Le second Siège de Constantine (octobre 1837)

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Le second Siège de Constantine (octobre 1837)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 86 (p. 769-804).
LE SECOND SIÈGE
DE
CONSTANTINE
— OCTOBRE 1837 —

La France, par l’organe du roi et des chambres, avait indiqué le but qu’elle voulait désormais poursuivre dans la province de Constantine. De gré ou de force, le drapeau tricolore devait être arboré sur les murs de Constantine. Youssouf avait été éloigné; ce n’était plus son intronisation, c’était la soumission ou le renversement d’Achmed que l’armée devait effectuer.

Les moyens nécessaires à l’accomplissement de cette tâche étaient à renouveler presque en entier, car la dernière campagne avait consommé ou mis hors de service à peu près tout ce qui y avait été employé. Tout devait être tiré de France, et, la distance de Bône à Constantine étant un des principaux obstacles à vaincre et l’une des causes de l’échec de l’année précédente, on avait songé à changer la base d’opérations et à suivre une nouvelle ligne par Stora, point du littoral le plus rapproché de Constantine, dont il n’était éloigné que de 18 lieues; mais la crainte de l’inconnu, qui est presque toujours un ennemi en Afrique, et surtout l’importance politique que le colonel Duvivier avait su donner à Guelma, déterminèrent à suivre encore le sillon déjà péniblement tracé.

Des travaux considérables avaient d’ailleurs été exécutés sur cette ligne; on n’osa les laisser stériles. Une route carrossable de Bône au gué de la Seybouse, gardée par les camps intermédiaires de Dréan, Nechmeya et Hammam-Berda, assurait la communication avec Guelma. Ces ruines désertes, animées par le drapeau de la Francs, talisman dont un chef habile comprend la valeur et féconde la puissance, étaient devenues un établissement complet, d’où le colonel Duvivier avait soumis tout le pays jusqu’au Ras-el-Akba.

Ces résultats avaient été obtenus avec une poignée de soldats malades pendant cette période de pluies continues que les Arabes passent dans l’inaction, car l’homme civilisé seul agit en tout temps, le barbare n’a qu’une saison pour guerroyer, et lorsqu’au printemps Achmed tenta d’arracher ses conquêtes à l’homme de fer qui avait veillé pendant sa léthargie, ce fut en vain.

Battu en personne le 24 mai 1837, discrédité auprès des tribus qu’il ne savait pas défendre contre les coups de main hardis de la garnison de Guelma (25 juin), le bey voulut tenter un nouvel effort pour se débarrasser de ce ver rongeur.

Le 16 juillet au matin, Ben-Hamelaoui, un des khalifas du bey, menace les douars voisins du fort de Guelma, devant lequel il défile avec 4,000 chevaux et 1,000 hommes d’infanterie régulière (Turcs et Kabyles). Pour répondre à cette provocation, qu’il ne peut dédaigner à moins de refuser aux tribus soumises cette protection, le premier et le plus difficile des devoirs imposés par la conquête, le colonel Duvivier a seulement 100 chevaux, 2 obusiers de montagne et 600 hommes d’infanterie du 11e de ligne et des tirailleurs d’Afrique, corps de nouvelle formation qui s’éteignit sur la brèche de Constantine, après s’être consumé à Guelma. Avec cette petite troupe, dont aucun homme n’a échappé à la fièvre, il n’hésita pas à suivre l’ennemi, qui s’éloigne pour attirer les Français loin de leur camp. Après une marche de 2 lieues, la colonne, au sortir d’un ravin escarpé, déboucha sur un plateau à ondulations plus douces, mais parsemé de broussailles; c’était le terrain choisi par les Arabes pour écraser les Français, accablés par une chaleur caniculaire, aveuglés et étouffés par la flamme et la fumée de toute la plaine incendiée autour d’eux. Les 4,000 cavaliers de Ben-Hamelaoui, déployés sur une ligne assez étendue, pressent aussitôt le colonel Duvivier sur son front. Dès qu’ils ont gagné quelque terrain, deux corps de cavalerie se détachent de la masse principale, qui continue d’entretenir une vive fusillade : l’un prendra les Français à dos et les empêchera de s’appuyer en arrière au ravin ; l’autre tournera leur droite, tandis que l’infanterie, jusqu’alors tenue en réserve, prolongera ce mouvement, et, masquée par des broussailles, débordera l’extrême droite. Le colonel Duvivier s’arrête et partage ses 600 fantassins en trois petites colonnes espacées à grande distance, avec un détachement de sapeurs pour réserve. Ce sont, pour ainsi dire, trois forts détachés élevés instantanément autour de la position qu’il veut défendre, et contre laquelle, il le sait, la fougue arabe viendra se briser, s’il ne compliqua point sa situation critique par une marche toujours bien dangereuse en nombre si inférieur. Les 100 chasseurs à cheval et une des petites colonnes d’infanterie contiennent les Arabes qui cherchaient à couper les Français par derrière; mais vers la droite des flots de cavaliers s’approchent en faisant un feu en échiquier. « En avant, en avant! Ils sont si peu, s’écrient-ils, que nous les emporterons tous sur un seul cheval. » Déjà ils agitent leurs burnous, on les entend s’exciter à la charge sans être intimidas par la mitraille du seul obusier qu’on puisse leur opposer, l’affût de l’autre pièce s’étant brisé au début du combat.

Cette masse pénètre dans les intervalles des colonnes, trop séparées pour se soutenir mutuellement; c’en est fait des 735 Français, ils périront jusqu’au dernier! Le colonel Duvivier porte rapidement en avant sa colonne de droite, place lui-même les guides, comme à la manœuvre; le demi-bataillon se déploie à la course; des feux de peloton, vivement répétés et ajustés avec sang-froid, renversent la cavalerie, qui s’arrête et tâtonne. Mais un danger plus pressant reste à vaincre : l’infanterie turque s’avance en colonne serrée, drapeau en tête, et précédée d’une ligne de tirailleurs perpendiculaire à l’arrière du flanc droit des Français ; c’est encore le demi-bataillon des tirailleurs d’Afrique, commandé par le brave Pâté, qui, en exécutant rapidement un changement de front, la droite en arrière, fait face à ce nouvel ennemi. De nouveaux feux de peloton, à portée de pistolet, abattent toute la tête de la colonne turque; 100 des plus braves tombent morts, deux porte-drapeaux sont tués, enfin le troisième recule, l’infanterie s’éloigne, et le détachement de sapeurs achève de la mettre en désordre.

Ces musulmans, qu’un chef vigoureux eût encore ramenés à l’attaque, n’étaient plus qu’une cohue sans direction, car Ben-Hamelaoui, plus habitué aux intrigues du sérail qu’aux émotions de la guerre, s’était enfui, et, après une course de 25 lieues sans reprendre haleine, il ne s’était arrêté qu’à Constantine, où il apaisa par de riches présens la juste colère de son maître, encore plus cupide qu’ambitieux.

Ce brillant combat, exemple frappant de ce que l’emploi opportun de la tactique européenne peut contre le grand nombre, ne coûta aux Français que 68 tués ou blessés; le colonel Duvivier, maître du champ de bataille, les rapporta tous dans le fort de Guelma, contre lequel l’ennemi, dispersé et découragé, n’osa plus rien entreprendre. L’importance de ce poste était surtout politique; séparé de la route directe de Constantine par le cours torrentueux de la Seybouse, il ne réunissait pas toutes les conditions propres à en faire le point de départ d’une expédition contre cette ville. La place d’armes qui devait servir de dépôt pour le personnel et le matériel et de lieu de formation pour l’armée lut choisie en un endroit appelé Medjez-Amar, au pied des premières pentes du Ras-el-Akba, là où la trace parcourue l’année précédente traverse la Seybouse, de manière à avoir une tête de pont sur cette rivière, et à se rapprocher de Constantine autant qu’il était possible sans compliquer les préparatifs par de fréquens passages de l’Atlas.

Ce camp, situé au fond d’une vallée étroite, entourée de hauteurs qui se dominent successivement à mesure qu’elles s’éloignent, avait été désigné par des considérations purement stratégiques, et était loin de présenter les avantages d’une facile défense. La recherche d’un défilement qui demeura toujours très imparfait et le développement exagéré d’un ouvrage destiné à contenir, outre de nombreux magasins, tout le matériel de l’armée, imposèrent aux travailleurs des fatigues qui eussent été excessives pour des troupes moins endurcies que les 23e et 47e régimens, récemment arrivés d’Oran. En peu de jours, 5 bataillons et 4 compagnies de sapeurs avaient exécuté dans un terrain pierreux, et par une chaleur moyenne de 34 degrés, une tête de pont de plus 900 mètres de développement sur la rive gauche de la Seybouse, avec un relief énorme sans être efficace, et sur la rive droite un fort de 300 mètres, en bonnet de prêtre, reliés ensemble par des ponts de chevalets pour l’infanterie et des rampes pour les voitures. Un réduit intérieur avec ambulance, manutention, fours en tôle à la Dufour, donnant 20,000 rations par jour, et fours de campagne, complétait ce vaste et médiocre ouvrage, entrepris peu après l’arrivée à Bône du général en chef de Damrémont, et terminé dans le courant d’août, ainsi que la route carrossable, jusqu’au sommet du Ras-el-Akba, à 24 lieues de Bône.

Le camp de Medjez-Amar était le berceau du corps expéditionnaire; mais celui-ci était bien loin encore de pouvoir en sortir armé de toutes pièces, comme Minerve du cerveau de Jupiter. Achmed n’avait pas eu besoin de contrarier ces travaux menaçans, des attaques eussent irrité les Français : il était plus certain de les retarder par des négociations, et il comptait sur les mille subterfuges de la diplomatie orientale, si habile à entretenir des espérances chimériques, pour endormir ses adversaires jusqu’au moment où la saison viendrait à son aide.

Était-ce la fermeté qui s’adjuge l’avenir avant même d’avoir conquis le présent, ou bien cette tendance générale à se soustraire par des devoirs éloignés aux impérieuses obligations du moment, qui poussait la France à se préoccuper bien moins des moyens de prendre Constantine que de la difficulté de garder une ville qu’on n’avait pas conquise ni su conquérir? De la crainte de se créer Là un nouveau Tlemcen avec tous ses embarras naquit le désir de faire garder les murs de Constantine par Achmed-Bey lui-même au nom et sous l’autorité directe de la France. C’était lui demander de faire de lui-même après sa victoire ce qu’on n’eût pas pu lui faire accepter après sa défaite, et cependant on se berça de cette illusion et on négligea des préparatifs aussi nécessaires pour la paix que pour la guerre, car avec les Arabes il faut être plus fort pour négocier que pour combattre.

Le personnel tiré des autres divisions de l’armée d’Afrique et les renforts expédiés de France arrivaient lentement; le mois de septembre, le dernier mois de beau temps, était déjà entamé : rien n’était prêt, rien n’était résolu. Le général de Damrémont fit cesser une indécision qui avait pu jusqu’alors protéger certains travaux, mais qui ne profitait plus désormais qu’à l’ennemi. Achmed, sommé de choisir entre la soumission ou la guerre, se croit assez fort pour braver impunément les chrétiens et lève le masque.

Il a intéressé à sa cause le grand sultan de Constantinople. Mahmoud, maître de Tripoli de Barbarie, a frété une flotte avec des troupes de débarquement pour s’emparer de Tunis, et donner ainsi la main au pacha de Constantine.

Les pluies approchent, les pluies déjà une fois victorieuses. Achmed compte aussi sur elles; il craint même que les élémens, venant trop tôt à son secours, ne laissent pas arriver les chrétiens jusque sous les murs de Constantine, contre lesquels il se croit certain de voir tous les efforts se briser.

Constantine, en effet, était devenue un centre terrible de résistance. Les avertissemens de 1836 n’avaient pas été stériles pour le fidèle et actif Ben-Aïssa : l’attaque des Français lui avait indiqué les points les moins forts de cette place, dont aucun point n’est faible, et il avait employé à les corriger toutes les ressources d’un esprit inventif, quoique ignorant.

