Le tour du Saguenay, historique, légendaire et descriptif/13

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LE SAUMON DU SAGUENAY




L’établissement de pisciculture de Tadoussac — Lacs et rivières de pêche — L’élevage du saumon — Historique du saumon.





L’UNE des visites intéressantes à faire en arrivant à Tadoussac, c’est celle de l’établissement de pisciculture établi depuis 1875 en cet endroit.

Voici quelques notes qui feront connaître cette industrie du saumon du Saguenay :

L’établissement ichthyogénique de Tadoussac pour la reproduction du saumon existe depuis 1875. C’est un endroit des plus instructifs à visiter.

Le Saguenay, comme la Gaspésie, est le pays du saumon (salmo salar). C’est le pays du saumon le plus aimé des pêcheurs et des gourmets. Nul poisson pour la beauté et le goût peut entrer en comparaison avec le saumon du Saguenay ; c’est le roi des poissons et son royaume, c’est le Saguenay. Ses teintes sont plus riches, plus variées que celles de n’importe quel autre saumon, de la Gaspésie ou d’ailleurs.

Sur le menu des plus grands hôtels d’Amérique toujours figure comme mets de luxe le saumon du Saguenay, et c’est le mets favori des touristes des somptueux bateaux de la Canada Steamship Line Co.

Parce qu’il est bon et beau, ce saumon est un poisson intéressant. On peut dire qu’il est un poisson d’eau douce. Il passe la première année de son existence, qui est très longue, continuellement dans l’eau douce, émigrant quelquefois à l’océan.

Le saumon habite de préférence dans l’embouchure des fleuves. Au commencement du printemps, les femelles remontent les fleuves, suivent les rivières et vont déposer leurs œufs dans des espèces de fosses creusées par elles dans le sable. Les mâles les suivent.

Les saumons suivent un certain ordre dans ces migrations périodiques. Une femelle, la plus grosse de la troupe, marche en tête : les autres femelles la suivent, nageant deux à deux ; puis, viennent les mâles et ensuite les jeunes saumons.

Ils franchissent, dans cet ordre, des cascades et des digues, car ils peuvent faire des sauts de cinq ou six pieds de hauteur. On a vu des saumons réussir à franchir la passe aux saumons érigée sur la Rivière-à-Mars, près de la Baie des Ha ! Ha !, district du Saguenay, laquelle passe a sept pieds de haut.

La vitesse avec laquelle nagent les saumons égale celle d’une locomotive de chemin de fer. Ils franchissent par seconde une distance d’environ vingt-quatre pieds. Cette célérité du saumon est due à sa conformation : sa queue large est une rame très puissante.

Les saumons vivent d’ordinaire d’insectes, de vers et de jeunes poissons. Ils s’élancent avec la rapidité de l’éclair sur les moucherons qui volent à la surface des eaux.

Le district de Québec est fécond en saumons : beaucoup de rivières qui coulent de Québec au Labrador, d’un côté, et de la Baie-des-Chaleurs à Québec, de l’autre, foisonnent en saumons, comme en toute autre sorte de poisson au reste. Mais il n’est pas donné à tout homme qui pêche de prendre, sans coup férir, un saumon de quarante livres en ne faisant que voltiger sa mouche au-dessus des eaux de ces rivières. Un pêcheur de saumons doit avoir la vocation. Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus.

Les endroits de pêche aux saumons, surtout dans le district du Saguenay, sont nombreux ; on n’a même que l’embarras du choix, pourvu que l’on se mette en route ; mais où sont les véritables pêcheurs de saumons ?…

Une fois rendus à Tadoussac, pour y faire la pêche au saumon, vous avez le choix. Voici le Saguenay et le Saint-Laurent. Si vous êtes fatigués de capturer, à Tadoussac, des grosses truites saumonées, et que vous aimiez prendre quelques centaines de frétillantes petites truites de rivières, vous n’avez qu’à promener votre mouche à la surface des eaux du Lac-aux-Canards, du Petit Saguenay, de la Rivière Saint-Jean ou du lac Kénogami. En temps propice, on peut remplir un canot de ces truites.

Dans le Saguenay même, on aimera toujours pêcher la grosse truite saumonée.

On pêche le saumon surtout dans la rivière Sainte-Marguerite dont les eaux descendent au Saguenay.

À cause de notre climat froid, on ne peut pêcher à la mouche, en hiver, au Canada. Le temps de la pêche dure à peu près du 1er juin à la fin de septembre. On ne peut, d’après la loi, capturer le saumon après la fin de juillet. Le meilleur temps, pour cette pêche, s’étend du 10 juin jusqu’à la fin de juillet.

