Le fort et le château Saint-Louis (Québec)/02

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Texte établi par Librairie Beauchemin, Limitée (p. 17-25).
II. — Charles Huault de Montmagny (Ononthio)…


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Charles Huault de Montmagny (Ononthio). — Les commencements de la nation canadienne. — Le troisième fort Saint-Louis (1636). — Ursulines et Hospitalières. — Le premier château Saint-Louis (1647). — Louis d’Ailleboust. — Barbe de Boullongne. — Les Iroquois au fort. — Accident. — Arrivée du vicomte d’Argenson. — Prisonniers en fuite.



Charles Huault de Montmagny, chevalier de Malte et successeur de Champlain, est une des figures sympathiques de notre histoire. C’est sous son gouvernement que se fonda définitivement la nation canadienne par l’arrivée de fécondes et morales familles venues de la Saintonge, de l’Aunis, du Poitou, de la Bretagne, mais surtout du Perche et de la Normandie[1].

Montmagny que les Sauvages appelaient Ononthio (Mons Magnus, Grande Montagne), fit tracer les rues de Québec et reconstruire en pierre le fort Saint-Louis, édifié primitivement de « fascines, terres, gazons et bois. » Dès 1636, il s’occupa de cette reconstruction et mit les ouvriers à l’œuvre. Dix ans plus tard, les tailleurs de pierres et les corroyeurs avaient tant à faire à Québec, que, dans un contrat « faict et passé au fort Saint-Louis de Québec l’an 1646 le 17e jour d’octobre après midy, » entre Jean Bourdon, ingénieur et arpenteur, représentant « Messieurs les habitans de la Nouvelle-France, » et Louis Robineau dit Breton, Toussaint Tireau dit Lagrange, tailleurs de pierre, et Denis Chenillart dit Argencourt, corroyeur, pour faire « revestir de murailles un bastion qui est au bas de l’allée Montcalvaire[2], dépendant du fort Saint-Louis de Québec »…, il est dit que les ouvriers ne pourront « entreprendre aucun (autre) ouvrage sans la volonté et consentement du dict sieur Bourdon sy ce n’est toutesfois après le bastion faict »[3].

Le 1er août 1639, à sept heures du matin, le canon du fort Saint-Louis annonça au petit poste de Québec, dont la population ne dépassait pas deux cent cinquante âmes, l’arrivée des premières femmes consacrées à Dieu qui soient venues en Canada : c’étaient la Mère Marie Guyart de l’Incarnation, la Mère Marie de Savonnières de Saint-Joseph, Marie Cécile de Sainte-Croix, Ursulines, avec leur dévouée fondatrice, Madeleine de Chauvigny de la Peltrie ; puis la Mère Marie Guenet de Saint-Ignace, la Mère Anne Le Cointre de Saint-Bernard et la Mère Marie Forestier de Saint-Bonaventure, Hospitalières, envoyées par la duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, pour fonder dans la Nouvelle-France un Hôtel-Dieu dédié au Précieux Sang du Rédempteur.

Elles étaient accompagnées de trois missionnaires Jésuites : les Pères Vimont, Poncet et Chaumonot.

Ce fut un événement considérable que l’arrivée de ces « filles de la prière » dans le pays alors presque entièrement sauvage du Canada. Il causa une grande joie parmi les colons français groupés autour du fort Saint-Louis ou dispersés le long des rives du Saint-Laurent, et fit naître des espérances que deux siècles et demi d’un dévouement admirable ont amplement justifiées.

M. de Montmagny se rendit à la rencontre des nobles femmes, — qui se prosternèrent en mettant le pied sur le rivage, et baisèrent avec respect le sol de leur nouvelle patrie, — puis, suivi de toute la population de Québec, il les conduisit à Notre-Dame-de-Recouvrance[4], où un Te Deum fut chanté, « entonné par le R. P. Le Jeune,… poursuivi par toutes les voix de la foule, tandis que le canon du fort annonçait au loin le joyeux événement. »

La petite société de Québec offrait, sous M. de Montmagny un spectacle original et charmant. On y retrouvait l’image de la vieille société française, avec quelques traits particuliers que faisaient naître les exigences du climat, la lutte pour l’existence dans des conditions inconnues en Europe, et le contact avec les aborigènes.

Le gouverneur voulut recevoir les Hospitalières et les Ursulines au fort Saint-Louis. Le jour même de leur arrivée, il les convia à sa table, ainsi que les missionnaires Jésuites, les officiers et les principaux « habitants » de la colonie.

