Les épis (LeMay)/8

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Les épisLa Cie J.-Alfred Guay (p. 27-33).


La fenaison


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
Ô les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !

Sur la forêt lointaine,

Sur la vive fontaine,
Glissent des rayons d’or,
Et vers la grève humide
L’alouette timide
Prend un joyeux essor.

Avec sa faux tranchante,
Pendant que l’oiseau chante
Dans le buisson fleuri,
Le paysan agile
Retourne au pré fertile

Où le trèfle a mûri.


Et le foin plein d’arome

Sur le sol qu’il embaume
Se couche frémissant,
Comme sur le rivage
Le frêle jonc sauvage,
Sous le flot incessant.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
Ô les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !

Dans la forêt vermeille

Cependant se réveille
L’harmonieux pinson,
Et prenant sa volée,
Sur la route voilée
Il sème sa chanson.

Et la fraîche rosée
Qui s’était déposée
Sur le rameau mouvant,
Du verdoyant feuillage
S’échappe, à son passage,

Comme au souffle du vent.


Et l’on dirait que l’aile

De l’humble philomèle,
Dans ses doux battements,
Fait pleuvoir sur les herbes
Les scintillantes gerbes
De mille diamants.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
Ô les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !

La jeune paysanne

Qui s’avance et ricane,
Tient dans sa brune main
Une fourche de saule,
Et sur sa ronde épaule
Un vase d’eau tout plein.

La coquette églantine
Semble moins purpurine
Que n’est sa joue alors ;
Un corsage de toile
Avec chasteté voile

Les grâces de son corps.


On dirait qu’elle rêve

Lorsque sa main soulève
Des trèfles empourprés,
Et, qu’à chaque, secousse,
Une odeur neuve et douce
S’exhale des verts prés.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
Ô les rameaux en fleurs, les vertes draperies,
Qui flottent sous un ciel d’azur !


J’entends, par intervalle,
Comme un bruit de cymbale
Qui retentit pressé ;
Pour affiler sa lame
Que le silex entame
Un faucheur s’est dressé.

Il a pris toute humide,
Dans le vase limpide,
La pierre au rude grain,
Et d’une main précise
Sur l’acier qu’il aiguise

La promène grand train.


En se contant fleurettes,

Les gars et les fillettes
Munis de leurs rateaux,
Amassent, desséchée,
L’herbe d’hier couchée
Par la mordante faux.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
O les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !

Satisfait de l’ouvrage

Qu’il fait avec courage
Depuis que l’aube a lui,
Le faucheur sur la plaine
De temps en temps promène
Ses yeux autour de lui.

Sur sa faux il s’appuie,
Et de sa main essuie
Son front tout ruisselant,
Car une brise chaude
Sur le pré d’émeraude

Se lève d’un vol lent.


Et, le long des clôtures,

Les pesantes voitures
Que traînent les bœufs roux
Amènent, à la grange,
Le foin mûr qui s’effrange
Aux épines du houx.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
O les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !

La vive sauterelle

Sur la tigé nouvelle
Découpe son profil,
La libellule rase
De son aile de gaze
Les aigrettes du mil ;

Et, d’une ardeur égale,
Le grillon, la cigale
Jettent des cris joyeux ;
Elle, dans la lumière,
Le grillon, sous la pierre

Qui le dérobe aux yeux.


Ainsi l’humble chaumière

Et la maison princière
Ont des chants de bonheur ;
Et que nul ne s’étonne,
Car c’est une œuvre bonne
Que l’œuvre du Seigneur.


Ô les vives chansons qui montent des prairies !
L’exquise senteur du foin mûr !
Ô les rameaux en fleurs, les vertes draperies
Qui flottent sous un ciel d’azur !