La porte d’El-Kantara avait été murée en pierres de taille, surmontée d’une batterie couverte et de deux étages de feux. Un mur avec chemin de ronde, flanqué par des maisons crénelées, ajoutait une défense, assez inutile du reste, à l’escarpement du rocher sur lequel la ville est assise. A son sommet, la casbah avait été réparée, armée de mortiers et de pièces de gros calibre tirant par embrasures en terre; mais c’était principalement sur la face de Coudiat-Aty que l’instinct guerrier de Ben-Aïssa avait multiplié les défenses.

La plupart des 63 bouches à feu dont il avait garni les remparts battaient ce front d’attaque; une ligne de batteries casematées surmontait une haute et épaisse muraille de granit, dont le pied avait été soigneusement déblayé. Tous les parapets, les murs intérieurs, les maisons bâties en amphithéâtre, avaient été crénelés de manière à permettre à des hommes à rangs serrés de tirer à couvert de partout, et souvent par trois étages de feux. Pour qu’aucun point ne fût dérobé à leur vue, le faubourg de Coudiat-Aty, même les écuries du bey, au Bardo, avaient été rasés.

Constantine eût été imprenable, si Ben-Aïssa, écoutant les conseils des aventuriers européens qui parvinrent jusque dans cette ville, avait élevé un fort sur le piton de Coudiat-Aty, et coupé par un fossé avec glacis l’isthme étroit par lequel seul la ville tient à la terre; mais, heureusement pour la France, le sauvage Kabyle ne comprenait point les finesses de l’art de l’ingénieur. Dominé par sa méfiance et son mépris pour tout étranger, il chassa les officieux donneurs d’avis, et traita cavalièrement même les envoyés de la Porte ottomane, car il n’avait confiance qu’en lui-même et dans la garnison qu’il avait accrue et exercée.

A côté de l’infanterie turque et kabyle, portée à 1,500 combattans, avec des officiers choisis parmi les plus braves, il avait formé en une milice urbaine, forte de 2,000 hommes bien armés, les corporations de métiers commandées par leurs amyns ou syndics, sous l’autorité de Bel-Bedjaoui, caïd-ed-dar (le chef du palais). Turc vigoureux et passionné; mais l’élite de la garnison, qui, avec les Kabyles du voisinage, pouvait facilement être portée à 6,000 hommes, c’étaient les 500 canonniers, tous Turcs du Levant, et recrutés un à un pour leur adresse et leur bravoure. A défaut d’enseignement théorique, le bach-palaouau (le chef des hercules), qui les commandait, leur avait donné la meilleure instruction pratique en les exerçant à tirer sur tous les points où les assiègeans s’étaient établis l’année précédente, et sur ceux où les batteries pouvaient être construites, et les Français purent certifier plus tard qu’ils savaient leur métier.

Ces troupes, fanatisées par les prédications quotidiennes des muphtis, avaient pour réserve une population enivrée d’un premier succès, et qui avait vivres, poudre et armes à discrétion, car Ben-Aïssa avait accumulé les moyens de guerre, approvisionné la ville pour deux mois en grains et biscuits, et ordonné en outre à chaque habitant de se pourvoir de vivres pour lui et les siens. Il avait enlevé tout prétexte à la mollesse : il traita en ennemie l’apparence de l’inquiétude, et punit de mort et de confiscation les tentatives d’émigration des riches habitans, qui, comme partout, craignaient moins la victoire de l’étranger que le devoir de le combattre. Appuyé sur une défense aussi complète, Achmed répondit avec une insolente arrogance au général de Damrémont, et lui imposa la glorieuse nécessité d’aller prendre cette ville qui ne voulait pas se rendre.

La France releva fièrement le gant qui lui était jeté, et fit preuve de virilité en regagnant le temps que les illusions lui avaient fait perdre. Toute la jeunesse militaire tressaillit à l’annonce d’une vengeance guerrière. Chacun brigua l’honneur d’une place dans cette députation de l’armée française, conviée à un tournoi que tant de circonstances rendaient dramatique et solennel. Les vides ouverts par le feu et la maladie dans les rangs des vieilles bandes africaines fournirent de la place à ces soldats exempts d’ambition, que le seul bouillonnement du sang et l’attrait du péril entraînaient en foule, du fond de leur garnison, vers Constantine. Les officiers des régimens de l’intérieur furent moins heureux : la plupart virent encore tristement se refermer devant eux la porte, si rarement ouverte, qui mène à la gloire, et les favorisés payèrent avec leur sang, ou en versant celui de l’ennemi, une exception bien enviée. Parmi ces rares élus on remarquait le prince de la Moskova, jaloux de soutenir le fardeau d’un si grand nom, le capitaine de Richepanse, brûlant de venger la mort de son infortuné frère, le baron de Frossard, qui représenta sur la brèche la garde nationale parisienne.

Les oisives armées d’Europe ressentirent le contre-coup de l’enthousiasme qui animait le militaire français, et envoyèrent de nombreux volontaires pour assister au siège si attrayant de « la ville du diable. » Ces étrangers, trop facilement accueillis dans nos rangs, ne méritèrent pas tous ce droit de bourgeoisie, dont ils n’usent en général que pour étudier nos défauts et notre côté faible. En les renfermant dans le cercle étroit d’une hospitalité officielle, on ne devrait jamais oublier que l’armée française a l’honneur d’être, à elle seule, la rivale de toutes les armées étrangères, si souvent unies entre elles pour ne former, par leur union contre la France, qu’une même et unique phalange européenne. Parmi ces dilettanti di guerra, trois arrivèrent trop tard, et auraient eu des titres à être admis en première ligne, car c’étaient des officiers de cette armée prussienne ardente à saisir toutes les occasions de s’instruire, et estimée de ceux-là mêmes qui doivent la combattre, car elle est nationale et patriote.

La certitude du combat, qui excitait un élan si général, venait, à la dernière heure, imposer de nouveaux devoirs au gouvernement, talonné par l’inexorable saison et résolu à prendre Constantine sur-le-champ et à tout prix. Il se mit activement à l’œuvre, afin de compléter des moyens qu’on s’était habitué à regarder comme suffisans pour une entreprise problématique, et qui se trouvèrent bien impuissans lorsqu’il fallut sérieusement entrer en campagne. En faisant jouer à la fois tous les ressorts d’une civilisation puissante et d’un pouvoir fortement centralisé, on prouva qu’il n’est jamais trop tard pour un grand peuple rendu à ses allures naturelles. Ainsi bien souvent l’ouvrier insouciant, mais capable, réussit encore mieux par son génie et ses efforts tardifs que la médiocrité laborieuse par une application continue.

Le télégraphe, la vapeur et une estafette de Bône et de Medjez-Amar permirent de communiquer en trois jours, de Paris au pied de l’Atlas, avec les avant-postes du corps expéditionnaire, placé entre deux nécessités contraires, le départ immédiat et l’attente des renforts.

Les chefs les plus habiles et les plus éminens furent désignés pour seconder le général de Damrémont dans l’accomplissement d’une tâche pour laquelle rien ne devait être négligé, car elle importait à l’honneur de la France. Le roi fit chercher dans la retraite, d’où il ne comptait plus sortir, pour lui confier la direction si laborieuse du service de l’artillerie, le lieutenant-général comte Valée, incontestablement le premier artilleur de l’Europe. Dévoué et modeste, comme Boufflers vis-à-vis de Villars, il partit malade pour aller, en bravant un climat meurtrier, faire sa dix-septième campagne et son vingt-deuxième siège sous les ordres du général de Damrémont, qui n’était encore que capitaine lorsque lui était déjà lieutenant-général sur la brèche de Taragone.

Le lieutenant-général baron Rohault de Fleury, connu par son énergie et son noble caractère, fut placé à la tête de l’arme du génie.

Le duc de Nemours, revenu à l’avant-garde de cette armée dont il avait partagé les souffrances; le général Trézel, qui n’avait guéri sa grave blessure que par de nouvelles fatigues; le général RuIhières, l’un des chaînons qui rattachent les traditions glorieuses de l’ancienne armée avec les espérances de la nouvelle; les colonels Combes et Bernelle, déjà connus par de beaux faits d’armes, reçurent le commandement des brigades.

Une escadre, partie de Toulon, enlève à Achmed l’appui qu’il attendait de Tunis; l’amiral Lalande, avec cinq vaisseaux de ligne, s’embosse devant la Goulette. Le complot ourdi par les Turcs est déjoué; les principaux conspirateurs, parmi lesquels se trouvait un ministre du bey, sont étranglés par ordre et en présence de ce prince, et le capitan-pacha, devancé par les Français, n’arrive que pour assister au triomphe de leur influence.

La flotte ne borne pas à cette diversion son utile assistance. Par une abnégation rare, et qui prend sa source dans le véritable patriotisme, la marine transforme en flûtes ses vaisseaux de haut bord, et, malgré le danger d’une côte sans abri pour de si grands bâtimens, elle les emploie à des transports multipliés, où ils embarquent jusqu’à 12 millions de livres pesant avec 14,000 passagers. Trop souvent les diverses armes croient déroger en sortant de leur spécialité principale pour devenir des auxiliaires subordonnés : les marins, au-dessus de ce préjugé égoïste qui a causé plus d’une défaite à la France, se sentent élevés et ennoblis par le service du pays, sous quelque forme qu’ils s’y consacrent; ils vont jusqu’à donner à l’armée de terre leurs poudres, leurs vivres, leurs toiles, leurs effets de tout genre, pour gagner encore du temps, même sur la rapidité de leurs voyages.

Ce généreux concours, cette confraternité si efficace, rapprochent de jour en jour le moment impatiemment attendu où le corps expéditionnaire sera complété. A mesure que les renforts arrivent à Bône, ils s’échelonnent sur Medjez-Amar; mais cette ressource si précieuse manque tout à coup.

Le choléra, qui a franchi de nouveau la Méditerranée dans les rangs du 12e régiment, débarque à Bône. Aussitôt les intendances sanitaires, ce remède pire que le mal, car le mal passe et le remède reste, ce fléau absurde et rétrograde qui sépare des pays que le mouvement du siècle tend, pour leur bonheur, à rapprocher, les intendances sanitaires arrêtent la formation de colonne serrée qui s’opérait sur Medjez-Amar. Sous le prétexte de circonscrire le choléra, qu’aucun cordon n’a pu arrêter, et qui s’est joué de toutes les entraves apportées à sa marche capricieuse, la santé de Bône fait prisonniers le 12e régiment et les détachemens destinés à l’artillerie et à l’administration; les chevaux seuls, qui n’ont pas l’honneur d’être déclarés « corps contumaces, » sont mis, sans harnais et sans conducteurs, à la disposition de l’armée.

Les relations de Bône avec tout le littoral de la Méditerranée sont grevées de longues quarantaines imposées par une autorité anonyme et absolue qui se met au-dessus de tous les pouvoirs parce qu’elle s’appuie sur les intérêts aveugles de l’égoïsme individuel. Il devient dès lors impossible de compléter ce qui manque encore à la colonne expéditionnaire : séparée de la France, elle est, comme Antée, séparée de la terre.

Il faut agir avec les moyens tels quels déjà réunis, ou attendre encore un an l’heure déjà trop reculée de la revanche; la maladie fait de nouveau à l’armée la situation où la politique l’avait acculée l’année précédente. Chaque jour énerve les troupes. On est menacé de la peste, qui s’approche de Tunis par Tripoli, où elle est entrée avec les Turcs. La chaude et électrique humidité des premières pluies a déjà annoncé la fin de la belle saison, et elle avertit que le climat va cesser d’être l’auxiliaire de l’attaque pour devenir l’appui de la défense : 2,400 malades sont entassés à Bône; les hôpitaux s’encombrent rapidement et par la même cause que l’année précédente, parce que les troupes n’ont pu être ni réunies simultanément ni mises en mouvement sur l’heure. Un sentiment d’humanité mal entendu a fait relever fréquemment les garnisons des camps les plus insalubres et inoculé ainsi la fièvre dans tous les corps, au lieu de lui avoir marqué et livré sa proie, comme un général en chef doit savoir le faire. La maladie est une voie d’eau qui gagne sur les pompes depuis que les évacuations sur d’autres points sont devenues impossibles. Il n’est pas permis de fuir le choléra; il faut l’attendre sur un grabat, comme on attend le muet qui apporte le cordon. Les santés d’Alger et de Marseille ont renvoyé mourir en pleine mer les malades venant de Bône, après leur avoir obstinément refusé le débarquement, et le bon et humain général de Damrémont n’eut plus le courage d’exposer ses soldats à de semblables rigueurs.

