) toujours auprès de lui (c’est l’économe de sa maison), qui arrête la violence de ce grand vent en le retenant dans des lieux réservés (le poumon spongieux retient l’air pour le tempérer par une chaleur modérée), avec lequel vent il va fraîchir son maître d’un air plus doux, puis il l’essuie de sa sueur causée par son grand travail (le poumon purge le cœur de ses excréments fulgineux). C’est pourquoi son maître l’entretient de ce dont il a besoin, et même le défraye de sa nourriture, car il est le seul qui mange à la table du premier ministre ; aussi il lui donne bonne pension. Platon dit qu’il a été créé pour éventer le premier ministre lorsqu’il est enflammé de colère. Ce fidèle serviteur a plusieurs charges : car c’est lui qui attire et repousse l’air humide par la grande porte, et qui porte la parole au bibiothécaire qui reçoit les esprits (l’organe de la respiration et de la voix, et la boutique de l’esprit).

Dans le quartier de ce fidèle économe, il y a un grand chemin assez âpre, rude et raboteux, que Lactance nomme « fistula spiritualis » (la tranchée artère). D’autant que les esprits passent par cette rue, au bout de laquelle il y a une porte faite avec une grande industrie, elle est toujours à demi ouverte, si ce n’est quand les porteurs de victuailles, dont nous avons parlé, la ferment en passant (le larinx et l’épiglotte) ; mais il y a un valet derrière cette porte qui la repousse et l’ouvre à demi, afin que l’air puisse entrer et sortir facilement (le muscle qui fait mouvoir l’épiglotte). Quatorze valets sont employés pour nettoyer ce grand chemin et pour pousser et porter les immondices par la grande porte du château (quatorze muscles servent pour cracher).

Le maître d’hôtel, poussé d’un téméraire appétit de convoitise, prend tout, s’attribue tout (le foie) ; mais c’est avec juste raison d’autant qu’il est obligé de nourrir à ses dépens tout le grand nombre de peuples qui habitent au dedans et au dehors de ce puissant château. Sa charge est noble, sa dignité très grande (qualité du foie), son tempérament est chaud et humide, plaisant et gracieux (son tempérament). Platon l’appelle le siège de l’amour et de la concupiscence, et lui donne puissance de deviner. D’un côté il reçoit toutes les viandes cuites, les goûte, les assaisonne, et les rend beaucoup meilleures qu’elles n’étaient auparavant.

Étant ainsi bien préparées dans ses offices, il les envoie par ses officiers dans deux grandes places dont l’une s’appelle la place de la porte (veine porte), à cause qu’elle est près de la porte du quartier des offices, l’autre s’appelle la place cave (veine cave), d’autant qu’elle est fort profonde. Toutes les allées, les passages, les rues et les ruelles, qui sont en très grand nombre dans le quartier du maître d’hôtel et des offices, viennent aboutir dans la place de la porte (les racines de la veine porte) ; et par cette quantité de rues et ruelles, les porteurs viennent emplir cette grande place de toutes sortes de viandes cuites (le tronc), pour être portées par tous les quartiers de ce puissant château (la distribution). Ainsi comme la substance de la terre est tirée par les racines d’un grand arbre, ce suc humide est porté par les fibres dans le tronc, puis dans les branches pour donner de la nourriture aux fruits.

De la place cave (veine cave) les porteurs peuvent aller par tous les lieux et quartiers de cette grande citadelle ; c’est pourquoi quelques anciens ont appelé cette place la nourrice de la nature humaine. Cette grande place se sépare en deux grandes rues, dont l’une descend en bas et l’autre monte en haut en forme d’un escalier (veine ascendante), lequel passe par le quartier du grand éventail, et par le quartier où sont logés plusieurs officiers du commun (le médiastin), et par le logement du premier ministre (vers le cœur), auquel lieu il y a une grande porte par laquelle entre une grande quantité de ces viandes que le premier ministre retient chez lui (la veine ouvre son côté pour verser du sang dans le cœur) ; puis il les envoie à son fidèle serviteur économe de sa maison, lequel a ordre de son maître de les distribuer à tous ses amis et a tous ceux qui en ont besoin, comme nous avons dit ci-devant.

