Les 120 Journées de Sodome/Trentième journée

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Trentième journée.


[146]„Je ne sais, messieurs,“ dit cette belle fille, „si vous avez entendu parler de la fantaisie aussi singulière que dangereuse du comte de Lernos ; mais quelque liaison que j’ai eu avec lui m’ayant mis dans le cas de connaître au fond ses manœuvres, et les ayant trouvées très extraordinaires, j’ai cru qu’elles devaient faire nombre dans les voluptés que vous m’avez ordonné de vous détailler. — La passion du cte. de Lernos est de mettre à mal le plus de jeunes filles et de femmes mariées qu’il peut [sic] et indépendamment des livres qu’il met en usage pour les séduire, il n’y a sorte de moyen qu’il n’invente pour les livrer à des hommes, ou il favorise leurs penchants, en les unissant à l’objet de leurs vœux, ou il leur trouve des amants, si elles n’en ont pas, il a une maison exprès où toutes les parties qu’il arrange, se retrouvent, il les unit, leur assure de la tranquillité et du repos et va jouir dans le cabinet secret du plaisir, de les voir aux prises, mais il est inouï à quel point il multiplie ces désordres, et tout ce qu’il met en œuvre, pour former ces petits mariages, il a des entours dans presque tous les couvents de Paris, chez une grande quantité de femmes mariées, et il s’y prend si bien qu’il n’y a pas un seul jour, où il n’ait chez lui trois ou quatre rendez-vous ; jamais il ne manque à surprendre leurs voluptés, sans qu’on puisse s’en douter, mais enfin placé au trou de son observatoire, comme il y est toujours seul, personne ne sait ni comment il procède à sa décharge, ni de quelle nature elle est, on sait seulement le fait, le voilà et j’ai cru, qu’il était digne de vous être raconté. [147] La fantaisie du vieux président Desportes vous amusera peut-être davantage : Prévenue de l’étiquette, qui s’observait chez le paillard d’habitude, j’arrive chez lui vers les 10 heures du matin, et parfaitement nue je vais lui présenter mes fesses à baiser dans un fauteuil où il était gravement assis, et du premier abord je lui pète au nez, mon président irrité se lève, saisit une poignée de verges, qu’il avait auprès de lui, et se met à courir après moi, dont le premier soin est de me sauver : „Impertinente,“ me dit-il, toujours en me poursuivant, „je t’apprendrai à venir faire chez moi des infamies de cette espèce.“ — Lui de poursuivre, et moi toujours de me sauver, je gagne enfin une ruelle, je m’y tapis comme dans une retraite impénétrable, mais j’y suis bientôt atteinte, les menaces du président redoublent, en se voyant maître de moi. Il brandit ses verges, il menace de m’en frapper, je me rencogne, je m’accroupis, je ne me fais pas plus grosse qu’un souris, cet air de frayeur et d’avilissement détermine à la fin son foutre, et le paillard le darde sur mon sein, en hurlant de plaisir. — „Quoi sans te donner un seul coup de verge,“ dit le duc. — „Sans la baisser même sur moi,“ répondit Duclos. — „Voilà un homme patient,“ dit Curval, „mon ami, convenez que nous ne le sommes pas tout à fait autant, quand nous avons en main l’instrument dont parle la Duclos.“ — „Un peu de patience, messieurs,“ dit Chanville, „je vous en ferai bientôt voir du même genre, et qui ne seront pas aussi patients que le président dont vous parle ici Md. Duclos.“ — Et celle-ci voyant que le silence que l’on observait lui laissait la facilité de reprendre son récit, y procéda de la manière suivante. — [148]„Peu de temps après cette avanture, je fus chez le marquis de Saint-Girard, dont la fantaisie était de placer une femme nue dans une escarpolette et de la faire enlever ainsi à une très grande hauteur, à chaque secousse on lui passe devant le nez, il vous attend, et il faut en ce moment-là, ou faire un pet, ou recevoir un claque sur le cul, je le satisfis de mon mieux, j’eus quelques claques, mais je lui fis force pets, et le paillard ayant enfin déchargé au bout d’une heure de cette ennuyante et fatiguante cérémonie, l’escarpolette s’arrêta et j’eus mon audience de congé. [149]Environ trois ans après que je fus maîtresse de la maison de la Fournier, il vint un homme chez moi, me faire une singulière proposition, il s’agissait de trouver des libertins qui s’amusassent avec sa femme et sa fille, à la seule condition de le cacher dans un coin pour voir tout ce qu’on leur ferait, il me les livrerait, disait-il, et non seulement l’argent que je gagnerais avec