Le diable est aux vaches/Au chantier(2)

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Au chantier


Le hasard voulut que ses compagnons trouvassent à s’engager avant Ti-Jean, Aussi, le dernier de sa « gang », il arriva un soir, tard, à un campement, de bûcherons, où tout le monde lui était étranger. Le « boss », un nommé Tommanavo, eut pitié de l’enfant, le fit coucher dans son pinnero (espèce de chambrette réservée au « boss » et à certaines victuailles du campement) afin de le soustraire aux brimades possibles de certains mauvais drôles de l’équipe.

Le lendemain, Tommanavo embaucha Johnny comme « chore boy », ou garçon à tout, faire, et surtout pour servir le cuisinier. Mais Johnny avait toujours l’œil sur les chevaux. Son ambition, désormais, était de conduire une paire de ces robustes bêtes qui toute la journée, traînaient jusqu’à la rivière de lourdes charges de bois en grume, (billots).

Dès les premiers jours, notre héros eut maille à partir avec un nommé St-Ours, un gros épais, qui à chaque repas s’empiffrait, de fèves au lard et de mélasse. St-Ours, ignorant ou méprisant jusqu’aux règles les plus élémentaires de la bienséance, incommodait tout le monde par ses incongruités. Aussi les camarades l’avaient pris en grippe. Ils résolurent de le faire battre par Johnny, qu’ils excitaient et soutenaient « en dessous ». Fort de cet appui moral, Johnny, un dimanche matin, provoqua St-Ours en combat singulier, lui « fit l’appel » comme on disait alors dans le monde des chantiers. Devant la crânerie de Johnny, qu’il sentait appuyé secrètement par toute la bande, St-Ours hésita, puis il refusa le duel. « J’me bats pas » se contentait-il de répondre.

La hardiesse, disons même la bravoure de Johnny, plut à Tommanavo et quelques jours après, il lui confia l’attelage d’un « teamster » (charretier) qui s’était fait broyer une jambe.

Johnny ne fut pas lent à prouver à tous que le « boss » avait bien placé sa confiance.

Un certain jour il descendit à la « jetée » le plus lourd voyage qu’aucun charretier de la compagnie avait encore conduit à la rivière. Le « voyage » contenait 24,000 pieds de bois.