Puis les humbles servantes de Dieu se séparèrent, les deux petites communautés allant s’installer dans leurs pauvres demeures respectives.

Un demi siècle plus tard, des filles de la Mère Marie de l’Incarnation, que l’incendie avait chassées de leur cloître, franchirent encore une fois l’enceinte du fort Saint-Louis ainsi que nous le verrons plus loin.

L’année 1647, une des années fécondes de nos annales historiques, vit commencer les travaux de la « grande église » qui, plus tard, porta le nom de cathédrale de Québec.

En même temps on travaillait à un bâtiment pour les Pères Jésuites et l’on jetait les fondements du « corps de logis » auquel on donna bientôt le nom de château Saint-Louis.

On sait que la pierre trouvée au mois de septembre 1784, en nivelant le terrain, non loin de la façade intérieure du château Saint-Louis, porte une croix de chevalier de Malte avec le millésime 1647.
Cette pierre, qui, à l’origine, était sans doute placée au-dessus de la porte d’entrée ou dans un autre endroit bien en vue du premier château Saint-Louis, gisait vraisemblablement où on l’a trouvée depuis quatre-vingt-dix ans, c’est-à-dire depuis la démolition de 1694, dont il sera plus d’une fois question dans ces pages.[5]



On lit dans le Journal des Jésuites de 1648 : « Nos gens, au nombre de dix ou douze, travaillèrent tout l’hyver au bois jusques à Pasques pour la charpente de la grande maison (des Jésuites) ; le tout fut fait et apporté à Pasques, et à Pasques on commença à travailler sur la place. Notre F. Nicolas le Fauconier avait soin de la maçonerie, nostre F. Liégeois la surintendance de tout, et nostre F. Ambroise Cauvet du bois de menuiserie, etc. En même temps on bâtissait un corps de logis au fort et une église pour la paroisse. »

Il est certain que l’appellation : « Château Saint-Louis, » pour désigner la résidence même du gouverneur, est immédiatement postérieure à la date de la construction de ce « corps de logis » du fort Saint-Louis dont parle le Journal des Jésuites, — lequel ne fut terminé que sous M. Louis d’Ailleboust, qui succéda à M. de Montmagny en 1648.

Le nom de « corps de logis » est aussi donné au château Saint-Louis par Denonville et Frontenac dans leur correspondance officielle.

Le premier château Saint-Louis n’avait qu’un seul étage, d’après l’ancienne manière de s’exprimer, c’est-à-dire un simple rez-de-chaussée avec mansarde.

La première châtelaine du fort Saint-Louis fut Barbe de Boullongne, femme de Louis d’Ailleboust de Coulonge, troisième gouverneur de la Nouvelle-France. Elle était naturellement vive et gracieuse. De même que sa sœur, morte religieuse à Québec, en 1667[6], elle avait au cœur la noble passion du sacrifice. Après la mort de M. d’Ailleboust arrivée le 31 mai 1660, elle se retira à l’Hôtel-Dieu de Québec, où elle vécut comme une sainte, refusant les propositions de mariage de l’intendant Talon et du gouverneur de Courcelles, et entourée de la vénération de toute la colonie. Elle fut inhumée dans le chœur des Hospitalières, le 9 juin 1685.

Ce fut le 20 août 1648 que M. d’Ailleboust débarqua à Québec, où il venait succéder à M. de Montmagny. Il arrivait de France, mais il appartenait à la colonie depuis 1643, date à laquelle il était venu se fixer à Montréal avec sa femme et sa belle-sœur.

Après trois années de gouvernement, M. d’Ailleboust fut remplacé par M. de Lauzon (1651-56) ; puis il revint habiter le château Saint-Louis, en 1657, et jusqu’à l’été de 1658, avec le titre d’administrateur.