Pressé par les impossibilités qui s’amoncellent autour de lui, il les brave en homme de cœur. Il sait que l’enjeu cette fois est bien supérieur aux intérêts et aux proportions de la guerre d’Afrique; il sent que la France est appelée à donner au monde la mesure de son énergie. Il se dévoue pour répondre aux espérances de la patrie, aux ordres de son gouvernement, et il se décide à marcher sur Constantine.

Les deux dernières semaines de septembre furent à peine suffisantes pour constituer la colonne d’opérations, obligée d’emporter tout avec elle, même son bois, et l’on use à ces pénibles préparatifs les moyens déjà trop comptés qui doivent servir à l’action.

Bône se vide vite, mais Medjez-Amar se remplit lentement, car chaque voyage du convoi n’y fait entrer en magasin que le faible excédant des vivres apportés sur les besoins d’une garnison nombreuse. Le général en chef se hâte de la réduire pour accroître plus rapidement la réserve des approvisionnemens, et, rassuré par ses reconnaissances sur l’attitude d’un adversaire qui n’a pas même détruit la route du Ras-el-Akba, placée sous la sauvegarde de la paresse arabe, il ramène à Bône la plupart des troupes.

Achmed apprend que le général de Damrémont a retiré toute la cavalerie de Medjez-Amar, et, certain dès lors de ne pas être poursuivi, il saisit aussitôt l’occasion de sortir, sans avoir l’air de fuir Constantine, où il ne veut à aucun prix rester enfermé. Il rassemble 3,000 cavaliers et 2,500 fantassins, dont 500 réguliers, à Hammam-Meskhoutin (les bains maudits), lieu étrange, célèbre dans les légendes superstitieuses des Arabes.

Le 23 septembre, l’attaque, annoncée la veille par des tirailleries sans résultat, commence dès sept heures du matin.

Prendre Medjez-Amar eût été anéantir l’expédition française, en brisant l’œuf avant qu’il fût éclos. Achmed était incapable de se sauver par un expédient aussi énergique; il voulait seulement parader à cheval avec Osman-Chaouch, l’envoyé de la Porte, devant des retranchemens qu’il savait ne renfermer que des fantassins ; mais ses braves Turcs et Kabyles, s’échauffant au combat, outrepassèrent les ordres timides de leur maître.

Les cavaliers arabes s’étaient d’abord répandus sur tout le front du camp pour jeter de l’incertitude sur leurs desseins ; ils se concentrèrent même peu à peu vers la gauche de la position, où le feu devint nourri ; puis tout à coup, à l’extrême droite, les troupes régulières du bey, précédées et suivies par des essaims de Kabyles, s’avancèrent, au bruit d’une musique infernale et avec des cris rauques, vers un mamelon qui domine, à portée de fusil, l’intérieur de l’ouvrage.

Le général Rulhières avait deviné cette manœuvre. Pendant la nuit précédente, ce point, le plus faible d’une position déjà très faible par elle-même, avait été garni d’abattis dont la défense était confiée au lieutenant-colonel de Lamoricière avec un bataillon de zouaves, les compagnies d’élite des 47e et 2e légers, et deux obusiers de montagne. La mitraille et la fusillade des troupes embusquées derrière ces parapets improvisés arrêtent les musulmans, mais sans amortir une ardeur nécessairement stérile avec un chef comme Achmed, qui n’a jamais essayé d’enlever un convoi, et qui attend, pour envoyer ses soldats se faire tuer en nous attaquant, que les retranchemens, dont on n’a point entravé la construction, soient terminés. Une dernière fois, les Turcs remontent intrépidement jusque sur la crête du mamelon ; une sortie, faite avec élan et à propos par les Français, ne laisse pas aux ennemis, qui tourbillonnent et plient de nouveau, le temps d’emporter tous les morts dont le sol est jonché. Ils redescendent du mamelon et se cachent dans les plis du terrain ; ils continuent à grande portée une fusillade sans but, qui était plutôt une déclaration de guerre qu’un danger, et, lorsqu’ils ont épuisé leurs munitions, ils se retirent, donnant rendez-vous aux chrétiens devant Constantine.

Huit jours après, les Français étaient en route pour répondre à cette dernière et insolente provocation[1]. Il n’y avait pas 11,000 hommes pour combattre, mais il y en avait, y compris l’administration et les non-valeurs, 13,000 à nourrir, plus environ 350 chevaux et mulets, et c’était là, comme toujours, la plus grande difficulté.

Tous les services étaient demeurés incomplets; les expédiens de l’esprit n’avaient pu suppléer à l’absence des ressources rigoureusement nécessaires et à l’imperfection des détails. Dans la pénurie générale, l’arme de l’artillerie était encore, relativement parlant, la moins mal partagée : c’est que la faiblesse de l’effectif ne permettait ni d’investir la place ni de passer par les lenteurs méthodiques d’un siège régulier qui eut exigé des convois de retour à Medjez-Amar. L’artillerie, qui possédait les moyens les plus énergiques et les plus prompts, devait être le principal instrument d’une attaque brusquée, la seule par laquelle l’armée eût chance de se soustraire à la famine, à la défaite, à la mort et à la honte.

PREMIÈRE BRIGADE, SON ALTESSE ROYALE M. LE DUC DE NEMOURS, MARÉCHAL DE CAMP.

Premier bataillon, zouaves : lieutenant-colonel de Lamoricière ;
Premier bataillon, 2e léger : lieutenant-colonel de Lamoricière ;
Deux bataillons, 17e léger, colonel Corbin;
Deux escadrons, spahis réguliers, capitaine de Mirbeck;
Deux escadrons, 3e chasseurs d’Afrique, colonel Lanneau;
Deux obusiers de montagne;
Deux pièces de campagne.

DEUXIÈME BRIGADE, GÉNÉRAL TRÉZEL.

Spahis irréguliers : colonel Duvivier ;
Turcs à pied : colonel Duvivier;
Compagnie franche de Bougie, capitaine Guignard;
Tirailleurs d’Afrique, commandant Pâté;
Un bataillon, 11e de ligne, commandant Riban;
Deux bataillons, 23e de ligne, lieutenant-colonel de Bourgon;
Deux obusiers de montagne;
Deux pièces de campagne.

TROISIÈME BRIGADE, GÉNÉRAL RULHIÈRES.

Bataillon léger d’Afrique (3e), commandant de Montréal;
Bataillon légion étrangère, commandant Bedeau;
Premier bataillon, 26e de ligne, lieutenant-colonel Grégoire;
Deux escadrons, spahis réguliers;
Deux escadrons, 1er chasseurs d’Afrique, commandant Dubern;
Quatre obusiers de montagne.

QUATRIÈME BRIGADE, COLONEL COMBES.

Deux bataillons, 47e de ligne, lieutenant-colonel de Beaufort;
Deux obusiers de montagne;
Deux pièces de campagne.
C’est-à-dire quatorze bataillons, formant sept mille hommes d’infanterie;
Douze escadrons, dont quatre de spahis, ne donnant que 1,500 hommes de cavalerie;
Douze cents hommes d’artillerie;
Mille hommes du génie.

Le matériel, transporté par 1,200 chevaux ou mulets et 126 voitures, se composait de 33 bouches à feu, dont.10 de montagne, approvisionnées de 140 coups, — 6 de campagne, approvisionnées de 180 coups, et 17 de siège, savoir : 3 mortiers de 8 pouces, 4 obusiers de 6 pouces, 2 obusiers de 8 pouces, 4 canons de 16, et enfin 4 canons de 24, emmenés par la tenace conviction du général Valée, malgré la résistance de ceux dont la légèreté dédaigneuse eût fait échouer la campagne, si l’on eût écouté leurs avis. Le parc, qui contenait en outre 200 fusées de guerre, 50 fusils de rempart, des passerelles pour l’infanterie et une réserve de 500,000 cartouches, n’emportait que 200 coups par pièce de siège; c’était encore une limite posée à l’action si restreinte de l’armée française. Déjà, faute de vivres, il lui fallait vaincre avant une heure bien prochaine; il lui fallait aussi, faute de poudre, vaincre par un nombre de boulets comptés. C’était jouer une de ces parties d’échecs où l’on s’oblige à faire son adversaire mat en tant de coups et à telle case, sous peine de perdre. Cette partie-là ne réussit qu’aux joueurs les plus transcendans ; le général Valée la gagna. L’organisation classique et digne d’être étudiée qu’il avait donnée à son artillerie en avait doublé la force et la valeur.

Le génie s’était dépouillé de 100 chevaux et de 20 voitures prêtées à l’administration pour assurer les vivres du corps expéditionnaire jusqu’au moment où il les recevrait de la victoire. Le général Fleury fit généreusement à l’intérêt commun le sacrifice de la moitié de son matériel, et il s’attacha exclusivement à emporter 40,000 sacs à terre pour cheminer sur le roc nu de Constantine et suppléer à l’absence de bois pour gabions et fascines. Ils furent un précieux moyen d’accélérer une attaque pour laquelle les hommes et le temps manquaient également.

La cavalerie, trop peu nombreuse et disséminée dans les brigades, ne pouvait être et ne fut employée qu’à éloigner de la route du convoi un ennemi plus taquin qu’entreprenant.

C’était surtout d’infanterie qu’on était dépourvu. Ce qu’il y en avait était excellent; c’était un alliage de vieux soldats et de jeunes volontaires conduits par des officiers aguerris et vivifiés par ce qui fait les bonnes troupes : une noble passion et le sentiment d’un grand devoir. L’ardeur de ces masses intelligentes n’était pas l’enthousiasme présomptueux et peu durable de militaires novices appelant le danger sans le connaître; c’était la fermeté réfléchie et sereine de guerriers éprouvés, ayant mesuré le péril et marchant à sa rencontre avec la volonté de le dompter à tout prix.

Les fantassins avaient quitté les buffleteries, la giberne, le sabre-poignard et la couverture, pour porter seulement le sac de campagne et une cartouchière suspendue au col et à la ceinture. Il avait fallu sept ans pour faire adopter cet équipement, destiné à devenir un jour celui de toutes les troupes à pied, parce qu’il est le plus propre à la mobilité, premier besoin de la stratégie et de la tactique modernes. Encore ne serait-on pas si tôt parvenu à vaincre la routine, s’il n’avait pas fallu, dans cette expédition, débarrasser le soldat d’une partie de son incommode accoutrement pour lui faire porter, sans dépasser les forces humaines, outre son fusil et son sac, 60 cartouches, huit jours de vivres et un fagot de 4 livres, pouvant servir, avec un grand bâton tenu à la main, à faire trois fois cuire la soupe.

Après avoir extrait des rangs déjà très peu nombreux de l’infanterie une garnison pour Medjez-Amar, qu’il importait de mettre à l’abri d’un coup de main, et prélevé des auxiliaires pour le génie et l’administration, dont les conducteurs et les infirmiers étaient enfermés dans le lazaret de Bône, à peine restait-il 6,000 baïonnettes. Pouvait-on, avec si peu de troupes, garder contre le dehors et le dedans toutes les positions du siège, en même temps que travailler et prendre la place? Ce n’était même pas assez pour l’escorte des bagages, grossis outre mesure par la faiblesse même de l’infanterie, qui rendait impossibles les détachemens et les convois successifs, et obligeait à tout emporter avec soi de prime abord.