elles, serait pour moi, mais il me donnerait encore deux louis par partie, que je leur ferais faire, il ne s’agissait que d’une chose, c’est qu’il ne voulait pour sa femme que des hommes d’un certain goût, et pour sa fille des hommes d’une autre espèce de fantaisie ; pour sa femme il fallait des hommes qui lui chiassent sur les tetons, et pour sa fille, il en fallait, qui en la troussant exposassent bien son derrière en face du trou, où il observerait, afin qu’il pût la contempler à son aise, et qui ensuite lui déchargeassent dans la bouche pour toute autre passion que les dites-la, il ne livrait point ses marchandises ; après avoir fait promettre à cet homme qu’il répondait de tout évènement, au cas que sa femme et sa fille vinssent à se plaindre d’être venues chez moi, j’acceptai tout ce qu’il voulut et lui promis que les personnes qu’il me demandait seraient fournies ; ainsi qu’il l’entendait, dès le lendemain il m’amène sa marchandise, l’épouse était une femme de 36 ans, peu jolie, mais grande et bien faite, un grand air de douceur et de modestie, la demoiselle avait 15 ans, elle était blonde, un peu grasse et de la physionomie du monde la plus tendre et la plus agréable. ? En vérité, monsieur,“ dit l’épouse, „vous nous faites faire là des choses.“ — „J’en suis mortifié,“ dit le paillard, „mais il faut que cela soit ainsi, croyez-moi, prenez votre parti, car je n’en démordrai pas, et si vous résistez en la moindre chose aux propositions et aux actions, auxquelles nous allons vous soumettre, vous, madame, et vous, mademoiselle, je vous mène dès demain dans le fond d’une terre toutes les deux, dont vous ne reviendrez de vos jours.“ Alors l’épouse jeta quelques larmes, et comme l’homme auquel je la destinais, attendait, je la priai de passer dans l’appartement, qui lui était destiné, pendant que sa fille resterait très en sûreté dans une autre chambre avec mes filles jusqu’à ce que son tour vînt. En ce moment cruel, il y eut encore quelques pleurs, et je vis bien que c’était la première fois, que ce mari brutal exigeait de pareilles choses de sa femme, et malheureusement le début était dur, car indépendamment du goût baroque du personnage à qui je la livrais, c’était un vieux libertin fort impérieux et fort brusque, et qui ne la traiterait pas très honnêtement : „Allons, point de pleurs,“ lui dit le mari en entrant, „songez que je vous observe et que, si vous ne satisfaites pas amplement l’honnête homme, auquel on vous livre, j’entrerai moi-même pour vous y contraindre, allez entrer !“ — Et nous passons, le mari et moi, dans la chambre d’où l’on pouvait tout voir. On n’imagine pas à quel point ce vieux scélérat s’échauffa l’imagination, en contemplant sa malheureuse épouse victime de la lubricité d’un inconnu, il se délectait à chaque chose qu’on exigeait d’elle, la modestie, la candeur de cette pauvre femme humiliée sous les atroces procédés du libertin, qui s’en amusait lui composait le spectacle délicieux, mais quand il la vit brutalement posée à terre, et le vieux magot, à qui je l’avais livrée lui chia sur la gorge, quand il vit les pleurs, les dégoûts de sa femme à la proposition et à l’exécution de cette infamie, il n’y tint pas, et la main dont je le branlais fut à l’instant couverte de foutre. Enfin cette première scène cessa et si elle lui avait donné du plaisir, ce fut autre chose, quand il put jouir de la seconde. — Ce n’était pas sans de grandes difficultés et surtout sans de grandes menaces, que nous étions parvenues ! à faire passer la jeune fille, témoin des larmes de sa mère et ignorant ce qu’on lui avait fait ; la pauvre petite faisait toutes sortes de difficultés, enfin nous la décidâmes, l’homme à qui je la livrais, était parfaitement instruit de tout ce qu’il y avait affaire, c’était une de mes pratiques ordinaires, que je gratifiais de cette bonne fortune, et qui par reconnaissance consentit à tout ce que j’en exigeais. „Oh le beau cul,“ s’écria le père libertin, dès que le miché de sa fille nous l’exposa entièrement à nu, „oh sacré Dieu les belles fesses.“ — „Eh quoi,“ lui dis-je, „est-ce donc la première fois que vous les voyez ?“ — „Oui, vraiment,“ me dit-il, „il m’a fallu cet expédient pour jouir de ce spectacle, mais si c’est la première fois que je vois ce beau fessier, je proteste bien, que ce ne sera pas la dernière.