Les épis (LeMay)/7

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Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 24-26).


Rayon lointain


Le beau soir ! Le beau soir !… Étendard grandiose,
Un nuage d’argent, frangé d’or et de rose,
Sur nos monts d’azur sombre avait longtemps flotté ;
Et l’homme, tout rempli de soins, avait trotté
Comme l’insecte vif sur les routes diverses.
La brise avait séché quelques tièdes averses.
Dans le ciel du couchant, comme un riche ostensoir,
Le soleil avait lui… Le beau soir ! Le beau soir !

C’était la fenaison. C’était une féerie…
Sous la buée et sous les fleurs, chaque prairie
Semblait un large autel où brûlent des encens.
De toute part montaient d’harmonieux accents.
Le fermier matinal, portant sur son épaule
La faux d’acier luisant et la fourche de saule,
Dès l’aube était sorti de son humble maison.
La lumière pleuvait… C’était la fenaison.


Et les flots verts, bercés par une fraîche haleine,
Ressemblaient aux andains alignés dans la plaine.
Le long des chemins gris, sous les effluves chauds,
On voyait rayonner les toits peints à la chaux.
On avait entendu, comme un bruit de cymbales,
Le fer des travailleurs et le cri des cigales ;
Et, plus haut que ces bruits dans les airs dispersés,
Avaient chanté les cœurs d’espérances bercés.

Sur les pas des faucheurs toute la matinée,
Les faneuses, riant, la joue illuminée,
Avaient fané le foin. À l’heure du repos
On avait, sous les pins, bu le lait. Les troupeaux,
Dans l’autre champ couchés, ruminaient d’un air lâche.
La faux bientôt encor avait repris sa tâche,
Et, jusque vers le soir, fait glisser des lueurs
Parmi l’ombre du sol, sur les pas des faucheurs.

Le soir était venu. Les pesantes voitures,
Traversant les fossés, effleurant les clôtures,
S’en allaient au fenil porter le nouveau foin.
On entendait chanter les paysans au loin.
Un rustique parfum restait sur leur passage.
Les faneuses rentraient. Chacune à son corsage

Avait mis une fleur, en quittant le pré nu.
Une étoile brilla. Le soir était venu.

Mon cœur se réveillait. Seul, assis à la porte,
J’écoutais ces rumeurs que la nuit nous apporte,
Quand, tout près, sur la route, il s’élève une voix
Qui me fait tressaillir. Je regarde, et je vois
Dans un nid de foin mûr, sur le char qui m’effleure,
Une enfant du village… Oh ! c’est loin ! Et je pleure
Au divin souvenir du chant qu’elle effeuillait.
Trop vite elle passa !… Mon cœur se réveillait.