Les Quarante Médaillons de l’Académie/28

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XXVIII

M. JULES SANDEAU

C’est une femme de lettres et pas des meilleures encore ! Un jour, pour les besoins d’une collaboration, qui a été publique, M. Sandeau échangea son sexe contre celui de madame Sand ; mais pour mon compte, je n’ai jamais su ce qu’il lui a pris et ce qu’il lui a donné ! C’est un romancier, — un oncle à M. Octave Feuillet. Il a cette moralité de sceptique qui n’est sûr de rien, cette mondanité morale, chère aux mêmes petites mamans qui veulent que les enfants aient des collerettes blanches, n’ayant pas plus que M. Feuillet une idée de morale solide appuyée sur un principe dans sa tête mûre, terriblement plus mûre que celle du neveu Feuillet, et n’ayant pas, comme M. Feuillet, la prétention au raffinement, prise à respirer ce flacon de senteur qu’on appelle Alfred de Musset… Comme peintre, M. Sandeau est un cataplasme assez doux pour les porteurs de visières vertes. Aussi a-t-il publié, chez Buloz, un grand nombre de ses romans ; l’autre nombre le fut chez Pitre-Chevalier, au Musée des Familles. Puis, de Buloz en Pitre, il est entré à l’Académie ; — à l’Académie, qui veut des romanciers, la charmante moderne qu’elle est ! qui ne voulut pas de Balzac, il est vrai, mais qui prend des Sandeau tant qu’il y en a, et laisse là Léon Gozlan !… Léon Gozlan, un esprit chaud, coloré, condensé, aiguisé, vivant et vibrant, plein d’invention, un maître qui fait d’abord le diamant et qui après le taille, et quand il n’a pas de diamant, qui prend un bouchon de liége et en fait sortir le feu du diamant par une incroyable magie !… Mais savent-ils même à l’Académie qu’il existe un Léon Gozlan ?…

Que pense M. Sandeau en philosophie, en histoire, en législation, en politique, en religion, la question suprême ? On sait tout cela d’un grand romancier. Je le dirai de Daniel de Foe, de Walter Scott, quand on voudra ; mais M. Sandeau n’est pas un grand romancier. C’est un petit conteur de contrebande, rompu au métier, qui a grapillé dans la vigne à Goldsmith, et à Walter Scott, et qui nous a souvent gâté le raisin qu’il y a volé. D’essence et d’élégance naturelle, c’est, ou plutôt c’était, un clerc de notaire. Je l’ai vu, — autrefois, — faire le dandy en loge avec une grosse chevalière à pierre brillante, par-dessus un gant beurre frais, qui n’était pas très-frais. Il a eu les mêmes goûts et les mêmes malheurs qu’Alfred de Musset, et il disait, montrant sa tête chauve : « Elle m’a pris mon dernier cheveu et ma dernière illusion. » Mais, comme Alfred de Musset, il n’a pas fait son saut de Leucade dans l’absinthe. Il a piqué dans le solide, les huîtres, le pâté de foie gras et les côtelettes. Guéri de passions, marié d’ailleurs, il est devenu un ventre rondelet et tranquille qui emplit très-bien son fauteuil d’Académie. M. de Pontmartin s’est longtemps dévoué à sa gloire. Mais lui, l’ingrat, pourquoi ne s’occupe-t-il pas un peu plus de faire entrer à l’Académie M. de Pontmartin ? …