Le nouveau Paris/47

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Paris : Louis-Michaud (p. 155-156).

PARCHEMIN, MONNAIE



Le dogme de la souveraineté nationale fut confirmé d’une manière assez plaisante, car il fut un temps où chaque particulier se croyait en droit de battre monnaie. La disparition du numéraire avait donné cours à une foule de billets de petite valeur, émis par d’obscures maisons de commerce. Les épiciers, les limonadiers écrivirent leurs noms sur des petits morceaux de parchemin, et voilà du numéraire ! Le délire fut poussé jusqu’au dernier excès. Chacun fit son écu.

Une maison, dite de secours, écrasa ceux qu’elle avait secourus, par une faillite considérable. C’était encore au milieu de la pénurie du trésor public, et de la rareté des objets de première nécessité, qu’on agitait la grande question de la garde départementale.

On ne vit jamais rien de tel dans le monde politique. Une Convention nationale, convoquée dans la crise la plus effrayante, et appelée pour parer à une dissolution totale, n’avait aucune force physique quelconque, et était exposée aux outrages des sections et aux poignards des assassins. Une municipalité tenait tout le pouvoir, et se gardait bien de refréner les provocateurs au meurtre : elle fatigua, elle menaça, elle attaqua même tous les députés des départements avec insolence et succès. Le parti d’Orléans, encore incertain à cette époque, se rangea du côté du crime et de l’audace et, se séparant tout à fait de la Gironde, prépara le règne de Robespierre. Louvet qui l’avait constamment deviné, dressa contre lui un acte d’accusation, qui fut malheureusement rejeté. Le ministre Roland fut en butte à tous ces cruels anarchistes. Pache, le plus fourbe des hommes, se jeta dans tous les complots ténébreux, et donna la main à Marat et au duc d’Orléans. La demande de quinze mille livres que le premier avait faite au second après les massacres de Septembre, en dit assez.

Ah ! si l’expulsion de Philippe d’Orléans et de ses fils avait eu lieu, ainsi que le voulaient la sagesse, l’éloquence et la vertu, que de crimes et de malheurs épargnés à la France ! La force du parti d’Orléans fut dans toute cette monnaie de parchemin qu’on distribua de tous côtés ; et quoiqu’elle fut de courte durée, elle devint un ferment d’agitations populaires qui prirent chaque jour un caractère plus effrayant.