Les parcs de l’administration, de l’artillerie et du génie comptaient seuls 300 voitures et 600 mulets de bât. Chaque voiture, avec sa distance, occupait au moins 10 toises; c’était 3,000 toises ou une lieue et demie de long à garder des deux côtés, dans les parties de la route où les voitures ne pouvaient marcher que les unes après les autres. Faites ensuite la part de l’allongement naturel de la colonne, de l’inexpérience et de l’indocilité de conducteurs improvisés, du désordre des cantiniers et transports irréguliers de toute espèce qu’on avait été heureux de laisser s’adjoindre à l’armée, et songez que cette lourde ville ambulante, rappelant les armées de chariots des invasions barbares, avançait en plaine seulement d’une demi-lieue par heure, quoique la sagesse du sous-intendant d’Arnaud eût réduit tous les chargemens ! Pour défendre cet immense convoi, qui renfermait un peu de tout, même un institut scientifique, et qui ne portait que pour sept jours de vivres, il eût été indispensable de le parquer et de s’arrêter. Il dépendait du bey Achmed de condamner, par une attaque sérieuse, son ennemi à l’immobilité et de le mettre ainsi à l’amende d’un ou de plusieurs jours de vivres, c’est-à-dire de diminuer d’autant la durée du danger qui menaçait Constantine; mais l’indolent Achmed ne comprit pas que, de tous les besoins des Français, le temps était le plus argent. Moitié par paresse, moitié par la pensée turque de ne pas faire avorter le succès en l’obtenant trop tôt, il laissa échapper l’occasion ; le châtiment suivit bientôt.

C’était donc avec moins de 7,000 baïonnettes, quinze jours de vivres et 17 bouches à feu de siège, approvisionnées seulement de 200 coups, que, sans pouvoir communiquer avec une base d’opérations éloignée, on allait faire le siège d’un Gibraltar armé de 63 pièces de canon, défendu par des nuées de fanatiques et protégé par le prestige d’une ancienne inviolabilité et d’un succès récent.

La logique était contre une entreprise aussi téméraire, nouveau défi jeté aux hommes et aux élémens, et cependant au fond de cet assemblage incomplet on sentait la victoire. Chacun s’était dit qu’une énergie désespérée compensait une infériorité visible pour tous, et c’est en se répétant « qu’impossible n’est pas français, » cette sublime gasconnade qui a produit et produit encore tant d’héroïsme, que le corps expéditionnaire se mit en route, le front haut, le cœur ferme, l’œil sur Constantine, sans jeter un regard en arrière, résolu à vaincre ou à ne pas reparaître devant la France.

Le convoi avait été partagé en deux divisions, qui partaient de Medjez-Amar le 1er et le 2 octobre 1837, escortées chacune par deux brigades. Il eût été impossible de remuer d’une seule pièce cet immaniable attirail, comparable aux immenses bagages des expéditions indiennes, avec cette différence que le superflu seul alourdit les molles agrégations de l’Asie, tandis que c’est à peine le nécessaire dont s’est chargée notre virile armée. Toutes les bouches à feu faisaient partie de la première colonne et servaient de régulateur pour la marche, car c’eût été plus qu’une faute d’arriver devant la place avant d’avoir les moyens de l’attaquer. Les pièces de 24 se tinrent constamment et sans efforts à la hauteur de l’avant-garde; ce fut une éclatante sanction donnée par la pratique à ce nouveau matériel dont le général Vallée avait doté la France, et qui amènera peut-être bientôt de grands changemens dans l’art de la guerre par la mobilité donnée aux canons des plus puissans calibres.

La première journée fut seule difficile, car la marche, qui use et ralentit les troupes, allégeait chaque jour le convoi : c’était le fardeau d’Esope. L’eau ne manqua nulle part, et les feux de bivac, entretenus par le bois que les soldats portaient sur leur dos, parurent un miracle de l’industrie française aux Arabes, incapables de concevoir et d’exécuter un semblable effort. Les cavaliers d’Achmed, au lieu de disputer le chemin de Constantine à l’armée qui se traînait lentement sur ce terrain nu et ondulé, ne s’occupaient qu’à lui rendre le retour impossible en détruisant toutes les ressources du pays. La prévoyance d’Achmed s’appliquait exclusivement à cette retraite, contre laquelle il se ménageait l’alliance de la disette. Il apprit à ses dépens qu’à la guerre une chance passable et présente ne doit jamais être sacrifiée aux espérances les plus séduisantes.

La cavalerie française, lancée au loin, à la débandade, avec de petites réserves, s’efforça d’arrêter cette œuvre de destruction, puissant moyen de défense des peuples ayant peu à perdre et osant opposer le vide à un ennemi qui ne peut vaincre que ce qui lui résiste. Il s’ensuivit plusieurs rencontres, parmi lesquelles on remarqua la brillante charge du 1er chasseurs d’Afrique contre des douars opiniâtrement défendus du haut des rochers par des Kabyles qui se firent tuer sans fuir.

Le 5 au matin, au monument de Souma, majestueux témoignage de la grandeur de ce peuple romain dont les Vandales eux-mêmes, ces terribles niveleurs, n’ont pu effacer la trace, l’armée salua d’un cri de joie Constantine, qui ressortait, éclairée par un soleil brillant, sur un fond de montagnes des formes les plus belles et des couleurs les plus riches. Ce fut déjà une première vengeance pour ceux à qui ce spectacle grandiose rappelait de si funestes souvenirs.

Mais après cette apparition, des nuages noirs, reflétant en pourpre la lueur des incendies, s’amoncelèrent sur l’armée, qui subissait déjà l’influence diabolique de cette ville fatale, et la pluie vint encore confirmer le nom de a camp de la boue, » déjà donné l’année précédente au bivac où les deux colonnes se réunirent le 5 au soir, après avoir mis cinq jours à faire 18 lieues.

Le 6, on part dès la pointe du jour pour gravir le Mansoura, avant que les terres soient trop détrempées. Chaque pas de cette longue montée réveille de nouvelles douleurs : ce sont les stations du Calvaire. Ici on heurte les débris du convoi pillé par les Arabes, plus loin les ossemens blanchis des Français décapités semblent avertir les chrétiens du sort qui peut les attendre de nouveau ; mais voici le lieu où Changarnier donna aux musulmans une si rude leçon :

Hic Dolopum manus, hic sævus pugnabat Achilles.

Les hauteurs se couvrent de milliers de cavaliers : les uns attaquent l’arrière-garde ; les autres se groupent, immobiles, sur les divers étages de montagnes, comme des spectateurs sur les gradins d’un vaste cirque.

Au fond de l’arène, Constantine semble une fourmilière en proie à une agitation fébrile. Une population nombreuse couvre les places, les remparts et les toits, se serre autour d’immenses drapeaux rouges ornés de divers emblèmes, et accompagne de ses cris de guerre le bruit de ses canons. Les Turcs seuls défendent les approches de la place en avant d’El-Kantara. La brigade du duc de Nemours débouche la première, les zouaves en tête, sur le Mansoura, et rejette vivement l’ennemi dans la ville. Le général en chef prend immédiatement ses dispositions d’attaque.

Le duc de Nemours est nommé commandant du siège, avec le capitaine de Salles pour major de tranchée. Le général Trézel est chargé de la défense du Mansoura, où s’établissent le quartier-général et les parcs. Le poste de Coudiat-Aty est confié au général Rulhières, qui l’occupe promptement avec les 3e et 4e brigades, sans autres pertes que celles occasionnées par les boulets de la place.

Pour surveiller les sorties, sans trop livrer les hommes aux vues de la place, il fait immédiatement élever, par trois compagnies de sapeurs et deux bataillons, des retranchemens en pierres sèches sur les crêtes les plus rapprochées de la ville; les autres troupes sont disposées pour contenir l’ennemi extérieur. Achmed, en effet, a déjà pris ses contre-dispositions : sa cavalerie s’est rapprochée des lignes françaises, qu’elle enveloppe et menace, surtout vers Coudiat-Aty; c’est là toujours le point décisif.

Dès le premier coup d’œil, les commandans du génie et de l’artillerie ont reconnu que ce front est le seul où il soit possible d’essayer une brèche; mais avant d’attaquer directement cette place hérissée de canons, il est nécessaire d’éteindre les feux de la casbah et de prendre de revers et d’enfilade les batteries du rempart de Coudiat-Aty, en se plaçant sur le prolongement de ce front, autant que le permettra son extrême obliquité par rapport au Mansoura. Le personnel et le matériel de l’artillerie sont d’ailleurs trop peu nombreux pour conduire à la fois les deux attaques, qui sont commandées, celle de Coudiat-Aty par le chef d’escadron d’Armandy, et celle de Mansoura par le chef d’escadron Maléchard.

Sur ce dernier point, le général Valée a déterminé lui-même l’emplacement de trois batteries. La première, batterie du roi, pour avoir moins de commandement et plus d’enfilade, prolonge à mi-côte la courtine de Coudiat-Aty, qu’elle doit battre à 600 mètres avec une pièce de 24, deux de 16 et deux obusiers de 6 pouces. La deuxième, batterie d’Orléans, placée à la droite de la redoute tunisienne, combattra la casbah à 800 mètres avec les deux autres pièces de 16 et deux obusiers de 8 pouces. La troisième batterie recevra les trois mortiers, et tirera de la gauche de la redoute tunisienne sur tous les édifices et sur les batteries à ciel ouvert de la casbah.

Le génie fait une rampe de 1,200 mètres en remblai pour l’armement de la batterie du roi ; mais la dureté du roc dans lequel il fait creuser les plates-formes ralentit l’établissement des batteries. Il fallut porter à la main la terre nécessaire à la construction des coffres. Le jour revint avant que les travaux fussent achevés; ils continuèrent en plein midi avec la plus grande activité, et à quatre heures du soir l’artillerie avait terminé ses trois batteries malgré les coups trop bien dirigés des canonniers turcs, malgré le caractère offensif que prit la résistance pendant cette première journée du siège, et qu’elle garda jusqu’au dernier moment. Le système de défense est le même que celui de l’année précédente; la garnison et les Arabes du dehors combinent leurs mouvemens pour presser les Français entre deux attaques simultanées, et pour les user en détail en ne leur laissant aucun repos.

Ben-Aïssa conduit avec sa vigueur accoutumée la part qui lui revient dans l’exécution de ce plan, bien adapté à l’esprit et aux habitudes des musulmans. Aussitôt après la prière du matin. Turcs et Kabyles sortent à la fois sur Sidi-Mécid et Coudiat-Aty; en même temps 3,000 chevaux font un hourra sur la 4e brigade bivaquée au revers de Coudiat-Aty. Le 47e les reçoit avec fermeté; le 3e chasseurs d’Afrique reprend la charge, mais il s’emporte trop loin et perd quelques hommes pour n’avoir pas su s’arrêter à temps, ce qui est si essentiel contre des troupes irrégulières.

L’infanterie, selon son habitude, tient plus ferme. Les Turcs, qui s’enivrent facilement de la poudre et finissent souvent avec acharnement un combat mollement commencé, viennent planter leur drapeau tout près des retranchemens gardés par la légion étrangère.

Le commandant Bedeau, à la tête de ses soldats, franchit l’épaulement, et refoule l’ennemi à la baïonnette jusque près des murs de la place, dont la mitraille met un terme à la poursuite. Les plus tenaces des Turcs, cachés dans les anfractuosités du terrain, continuent une vive fusillade jusqu’à ce que l’appel à la prière de midi les arracha au combat. Après leur retraite, les Français restent aux prises avec un ennemi plus redoutable encore, la continuité du mauvais temps. Les élémens, auxquels Ben-Aïssa semble commander, sont déchaînés depuis deux jours ; la nuit du 7 au 8 est atroce et se consume en efforts inutiles.

L’armement des batteries du Mansoura ne peut s’exécuter que partiellement : la pluie a enlevé en entier les roches schisteuses du chemin de remblai construit par le génie; le terrain, qu’on s’efforce en vain de raffermir, manque sous les pieds des chevaux, que les lanternes effraient au lieu de les guider. Les deux pièces de 16 et la pièce de 24 roulent avec chevaux et conducteurs dans des précipices, où elles restent renversées dans la boue. Les zouaves, ces soldats ambitieux, toujours prêts à tout pour établir la prééminence de leur corps, s’offrent d’eux-mêmes pour réparer cet accident, qui eût pu être irréparable. A force de bras et en plein jour, les canons furent remontés dès le lendemain dans une nouvelle batterie, n° 5, appelée batterie Damrémont et construite en quelques heures à l’extrême gauche de Mansoura, d’où elle ne voyait qu’à revers le front d’attaque. L’armement de cette batterie se composa de 2 obusiers de 6 pouces et de 3 pièces de 24.

