Les Affinités françaises de l’Alsace avant Louis XIV

La bibliothèque libre.
Les Affinités françaises de l’Alsace avant Louis XIV
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 28 (p. 80-112).
LES AFFINITÉS FRANÇAISES DE L’ALSACE
AVANT LOUIS XIV

Dans sa magistrale histoire de l’Alsace au xviie siècle, mon savant ami M. Rodolphe Reuss a écrit : « Dès le milieu du xvie siècle, l’ombre de la puissance française se projette, avant-coureur des événemens futurs, sur la carte d’Alsace. Ce n’est pas du jour au lendemain que cette influence française s’est fait sentir dans notre province ; elle a été proposée discrètement, puis invoquée, puis imposée finalement par le développement naturel, et pour ainsi dire forcé, de l’histoire générale du xvie et du xviie siècle. Les débuts en furent accidentels, les premiers développemens modestes, et les origines n’en ont pas encore été suffisamment étudiées d’une manière impartiale et critique à la fois[1]. »

Ce sont ces origines qu’il m’importe de mettre en lumière. Ce sont elles que les historiens allemands ont, de tout temps, voilées, dissimulées, faussées, et plus que jamais, de nos jours, à mesure que les faits contemporains donnaient un plus éclatant démenti à leur prétention que l’Alsace avait toujours été un pays foncièrement allemand, allemand de cœur et d’esprit, allemand de mœurs et de langue. Si vraiment elle l’avait été, pourrions-nous comprendre qu’elle ait pu, en l’espace de moins d’un siècle et demi, de Louis XIV à la Révolution de 1789, se franciser comme elle l’a fait ? Cette transformation presque instantanée ne serait-elle pas un véritable miracle ? Un miracle qui saisit et surprend quand on se rappelle la remarquable étude de M. A. Albert-Petit : Comment l’Alsace est devenue française[2].

Mais, avouons-le, les miracles ne sont guère du ressort de l’histoire ; c’est la réalité objective qui est son domaine, et voyez alors comme celle-ci s’éclaire par l’étude que je viens de citer. N’est-il pas évident que plus la France s’est abstenue d’une action directe, d’une pression énergique sur les esprits ou les consciences, les volontés et les mœurs, plus la francisation apparaît comme le produit des forces internes de la nature alsacienne, comme l’épanouissement et la fructification d’instincts communs aux deux pays, dont cette nature recelait, de temps immémorial, les germes dans son sein ? Ne fallait-il pas, en d’autres termes, que, d’inéluctable nécessité, l’âme alsacienne se trouvât en harmonie préétablie avec notre génie national ?


I

Représentez-vous, tels qu’ils ont été énumérés ici, un à un, relevés avec grand soin et d’une façon rigoureuse et précise, les procédés et les ménagemens dont la France a noblement usé à l’égard de l’Alsace récupérée : institution d’une justice bienfaisante, respect de l’autonomie locale, respect de la liberté religieuse et de la liberté d’enseignement, de même que des mœurs, des habitudes, de la langue allemande, dispense enfin du service militaire. Tous ces bienfaits n’étaient-ils pas autant d’obstacles à la francisation ? M. A. Albert-Petit l’a constaté : « Ce n’est, dit-il, ni la bureaucratie, ni l’école, ni la caserne qui ont fait la conquête morale et intellectuelle de l’Alsace. » Mais alors, à quelles causes attribuer cette conquête ?

La première qui se présente à l’esprit, c’est la prospérité matérielle que la France a introduite et fait régner, le développement auquel elle a présidé de l’agriculture, de l’industrie, de la viabilité, et qu’atteste un prodigieux accroissement de population. Ce que vaut cette raison, l’expérience de l’Alsace annexée par la Prusse en porte témoignage. L’Empire allemand a fait les plus grands efforts, souvent couronnés de succès, pour atteindre le même but, dans l’espoir de germaniser par là l’Alsace. Et pourtant, quel fut le résultat atteint ? Il se résume dans ce propos que recueillait, en 1899, un de mes amis parcourant le pays annexé pour observer son état d’esprit. Un Alsacien des plus autorisés disait devant lui : « Nos intérêts commencent à être en Allemagne… » Et il ajoutait aussitôt : « Nos cœurs restent en France. »

L’intérêt matériel n’a pas prise sur l’Alsacien, comme il a prise sur l’Allemand. Ce n’est que par des liens moraux qu’il peut être attaché. Qu’est-ce donc qui a pu faire sur lui une telle impression que, dès avant la Révolution française, il a été gagné à la France ?

Serait-ce le prestige politique de la monarchie de Louis XIV ? puis la primauté intellectuelle de la France au xviiie siècle ? Comment se fait-il alors que le prestige mondial de l’Empire allemand n’ait pas exercé la même fascination sur l’Alsace annexée ? Comment se fait-il aussi que l’Alsace n’ait pas participé à cette réaction violente qui a éclaté en Allemagne contre l’hégémonie littéraire de la France, pendant la période du Sturm und Drang qu’a inaugurée la victoire de Frédéric II à Rosbach ?