Du quartier du premier ministre cette grande rue poursuit en montant jusqu’à un lieu nommé sous-clavier, puis se sépare en cinq grandes rues, dont la plus grande partie sortent de l’enclos du château pour conduire dans presque tous les quartiers de la place. Une des plus grandes des cinq (la cervicale) monte dans le quartier du gouverneur, tout le long des murailles du derrière de ce quartier élevé.

La seconde grande rue de la place cave (du tronc descendant), laquelle descend au bas du château, va jusques aux îles (l’os iliaque), puis elles se sépare en cinq ruelles différentes, l’une desquelles se sépare en deux petites ruelles (veines spermatiques), lesquelles conduisent dans le quartier du grand écuyer ; étant dans ce quartier, elles se séparent en une grande quantité de petites voies ; c’est par ces rues et ces petites ruelles que le maître d’hôtel fait porter la nourriture pour les chevaux dans les écuries ; mais ceux du côté droit, dit Hippocrate, sont mieux nourris, et par conséquent ils sont plus vigoureux ; c’est pourquoi ils servent aux hommes ; et ceux du côté gauche moins nourris, et par conséquent moins fougueux, servent pour les femmes (Hippocrate dit que les mâles sont conçus au côté droit et les femelles au côté gauche).

Il y a encore plusieurs autres rues et chemins par lesquels sont portés les aliments et autres choses nécessaires pour les officiers et valets de ce quartier des écuries.

Le grand écuyer a tant de pouvoir dans ce château que Galien dit que c’est par lui que le premier ministre et les autres officiers exercent fidèlement leurs charges, et que sans lui ils deviendraient lâches, mols et efféminés.

Xénophon dit au contraire que la paix et union est plus solide entre tous les officiers du château quand il est dehors. Il est vrai que les histoires anciennes et modernes nous font foi de cette vérité par les désordres et malheurs suscités par l’infamiee de cet écuyer.

Les aliments que le maître d’hôtel reconnaît être mal préparés et mal assaisonnés par la négligence et paresse des officiers, il les rejette dans un vaisseau à part afin qu’ils ne nuisent pas aux bons (de la vescicule). Là, ces immondices deviennent vertes et âcres à cause de leurs impuretés, et par un canal elles se déchargent dans une grande rue, par laquelle passent toutes les superfluités des viandes des offices et autres immondices, comme nous dirons en son lieu (la vescicule se décharge dans le boyau duodenum).

(De la rate, Timée, liv. IV.) Il y a un officier logé au côté gauche du maître d’hôtel, lequel a soin de nettoyer le logement de son maître et toutes les offices qui sont sous sa dépendance ; il retient dans son logement les immondices, balayures et autres saletés, en attendant que d’autres serviteurs du dehors du château les viennent prendre ; quelquefois il est beaucoup incommodé de ces saletés (les remèdes déchargent la rate).

(Des boyaux.) Après nous être promenés dans une grande quantité de rues, il nous faut maintenant remarquer la plus grande et la plus admirable de toutes. Elle commence dans le quartier des offices et du maître d’hôtel (le boyau duodenum). Son commencement est large, puis s’étrécit, et va en penchant en bas ; le pavé est rude et couvert d’une croûte rude et raboteuse ; elle va droit vers les murailles du derrière du château. Cette rue reçoit par un canal qui décharge dedans les saletés vertes que le maître d’hôtel fait porter dans un vaisseau à part, comme nous avons dit ci-devant (la vescicule se décharge dans le boyau duodénum).