A Coudiat-Aty, la pluie avait encore plus retardé les travaux. La construction de deux batteries, l’une de 2 obusiers, l’autre (batterie de Nemours) destinée à battre en brèche à 500 mètres la courtine de Coudiat-Aty, avait été commencée par 1,100 travailleurs, afin d’être à l’avance en mesure de recevoir sur ce point les pièces employées au Mansoura, dès que cette première attaque aurait produit son effet. Sur ce terrain de roc et de pierrailles, on ne peut élever les parapets qu’en sacs à terre, et les nappes d’eau tombant sans interruption changent en boue liquide les veines de terre qu’on est obligé d’aller chercher au loin comme des mines d’or. Les sacs, mal remplis d’une terre fluide filtrant à travers la toile, ne parviennent de main en main à leur destination que flasques et vides. Les soldats, inondés par un déluge d’eau glaciale, fouettés par les bourrasques d’un vent terrible, dans l’eau, sans feu et sans soupe, dans les ténèbres, sans sommeil, mitraillés jour et nuit par des canons qui demeurent sans réponse, travaillent depuis trois jours sans interruption et sans résultat visible pour eux. Les hommes, malades, mais non découragés, tombent dans la stupeur et l’épuisement; les animaux, déjà réduits à une demi-ration d’orge, car le fourrage tenté par la cavalerie n’a pas réussi, meurent en grand nombre.

La tempête, qui avait duré toute la journée du 8 sans ralentir les sorties périodiques des musulmans, redouble pendant la nuit suivante et suspend même le combat. On rentrait dans ce temps de désolation et de misère qui, l’année précédente, avait produit tant de malheurs. Chrétiens et musulmans voient dans cette sinistre analogie une manifestation de la volonté divine. Les chefs observent le temps avec angoisse et cherchent à lire dans le ciel l’avenir de leur cause ; ils obéissent à ces tendances mystiques qui, au milieu des grandes souffrances, remplacent dans toutes les âmes l’incrédulité, engendrée souvent par l’oisiveté et le bien-être.

Enfin le 9 au matin le bruit des batteries, jusqu’alors muettes, du Mansoura et des obusiers de Coudiat-Aty réveille l’armée, engourdie dans la boue sous une calotte de nuages bas et lourds qui ressemblent au couvercle d’un tombeau. La violente canonnade qui interrompt les tirailleries journalières atteste le courage et l’adresse des artilleurs français et turcs. Au bout de quatre heures d’un feu très vif, le tir admirable des assiégeans a éteint toutes les batteries découvertes de la casbah et de la ville; des pièces sont même démontées dans les casemates. Tout ce qu’on pouvait attendre de cette attaque était obtenu; il fallait maintenant transporter à Coudiat-Aty les canons du Mansoura, pour ouvrir la brèche, cette porte de la victoire, vers laquelle on n’avait encore fait qu’un premier pas.

Dans l’état des hommes, des chevaux et du terrain, c’était une entreprise d’une énorme difficulté que de faire descendre aux pièces de 16 et de 24 de la batterie Damrémont, par des pentes impraticables, l’escarpement du Mansoura, de leur faire passer, sous le feu de la place, le torrent impétueux et gonflé du Rummel, et remonter ensuite la glaise à pic de la rive gauche pour gagner la batterie de brèche; mais cette entreprise, décisive pour l’issue du siège, et dont l’échec eût été irréparable, fut accomplie par l’artillerie avec une énergie sans bornes et une patience à toute épreuve.

A la tombée de la nuit, pour couvrir, contre les sorties de la place, le chemin, très rapproché des remparts, que l’artillerie est obligée de suivre, les ruines du Bardo ont été occupées par le 47e régiment, et quelques débris de masures, que la négligence arabe a omis de raser, sont rétablis par les sapeurs, et servent d’abri aux postes les plus avancés.

Pendant ce mouvement, deux pièces de 24, deux de 16 et huit chariots d’approvisionnemens se mettent en marche. La colonne, battue par une pluie diluvienne, arrive à minuit seulement au Rummel, plus impétueux que jamais. Malgré les efforts fougueux des soldats, qui restent douze heures de suite dans l’eau jusqu’à la poitrine pour déblayer les blocs de rochers qui obstruent le gué, malgré les tentatives ingénieuses du colonel de Tournemine et la ténacité du général Valée, le torrent, où les voitures s’engagent une à une, n’est franchi qu’à cinq heures du matin; 40 chevaux et 200 fantassins essayaient de faire monter à la première pièce une rampe à peine praticable pour un cavalier isolé, lorsque le jour parut brusquement et sans crépuscule, comme au lever d’un rideau. Le feu des remparts, jusqu’alors lent et incertain, devient précis et terrible; mais le danger, qui est souvent un auxiliaire à la guerre, rend de la force aux hommes épuisés. Les canonniers détellent avec calme les chevaux frappés dans les traits ; les officiers et sous-officiers du train des parcs saisissent et guident eux-mêmes les attelages de leurs conducteurs : la première pièce est enlevée, la seconde suit aussitôt; mais les chevaux, effrayés par les projectiles, se dérobent, et le canon verse en cage. En un clin d’œil, 200 hommes du 47e, dirigés par le capitaine Munster, l’ont relevée comme au polygone au milieu de la mitraille se concentrant sur eux. La route, si on peut l’appeler ainsi est libre, et les autres voitures suivent, aidées par le même dévoûment, et après quatorze heures d’un travail herculéen le convoi qui portait les clés de Constantine est en sûreté derrière le Coudiat-Aty.

Le siège entrait dans une nouvelle phase : c’est à effectuer ou empêcher l’ouverture de la brèche que vont tendre tous les efforts.

Pendant la nuit, les assiégeans avaient recommencé à creuser dans le roc de la batterie de Nemours, placée en face de l’isthme en terre qui rattache la montagne de Coudiat-Aty à l’excroissance de granit sur laquelle est bâtie Constantine. Sur la portion la plus saillante de cette courtine sans fossés et sans glacis, les flanquemens sont faibles, et le mur est découvert jusqu’au pied. En le masquant, Ben-Aïssa eût cru l’affaiblir, car les Arabes, comme les enfans, jugent seulement de la puissance d’une fortification d’après la première impression qu’elle leur cause; mais il savait que ce serait là le point d’attaque, et il avait couronné le rempart d’une grande batterie casematée à onze embrasures, toutes armées de pièces de bronze et entrecoupées de créneaux réguliers. C’est à l’angle de cette batterie, limitée à gauche par une maison casematée avec deux embrasures et cinq autres plus loin, et flanquée à droite par la grande caserne à trois étages des janissaires, que le général Vallée a reconnu le seul point où l’on puisse essayer une brèche.

La construction de la batterie de Nemours à 500 mètres de ce formidable dispositif de défense, sans aucune communication couverte en arrière, et sous le feu plongeant et non combattu de la place, était déjà une œuvre hardie et difficile. Le général Vallée tenta plus encore : sans attendre l’expérience du tir, dont il craignait que l’effet, à cette distance, ne fût trop lent sur une maçonnerie compacte et terrassée, il résolut de rapprocher plus tard les canons destinés à battre en brèche.

L’emplacement de la nouvelle batterie fut reconnu en plein jour par les capitaines Borel et Lebœuf. Ces braves officiers, miraculeusement épargnés par les balles arabes, le déterminèrent à 150 mètres de la muraille, à l’endroit où le prolongement de l’axe de la batterie de Nemours rencontrait un ravin parallèle au rempart, descendant à droite jusqu’au Bardo, et pouvant servir à protéger les travaux.

Aller à découvert et au premier vol, sans approches régulières, sur un terrain en contrescarpe, se planter à portée de pistolet d’un front dont les feux sont intacts, c’est l’entreprise la plus téméraire de la guerre de siège. Elle était commandée ici par la nécessité de gagner du temps, car maintenant ce ne sont plus les jours, ce sont les heures qui sont comptées, et cette nécessité, plus encore que le succès, peut seule absoudre le général, condamné pour sauver l’armée à être plus avare du temps que du sang de ses soldats.

La batterie de brèche, jetée si brusquement en avant, sera soutenue par les batteries n° 4 et 6, et par deux autres, n°’ 7 et 8, construites sur la hauteur en arrière à gauche de Coudiat-Aty. Le reste de l’artillerie du Mansoura, moins trois pièces qui demeureront dans la batterie du roi pour continuer à enfiler le front d’attaque, sera ainsi concentré sur Coudiat-Aty pour l’épreuve décisive et encore incertaine du tir en brèche.

L’ennemi sent l’étreinte des Français se resserrer et s’affermir; mais il voit leurs projets sans découragement, et combat avec une rage nouvelle pour reculer l’heure fatale.

Le 10 au matin, un mouvement combiné s’opère contre les Français, obligés par le feu du front de Coudiat-Aty de suspendre la construction de la batterie de Nemours. Les cavaliers d’Achmed essaient de couper la communication entre Mansoura et Coudiat-Aty, et livrent plusieurs combats aux assiégeans, dont l’effectif diminue à mesure que les travaux et les dangers du siège commencent. Les sorties journalières de la garnison sont empreintes cette fois d’un caractère particulier de fureur, mais ne sont que de stériles protestations contre les avantages acquis à l’attaque ; les Turcs surtout s’acharnent contre les retranchemens de Coudiat-Aty.

Le duc de Nemours et le général de Damrémont, désigné aux coups de l’ennemi par son chapeau à plumes blanches, s’élancent au-delà du parapet. Six des officiers qui les suivent tombent frappés autour d’eux; mais les Turcs, chargés à la baïonnette de haut en bas, sur la pente la plus verticale de Coudiat-Aty, par les soldats de la légion étrangère, que le duc de Nemours excite en allemand, sont délogés des ravins où ils s’étaient blottis et rejetés en désordre jusque dans la place. L’activité de Ben-Aïssa se tourne alors contre le poste du Bardo, qui lui paraît le plus menaçant parce qu’il est le plus rapproché, et contre lequel il dirige d’abord à la nuit tombante une vive fusillade, puis une nombreuse sortie dès que la nuit est bien venue.

Le colonel Combes donne aux compagnies d’élite de son régiment l’ordre de laisser approcher l’ennemi, puis de le repousser à la baïonnette, en silence, et sans tirer un seul coup de fusil. La discipline et le courage du 47e, mis à cette épreuve, ne faillirent point au milieu de l’obscurité de la nuit et du tumulte du combat; pas un cri, pas une détonation ne troublèrent la charge impétueuse de ces vieux africains, économes de leur poudre et prodigues de leur vie. Les plus hardis des Constantinois furent tués à l’arme blanche, et après cette leçon la garnison ne contraria plus que du haut du rempart les travaux du génie, occupé, sous la vigoureuse impulsion du général de Fleury, à convertir en parallèle le ravin qui mène du Bardo à la nouvelle batterie. Le terrain ne permet pas de s’enfoncer, et l’on chemine tantôt à la sape volante, tantôt à la sape pleine, avec des sacs de terre que l’on a passé la journée à remplir. Les sapeurs ne répondent pas à la mousqueterie, qui incommode vivement la tête de sape ; ils se laissent tuer sans riposter, car se défendre eût été retarder les travaux, et le moindre retard pouvait devenir funeste.

La nuit continue à être agitée ; la faiblesse de l’effectif condamne à ne pas donner un moment de repos aux soldats, épuisés par les fatigues du jour et l’insomnie des nuits, obligés de se multiplier, comme des comparses d’opéra, pour suffire à toutes les exigences d’une position si pressée. Tout est en mouvement à la fois pour élever et armer les quatre batteries de Coudiat-Aty et pour retrancher le ravin du Bardo. L’ennemi dirige sur ce point un feu qui, pour être meurtrier, n’a pas même besoin d’être ajusté. L’artillerie française n’y répond pas, elle doit ne tirer qu’à coup sûr : chaque boulet est un trésor pour l’armée, car c’est du temps, et le temps, c’est la victoire ; mais les Arabes du dehors ne s’expliquent la cessation du feu et le bruit des voitures apportant l’armement de Coudiat-Aty que comme des préparatifs de départ. Déjà ils croient tenir leur proie ; ils montent à cheval, galopent dans les ténèbres autour des avant-postes comme des sauvages qui dansent autour de leurs victimes, et exhalent leur joie féroce par des cris aigus et d’impuissantes criailleries contre les grand’ gardes.