Reste une dernière raison qui semble au premier abord décisive. L’Alsace a dû à la France son unité morale. Jusque-là, elle n’était qu’une expression géographique ou qu’un fouillis féodal. Grâce à Louis XIV, elle est devenue une personnalité. Nous touchons, en effet, au vif du sujet, au point précis qui a été la source principale des méprises que les Allemands ont toujours entretenues si soigneusement, quand ils ont représenté l’Alsace tel un simple agrégat de seigneuries relevant du Saint-Empire romain et faisant corps avec la Germanie. Suivant eux, l’âme alsacienne n’existait pas, n’a jamais existé. Elle s’est toujours confondue avec l’âme allemande. Les frontières ethniques de l’Alsace n’existaient pas davantage ; elles se confondaient avec les frontières de l’Allemagne. Tout cela pourrait se résumer dans la formule que l’Alsace dans son ensemble n’avait été jusqu’à Louis XIV qu’une expression géographique. Mais ce serait étendre bien au-delà de sa portée vraie une proposition qui ne saurait viser que la condition politique du pays et qui laisse en dehors d’elle son unité spirituelle, morale ou intellectuelle, et dans un sens très large son unité nationale.

Il est parfaitement exact qu’en tant que survivance du ducatus Alisatiae, du duché d’Alsace mérovingien ou carolingien, l’Alsace n’a plus été qu’une conception traditionnelle, si l’on se place au point de vue de la cohésion politique. C’est une ombre, ce n’est plus une réalité ; mais l’âme populaire n’est-elle pas faite de telles ombres ? ne s’en nourrit-elle pas ? n’en vit-elle pas ? N’est-ce pas le moule où est coulée la sève morale ?

Voyez quel est le duc d’Alsace qui a fait grande figure dans l’histoire et qui a survécu dans la mémoire populaire ! C’est Étichon. Or, Étichon est le père de sainte Odile, et sainte Odile est la patronne de l’Alsace, comme la Sainte-Vierge est la patronne de Strasbourg. Et voilà une tout autre unité, une unité réelle, celle-là. De partout en Alsace on aperçoit le Hohenbourg, la crête la plus élevée qui domine la plaine d’Alsace et occupe le milieu même de la chaîne vosgienne, la crête qui servit de refuge à la population lors des grandes invasions étrangères, qu’entourent aujourd’hui encore les ruines du mur païen. Et c’est, en effet, dans l’une des trois enceintes de ce mur qu’a été fondé le monastère de Sainte-Odile.

Ce monastère est devenu ainsi le sanctuaire de l’Alsace[3] ; j’irai jusqu’à dire qu’il a joué le même rôle unitaire que le Capitole de Rome ou que le Parthénon d’Athènes.

Si divisée que fût l’Alsace, si dépecée qu’elle ait été par la rapacité de tant d’hommes de proie qui se sont abattus sur elle, son sentiment unitaire ne s’est pas plus éteint que la petite lampe vacillante qui brûlait sur cet autel de Sainte-Odile vers lequel montent encore, aux fêtes de la Pentecôte, les flots pressés des pèlerins venus de tous les coins de la plaine.

Le mysticisme religieux n’a-t-il pas été, à toutes les époques, un trait essentiel du caractère alsacien ? mais associé, par une rare fortune, au bon sens le plus pratique, à la plus saine pondération d’esprit, les vivifiant, les animant, les purifiant de sa flamme idéale. C’est le fond commun qui a survécu même aux divisions introduites par la Réforme, tout aussi bien qu’à travers le Moyen Âge le mysticisme alsacien, représenté si brillamment au xive siècle par Tauler, a plané au-dessus des discussions théologiques.

On paraît trop oublier, du reste, que la ligue des dix villes d’Alsace (la Décapole) qui, reliant entre elles les populations urbaines depuis Mulhouse jusqu’à Wissembourg, a donné une sorte de corps populaire à l’Alsace, que cette ligue remonte au milieu du xive siècle (1354) et a duré jusqu’à Louis XIV. L’unité urbaine s’opposait à la fois à la domination des féodaux et à celle de l’Empire ou de la maison d’Autriche.

Ce n’est pas tout. L’Alsace n’a cessé d’être, aussi bien dans l’esprit du peuple que dans les chroniques ou dans les actes, une province, un pays formé de deux comtés ou landgraviats, le Nordgau et le Sundgau, dont le souvenir s’est perpétué jusqu’à l’époque actuelle dans le fameux fossé provincial, le Landgraben, qui les séparait, en contournant le Hohkœnigsbourg, et par lequel semblait s’opérer comme une infiltration française de la Lorraine. C’est dans la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines et dans le val de Liepvre où coule le Landbach (la Liepvrette), que le français s’est toujours conservé. C’est à Liepvre que le savant et pieux Alsacien Fulrad, un des premiers abbés de Saint-Denis, a fondé un monastère qui, après avoir dépendu de la grande abbaye parisienne, a été rattaché à la collégiale de Saint-Georges de Nancy.