(Décharge du ventricule dans le boyau duodenum.) Dans l’entrée de cette grande rue, les valets de cuisine vident les restes de la grande marmite dont nous avons parlé ci-devant. Dans ces superfluités du reste des viandes, il y a encore plusieurs morceaux mal cuits et mal assaisonnés, et négligés, qui sont reçus par plusieurs officiers et valets qui demeurent dans cette grande rue, lesquels font choix de ce qui est bon et le mettent à part, s’en chargent, et le portent par de petites ruelles au maître d’hôtel qui les fait cuire et assaisonner par ses officiers de cuisine (les veines mésentériques avec les fibres desdites veines). Ceux qui ont porté ces bonnes viandes les rapportent dans leurs quartiers pour servir à leur nourriture et à la nourriture de leurs voisins ; et ce qui est mauvais de ces restes de viandes coule par le milieu de cette grande rue.

Cette grande rue s’étrécit un peu vers le milieu et change de nom (l’ilion). En cet endroit elle fait une grande quantité de tours et détours circulaires en forme d’un labyrinthe, que si on mesure la longueur, on la trouvera sept fois longue comme toute la forteresse (Timée, liv. IV). Platon dit qu’il fallait que cette rue fût de cette longueur, afin que les vivres ne se perdissent pas, étant plus longtemps à passer, et qu’il ne fallût pas à tous moments en remettre d’autres en leur place, d’autant (dit-il) que le gouverneur, les officiers et autres n’auraient pas de temps ni de repos pour vaquer à la contemplation et méditation. C’est pourquoi cette rue est extrêmement longue et tortueuse en forme d’un dédale.

Il se rencontre dans cette longue rue une large place qui n’a point de pente (le cœcum) ; tout ce qui coule de la rue demeure longtemps dans cette vaste place ; c’est là où les valets et autres pauvres gens qui sont logés dans ce quartier prennent ce qu’il y a de bon pour leur nourriture.

De ce lieu on entre dans une longue et large rue (le colon), laquelle tourne circulairement alentour de la précédente, et se termine enlin en un quartier qu’on appelle sacrum. Là il y a une petite porte par laquelle les balayeurs et les pauvres gens logés dans cette rue poussent toutes les immondices en bas, dans la partie plus large et droite de cette rue. En cet endroit, il y a une ouverture d’égout fermée d’une forte porte (le sphinctère), par laquelle sont poussées dehors toutes les immondices et saletés de toute la forteresse. Quatre portiers (quatre muscles) ont soin d’ouvrir et fermer cette porte quand il en est besoin.

(Louange à Dieu.) Le divin Architecte, qui n’a jamais manqué en aucune partie de ses œuvres, a placé cette ouverture d’égout en un lieu le plus secret, le plus caché et le plus éloigné des nobles habitations de ce palais royal, afin que personne ne soit incommodé des vapeurs corrompues.

(De la vessie.) Nous avons encore à représenter une pièce que Galien nous invite d’admirer l’industrie du divin architecte : c’est un étang ou réceptacle dans lequel se fait la décharge des eaux qui découlent de toutes les rues de cette grande place. Quelques parties de ces eaux s’exhalent en brouillards (la sueur), et la chaleur en dessèche une autre partie (chaleur des entrailles), et tout le reste passe par deux grands canaux jusques à deux grands réservoirs concaves et spongieux (les reins), qui sont aux deux côtés du château ; de là l’eau passe par deux aqueducs descendant en bas (les uretères) et faisant plusieurs tours et retours alentour du grand réceptacle, dont l’un aboutit d’un côté de ce réceptacle et l’autre de l’autre côté. Mais il faut noter que ce réceptacle est double, que ces canaux se déchargent par une petite entrée de chaque côté dans la première clôture, et que par deux canaux l’eau est conduite dans la seconde ouverture du réceptacle, assez éloignée de la première entrée, afin que l’eau ne puisse regorger ni retourner par le lieu par où elle était entrée (première membrane de la vessie, seconde membrane de la vessie). Il y a un enduit fort dur dans le fond, afin que l’eau ne puisse pénétrer, et aussi pour résister aux coups de pierres qui sont jetées dans ce réservoir. Aristote l’appelle le réceptacle de l’excrément humide. Ce grand réceptacle n’a qu’une sortie par laquelle l’eau se décharge par l’éventeau ou vanne qui la retient. Un seul portier (le muscle sphinctère) ouvre cet éventeau par l’ordre du gouverneur, quand il est besoin de faire la décharge de ces eaux.