Au jour, la garnison a réparé ses défenses, car Ben-Aïssa a compris que la journée du 11 allait être décisive, et les Français ne sont point encore prêts à commencer le tir en brèche. La nouvelle batterie n’est point encore élevée, la dureté du roc de la batterie de Nemours en a retardé l’armement ; les sacs à terre ont manqué pour les autres batteries, dont les parapets ont été faits en partie avec des pierres et des briques. La perplexité des chefs de l’armée s’accroît de moment en moment, car la limite du séjour possible devant la place, marquée par l’état des munitions de bouche et de guerre, approche avec une effrayante rapidité ; mais la conscience de cette situation inspire à chacun un paroxysme d’efforts héroïques.

Le capitaine d’artillerie Caffort amène en plein jour les pièces de la batterie de Nemours ; l’attaque de Coudiat-Aty ouvre aussitôt son feu. À neuf heures et demie du matin, les batteries no 4, 6 et 8 font converger leurs feux sur le point marqué pour la brèche. Les obusiers français, si remarquables par leur extrême justesse, élargissent promptement les embrasures des casemates, dans lesquelles les projectiles creux font de terribles ravages et démontent l’artillerie musulmane. Le tir des bombes et des fusées, qui n’a point endommagé cette ville incombustible, est concentré en arrière du rempart pour empêcher les assiégés de s’y ménager un réduit. A midi, le feu de la place était déjà extrêmement ralenti. Le général Valée donna l’ordre de commencer le tir en brèche. Les trois pièces de 24 et la pièce de 16 tirent à 8 pieds au-dessous des embrasures casematées de la grande batterie, les obusiers fouillant le pied de la muraille. Les premiers boulets qui vont frapper ce mur, bâti en énormes pierres de granit noir blanchi à l’extérieur, cimenté par des siècles et adossé à d’anciennes constructions romaines, y laissent à peine l’empreinte d’une balle sur une plaque de métal. Il faut cependant non-seulement faire brèche, mais faire brèche en 600 coups, ou périr et périr sans gloire. L’armée, silencieuse et inquiète, suit avec angoisse les progrès de ce travail, duquel dépend son destin.

Enfin à trois heures, un coup d’obusier pointé par le général Valée lui-même détermine le premier éboulement. La confiance renaît et s’annonce par les cris de joie des soldats, qui ne doutent plus de leur succès, puisque Constantine est accessible à leurs baïonnettes. Pour la première fois un morne silence règne dans cette ville livide, éclairée par les pâles rayons du soleil d’automne, qui vient de paraître.

Cependant, si la défense matérielle est atteinte, le moral des musulmans reste entier et mieux trempé que jamais. Pendant le tir en brèche, plusieurs milliers de Kabyles, accourus de leurs montagnes pour assister à l’issue du drame qui tenait toute l’Algérie en suspens, ont remplacé les Turcs, las de leurs inutiles sorties. Ils s’élancent avec vigueur sur Sidi-Mécid, et soutiennent vaillamment la charge à la baïonnette du 17e léger, qui les fait bientôt reculer et les poursuit jusque sous les murs de la place à travers les cactus et les aloès, plantés régulièrement comme des vignes.

Touché de la persévérance de cette défense si vivace, le général de Damrémont, naturellement ennemi des violences de la guerre, voulut, en leur proposant une capitulation, offrir aux Constantinois une dernière chance d’éviter les extrémités d’un assaut. Un jeune soldat du bataillon d’infanterie turque se présenta volontairement pour remplir le périlleux office de parlementaire. Il arrive au milieu des coups de fusil, un drapeau blanc à la main, jusqu’au pied du rempart : on lui jette un panier au bout d’une corde; il s’y blottit, on le hisse dans la ville, et il est conduit devant le caïd-ed-dar. « Si les chrétiens manquent de poudre, lui dit Bel-Bedjaoui, nous leur en enverrons; s’ils n’ont plus de biscuit, nous partagerons le nôtre avec eux, mais, tant qu’un de nous sera vivant, ils ne prendront pas Constantine. »

« — Voilà de braves gens, s’écria le général de Damrémont en recevant cette réponse antique; eh bien! l’affaire n’en sera que plus glorieuse pour nous. » Et il reprit les préparatifs de cette victoire qui lui apparaissait si belle.

Les progrès de la brèche étaient lents, les blocs de granit, se détachant difficilement, laissaient voir des rangées de gros silex incrustés dans le ciment : c’était comme une seconde muraille dont la destruction absorbait des munitions de plus en plus précieuses, et, comme on était trop pauvre pour pouvoir hasarder un seul coup incertain, au coucher du soleil, le général Valée fit cesser le feu; mais les travaux du siège avancèrent rapidement pendant cette nuit du 11 au 12.

A deux heures du matin, la seconde batterie de brèche était construite avec les sacs à terre qu’on avait dû aller chercher jusque dans les batteries désarmées du Mansoura; l’armement, interrompu par la violence du feu de l’ennemi, que favorisait un intempestif clair de lune, et par une tentative de sortie de la garnison, se termine cependant en deux heures.

Au jour, les trois pièces de 24 et une de 16, prises à la batterie de Nemours, sont à 50 mètres de la brèche commencée. La batterie de Nemours a été réarmée avec une pièce de 16 et 4 obusiers, les autres batteries de Coudiat-Aty sont prêtes à faire feu ; mais les munitions ne sont pas encore arrivées dans la nouvelle batterie de brèche : 200 hommes d’infanterie se dévouent pour les apporter à bras en parcourant intrépidement, en plein jour et à découvert, un espace de 300 mètres à petite portée de fusil du rempart.

Ces travaux si périlleux et si pénibles s’exécutent comme par enchantement. C’est le résultat merveilleux, non d’une passive obéissance à un commandement, mais de cette volonté passionnée et intelligente que le soldat apporte de lui-même à l’accomplissement d’une œuvre nationale. De part et d’autre la tension des efforts, l’ardeur du dévoûment, augmentent à mesure qu’approche le dénoûment de ce duel à mort, dans lequel Constantine ou l’armée doit périr.

La place répare encore une partie de ses défenses; un retranchement est construit en haut de la brèche avec des ballots de laine, des sacs à terre, des bâts de mulets et une palissade. Tous les hommes combattent ou travaillent, la haine des chrétiens et les besoins de la défense l’emportent sur les préjugés musulmans; les femmes ramassent et emportent des blessés, les Juifs eux-mêmes sont contraints de prendre part au mouvement unanime; Ben-Aïssa les emploie comme bêtes de somme pour le service des batteries. Quelques pièces y sont encore ramenées, et l’un des boulets de ces canons, brisés chaque jour et ressuscitant chaque nuit, prive les Français de leur chef, et ne laisse à ce général, tué comme Turenne et Berwick, que l’honneur d’une victoire posthume.

Le 12 au matin, le général en chef de Damrémont, accompagné de tout son état-major, se rendait à la nouvelle batterie de brèche par un chemin entièrement vu de la place. Un premier boulet passe sur sa tête; on l’engage à hâter le pas et à ne point dédaigner cet avertissement. « Cet égal, » répondit-il avec ce calme et ce courage qui le caractérisaient. Un second boulet ricoche aussitôt en avant, couvre de terre tout le groupe et renverse le général en chef, qui tombe mort entre le duc de Nemours et le général Rulhières. En même temps une balle mortelle vient atteindre le général de Perregaux, chef d’état-major général.

La confiance universelle qu’inspire le général Vallée, appelé par droit d’ancienneté au commandement en chef, prévient les conséquences ordinairement si funestes d’un changement d’autorité au milieu de si graves circonstances. Uno avulso. non déficit alter.

L’artillerie venge le général de Damrémont en faisant voler en éclats les pièces qui lui ont donné la mort; à midi, les derniers feux des remparts sont éteints pour ne plus se rallumer. Depuis lors, les salves saccadées et solennelles du tir en brèche couvrent seules le bruit de la mousqueterie. La nouvelle batterie continue l’œuvre de la première; la brèche se perfectionne, le talus se forme. On dispose l’assaut en agrandissant avec des sacs à terre une place d’armes commencée la nuit précédente à gauche de la batterie de brèche, pour se garantir d’une attaque à revers. Ce sont encore les sapeurs et les zouaves qui exécutent cet ouvrage, où se masseront les colonnes d’attaque.

La garnison, privée de ses canons, entretient une fusillade violente, et tente encore une dernière fois les sorties qui ont déjà si souvent échoué contre la fermeté des troupes françaises; mais le cœur manque à Achmed, Déjà ses cavaliers ont été la veille plus mous que d’habitude, et, à la vue de la brèche qu’il aperçoit avec sa lorgnette, son aveuglement, son abandon à la fatalité disparaissent; il n’espère plus que dans l’instabilité des Français et leur envoie un parlementaire pour demander de cesser le feu et de négocier. « Il est trop tard, répond le général Vallée; nous ne traiterons que dans Constantine. » Et il dicte ses ordres pour l’assaut.

L’assaut sera donné de jour, parce que l’obscurité de la nuit, grandissant les obstacles, est tout à l’avantage du défenseur, qui a disposé et connaît les localités; il aura lieu le lendemain vendredi 13 octobre au lever du soleil. Des esprits timides, qui eussent dû donner l’exemple de la sécurité et de la confiance, étaient frappés du sinistre présage que renfermait, disaient-ils, la date du vendredi 13. « Soit, répondit le général de Fleury, ce sera tant pis pour les musulmans. » Le temps presse, et l’armée, au bout de ses forces, ne peut ni prolonger cette lutte acharnée, ni songer à une retraite impossible. Les hommes, exténués, n’ont pas fermé l’œil depuis six nuits ; les chevaux sont morts de misère, après s’être mutuellement rongé la queue et avoir léché les roues des voitures. L’artillerie a dépensé ses munitions, les vivres sont presque épuisés ; il n’y a pas de lendemain possible à un assaut manqué : il faut réussir ou perdre le matériel du siège, l’honneur de l’armée, l’empire de l’Afrique et peut-être le respect du monde.

La grandeur de cette situation électrise les troupes, qui semblent courir à une fête plutôt qu’à un combat meurtrier. Ces sentimens exaltés de dévoûment chevaleresque, cherchant sous l’habit militaire un refuge contre l’impur matérialisme qui les étouffe partout, se font jour à cet instant critique. Tous les corps se disputent l’honneur de monter à cette brèche, derrière laquelle on ne trouve que la victoire ou la mort, et le général Valée, pour concilier les exigences de ces nobles rivalités avec le succès de l’entreprise, forme trois colonnes d’assaut où tous les régimens sont représentés, mais où les plus aguerris sont placés les premiers[2].

Les Constantinois se préparent aussi à cet acte suprême, où l’héroïsme de leur défense doit triompher ou succomber sans appel. La brèche ouverte ne donne ni la tentation de se rendre, ni la pensée de fuir, à cette population, dont la résistance n’est cependant pas excitée par les devoirs et les lois du point d’honneur.

Ben-Aïssa et le caïd-ed-dar ont organisé la défense intérieure avec cet instinct et ce bon sens sauvage qui devinent souvent ce que la science n’a découvert qu’après de longues recherches. De fortes barricades qui se flanquent mutuellement sont élevées dans les ruelles étroites qui aboutissent à la brèche; les maisons sont crénelées intérieurement et extérieurement de manière à se commander à mesure qu’elles s’éloignent du rempart. Confians dans ces dispositions, confians en eux-mêmes, mais plus confians encore en Dieu, les guerriers musulmans, immobiles à leur poste de combat, attendent toute la nuit, au milieu de ferventes prières, l’assaut qu’ils prévoient sans le craindre. Les vieillards, les femmes et les enfans, réunis sur les places publiques, répondent en chœur aux chants des muezzins, interrompus de temps en temps par les salves de la batterie de brèche, qui mitraille la crête du rempart pour empêcher les travailleurs d’y construire un retranchement, précaution que l’état du terrain rendait du reste bien inutile.

A trois heures du matin, la brèche, qui n’a que 10 mètres de large, est déclarée praticable par les capitaines Boutault, du génie, et de Gardarens, des zouaves, qui fut blessé dans cette périlleuse reconnaissance. Les colonnes d’assaut se massent, la première dans la place d’armes, la deuxième dans le ravin, la troisième au Bardo.

