Les Affinités électives (trad. Carlowitz)/Deuxième partie/Chapitre 4

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Traduction par Aloïse de Carlowitz.
Charpentier (p. 177-190).
Seconde partie - Chapitre IV

Lorsqu’il ne fut plus possible de cacher à Ottilie qu’Édouard était allé braver les chances incalculables de la guerre, elle en fut d’autant plus vivement affectée que, depuis longtemps déjà, elle n’éprouvait plus que des sensations qui lui rappelaient la fragilité des choses humaines. Heureusement, notre nature ne peut accepter qu’une certaine dose de malheur ; tout ce qui dépasse cette dose l’anéantit ou ne l’atteint point. Oui, il est des positions où la crainte et l’espérance ne font plus qu’un même sentiment morne et silencieux, qu’on pourrait presque appeler de l’insensibilité. S’il n’en était pas ainsi, comment pourrions-nous continuer à vivre de la vie vulgaire, et suivre le cours de nos habitudes et nos travaux, tout en sachant que des dangers, sans cesse renaissants, enveloppent l’objet de nos affections qui vit loin de nous.

Ottilie allait pour ainsi dire s’abîmer dans la solitude silencieuse au milieu de laquelle elle vivait, lorsque le bon génie, qui veillait encore sur elle, introduisit au château une espèce de horde sauvage. Le désordre qu’elle y causa, rappela les forces actives de la jeune fille sur les objets extérieurs, et lui rendit la conscience de son être.

Luciane, la brillante fille de Charlotte, avait, ainsi que nous l’avons déjà dit, quitté le pensionnat, pour aller habiter avec sa grande-tante, qui s’était empressée de l’introduire dans le monde élégant. Là, le désir de plaire qui l’animait, devint une fascination qui captiva bientôt un jeune et riche seigneur, auquel il ne manquait, pour réunir tout ce qu’il y avait de mieux en tout genre, qu’une femme accomplie, dont tout le monde lui envierait la possession. Pour arrêter définitivement cet avantageux mariage, il fallait entrer dans des explications et des détails sans nombre, et établir des relations nouvelles ; ce qui augmenta tellement la correspondance de Charlotte, qu’elle ne pouvait plus s’occuper d’autre chose.

On savait que les jeunes fiancés devaient venir voir leur mère ; mais l’époque de cette visite n’était pas fixée. Ottilie se borna donc à faire lentement et par degrés les préparatifs de cette réception. Rien n’était terminé encore, lorsque le tourbillon s’abattit à l’improviste sur le château.

Des voitures découvertes amenèrent d’abord un monde de femmes de chambre et de valets ; des brancards chargés de caisses et de cartons suivaient de près cette bruyante avant-garde, à laquelle succéda immédiatement le gros de l’armée, c’est-à-dire, la grande-tante, Luciane, plusieurs de ses jeunes amies du pensionnat et un nombre considérable de gentilshommes des plus à la mode. Le prétendu s’était également entouré d’un cortège d’amis de son âge et de son rang. Une pluie battante survenue tout à coup augmenta le désordre de cette entrée tumultueuse et imprévue. Les bagages gisaient pêle-mêle dans les vestibules et les antichambres, il n’y avait pas assez de bras pour les porter, pas assez de voix pour dire à qui appartenaient telle ou telle malle, caisse ou porte-manteau ; les hôtes encombraient les salons et chacun voulait être logé le premier. Ottilie seule resta calme et tranquille. Son activité impassible domina la confusion générale ; en peu d’heures tout le monde fut convenablement casé, et s’il était impossible de servir tant de personnes à la fois, on laissait du moins à chacun la liberté de se servir soi-même.

La route, quoique courte, avait été fatigante, les voyageurs avaient besoin de repos, et le futur désirait passer, du moins les premières journées, dans la société intime de sa belle-mère, afin de lui parler de son amour pour sa fille et de son désir de la rendre heureuse. Luciane en avait décidé autrement. Son prétendu avait amené plusieurs magnifiques chevaux de selle qu’elle ne connaissait pas encore, et elle les essaya à l’instant, en dépit de la tempête et de la pluie ; il lui semblait que l’on n’était au monde que pour se mouiller et pour se sécher.

Les constructions et les promenades nouvelles dans les environs du château et dont on lui avait parlé souvent, piquaient également sa curiosité ; elle voulait tout voir, tout examiner dans le plus court délai possible. Sans égard pour ses vêtements ou pour ses chaussures, elle visitait à pied les lieux où on ne pouvait se rendre ni à cheval ni en voiture. Aussi les femmes de chambre étaient-elles forcées de consacrer, non-seulement les journées, mais encore une partie des nuits à décrotter, laver et repasser.