“ Je le branlais vivement, il s’extasiait, mais quand il vit l’indignité, qu’on exigeait de cette jeune vierge, quand il vit les mains d’un libertin consommé se promener sur ce beau corps, qui n’avait jamais souffert pareil attouchement, quand il vit qu’on la faisait mettre à genoux, qu’on la forçait d’ouvrir la bouche, qu’on introduisit un gros vit dedans, et qu’on y déchargeait, il se rejeta en arrière en jurant comme un possédé, en protestant que de ses jours il n’avait goûté tant de plaisir, et en laissant entre mes doigts des preuves certaines de ce plaisir. — Tout fut dit ; les pauvres femmes se retirèrent en pleurant beaucoup, et le mari trop enthousiasmé d’une telle scène, trouva sans doute le moyen de les décider à lui redonner souvent le spectacle d’une telle scène, car je les ai reçus chez moi plus de 6 ans, et j’ai fait, d’après l’ordre que je recevais du mari, passer ces deux malheureuses créatures par toutes les différentes passions dont je viens de vous faire les récits, à peut-être 10 ou 12 près, qu’il n’était pas possible qu’elles satisfissent, parce qu’elles ne se passaient chez moi.“ — „Voilà bien des façons pour prostituer une femme et une fille,“ dit Curval, „comme si ces garces-là étaient faites pour autre chose ! Ne sont-elles pas données pour nos plaisirs ? Et de ce moment-là ne devaient-elles pas les satisfaire, n’importe comment — J’ai eu beaucoup de femmes,“ dit le président, trois ou quatre filles, dont il ne me reste plus, Dieu merci, que Mlle. Adélaïde, que M. le duc fout à présent à ce que je crois. Mais si aucune de ces créatures eût refusé la prostitution, où je les ai régulièrement soumises : que je sois damné tout vivant, ou condamné, ce qui est pis, à ne foutre que de cons toute ma vie, si je ne leur eusse brûlé la cervelle.“ — „Président, vous bandez,“ dit le duc, vos foutus propos vous décèlent toujours.“ — „Bander ? non,“ dit le président, „mais je suis au moment de faire chier Mlle. Sophie, et j’espère que sa merde délicieuse produira peut-être quelque chose. — Oh, ma foi, plus que je ne pensais,“ dit Curval, après avoir gobé l’étron, „voilà sur le Dieu, dont je me fouts, mon vit qui prend consistence, — qui de vous, messieurs, veut passer avec moi dans le boudoir.“ — „Moi,“ dit Durcet, en entraînant Aline, qu’il pâtissait depuis une heure, et nos deux libertins s’y étant fait suivre d’Augustine, de Fanni, de Colombe et d’Hébé, de Zélamir, d’Adonis, d’Hyacinthe, et de Cupidon, joignant à cela Julie et deux vieilles, la Marraine et Chanville, Antinous et Hercule. Ils reparurent triomphants au bout d’une demi-heure et ayant chacun perdu leur foutre dans les plus doux excès de la crapule et du libertinage. „Allons,“ dit Curval à Duclos, „donne-nous ton dénouement, ma chère amie, et s’il peut me faire rebander, tu pourras te flatter d’un miracle, car il y a ma foi, plus d’un an, que je n’avais perdu tant de foutre à la fois, il est vrai.“ — „Bon,“ dit l’évêque, si nous recourons, ce sera bien pis que la passion, que doit nous conter Duclos, ainsi comme il ne faut pas aller du fort au faible, trouvez bon que nous te fassions taire et que nous écoutions notre historienne.“ — [150]Aussitôt cette belle fille termina ses récits par la passion suivante. — „Il est enfin temps, messieurs,“ dit-elle, „de vous raconter la passion du Marquis de Mésanges, auquel vous vous souvenez, que j’ai vendu la fille du malheureux cordonnier, qui périssait en prison avec sa pauvre femme, pendant que je jouissais du legs, que lui laissait sa mère. Comme c’est Lucile, qui le satisfit, ce sera, si vous voulez bien, dans sa bouche, que j’en vais placer le récit. „J’arrive chez le marquis,“ me dit cette charmante créature, „vers les dix heures du matin ; dès que je suis entrée, toutes les portes se ferment.“ — „Que veux-tu faire ici, scélérate,“ me dit le marquis, tout en feu, „qui te permit de me venir interrompre ?