Le jour se lève pur et chaud. « Enfoncé Mahomet! Jésus-Christ prend la semaine, » s’écrient dans leur langage expressif les soldats impatiens.

A sept heures, il ne reste plus que cinq boulets; le général en chef ordonne une dernière salve pour soulever des nuages de poussière; les canonniers, épuisés, retombent endormis sur leurs pièces, et la première colonne, lancée par le duc de Nemours, part au pas de charge, au bruit des tambours et des clairons, accompagné des hurlemens des Arabes qui tapissent les montagnes.

Le lieutenant-colonel de Lamoricière et le commandant Vieux, du génie, arrivent les premiers au sommet du talus, que la colonne gravit en s’aidant des mains. Le capitaine de Gardarens est blessé de nouveau en plantant le drapeau tricolore au-delà de la brèche. On tombe dans un chaos sans issue, où les décombres amoncelés en contre-pente, des enfoncemens sans passage, forment un terrain défiguré et factice.

Ce marais de matières qui manquent sous les pieds, ce cimetière de maisons où rien n’est plan, devient une prison dans laquelle la colonne agglomérée reçoit à découvert le feu convergent d’un ennemi dispersé et invisible. Le colonel de Lamoricière, avec son coup d’œil rapide et sa vigoureuse exécution, fait démolir les murailles, déblayer les ruelles, escalader les maisons avec des échelles faites en démontant les voitures d’artillerie. On débouchera par trois colonnes, les deux premières contourneront le rempart à droite et à gauche, la troisième percera, droit devant elle, vers le cœur de la ville; mais avant qu’on ait pu sortir de ce labyrinthe, un pan de mur, fouillé par les boulets et poussé par l’ennemi qui tirait au travers, s’écroule sur les hommes heurtant partout pour trouver une issue, et ensevelit une partie du 2e léger. Son brave commandant de Sérigny, enterré jusqu’à mi-corps, expire, en sentant successivement tous ses membres se broyer sous le poids de la maçonnerie, et trouvant encore des paroles d’encouragement pour ses soldats, jusqu’à ce que sa poitrine écrasée ne rende plus de son.

Les colonnes de droite et de gauche se jettent tête baissée dans les batteries couvertes qui surmontent le rempart; les zouaves s’en rendent maîtres après une hideuse mêlée où 91 Turcs et 45 Français périssent poignardés au milieu d’un épais brouillard de fumée, dans d’étroites casemates déjà remplies de débris d’affûts et de chair humaine en putréfaction. Au-delà, on emporte de vive force les barricades, on enfonce les maisons les unes après les autres, en recevant des coups de fusil à bout portant sans pouvoir en rendre. Il faut monter sur les toits pour contre-battre les feux des minarets. L’ennemi défend pied à pied un terrain tout à son avantage. On arrive cependant ainsi jusqu’à la demeure de Ben-Aïssa, riche palais, dont les meubles, les coussins, les poutres, sont jetés dans la rue, afin d’y élever des contre-barricades qui flanquent l’attaque du centre, où se porte l’effort principal, et dont le colonel de Lamoricière s’est réservé la direction immédiate.

Cette colonne s’est fait jour, à travers un massif de constructions informes, jusque dans le quartier marchand de Constantine, traversé par une rue plus droite et plus grande que les autres, la rue du marché, large de 4 à 5 mètres. Cette rue et les ruelles adjacentes sont bordées par des rangées de cages en maçonnerie, closes par des volets en bois, qu’on eût dit construites pour des bêtes féroces, et servant de boutiques aux marchands, réunis par corporation dans ces étroits passages. Chacun de ces bazars devient le tombeau de ses défenseurs; ils s’y font tuer jusqu’au dernier dans de furieux combats corps à corps qui conduisent les Français en face d’une arche romaine fermée par une porte en bois ferré. Le colonel de Lamoricière la fait ébranler à coups de hache; mais, au moment où on l’entr’ouvre, une décharge terrible de l’ennemi, groupé sur les toits et derrière les barricades, abat toute la tête de la colonne. Cependant la compagnie franche passe sur les morts et les mourans et pousse tout à la baïonnette devant elle, lorsque l’explosion d’un magasin à poudre détruit presque entièrement cette brave troupe. Dans un vaste cercle, tout est renversé, anéanti; les murailles s’écroulent, la terre se soulève, les assiégés reviennent à la charge et hachent à coups de yatagan tout ce qui respire encore au fond de ce cratère. L’emploi des mines par masse de poudre, enterrée ou non, est toujours le plus puissant des moyens de défense. Si les 15,000 kilogrammes de poudre accumulés encore dans Constantine eussent été répartis sur le chemin des Français, l’assaut eût manqué, et le dernier des chrétiens eût péri.

Cet accident, imprévu pour les deux partis peut-être, faillit amener une catastrophe : le colonel de Lamoricière était aveuglé, tous les chefs et presque tous les officiers étaient hors de combat; les soldats, décimés et sans direction, n’avançaient plus sur un terrain qu’ils croyaient miné; les blessés, spectres noircis, sans forme humaine, aux chairs pantelantes comme celles de cadavres que l’on enlève d’un cabinet anatomique, redescendaient la brèche en répandant l’alarme par leurs gémissemens.

Le colonel Combes coupe court à cette hésitation et reprend l’offensive en faisant emporter par les voltigeurs du 47e les fortes barricades de la rue du marché, la véritable voie stratégique de l’intérieur de Constantine. Des renforts sont envoyés dans la ville, successivement et par petites colonnes, de manière à combler les vides sans encombrer les lieux. Le cri « à la baïonnette ! » enlève les soldats de tous les corps, la charge bat avec frénésie; dans les bivacs de l’armée, les tambours et les clairons la répètent tous à la fois comme fascinés par un entraînement contagieux et irrésistible. Les musulmans perdent du terrain ; mais dans ce moment décisif le colonel Combes est atteint de deux balles en pleine poitrine. Il donne encore ses derniers ordres, puis il vient dans la batterie de la brèche, debout et l’épée haute, rendre compte au général Valée et au duc de Nemours de la situation du combat. « Ceux qui ne sont pas blessés mortellement, ajoute-t-il ensuite, pourront se réjouir d’un aussi beau succès; pour moi, je suis heureux d’avoir encore pu faire quelque chose pour le roi et pour la France. » C’est alors seulement qu’on s’aperçoit qu’il est blessé. Calme et froid, il regagne seul son bivac, s’y couche et meurt. Son absence n’arrête pas les progrès de l’attaque; les officiers inférieurs et les soldats, livrés à eux-mêmes, font avec intelligence et courage cette guerre de maisons, à laquelle, de l’aveu de tous les écrivains militaires, les Français sont éminemment propres.

C’est un Saragosse au petit pied, car ici, comme à Saragosse, les défenseurs sont plus nombreux que les assaillans. De faibles têtes de colonnes, guidées par les officiers et les sous-officiers du génie, cheminent dans ce dédale de ruelles tortueuses et infectes, dans les corridors voûtés à mille issues dont se compose Constantine. Munis de haches et d’échelles faites avec les côtés démontés des voitures, ils assiègent une à une les maisons isolées, sans terrasses, et séparées par de petites cours favorables à la défense, et sautent par les toits dans celles qu’ils n’ont pu prendre par la porte. Le dernier effort considérable eut lieu contre la caserne des janissaires, grand bâtiment crénelé, à trois étages, bâti sur le rempart, à droite de la brèche, où les Turcs et les Kabyles se défendirent avec acharnement.

Mais ces différentes attaques manquaient d’une impulsion unique et régulière et perdaient de leur ensemble à mesure que leur base allait s’élargissant. Le général Rulhières, envoyé pour relier le réseau des têtes de colonnes isolées, cherche surtout à pousser l’attaque de gauche, de manière à tourner toute la défense de la ville en la prenant à revers. Ce mouvement jette le découragement dans la population effrayée, qui se précipite hors de la ville pour fuir par le côté gauche de Coudiat-Aty, avant que les Français, déjà parvenus aux portes de Bal-el-Djebia et Bab-el-Djedid, ne leur aient coupé cette dernière retraite.

Des hommes sans armes, avec un papier blanc au bout d’un bâton, se présentent au général Rulhières, qui dirige les tirailleurs les plus avancés, et lui demandent la paix. Le général monte aussitôt jusqu’à la casbah pour empêcher la garnison de s’y défendre comme dans une citadelle malgré la soumission des habitans. La résistance est brisée ; les deux cadis sont grièvement blessés ; le caïd-ed-dar se brûle la cervelle, fidèle à son serment de ne pas assister vivant à la prise de Constantine. Le fils de Ben-Aïssa, qui a reçu quatre blessures sur la brèche, entraîne hors de la ville son père accablé de douleur ; les débris des canonniers et de la milice le suivent. Les plus résolus des défenseurs, ceux qui jusqu’au bout avaient cru au succès et n’avaient éloigné ni leurs femmes ni leurs enfans, se trouvant acculés à la casbah, et ne comptant point sur une générosité dont ils eussent été incapables, cherchent à descendre par des cordes du haut des escarpemens verticaux qui surmontent de 400 pieds les abîmes ténébreux où coule le Rummel. Les derniers poussent les premiers, qui roulent dans le gouffre ; une horrible cascade humaine se forme, et plus de 200 cadavres s’aplatissent sur le roc, laissant des lambeaux de chair à toutes les aspérités intermédiaires.

A neuf heures du matin, après une furieuse mêlée de deux heures. Constantine est prise; les soldats couronnent tous les édifices, et, se tournant vers l’armée qui les admire, ils annoncent leur triomphe par le cri unanimement répété de vive le roi! Le quartier-général s’établit au palais du bey, séjour étincelant de toutes les féeries des Mille et une Nuits. Achmed en a retiré son trésor, mais il y a oublié son harem, destiné, selon les usages de l’Orient, où la femme n’est qu’une chose, à devenir le prix de la victoire. A la vue du drapeau tricolore arboré sur sa demeure, le pusillanime bey de Constantine verse de grosses larmes, et fuit en poussant des imprécations. Il est détrôné, car il ne trouvera plus que des ennemis et point de refuge dans cette population nomade contre laquelle les murs de Constantine servaient d’asile à sa tyrannie.

Les principaux habitans, se rendant à discrétion, n’implorèrent point en vain la générosité française. Le pillage, cette conséquence habituelle et en quelque sorte légale de l’assaut, fut promptement réprimé par les officiers, qui avaient acheté cher le droit d’être obéis, car 57 d’entre eux avaient arrosé de leur sang et 23 avaient payé de leur vie une gloire qui demeura pure de tout excès. Cette consommation d’officiers, proportionnellement plus forte que dans toute autre armée, antique et glorieuse coutume qui se perpétue dans l’armée française, est un des secrets de sa puissance et un des gages de son avenir, car, dans l’état moral de toutes les populations européennes, à la première guerre la victoire restera aux troupes qui feront le plus grand sacrifice d’officiers.

A la voix de l’honneur et de la discipline, on vit les soldats, qui passaient du dernier degré de la misère aux brillantes séductions du luxe oriental, s’arrêter, tendre la main aux vaincus, et adopter les enfans que leurs baïonnettes avaient faits orphelins. Un tel triomphe, plus rare dans l’histoire et plus glorieux encore que l’assaut, ne s’obtient qu’avec des troupes vraiment nationales, dont l’ardeur, puisée dans le zèle du service de la patrie et non dans l’ivresse de la poudre et du sang, cesse avec le combat; un tel triomphe est possible seulement avec des troupes qui ne font pas métier de la guerre, et trouvent dans l’estime de leur pays et dans l’approbation de leurs chefs la récompense que les soldats mercenaires cherchent dans le butin. C’est aussi là un vivant éloge de la discipline française, toujours puissante par la cause même qui la fait critiquer dans les pays où on ne peut ni l’imiter ni la comprendre, par la solidarité des officiers, étrangers à tout esprit de caste, et des soldats, qui ne sont ni leurs esclaves ni leurs égaux, parce qu’enfin l’officier est pour le soldat un frère aîné au combat, un père au bivac et à la caserne, un guide et un ami partout et toujours.