Quand il ne lui resta plus rien à voir dans la contrée, elle se mit à faire des visites dans le voisinage ; et comme elle allait toujours au galop, les limites de ce voisinage s’étendaient fort loin. On s’empressa de venir la voir à son tour, ce qui acheva d’encombrer le château. Parfois ces visites arrivaient pendant que Luciane était absente ; pour remédier à cet inconvénient, elle fixa des jours de réception, et dans ces jours, une foule aussi brillante que nombreuse accourait de tous côtés.

Pendant ce temps, Charlotte réglait avec sa tante et le chargé d’affaires du futur les intérêts du jeune couple ; Ottilie entretenait, par son esprit d’ordre et sa bonté, le zèle des domestiques, des chasseurs, des jardiniers, des pêcheurs et des fournisseurs de toute espèce, afin de pouvoir satisfaire aux besoins et aux caprices de cette nombreuse société.

Semblable à une comète vagabonde qui traîne après elle une crinière enflammée, Luciane n’accordait de repos à personne. A peine les visiteurs les plus âgés et les plus calmes avaient-ils arrangé leurs parties de jeu, qu’elle renversait les tables et forçait tout ce qui pouvait se mouvoir à prendre part aux danses et aux divertissements bruyants. Et qui aurait osé rester immobile, quand une aussi séduisante jeune fille exigeait le mouvement et l’action ?

Toutefois, si elle ne voyait et ne demandait jamais que son plaisir à elle, les autres trouvaient aussi leur compte dans son humeur bruyante ; les hommes surtout ; car, grâce au tact merveilleux avec lequel elle distribuait ses prévenances et ses agaceries, chacun d’eux se croyait le mieux partagé. Dominée par le besoin de plaire toujours et à tout le monde, elle n’épargna pas même les hommes d’un caractère grave ou avancés en âge, quand leur rang ou leur position sociale leur donnait quelqu’importance. Pour les captiver, elle avait recours à toutes sortes d’attentions délicates, telles que de célébrer leurs fêtes de naissance ou de nom, dont elle s’était procurée les dates par des détours adroits.

Chez elle la malignité était pour ainsi dire érigée en système ; peu satisfaite d’humilier la sagesse et le mérite, en les réduisant à rendre hommage à ses extravagances, elle aimait à se jouer des hommes jeunes et étourdis, en les enchaînant à son char, au jour et à l’heure qu’elle avait fixés d’avance pour leur défaite.

L’Architecte avait attiré son attention, beaucoup moins par ses manières distinguées, que par sa chevelure noire et bouclée, à travers laquelle il regardait avec tant d’ingénuité ; mais il continua à se tenir éloigné d’elle, répondit laconiquement à ses questions, et l’évita avec un calme si parfait, qu’elle se sentit presque offensée de sa conduite. Pour l’en punir et le forcer à grossir le cortège de ses adorateurs, elle se promit de le faire le héros d’une brillante journée.

Ce n’était pas seulement par manie qu’elle se faisait toujours précéder dans ses voyages par une immense quantité de malles et de caisses ; elle en avait réellement besoin pour satisfaire les nombreux caprices dont la prompte réalisation était pour elle un besoin. Jamais elle ne faisait moins de quatre toilettes par jour, et souvent même il ne lui suffisait pas de varier ainsi les costumes que les usages du monde élégant assignent à chaque partie de la journée, elle inventait encore les déguisements les plus extraordinaires, qu’elle réalisait dans les moments où on s’y attendait le moins. C’est ainsi qu’après une courte absence des salons, elle s’y glissait furtivement vêtue en paysanne, en fée, en bouquetière, et même en vieille femme, car il lui était agréable d’entendre les cris d’admiration qui retentissaient de toutes parts, quand elle rejetait brusquement le capuchon qui cachait son joli visage. Ses allures naturellement gracieuses, s’accordaient toujours si bien avec les personnages qu’elle représentait, qu’on ne pouvait la regarder sans se croire sous l’empire du plus charmant et du plus espiègle des farfadets.

Ces sortes de déguisements lui valaient encore un autre genre de triomphe, auquel elle attachait le plus grand prix ; celui de faire paraître dans tout son éclat, le talent avec lequel elle exécutait des danses de caractère et des pantomimes.

