Le oui et le non des femmes/00

La bibliothèque libre.
Calman Lévy (p. i-v).
I  ►

AU LECTEUR

C’est à vous, monsieur le lecteur, que je dédie ce livre.

Ne croyez pas à un caprice de ma part, à une étourderie ou, ce qui serait plus formidable encore, à une banalité.

Je vous dédie ce livre pour trois raisons.

Vous êtes mon ami, puisque vous avez acheté ce volume ; alors je vous aime.

Ou mon ennemi, et, dans ce cas, vous vous êtes donné la peine de couper ces pages écrites dans des jours d’ennui ou d’espoir, pour les déchirer ensuite à belles dents.

Ou bien peut-être, cette hypothèse est probablement la plus vraie, n’êtes-vous qu’un indifférent ; tant mieux !

Les indifférents, voyez-vous, c’est encore ce qu’il y a de meilleur.

L’indifférent qui passe sans vous voir sera peut-être votre ami du lendemain ; si, par fâcheuse aventure, il devient votre ennemi, eh bien, on a toujours vingt-quatre heures devant soi pour se préparer à la lutte.

Vingt-quatre heures ! une éternité pour la haine, une minute pour l’amour.

À l’ami, je dédie ce livre comme une protestation affectueuse et reconnaissante, comme une poignée de main, comme un merci.

À l’ennemi, je dédie ce livre comme un défi, comme un remords, afin que, plus tard, quand il causera avec sa conscience troublée par les bruits de la nuit, une voix qu’il n’invoquait pas vienne lui crier : « Vous avez eu tort de railler le travail, vous qui n’avez rien fait et ne savez rien que le mal. »

À l’indifférent, je dédie ce livre, afin qu’en entendant ma chanson du soir, il se retourne et sourie au doux refrain de la volonté.

Ô indifférent lecteur ! si vous passez sans retourner la tête, si vous continuez de siffloter entre vos dents l’air de chasse commencé, allez, je vous pardonne, car vous n’avez jamais aimé, jamais souffert.

Mais si, au contraire, après avoir fixé vos regards un instant, vous vous dites que, si la cigale est moins utile que la fourmi, elle est plus amusante, j’aurai atteint un but qui serait glorieux pour moi s’il n’était charmant.

Peut-être allez-vous croire que j’allais vous dire : « Je ne suis qu’une faible femme ! » Absurde ! si j’étais faible, je ne serais pas femme.

Je voulais simplement que vous sussiez que ceci n’est point une histoire, encore moins une autobiographie ou un plaidoyer.

J’ai cherché un cadre pour définir certaines aspirations, certaines théories qui viennent dans la tête d’une femme sans qu’on sache comment et qui s’en vont de même.

Plus tard, je ferai un autre livre bien différent, parce qu’il contiendra les vérités vraies de la vie, dont celui-ci n’est que l’ombre.

Mathilde Stev.