“ — et comme vous ne m’aviez prévenue de rien, vous imaginez facilement, à quel point cette réception m’effraya. „Allons, mets-toi nue,“ poursuivit le marquis, „puis que je te tiens, garce, tu ne sortiras plus de chez moi ! — tu vas périr, te voilà à ton dernier moment,“ alors je fondis en larmes, je me jetais aux pieds du marquis, mais il n’y eut aucun moyen de le fléchir. Et comme je ne me pressais assez de me déshabiller, il déchira lui-même mes vêtements en les arrachant de force de dessus mon corps, mais ce qui acheva de m’effrayer, ce fut de les voir jetés en feu à mesure, qu’il les enlevait. „Tout cela devient inutile,“ disait-il en jetant pièce à pièce tout ce qu’il emportait dans un vaste foyer, „tu n’as plus besoin de robes, de mantelets, d’ajustements, ce n’est plus qu’une bière, qu’il te faut,“ en un instant, je fus tout à fait nue, alors, le marquis qui ne m’avait jamais vue contempla un instant mon derrière, il le mania en jurant, l’entr’ouvrit, le resserra, mais ne le baisa point. „Allons, putain,“ dit-il, „ça est fait, tu vas suivre les habits, et je vais t’attacher sur les chenets, oui sacré Dieu, te brûler vive, garce, avoir le plaisir de respirer l’odeur, qui exhalera de ta chair brûlée,“ et disant cela, il tombe pâmé dans son fauteuil et décharge en dardant son foutre sur mes vêtements, qui brûlent encore, il sonne, on entre, un valet m’emmène, et je retrouve dans une chambre voisine, de quoi me vêtir complètement, en parures deux fois plus belles que celles, qu’il avait consumées. Telle est le récit que me fit Lucile, reste à savoir maintenant, si c’est à cela ou à pis qu’il fit servir la jeune pucelle que je lui vendis.“ — „À bien pis,“ dit la Desgranges, „et vous avez bien fait de faire un peu connaître le marquis, car j’aurai occasion d’en parler à ces messieurs.“ — „Puissiez-vous, madame,“ dit Duclos à la Desgranges, „et vous mes chères compagnes,“ ajouta-t-elle en adressant la parole à ses deux autres camarades, „le faire avec plus de sel, d’esprit et d’agrément que moi, c’est votre tour, le mien est fini, et je n’ai plus que prier ces messieurs de vouloir bien excuser l’ennui que je leur ai peut-être causé par la monotonie presque inévitable en de semblables récits, qui tous fondés dans un même quadre ne peuvent guère ressortir que par eux-mêmes.“ — Après ces paroles la belle Duclos salua respectueusement la compagnie et descendit de la tribune, pour venir auprès du canapé de ces messieurs, où elle fut généralement applaudie et caressée. On servit le souper, auquel elle fut invitée, faveur qui n’avait encore été faite à aucune femme, elle fut aussi aimable dans la conversation qu’elle avait été amusante dans le récit de son histoire, et pour récompense du plaisir qu’elle avait procuré à l’assemblée, elle fut créée directrice générale des deux sérails avec promesse donnée à part par les 4 amis que quelque extrémité que pût se porter contre les femmes dans le cours du voyage, elle serait ménagée et très certainement ramenée chez elle à Paris, où la société la dédommagerait amplement du temps qu’elle lui avait fait perdre, et des peines qu’elle s’était données pour lui procurer des plaisirs. Curval, le duc et elle se soûlèrent tous trois si complètement au souper qu’ils furent presque hors d’état de pouvoir passer aux orgies, ils laissèrent Durcet et l’évêque les faire à leur guise et furent les faire à part dans le boudoir du fond avec Chanville, Antinous, Brise-cul, Thérèse et Louison, où l’on peut assurer, qu’il se fit et dit pour le moins autant d’horreurs et d’infamies que les deux autres amis en purent inventer de leur côté. À deux heures du matin tout fut se coucher, et c’est ainsi que se termina le mois de novembre et la première partie de cette lubrique et intéressante narration, de laquelle nous ne faisons pas attendre la seconde au public, si nous voyons qu’il accueille bien la première.[1]



  1. Fautes que j’ai faites.
    J’ai trop dévoilé les histoires de garderobe au commencement, il ne faut les développer qu’après les récits qui en parlent — trop parlé de la Sodomie active et passive, voilez-les, jusqu’à ce que les récits en parlent. — J’ai eu tort de rendre Duclos sensible à la mort de sa sœur ; ça ne répond pas au reste de son caractère, changez cela. — Si j’ai dit qu’Aline était pucelle à l’arrivée au château j’ai eu tort, elle ne l’est pas et ne doit pas l’être. L’évêque l’a dépucelée partout. Et n’ayant pas pu me relire, cela doit sûrement fourmiller d’autres fautes. — Quand je remettrai au [prison] qu’un de mes premiers soins soit d’avoir toujours auprès de moi un cahier de notes, où il faudra que je place exactement chaque évènement et chaque portrait en mesure que je l’écris. Car sans cela je m’embrouillerai horriblement à cause de la multitude des personnages. Partez pour la seconde partie du principe qu’Augustine et Zéphire couchent déjà dans la chambre du duc dès la ie partie, comme Adonis et Zelmire dans celle de Curval, Hyacinthe et Fanni dans celle de Durcet, Céladon et Sophie dans celle de l’évêque, quoique tout cela ne soit pas encore dépucelé.