Un jeune cavalier de sa suite, qui s’était exercé à accompagner sur le piano ses attitudes et ses gestes par des airs analogues, savait si bien lire ses désirs dans ses yeux, qu’il lui suffisait d’un coup d’œil pour deviner sa pensée.

Au milieu d’une brillante soirée dansante, elle jeta sur lui un de ces regards significatifs ; il la comprit et la supplia aussitôt de surprendre la société par une représentation improvisée. Cette demande parût l’embarrasser ; elle se fit prier longtemps contre son habitude, feignit d’hésiter sur le choix du sujet et finit, à l’exemple de tous les improvisateurs, par demander qu’on lui en donnât un ; le jeune cavalier lui indiqua celui d’Artémise au tombeau de son mari.

Luciane s’éloigna et reparut bientôt sous le costume de la royale veuve. Sa démarche était grave et imposante, une marche funèbre savamment exécutée sur le piano soutenait ses gestes et ses attitudes, et ses yeux ne quittaient point l’urne funèbre qu’elle tenait dans ses mains. Deux pages en grand deuil la suivaient, portant un grand tableau noir et un morceau de crayon blanc. Un autre cavalier de sa suite, qui était également dans le secret, poussa l’Architecte au milieu du cercle qui s’était formé autour d’Artémise ; mais il avait eu soin de l’avertir qu’il ne pouvait se dispenser de jouer, dans cette scène, le rôle qui lui appartenait de droit, c’est-à-dire de dessiner sous les yeux de la reine un mausolée digne de sa douleur et du mort qui en était l’objet.

Cette exigence lui fut d’autant plus désagréable que son costume noir, il est vrai, mais étroit et à la mode, contrastait d’une manière bizarre avec la couronne, les franges, les glands de jais, les voiles de crêpe et les draperies de velours de la reine. Prenant toutefois son parti en homme d’esprit et de bonne compagnie, il s’avança gravement vers le tableau, prit le crayon qu’un des pages lui présenta et dessina un mausolée imposant et beau, mais qui semblait plutôt appartenir à un prince lombard qu’à un roi de Carie.

Tout entier à son travail il ne fit aucune attention à la reine, et ce ne fut qu’après avoir donné le dernier coup de crayon qu’il se tourna vers elle, pour lui annoncer, par une respectueuse inclination, qu’il avait accompli ses ordres. Persuadé que son rôle était joué, il allait se retirer ; mais Luciane lui montra l’urne qu’elle tenait à la main, en cherchant à lui faire comprendre qu’elle voulait la voir reproduite sur le haut du monument.

L’Architecte n’obéit qu’à regret et d’un air contrarié, car ce nouvel ornement ne s’accordait nullement avec le caractère de son esquisse. De son côté, la reine était mécontente, presque humiliée : elle s’était flattée qu’il tracerait en hâte quelque chose de semblable à un tombeau, pour ne s’occuper que d’elle, et lui témoigner ainsi qu’il était sensible à la préférence marquée qu’elle venait de lui accorder sur tous les autres jeunes hommes de la société, en le choisissant pour jouer cette pantomime avec elle. Stimulée par sa vanité blessée, elle chercha plusieurs fois à établir des rapports directs avec lui, tantôt en admirant son travail avec enthousiasme, et tantôt en l’engageant indirectement à la consoler en partageant sa douleur.

Malgré ces avances, l’Architecte resta immobile et froid, ce qui la mit dans la nécessité d’occuper seule les spectateurs par l’expression de son désespoir. Plusieurs fois déjà elle avait pressé l’urne sur son cœur, levé ses regards vers le ciel, et fait plusieurs autres gestes semblables ; en cherchant à les varier, elle les exagéra au point, qu’elle finit par ressembler beaucoup plus à la matrone d’Éphèse qu’à la royale veuve de Carie.

Cette scène s’était tellement prolongée, que le pianiste ne savait plus comment varier ses airs de deuil ; aussi passa-t-il tout à coup à des mélodies gaies et bruyantes qui forcèrent Luciane à donner un autre caractère à ses attitudes, au moment même où elle allait exprimer à l’artiste sa larmoyante reconnaissance. On se pressa autour d’elle en l’accablant d’éloges et de remercîments, et l’Architecte eut sa part du succès ; car son dessin excita une admiration générale et sincère. Le futur, surtout, en fut très-satisfait et le lui témoigna en termes flatteurs.

— Il est fâcheux, continua-t-il, que, dans peu de jours, il ne restera plus rien de ce beau dessin. Je vais le faire porter dans ma chambre, afin d’en jouir du moins aussi longtemps que possible.