Il nous faut maintenant sortir de l’enclos du château pour entrer dans cette grande citadelle, afin de remarquer les clôtures qui enferment cette grande forte place, le corps de garde et les logements des capitaines et des soldats.

Trois clôtures l’une dans l’autre enferment cette divine place : la première (l’épiderme ou faux cuir) est faite de matériaux très durs ; cependant, elle est facile a réparer quand elle est rompue ou abattue par quelque endroit ; en dehors de laquelle clôture sont plusieurs endroits remplis de marais humides, dans lesquels il croît grande abondance de joncs, de roseaux et autres herbes (l’humidité qui fait croître le poil au dehors du corps). La seconde clôture est de matériaux moins durs que la précédente (le vrai cuir), mais beaucoup plus épaisse, au dedans de laquelle sont des glaises et terres humides et froides (la graisse sous la peau). La troisième muraille (membrane commune) est moins forte que la seconde, mais très nécessaire pour la conservation des logements des soldats.

(Des veines sur les muscles.) Entre ces murailles sont plusieurs voies, et grands et petits chemins, que nous passerons sous silence, pour ne nous embarrasser.

(Les muscles.) Au dedans de ces trois fortes murailles se trouvent les habitations et logements des capitaines et des soldats, lesquels logements servent de corps de garde, dont les deux plus grands corps de garde (les muscles pectoraux) sont placés, l’un d’un côté, l’autre de l’autre, un peu plus bas de la grande porte du palais dont nous avons parlé au commencement de ce discours. Ces deux corps de garde sont remplis d’un grand nombre de soldats pour la garde de ce quartier-là. Les autres logements et corps de garde sont ensuite, tout alentour de cette grande et forte place (muscles des bras et des jambes) ; mais ils sont beaucoup plus près à près dans les parties avancées que dans celles qui sont retirées.

Les capitaines et soldats (les tendons des muscles sont les capitaines et les fibres sont les soldats), sont toujours en état pour se défendre contre leurs ennemis, pourvu que le lieutenant-général leur porte l’ordre du gouverneur. Alors les capitaines et les soldats combattent généreusement chacun dans son quartier ; cependant ils ont une si grande union et amitié qu’ils se soulagent et se supportent tous ensemble avec un accord admirable.

On n’a pu encore savoir le nombre des soldats à cause qu’ils sont en trop grande quantité (on ne sait pas le nombre des fibres qui sont dans les muscles) ; pour leurs logements, il s’en trouve environ quatre cent cinq, tant dans la place que dans le château (quatre cent cinq muscles servent au corps humain). Il y a de tels capitaines qui auront chacun plus de cinq à six cents soldats sous leur conduite, et d’autres beaucoup plus ou moins. Nous en parlerons plus amplement par un discours que nous avons fait exprès, d’autant que c’est une des principales parties de nos études que de bien connaître les proportions et mesures de ces divines habitations. Il nous est très nécessaire non seulement de les nommer et les connaître par leurs propres noms, mais il nous les faut aussi converser familièrement dans leurs habitations, afin d’apprendre d’eux-mêmes les vérités de l’obligation qu’ils ont pour bien et ponctuellement faire l’exercice de leurs charges.

  1. Je doute qu’on ose en indiquer le titre (note manuscrite du xviie siècle.)
  2. Les mots entre parenthèses sont en marge dans le manuscrit.