Le nouveau Paris/31

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Paris : Louis-Michaud (p. 113-116).

HÉBERTISTES



Noms des conjurés contre la liberté, dont Hébert, si fameux sous le nom emprunté de Père Duchesne, était chef, et dont la conjuration a échoué contre la Guillotine dont il menaçait les meilleurs citoyens. On ne se souviendra du nom de ce misérable que parce que son détestable journal, intitulé le Père Duchesne, débordait de mots grossiers, et ne comportait que la langue des jurements : il fut public, et constamment approuvé par la Montagne.

C’était le frère de lait de Chaumette qui fut moine, mousse, naturaliste, et procureur-syndic de la commune. Il inspira à Danton l’idée de faire décréter la mise en liberté de tous les prisonniers pour dettes, et l’abolition de la contrainte par corps qui avait eu lieu jusqu’alors contre eux. Cette précaution a toujours été celle de tous les faiseurs de révolution.

Ce monstre subalterne n’avait d’autre courage que celui d’égorger à son aise dans son affreux journal, de couper des têtes indéfendues, et non celui d’exposer la sienne.

Quand les sections de Paris vinrent nettement demander à la Convention quel moyen elle avait de sauver la France, ce fut Hébert qui rédigea l’adresse. La réponse de Barrère se sentit de la terreur qu’éprouvaient ceux qui voulaient effrayer toute l’Europe.

En allant au supplice[1] il fut couvert de huées par le peuple qui lui criait : Où sont tes fourneaux ? allusion à l’estampille de son abominable journal, où il appelait la mort sur des milliers de têtes ; et dans ce temps c’était là être républicain.

Cet ancien aventurier, receveur de contre-marques, donna lieu, lors de son arrestation et du mouvement des sociétés populaires en sa faveur, à cette fameuse réponse d’Isnard où il dit à ce ramas de factieux : « S’il arrivait qu’on portât atteinte à la représentation nationale, je vous le déclare, la France entière tirerait une vengeance éclatante de cet attentat ; et bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. » On ne peut peindre la rage, le frémissement que ces mots inspirèrent aux Jacobins et à la société-mère. On eût dit que leur salle était embrasée ; ils en ont rugi chaque jour ; ou plutôt leurs consciences, effrayées de cette terrible prédiction, voyaient déjà la justice nationale les saisir sous leur masque populaire, et les livrer à la plus légitime des vengeances.

Tous les anarchistes sont terrassés de douleur quand on leur rappelle ces foudroyantes paroles. Après avoir fait un dieu de Marat, ils voulaient lui accoler Hébert et Chaumette, ce pourceau monacal, digne ami d’un écrivailleur, homme de sang de son métier. C’était à Paris que se rendaient tous ces personnages alléchés par les aubaines que procure une révolution.

Et quel était le but des chefs de la Commune ? de dissoudre, d’anéantir la totalité de la Convention pour usurper tous les pouvoirs. Robespierre et Marat tombaient le même jour.

J’en ai tiré l’aveu de l’Espagnol Gusman. Nous l’appelions Tocsinos par allusion au tocsin du 31 Mai, qu’il avait fait sonner : il m’a dit plusieurs fois, en échange de quelques confidences, que l’insurrection, dont il était un des fauteurs, avait été dirigée contre la représentation toute entière. J’en instruisis sur-le-champ mes collègues détenus. Il nous était démontré que les Montagnards, non moins aveugles que féroces, n’avaient jamais connu le danger imminent qu’ils avaient couru eux-mêmes dans ces terribles journées ; ils eurent soif depuis du sang des 73, tandis que c’étaient nous qui, par notre généreuse et ferme protestation, avions porté les premiers coups aux trahisons du Suisse Pache, de l’Autrichien Poly, des Belges Péréira et Dubuisson, du Neufchâtellois Marat, de l’ex-capucin Chabot, tous étrangers ou sur le point de le devenir.

Ce qu’il y avait de plus monstrueux dans cette machination, c’est que la municipalité conspiratrice, en dissolvant, en frappant les fidèles représentants du peuple, voulait que cette dissolution se fît au nom de la Convention elle-même.

Les mêmes hommes qui gardèrent toutes les avenues qui aboutissaient au lieu de nos séances, qui nous injurièrent, qui portèrent la main sur nos personnes au point que plusieurs eurent leurs vêtements déchirés, qui nous couchèrent en joue lorsque quelques-uns de nous s’approchaient des fenêtres pour examiner ce qui se passait, furent encore les mêmes qui vinrent nous outrager dans nos cachots, nous parler avec insolence, nous refuser les choses nécessaires à la vie, et joindre à ces attentats l’ironie la plus sanglante.

Et quand je me rappelle les acclamations des tribunes, Henriot le chapeau sur la tête, et l’insolence sur le front, criant que le peuple souverain était debout, et qu’il venait dicter ses lois, et qu’Hébert, son second et son imitateur, obtint dans la suite les mêmes satellites et en aussi grand nombre ; oh ! si j’avais eu le malheur de nourrir quelques idées démagogiques, je les aurais perdues à cet épouvantable tableau ; car j’ai pour longtemps dans la mémoire ces physionomies de scélérats, tous vociférateurs, qui concordaient si bien avec celles de Couthon et de Robespierre.

Hébert s’imaginait avoir hérité du secret de ranger toute une Convention sous le joug de quelques oppresseurs, de dresser pour son compte la hache décemvirale, et de punir de mort un geste, un soupir, une parole. Il avait créé aussi des expressions magiques, et il eut dans les tribunes de l’Hôtel de ville ses portefaix, ses tricoteuses, ses hordes, ses pétitionnaires. Enfin, il allait achever le spectacle de l’anarchie la plus complète, si d’autres démagogues n’eussent vu en lui un rival qu’il fallait écarter en l’envoyant au supplice.

La puissance colossale de la commune ne s’en éleva pas moins progressivement jusqu’à la journée du 9 Thermidor.

Marat, par l’immense popularité que lui avait acquise sa feuille sanguinaire, fut le père de toutes les horreurs qui suivirent son affreux règne. Ô gouvernement ! sois fort pour être juste, parce que tu n’es pas sûr en étant juste d’être fort !

  1. 24 mars 1794.