— Si vous le désirez, répondit l’Architecte, je vous montrerai une collection de monuments funéraires dont cette esquisse n’est qu’une réminiscence très-imparfaite.

Ottilie, qui se trouvait près d’eux, s’empressa de lui dire qu’il ne pourrait jamais montrer ses chefs-d’œuvre à un connaisseur plus capable de les apprécier.

Luciane accourut en ce moment et demanda quel était le sujet de leur conversation.

— Nous parlions d’une collection de dessins, lui dit son futur, que cet aimable artiste m’a promis de me montrer incessamment.

— Qu’il l’apporte tout de suite, s’écria Luciane.

Et saisissant les deux mains de l’artiste, elle ajouta d’une voix caressante :

— N’est-il pas vrai, Monsieur, que vous l’apporterez tout de suite ?

— Il me semble, Madame, que cet instant est peu convenable pour un pareil examen.

— Quoi ! Monsieur, dit-elle d’un ton ironiquement impérieux, vous oseriez résister aux ordres de votre reine !

Puis elle se remit à le prier et à lui prodiguer les plus gracieuses flatteries.

— N’y mettez pas d’obstination, murmura Ottilie en se penchant à l’oreille de l’artiste, qui s’éloigna aussitôt après avoir fait une inclination respectueuse, mais qui ne promettait rien.

Dès qu’il fut sorti, Luciane se mit à jouer à travers le salon avec un grand lévrier. Le pauvre animal se réfugia auprès de Charlotte. La jeune étourdie le poursuivit avec tant d’ardeur qu’elle manqua de renverser sa mère.

— Ah ! que je suis malheureuse de ne pas avoir amené mon singe ! s’écria-t-elle tout à coup. J’en avais l’intention, on m’en a détourné pour flatter la paresse de mes gens ; mais je veux qu’on aille le chercher dès demain. Si j’avais seulement son portrait ! Oh ! je le ferai faire, et son image du moins ne me quittera jamais ; elle me consolera, quand je ne pourrai pas avoir l’original près de moi.

— Je puis dès ce moment t’offrir cette consolation, dit Charlotte, car j’ai dans ma bibliothèque un grand nombre de gravures représentant toutes les variétés de singes.

Luciane poussa un cri de joie, et un domestique apporta l’in-folio qu’elle se mit aussitôt à feuilleter avec enthousiasme, trouvant à chacune de ces hideuses créatures, qu’on regarde à juste titre comme la plus laide parodie de l’homme, une ressemblance frappante avec les diverses personnes de sa connaissance.

— Regardez celui-ci, dit-elle, n’est-ce pas le véritable portrait de mon oncle ? Et cet autre ? Ah ! c’est le célèbre marchand de nouveautés M----. Voici le Curé S----. Et celui-là ? Ne reconnaissez-vous pas Monsieur… Monsieur… chose… ? En vérité, les singes sont les vrais incroyables[1] de la bonne société ; et je ne sais de quel droit on se permet de les en exclure.

Et c’était au milieu d’une bonne société qu’elle parlait ainsi, sans supposer la possibilité qu’elle pouvait blesser quelqu’un. On avait commencé par tant pardonner à ses grâces et à son esprit, qu’on était arrivé à tout pardonner à son impertinence.

Ce genre de plaisanterie avait peu d’attraits pour le futur, qui s’entretenait dans un coin avec Ottilie sur le mérite de l’Architecte, dont la jeune fille attendait le retour avec impatience ; car elle espérait qu’il mettrait un terme à l’inconvenant babillage de Luciane à l’occasion des singes. A son grand étonnement, il se fit encore attendre longtemps, et lorsqu’il reparut, il se perdit dans la foule. Non-seulement il n’avait point apporté ses dessins, mais il semblait avoir oublié qu’on les lui avait demandés. Ottilie l’accusa intérieurement et avec chagrin du peu de cas qu’il faisait de sa prière. Au reste, elle ne lui avait adressé cette prière que pour procurer à son futur cousin une distraction agréable ; car il était facile de voir que, malgré son amour sans bornes pour Luciane, il souffrait parfois de ses extravagances.

Bientôt les singes firent place à une splendide collation, à laquelle succédèrent des danses animées. Puis il y eut un moment de causerie paisible, et les jeux bruyants recommencèrent de nouveau et se prolongèrent bien avant dans la nuit. Luciane, que le pensionnat avait accoutumée à une vie réglée, s’était promptement façonnée aux allures du monde élégant et dissipé, et jamais elle ne pouvait ni se coucher ni se lever assez tard.

