Le nouveau Paris/41

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Paris : Louis-Michaud (p. 144-146).


BONAPARTE À LA SÉANCE PUBLIQUE DE L’INSTITUT NATIONAL, LE 15 NIVÔSE AN VI[1]



Oh ! qu’elle était intéressante, cette assemblée d’hommes connus et distingués, de savants en différents genres, au milieu desquels siégea Bonaparte ! Elle resplendissait ce jour-là de toute la gloire du héros : en vain essaya-t-il de tromper les regards des spectateurs, sous l’habit du plus simple particulier ! c’était lui seul qu’ils cherchaient, et c’était la joie de le posséder que l’on trouvait dans les yeux même des hommes illustres qui étaient en sa présence.

Quel calme régnait dans les traits du conquérant de l’Italie ! on craignait, pour ainsi dire, d’interrompre sa méditation et le repos de son âme. Ce n’étaient plus les sons éclatants de la trompette qui annonce le signal du combat ; une muse en pleurs, jetant des fleurs sur la tombe du pacificateur de la Vendée, moissonné au printemps de la vie, parlait à l’Achille français de son digne et valeureux ami[2] : voilà le sort des guerriers, la mort et la gloire ! et comme ils offrent à la patrie les sacrifices les plus étendus, leur renommée est la plus grande et la plus belle !

De beaux vers, bien récités, firent à peu près dans les âmes la même impression que le bruit du canon, dans les batailles, opère sur les guerriers : tous les esprits s’enflammèrent, et tout le monde se leva à celui-ci.

L’Angleterre pâlit au seul nom l’Italique !

On applaudit encore à cet autre vers où, en parlant de nos jeunes héros, vieux dans l’art des combats, le poète s’est écrié dans un accent prophétique :

Ils franchirent les monts, ils franchiront les mers !

Parmi les portraits gravés de Bonaparte, un seul, celui de Hinselin, a retenu les traits du héros. Je vais prendre aussi mon burin, ou plutôt (car je dois être modeste en parlant de Bonaparte) mon crayon.

Bonaparte est d’une taille moyenne, un peu voûté, mince, d’une corpulence un peu délicate, mais cependant nerveuse, les cheveux châtain foncés, rabattus sur un front large, les yeux grands, bruns, vifs et saillants, le nez aquilin, le menton relevé comme celui de l’Apollon du Belvédère, le teint pâle, les joues enfoncées, la voix libre et posée ; il écoute attentivement ceux qui lui parlent, répond brièvement ; son air est grave mais ouvert ; il n’a point l’austérité qui caractérise la tête de Brutus : on juge à son abord que c’est un homme tempérant, méditatif, mais tenace dans le but qu’il se propose, que ce teint pâle s’enflamme dans une action décisive ; que ce corps est tout nerfs comme celui du lion, qu’il se bat de même ; qu’il est infatigable, et vole comme la foudre au devant de l’ennemi qu’il n’a jamais su craindre ; ce feu est concentré, il le réserve pour les grandes et fortes explosions ; et ce feu n’imprime à aucun de ses mouvements cette inquiétude naturelle aux hommes qui ne sont que vifs et qui ne savent point se posséder.

Sérieux comme Caton, les Français vont apprendre de lui à être graves, à respecter leurs magistrats, leurs représentants, à mépriser les airs évaporés, les calembours qui ne conviennent que dans la bouche des farceurs et des remueurs de polichinelles.

Que tous les républicains se modèlent sur Bonaparte ; et puisqu’ils estiment en lui le sage et le guerrier, qu’ils imitent sa contenance et sa réserve ; qu’ils prennent de sa gravité ce qu’elle a de simple et ce qu’elle comporte de dignité. Moins de paroles annoncera plus de réflexion, et le calme de la physionomie plus de grandeur et de raison. Le sacrilège équivoque qui déshonore plusieurs de nos sociétés et de nos théâtres, ne dénaturera plus le style de la grande nation ; elle saura parler comme elle a su vaincre, sans efforts violents et sans exagérations ; elle sera l’exemple de la sagesse après l’avoir été de la victoire ; et un bon mot créé ou répété par un folliculaire, ne ridiculisera plus chez nous la sainte expression des lois.

  1. Bonaparte remplaça Carnot à l’Institut à la suite du coup d’État du 18 fructidor. (4 septembre 1797).
  2. Hoche.