C’est à cette constitution toute spéciale que l’armée française avait dû cette constance et cette unanimité d’efforts rivaux sans être jaloux, cette tenace et obéissante persévérance dans les privations, cet infatigable et ingénieux dévoûment de jour et de nuit, sans lesquels il eût été impossible de vaincre les élémens coalisés avec une défense intelligente, et d’accomplir en six jours une de ces actions guerrières qui honorent non-seulement une armée et une époque, mais une nation, car c’est le roi qui l’a dit du haut du trône en parlant de l’expédition de Constantine, « la victoire a plus fait quelquefois pour la puissance de la France, jamais elle n’a élevé plus haut la gloire et l’honneur de ses armes. »

Dans l’histoire de l’art militaire, le siège de Constantine sera remarquable en ce que tous les travaux qu’on entreprend ordinairement de nuit et à couvert ont été exécutés en plein jour et à découvert, en ce que les attaques, sans approches préliminaires, sur un roc pelé, ont commencé aux distances où se font ordinairement les derniers travaux d’un siège, en ce que la place a été prise par moins d’artillerie qu’il n’y en avait sur le seul point attaquable.

Pourquoi faut-il qu’un si beau fait d’armes soit attristé par le nombre et la valeur des victimes qu’il a coûtées[3] !

C’est Perregaux, âme ferme et élevée, général habile, obtenant par sa sollicitude des efforts extraordinaires de ses soldats, toujours dévoués au chef qui voit en eux autre chose que des instrumens de succès.

C’est Combes, classé dans le souvenir de l’armée plus haut que son grade, à la place où l’eût élevé sa fière et énergique nature.

C’est Vieux, dont la force athlétique avait enfoncé à Waterloo la porte de la Haie-Sainte.

C’est Leblanc, artiste et soldat, oubliant dans le combat, comme Vernet au milieu de la tempête, le danger, pour admirer la scène où il joua et perdit sa vie.

Ce sont ces officiers du génie, qui ont si noblement payé sur la brèche leur droit d’y monter les premiers.

Ce sont ces officiers de zouaves et de zéphyrs, atteints presque jusqu’au dernier.

C’est enfin le plus illustre de tous, Damrémont, enlevé trop tôt à la France, et qui trouvera dans l’histoire le monument que sa mémoire attend encore Là où il termina une carrière déjà si remplie.

Ni la sépulture sous le dôme des Invalides, ni les honneurs dont sa dépouille mortelle fut entourée à son retour en France ne vaudront, pour le général en chef tué à la tête de ses troupes la veille de l’assaut, ce catafalque en sacs à terre et en pierres de revêtement, élevé entre la brèche, où flottait le drapeau en deuil du 47e et le minaret de Coudiat-Aty, qui reste debout pour attester l’adresse des canonniers : simple et touchant monument gardé par le 11e régiment, dont le général Damrémont avait été colonel, et autour duquel les troupes, déguenillées par suite des privations de la guerre, se réunirent pour rendre les derniers honneurs aux braves dont la place était vide dans les rangs, mais dont la mémoire vivait dans tous les cœurs.

Dès que la prise de Constantine eut cessé d’être un but pour devenir un résultat, d’autres embarras surgirent à la place de ceux auxquels remédiait cette conquête, car il est dans la nécessité de l’homme de se heurter toujours à de nouveaux obstacles, au-delà de ceux qu’il a déjà vaincus, et, pour lui rappeler son impuissance, la Providence a souvent voulu qu’il ne trouvât qu’une source de souffrances dans la réalisation de ses vœux.

Depuis que cette Constantine si désirée était aux Français, il semblait qu’il leur fut également impossible d’y rester et de la quitter. Comment y vivre sans cavalerie pour aller chercher dans un pays inconnu la viande dont on manquait, sans transports pour faire jusqu’à Medjez-Amar un convoi de retour, déjà impossible avant que l’armée eût perdu ses chevaux et se fût encombrée et diminuée de 1,400 blessés ou malades? Comment garder Constantine, si l’emploi de la force doit y créer une situation semblable à celle dont Alger, situé au bord de la mer, ne peut se dégager? Et cependant la difficulté de prendre cette place obligeait à la conserver. Comment revenir à Bône après l’avoir évacuée? L’abandon de Constantine eût été le signal de l’insurrection de toute la province, et ni le matériel ni les blessés n’eussent achevé une retraite commencée sous de tels auspices.

L’habileté du général Valée tira l’armée de ce cercle vicieux. L’art de se servir des vaincus est une grande qualité à la guerre. Par le respect de cette religion qui s’était montrée si puissante sur eux, par l’intelligence de leurs usages et de leurs besoins, il obtint des indigènes ce que la politique donne plus souvent que la victoire en Afrique, des vivres.

Dès le lendemain de l’assaut, la prière se fit de nouveau, non plus l’hymne passionné et menaçant du soldat musulman qui passe par la mosquée pour aller au combat et de là en paradis, mais la prière silencieuse et résignée du vaincu apaisé. Des chefs furent promptement et heureusement choisis pour substituer, sans un interrègne qui eût fondé l’anarchie, un pouvoir régulier au gouvernement détruit. Ces sages et prévoyantes mesures désarmèrent la population plus efficacement encore que les précautions prises contre une révolte du Caire, que l’implacable fureur des combats de siège autorisait à craindre.

Mais, en assurant la subsistance de l’armée, le général Valée avait aussi pourvu aux soins de la sûreté et de la salubrité. La ville est assainie et nettoyée. On enlève plus d’un millier de corps brûlés, racornis, mutilés, de troncs vivant encore sans leurs membres, de paquets de membres et de chairs palpitantes, qui gisaient sur un étroit espace, noyés dans des flaques de sang, — triste prix auquel s’achète la gloire militaire, alliage impur, mais nécessaire dans les médailles frappées pour la postérité.

Des réduits contre l’insurrection des habitans avaient été préparés dans quelques maisons isolées et à la casbah, où furent réunis tous les magasins, 15,000 kilogrammes de poudre et 2,000 fusils enlevés à la milice. La brèche est réparée, et du canon est remis en batterie contre une attaque du dehors, chaque jour plus improbable.

Le 17 octobre, le colonel Bernelle, parti de Medjez-Amar dès l’arrivée du 61e régiment, envoyé de France, amenait à Constantine un convoi de ravitaillement, plus important encore par l’impression qu’il produisit sur les Arabes et par l’établissement des rapports faciles entre Bône et Constantine que par le secours matériel qu’il procurait. Dans les rangs de cette colonne marchait le prince de Joinville, lieutenant de vaisseau à bord de l’Hercule, et qui se vengea bientôt au Mexique d’être arrivé trop tard cette fois pour partager les dangers et la gloire de son frère le duc de Nemours.

Mais le corps expéditionnaire, jusqu’alors prisonnier dans sa conquête, paya une cruelle rançon pour sa délivrance. La brigade Bernelle, dont l’arrivée lui donnait les moyens de garder Constantine et de ramener à Bône le matériel et les blessés, apportait le choléra, dont les ravages menaçaient d’ensevelir l’armée dans son triomphe. Parmi les nombreuses victimes du fléau, qui frappa surtout les blessés manquant de tout, l’armée regretta particulièrement le général de Caraman, militaire distingué, et digne héritier des vertus dont son noble père avait récemment donné un si touchant exemple. Le déplacement put seul arrêter une contagion dont les progrès rapides, favorisés par l’abondance après la misère, et l’oisiveté après l’activité excessive, eussent entièrement paralysé le corps expéditionnaire.

Le mouvement rétrograde s’exécuta sans précipitation et sans obstacles, au milieu des populations soumises et gouvernées. Ce fut là la constatation d’une conquête réellement accomplie, et qui ouvrait un vaste avenir à la France. L’équipage de siège partit le premier; un convoi de blessés suivit quelques jours après, et le général Valée, avec les troupes les plus valides, ne quitta Constantine qu’après avoir organisé le pays sous l’autorité française, mis la place en état et laissé sous les ordres du ferme et intelligent colonel Bernelle une garnison de 2,500 hommes approvisionnés pour cinq mois.

Le retour jusqu’à Bône, où tout était rentré le 4 novembre, fut triste et pluvieux. La brigade du duc de Nemours faisait l’arrière-garde, et poussait devant elle la cavalerie à pied et les chariots pliant sous le poids des blessés et des malades. Des lions et des milliers de vautours accompagnaient cette armée, sur laquelle le choléra levait journellement sa dîme, et dont chaque bivac était marqué par de vastes fosses remplies de cadavres.

Mais les manifestations de la reconnaissance nationale firent bientôt oublier leurs souffrances à ces braves, qui trouvèrent leur plus douce récompense dans la joie de la France, si justement fière de ses soldats. Depuis les victoires de l’empire, aucun événement militaire n’avait aussi profondément remué la fibre nationale que cette campagne de Constantine, qui prouvait à l’Europe que notre race n’était point dégénérée, et que les occasions seules lui avaient manqué. Le roi honora par un acte de justice ce succès vraiment populaire : le bâton de maréchal de France, accordé au général Valée, fut une noble confirmation d’une nomination préparée par le dévoûment, faite par le canon et sanctionnée par la victoire. Le maréchal comte Valée, nommé général en chef de l’armée d’Afrique, demeura à la tête de ces troupes qui, suivant son expression, « venaient d’égaler ce qu’il avait vu de plus beau dans sa longue carrière. »

La fin de la guerre, que semblaient promettre le traité conclu avec l’émir Abd-el-Kader et la chute d’Achmed-Bey, ne donna ni la paix à l’Algérie, ni le repos au soldat français. L’absence de la gloire rendit même plus pénibles des devoirs qui, pour être différens de ceux qu’on venait d’accomplir, ne furent ni moins nombreux ni moins importans.


Ce curieux et simple récit est tiré d’un ouvrage de M. le duc d’Orléans, qui paraîtra prochainement à la librairie Michel Lévy, sous le titre de Campagnes de l’armée d’Afrique de 1835 à 1839. Ce livre de M. le duc d’Orléans, publié par ses fils, sera certainement lu et recherché en France.

  1. L’armée expéditionnaire était ainsi composée :
    Général en chef, lieutenant-général comte de Damrémont ;
    Chef de l’état-major général, baron de Perregaux ;
    Commandant en chef l’artillerie, lieutenant-général comte Valée ;
    Commandant en second, général marquis de Caraman : quatre batteries de siège et le parc ;
    Commandant en chef le génie, lieutenant-général baron Rohault de Fleury ;
    Commandant en second, général Lamy : deux compagnies de mineurs, huit de sapeurs et le parc ;
    Intendant de l’armée, sous-intendant, M. d’Arnaud. Cinq compagnies du train, l’ambulance et le convoi.

  2. PREMIÈRE COLONNE.

    Lieutenant-colonel de Lamoricière (blessé à l’assaut);
    Commandant le génie, chef de bataillon Vieux (tué à l’assaut);
    Quatre-vingts sapeurs, capitaine Hackett (tué à l’assaut);
    Trois cents zouaves, capitaine Sanzay (tué à l’assaut);
    Deux compagnies d’élite, 2e léger, chef de bataillon de Sérigny (tué à l’assaut).

    DEUXIÈME COLONNE.

    Colonel Combes (tué à l’assaut);
    Commandant le génie, capitaine Potier (tué à l’assaut);
    Quarante sapeurs, capitaine Leblanc (tué à l’assaut);
    Compagnie franche, capitaine Guignard (tué à l’assaut);
    Trois cents hommes du 47e, commandant Leclerc;
    Cent hommes, 3e bataillon d’Afrique;
    Cent hommes, légion étrangère, commandant Bedeau.

    TROISIÈME COLONNE.

    Colonel Corbin;
    Détachement du 17e léger, | commandant Pâté;
    Détachement des tirailleurs d’Afrique,) | commandant Pâté;
    Détachement du 23e de ligne;
    Détachement du 26e de ligne;
    En tout seize cents hommes.

  3. Dans les tués de l’assaut de Constantine, les officiers figurent presque pour un quart, les sous-officiers pour un autre quart; les gradés n’ont donc laissé aux soldats, dix fois plus nombreux, que la moitié des chances mortelles.