Le Vote des femmes/Vous êtes cléricales !

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V. Giard & E. Brière (p. 55-58).


VOUS ÊTES CLÉRICALES !


Dès les temps les plus reculés, la ruse religieuse a aidé la force gouvernementale à asservir, exploiter, spolier les femmes.

Sans demander aux femmes de se soumettre à une quelconque formalité, pouvoirs spirituels et pouvoirs temporels se sont entendus pour leur confisquer leurs droits, les annuler.

Les femmes accusées d’avoir causé la perte du genre humain, furent vouées à l’opprobre par le christianisme qui sanctionna la tradition juive de la chute de la femme.

Au lieu d’élever à leur niveau la génératrice que les pères de l’Église avaient mis sous leurs pieds, les laïques, qui rient de la légende biblique, ont adopté le dogme religieux de l’intériorité de la femme ; et, l’exclue du sacerdoce a été exclue du suffrage.

Pour évincer les femmes de la politique qui leur octroierait leur part des avantages sociaux, les hommes prétextent qu’elles sont cléricales.

La séparation de l’église et de l’État en ses divers incidents, a révélé que ce croquemitaine le cléricalisme, avec lequel on impose depuis si longtemps silence aux femmes, est un épouvantail aussi fictif que ceux dont on se sert pour effrayer les enfants.

Du moment que les ministres des différents cultes sont électeurs on n’a pas d’objection à faire contre l’électorat des femmes fussent-elles pratiquantes de ces cultes.

Car, si le fait d’avoir les opinions religieuses est par lui-même répréhensible, peu importe le sexe des personnes qui ont ses opinions. On peut même soutenir que les actes religieux accomplis par les hommes qui se sont attribué dans la société un rôle prépondérant, ont une portée plus considérable que ceux accomplis par des femmes annulées.

Pourquoi les femmes croyantes seraient-elles donc traitées avec plus de rigueur que les hommes croyants ?

On ne demande pas aux hommes quelles sont leurs idées philosophiques quand on leur délivre la carte électorale : les prêtres, les pasteurs, les rabbins, la reçoivent, comme les libres-penseurs.

Puisque les hommes ne sont pas spoliés de leurs droits pour cause d’opinions, pourquoi les femmes le seraient-elles ?

Si la religiosité aide plutôt des hommes à s’élever dans la République aux premières fonctions et dignités, comment cette religiosité ferait-elle dégrader civiquement les femmes ?

Ceux qui excommunient les Françaises de la vie publique, entendent substituer au déïsme, le masculinisme.

– Femmes ! disent-ils, ne croyez pas à l’infaillibilité du pape, mais admettez sans discussion l’infaillibilité de l’homme !

Ce sont surtout les femmes malheureuses en ménage qui s’adonnent au mysticisme. Cela m’a été tant de fois démontré, que dès qu’un citoyen me confie que sa compagne légitime ou illégitime, tombe dans la religiosité ou l’occultisme ; avec la certitude d’avoir devant moi un coupable, je lui demande aussitôt : – Qu’avez-vous fait à votre femme ?

Pendant qu’elles sont les embastillées des codes, s’occuper de l’opinion des femmes, c’est comme si l’on s’occupait du chemin qu’un prisonnier prendra quand il aura brisé ses chaînes. Tous les délivrés de l’oppression courent du côté où ils voient le plus de liberté.

On arrête le progrès en laissant à la loi l’empreinte cléricale qui lui fait inférieuriser le sexe pour lequel les pères de l’Église avaient une haine contre nature.

Ainsi que saint Jérôme et saint Cyprien, qui mutilaient leurs corps pour s’abstenir de s’avilir avec la femme impure, les législateurs libres-penseurs mutilent le corps social, retranchent la moitié de ses membres, pour s’épargner l’impur contact féminin.

Les détenteurs du pouvoir considérèrent toujours comme subversive l’idée féministe. L’Église favorisa cette tendance en flétrissant au concile de Paris « les dames qui au mépris de la constitution canonique, se mêlent des choses de l’autel, manient effrontément les vases sacrés et, ce qui est plus grave, plus indécent, plus inepte, offrent le corps et le sang du Seigneur aux fidèles ».

Quand les hommes veulent se réserver le monopole d’une bonne place, que ce soit celle de prêtre ou celle de député, ils sont d’accord, pour dire à la femme que c’est inepte et indécent, de la leur disputer.

Les libres-penseurs enlèvent aux femmes l’espoir d’être indemnisées au ciel de leurs souffrances ; mais, ils ne se hâtent point de leur donner ici-bas tout leur dû.

Laïciser la France, ce n’est pas seulement cesser de payer pour enseigner des dogmes religieux, c’est rejeter la loi cléricale – infériorisant la femme – qui découle de ces dogmes.

Les apôtres de la foi civile qui dénient aux Françaises leurs droits politiques, sont frères jumeaux des évêques du concile de Mâcon, qui se demandaient si les femmes avaient une âme et faisaient partie du genre humain.