Le nouveau Paris/44

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Paris : Louis-Michaud (p. 150-152).


SECTIONS



L’histoire aura peine à décrire les imprécations insolentes d’une foule d’énergumènes qui, dans les sections, appelaient à grands cris le désordre et l’extermination : elles formèrent un conseil de la Commune, où tout ce que l’extravagance et la dépravation humaine pouvaient imaginer de plus vil et de plus atroce se débitait chaque jour contre ceux des citoyens de Paris qui avaient quelques moyens d’exister : on s’y battait à coups de chaises, mais on n’en vint jamais aux mains tout de bon. Ces misérables, après quelques débats entre eux, se réunissaient pour faire triompher la Commune de la Convention ; tous leurs conciliabules tendaient à perpétuer les atrocités révolutionnaires. Il sortait de ces conciliabules des pétitions tout à la fois si ridicules et si séditieuses, qu’Isnard, président de la Convention, comme fatigué et harassé des clameurs de ces sections, déclara au nom de la France, que si jamais on portait atteinte à l’inviolabilité de la Convention au milieu des citoyens de Paris, on viendrait un jour sur les rives de la Seine chercher la place où cette ville aurait existé. On ne saurait imaginer le cri que poussèrent tous les conspirateurs à cette déclaration énergique. On ne répétait plus dans Paris que ces mots : la Convention veut détruire la capitale. Les jacobins firent semblant de partager les fureurs des sectionnaires ; Hébert devint un patriote par excellence, un bon magistrat ; l’auréole de Marat devint plus brillante. On cassa la commission des douze, et ce fut là le signal de l’anarchie complète. Le ministre de l’intérieur, Garat, se rangeant par crainte du côté des scélérats, affirmait que tout était tranquille, qu’il n’existait point de conspiration ; et tous les poignards étaient aiguisés ! Un des chefs, Hébert, avait été mis en liberté ; ce fut un véritable triomphe pour cette assemblée de séditieux, et le présage certain de la mort ou de la proscription de ses ennemis. À son arrivée, le bas peuple le couvrit de couronnes et de palmes civiques qu’il alla déposer modestement sur les bustes de Jean-Jacques Rousseau et de Brutus : ils se trouvaient réunis dans le temple de la plus impure démagogie. Ce fut pour avoir fait arrêter trois ou quatre séditieux chargés de crimes, que la commission des douze a été couverte d’opprobre, que la plupart de ses membres ont été traînés à l’échafaud, et que les autres n’ont échappé à la mort qu’en se cachant dans des cavernes, dans des bois, ou en se sauvant dans une terre étrangère. La révolution du 31 mai se fit pour venger une horde d’assassins.

Parmi les audacieux commissaires des sections, on trouve constamment trois ou quatre étrangers, et autant d’escrocs, toujours prêts à faire déclarer la ville de Paris en insurrection contre la tyrannie. Les commissaires, jusqu’au 13 vendémiaire, déclarent : que le peuple est fatigué de la servitude dans laquelle on le retient, qu’ils sont chargés de manifester sa volonté souveraine.

Qu’on se peigne à ces différentes époques les citoyens effrayés, lorsqu’ils entendent battre la générale et sonner le tocsin, se lever, sortir de chez eux pour savoir ce que signifie tout ce bruit, ne rien apprendre, marcher tout armés dans divers quartiers, entourer quelquefois la Convention de trente à quarante mille hommes, ignorant la plupart pourquoi on les avait assemblés.

On a vu toute la ville de Paris sous les armes, sans savoir pour quel motif ; on voyait des écharpes municipales parcourant les faubourgs, et les invitant à marcher au nom du peuple souverain. Un Henriot faisait rouler les canons de tous les points et sur tous les points ; les canons roulaient, rentraient, sortaient le lendemain, lorsque le parti montagnard hurlant et vociférant avait fait décréter que les sections de Paris avaient bien mérité de la patrie.

C’était bien une misérable comédie que le jeu d’une telle journée, mais elle devait se métamorphoser pour toute la France en une source intarissable des plus horribles calamités.

Tous les habitants d’une ville aussi immense que Paris appelés aux armes, donnèrent à la Commune l’audace d’envahir toute l’autorité, après en avoir fait l’essai ; elle devint au grand étonnement de tous une puissance formidable ; les Montagnards se firent alors du conseil de la Commune, comme ils s’étaient faits Jacobins. Ils n’entraient à la Convention que pour la trahir et la dissoudre, et ce qui était pis encore, pour la diffamer. Car ils avaient contraint la Convention à faire elle-même l’éloge de la journée du 31 mai, de sorte que les départements, sans cesse trompés, étaient dans l’ignorance la plus absolue sur ce qui se passait à Paris.

La Commune de Paris, qui l’eût imaginé ? c’est elle qui faisait des lois, et qui les exécutait.

J’ai vu six fois l’enceinte de la Convention investie par la force armée ; j’ai vu les volontaires destinés pour la Vendée, qu’on avait fait revenir sur leurs pas tout exprès pour cette expédition, tourner leurs armes contre les représentants du peuple ; et les citoyens de Paris venus pour les défendre, placés sur les derrières, ignorant absolument ce qui se passait dans l’intérieur de la salle, ou dans ses alentours, sur le point d’être massacrés eux-mêmes, s’ils n’égorgaient pas.