Lorsque l’abbé Gabriel de Queylus vint remplir les fonctions curiales à Québec, en 1657, il séjourna au château Saint-Louis, sur l’invitation de M. d’Ailleboust, en attendant le règlement de ce qu’on a appelé « le litige du presbytère. »

Vers la fin du mois de mai 1658, des Iroquois étant descendus à Québec pour conférer avec Ononthio, — M. d’Ailleboust (car les Sauvages continuèrent à donner le nom d’Ononthio à tous les successeurs de M. de Montmagny) — « aussitôt, dit la « Relation, » on convoqua une assemblée de Français et de Sauvages nos alliés, pour entendre ces nouveaux messagers ou ambassadeurs. Ceux qui s’y trouvèrent s’étant glissés en bon nombre de la salle du Château ou du Fort dans une galerie qui regarde sur le grand fleuve, cette galerie étant bien caduque, ne se trouva pas assez forte pour soutenir tant de monde, si bien qu’elle rompit, et tous les Français et Sauvages, les libres et les captifs, se trouvèrent pêle-mêle hors du fort, sans avoir passé par la porte ; personne, Dieu merci, ne fut notablement endommagé. Chacun étant rentré, les harangues et les présens se firent à l’ordinaire. »

Le 11 juillet de la même année (1658) arriva à Québec M. le vicomte d’Argenson, chargé du gouvernement de la Nouvelle-France en remplacement de M. d’Ailleboust (administrateur). Après un échange de compliments et de civilités, les deux personnages gravirent solennellement la côte de la Montagne, suivis des habitants de la ville et d’un certain nombre de nouveaux venus. « Ils montèrent tous en bel ordre au Château, » dit la « Relation ». « On lui présente (au nouveau gouverneur) les clefs à la porte, le canon jouant de tous côtés, et dans le Fort et sur les rivières, faisant rouler son tonnerre sur les eaux et dans les grandes forêts du pays. Ayant pris possession du Fort, il rend visite à Notre-Seigneur en l’église de la paroisse, puis en notre chapelle ; puis ensuite il se transporte à l’Hôpital et de là aux Ursulines. Voilà une belle journée. »

À l’intérieur du fort construit par Montmagny se trouvaient le château et quelques petits bâtiments dont l’un, au moins, devait servir de prison.

La Mère Marie de l’Incarnation écrivait, en 1659 : … « Notre Gouverneur (M. d’Argenson) est en campagne ; ce qui l’a fait sortir est que les Iroquois qu’il tenait prisonniers entre de bons murs, fermés de portes de fer, ayant appris que leur nation avait rompu la paix, et croyant qu’on ne manquerait pas de les brûler tout vifs, ont forcé cette nuit leur prison et sauté les murailles du Fort. La sentinelle, les voyant, a fait le signal pour avertir, et aussitôt l’on a couru après eux ; je ne sais pas encore si on les a pris, car ces gens-là courent comme cerfs. »



  1. Voyez les opinions du P. Leclercq, récollet, du P. Charlevoix, jésuite, et de Pierre Boucher de Boucherville, sur la pureté de mœurs des premières familles canadiennes, — opinions consignées au deuxième volume du Cours d’Histoire du Canada de l’abbé Ferland, livre IV, chapitre I.
  2. La rue Mont-Carmel.
  3. Greffe de Tronquet.
  4. Cette église fut détruite par un incendie l’année suivante (1640). Elle avait été construite par Champlain en 1633, puis agrandie en 1634, et était située à peu de distance du fort, au nord de la Place d’Armes actuelle.
  5. Voici le texte du journal de M. Thompson (conducteur des travaux du château Haldimand) relatif à cette relique :

    « 1784, September 17th. »

    « The miners at the Château, in levelling the yard dug up a large stone which I have described the annexed figure. »

    « I could wish it was discovered soon enough to lay conspicuously in the wall of the New Building (le château Haldimand) in order to convey to posterity the antiquity of the Château de Saint-Louis ; however, I got the masons to lay the stone in the cheek of the gate now building. »

    Cette pauvre pierre, très malmenée par le temps et les hommes, a été posée en biais dans une niche du nouvel hôtel Château Frontenac donnant sur l’encoignure des rues Saint-Louis et des Carrières. Le millésime (1647) n’est pas assez en vue et se lit difficilement.

  6. Gertrude-Philippe de Boullongue, sœur de Madame d’Ailleboust, entra en religion chez les Ursulines en 1648, et prit le nom de sœur Saint-Dominique. Dans leur testament (don mutuel) portant la date du 30 octobre 1652, Monsieur et Madame Louis d’Ailleboust déclarent n’avoir pas d’enfants. Le père de Madame d’Ailleboust se nommait Florentin de Boullongne, et sa mère Eustache Qurau. On écrirait aujourd’hui Cureau. (Voir le contrat de mariage de Louis d’Ailleboust et de Barbe de Boullongne, Paris, 6 septembre 1638, aux archives de l’Hôtel-Dieu de Québec.)