Dans le district de Québec, on peut prendre le saumon à la mouche dans la rivière Jacques-Cartier, près de Québec, dans la rivière Murray à Charlevoix, dans la rivière Sainte-Marguerite, dans le Saguenay et aussi dans la rivière Bersimis, à vingt-six lieues plus bas que Tadoussac. La Bersimis fournit le plus gros Saumon de la côte nord du Saint-Laurent, si ce n’est la rivière Moïsie qui coule à peu de distance de là. À part ces rivières, combien d’autres peuplées de saumons, de moins grande taille, il est vrai, mais non moins agréables à prendre !

D’où vient le saumon ?

On peut dire que le berceau de la grande famille salmonidée, c’est la Baie-des-Chaleurs.

Il y a soixante-quinze ans, on prenait le saumon sur toute la côte nord à volonté. Les Indiens le capturaient à la nigogne, c’est-à-dire au harpon. Ils en capturaient par ce moyen des quantités énormes. Il n’y avait pas de lois de pêche alors pour restreindre le saccage des rivières.

Il y eut alors des pêches merveilleuses. On ne comptait plus les saumons capturés. Ce fut vers 1864 que l’on passât les premières lois protégeant cette pêche. On proscrivit la nigogne et on limita la capture à certaines réserves de pêche. Le saumon, qui avait commencé à déprimer, revint. En 1871, on adopta le système de louer les rivières à bail. Les stations de pêche accrurent une réelle valeur. Enfin, en 1873, on inaugura la pisciculture, mais ce ne fut qu’en 1875 qu’on introduisit dans les établissements ichthyogéniques des quantités d’alvéoles valant la peine. En 1877, l’inauguration de l’Intercolonial stimula le commerce du saumon et une maison de commerce, en six jours, expédia par cette voie ferrée, 80,000 livres de saumon canadien à New-York.

La bâtisse où l’on élève le saumon à Tadoussac, telle qu’elle est aujourd’hui, mesure 102 pieds de long par 31 de largeur et elle est construite à peu près à 200 pieds du quai. Elle compte dix dalles de six auges, chacune de vingt pieds de long. On y loge une moyenne de 3,500,000 alevins de saumon, 200,000 de truites et 150,000 de ouananiches.

Au mois de mai de chaque année, on capture, généralement à l’Anse-à-la-Barque, dans le Saguenay, et à la Pointe-Rouge, dans le fleuve, environ 600 saumons de seize livres et plus, jamais moins de seize livres. On enferme ces saumons dans l’étang ou réservoir qui se trouve en face du bâtiment de pisciculture ; ils y passent six mois. En octobre, on recueille les œufs de ces saumons en les extirpant au moyen d’un procédé de pression sur tout le long du poisson. Ces œufs sont déposés dans les grandes auges de la bâtisse où on les traite pendant tout l’hiver en les baignant fréquemment d’eau courante. Ils éclosent au printemps ; alors ils deviennent des alevins que l’on garde pendant sept semaines. Ils mesurent, au bout de ce laps de temps, environ un pouce. On place alors tous ces alevins dans des canistres à demi-remplies d’eau et l’on fait la distribution dans toutes les rivières du Saguenay et dans certains lacs de la région : le Lac-à-Gobeil, le Lac-Long, le Lac-Croche, le Lac Ha ! Ha ! Cette distribution se fait vers le milieu de juin. On en distribue, en particulier, 800,000 dans la rivière Sainte-Marguerite dont le club est à quinze milles de la mer.

Quant aux gros saumons de l’étang, une fois qu’ils sont débarrassés de leurs œufs, au mois de novembre, on les lâche à la mer. On les remplace par d’autres au mois de mai de l’année suivante. À remarquer que le saumon ne donne des œufs que tous les deux ans.

Le gérant actuel — en 1920 — de la saumonnerie, qui est sous le contrôle du gouvernement fédéral, est M. A.-X. Catelier qui a remplacé son père qui fut gérant de cet établissement pendant 26 ans. M. W. Gravel a été pendant 36 ans employé à la saumonnerie et pendant sept ans assistant-gérant. Il a démissionné de cette fonction en 1918, pour aller demeurer chez son fils, l’abbé Médéric Gravel, curé de la nouvelle paroisse de Port-Alfred, Baie des Ha ! Ha ! : il était un véritable expert en pisciculture. Il fut remplacé par M. J. Caron.