Malgré les nombreuses occupations dont elle était surchargée, Ottilie ne négligea point son journal ; elle n’y inscrivit cependant pas des événements, mais des pensées et des maximes que nous n’osons pas lui attribuer. Il est probable qu’elle les puisa dans un livre qu’on lui avait prêté, et dont elle s’appropria tout ce qui portait le cachet de son caractère ; car on y retrouve toujours le fil rouge des cordages de la marine royale d’Angleterre.

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EXTRAIT DU JOURNAL D’OTTILIE.

« Nous aimons à regarder dans l’avenir, parce que nous espérons que nos vœux secrets dirigeront en notre faveur les chances du hasard qui s’y agitent.

« Nous ne nous trouvons presque jamais dans une société nombreuse sans croire, vaguement du moins, que le hasard, qui rapproche tant de choses, y amènera quelques-uns de nos amis. »

« On a beau vivre dans une retraite profonde, on devient tôt ou tard, et sans s’y attendre, créancier ou débiteur. »

« Quand nous rencontrons une personne qui nous doit de la reconnaissance, nous nous en souvenons à l’instant ; mais nous pouvons rencontrer plus de cent fois celles qui ont le droit d’en exiger de notre part, sans nous le rappeler. »

« La nature nous pousse à communiquer nos sensations ; l’éducation nous apprend à recevoir les communications des autres pour ce qu’ils nous les donnent. »

« Nous parlerions fort peu en société, si nous savions que nous comprenons presque toujours nous-mêmes fort mal ceux qui nous parlent. »

« C’est sans doute parce que nous ne comprenons jamais complètement les paroles des autres, que nous les changeons toujours en les rapportant. »

« Celui qui parle longtemps seul sans flatter son auditoire, excite sa malveillance. »

« Chaque parole prononcée éveille naturellement une antinomie. »

« La contradiction est aussi nuisible au charme de la conversation que la flatterie. »

« Une réunion n’est réellement agréable, que lorsque tous ceux qui la composent s’estiment et se respectent sans se craindre. »

« L’homme ne dessine jamais plus complètement son caractère, que par ce qui lui paraît ridicule. »

« Le ridicule n’est autre chose qu’une opposition aux convenances sociales, opposition qui s’harmonise avec nos penchants naturels d’une manière inoffensive. »

« L’homme qui se laisse aller à ses penchants naturels, rit souvent là, où les autres ne voient rien de risible. C’est que, pour lui, la satisfaction intérieure domine toujours les impressions qu’il reçoit des objets extérieurs. »

« Tout est ridicule pour l’homme raisonnable, rien ne l’est pour le sage. »

« On reprocha un jour à un homme âgé d’adresser toujours ses hommages aux jeunes personnes. C’est le seul moyen de se rajeunir, répondit-il ; et qui de nous oserait prétendre que se rajeunir n’est pas ce qu’il désire le plus au monde ? »

« Nous nous laissons tranquillement reprocher nos défauts, nous supportons même avec patience les châtiments et autres maux qu’ils entraînent ; mais on nous indigne, on nous désespère, quand on veut nous contraindre à nous en corriger. »

« Il est des défauts nécessaires au bien-être des existences individuelles, et nous serions nous-mêmes peu satisfaits, si nos anciens amis se débarrassaient tout à coup des bizarreries qui les caractérisent. »

« Lorsqu’un individu se conduit d’une manière entièrement opposée à ses habitudes, on dit : Il mourra bientôt. »

« Quels sont les travers d’esprit que nous devons plutôt chercher à cultiver qu’à déraciner en nous ? Ceux qui flattent les personnes au milieu desquelles nous vivons, au lieu de les offenser. »

« Les passions sont des défauts et des vertus exagérés. »

« Chaque passion est un phénix qui, au moment même où on le croit consumé, renaît de sa cendre. »

« Les passions sont des maladies sans espoir de guérison, car les moyens qui devraient les guérir, ne servent presque jamais qu’à les augmenter. »

« Lorsque nous faisons l’aveu d’une passion qui nous domine, nous en augmentons la force ; mais parfois aussi cet aveu l’affaiblit. »

« Un juste équilibre n’est nulle part plus nécessaire et plus difficile, que dans notre conduite envers un objet aimé ; car nous y mettons presque toujours ou trop de confiance ou trop de réserve. »


  1. Ce mot est en français dans le texte. C’est une allusion aux jeunes élégants de la France du temps de la République, que l’on désignait sous le nom d’incroyables.