Il y a plus encore. Du xive au xviie siècle, les deux parties constitutives de l’Alsace ont fait de fréquens efforts pour se ressouder l’une à l’autre. Soit au point de vue financier, soit au point de vue militaire, des ententes ont été négociées, des délibérations et des mesures prises en commun, et l’on vit au xvie siècle surtout se tenir de véritables États généraux, des États-Unis (Vereinstände) pour pourvoir à la défense commune[4]. Telle fut la force de ce mouvement unitaire qu’il n’est pas téméraire de croire que, sans le fléau des guerres religieuses, l’Alsace aurait pu se confédérer comme la Suisse, et comme elle rompre les liens qui la rattachaient à l’Empire.


II

Nier l’existence dans le passé, même le plus reculé, d’un patriotisme alsacien, d’une conscience nationale commune aux populations alsaciennes, serait un contresens historique aussi grave que de méconnaître les affinités étroites qui unissaient l’esprit alsacien à l’esprit français.

Il n’est pas de peuple, peut-être, qui ait eu d’aussi bonne heure et avec une égale intensité l’amour et l’orgueil du sol natal que la population de sang mêlé, celte et romaine, belge, helvète et alémanique, qui habitait cette somptueuse vallée que bordent le Rhin et les Vosges et que barre au Nord la chaîne du Taunus. La beauté et l’excellence du terroir, le charme, la douceur et la diversité de l’existence, la séduction exercée sur tous ceux qui arrivent du dehors et qui en perdent l’esprit de retour, tout cela le peuple le sent, les chroniqueurs l’expriment, les poètes le chantent. L’Alsace était au xie siècle la douce Alsace, de même que la Gaule était la douce France dans la chanson de Roland. Ainsi la dénomme le biographe contemporain du pape alsacien Léon ix, Guibert de Toul : « Il était né, dit-il, dans les confins de la douce Alsace, in dulcis Elisatii finibus. »

Dès le ixe siècle, Otfried de Wissembourg, le premier poète en langue « franque » (c’est ainsi qu’il désigne lui-même son langage)[5] fait un tableau enchanteur de sa patrie, qu’il appelle France orientale : « Les peuples qui l’habitent, dit-il, sont aussi courageux que les Romains… ils naissent tous soldats. Ils habitent une terre bonne et heureuse ; leurs demeures sont agréables, et ils ne cherchent jamais à quitter leur patrie… Leur naturel les porte au bien, et ils ont du génie pour inventer les arts utiles… Aussi ces peuples sont-ils hautement estimés… Ils sont très pieux et ils entendent volontiers prêcher la parole de Dieu. Enfin, pour tout dire en un mot, ils sont grands guerriers, sages citoyens, et chrétiens religieux. »

Tout aussi exalté, plus exalté encore est, à la fin du xve siècle et au début du xvie, le patriotisme des humanistes alsaciens, de ceux-là mêmes que les Allemands ont prétendu de nos jours revendiquer comme patriotes en se fondant sur leur résistance à l’absorption politique par la France. Écoutez la belle devise, en 1499 de l’un d’eux, Sébastien Brandt, l’auteur de la Nef des fous : Vigeat, floreat, crescat apud Argentinenses, sive Tribotes, pax, libertas et justicia.

De quel droit donc les Allemands ont-ils voulu confisquer le patriotisme alsacien à leur profit ? Chacun le sait, car toute la question alsacienne tourne autour de ce pivot : c’est au nom de la race, de la langue et de l’histoire.

La race ! Oh ! sur ce point on vient d’aboutir à d’étranges constatations. Il est entendu dorénavant outre-Rhin que la race élue est celle que révèlent au dehors la couleur blonde des cheveux, la couleur bleue des yeux, la forme allongée du crâne. Or que nous apprend la statistique officielle de l’administration allemande ? que le type dolichocéphale existe à peine, qu’il est tout au plus dans la proportion d’un quart contre trois quarts de brachycéphales, et que partout, et en Haute et en Basse-Alsace, les yeux bruns, les cheveux bruns ou noirs dominent. L’Alsacien ne peut donc être, au regard de l’Allemand, qu’un être inférieur tel que le Français, un de ces êtres qu’on extirpe ou qu’on réduit à l’état d’ilote.

Mais n’est-il pas un frère par la langue ? n’appartient-il pas à ce titre au Deutschtum ? Nous ne savons que trop l’abus qui a été fait de ce signe distinctif, même chez nous, et il faudrait une bonne fois le réduire à sa valeur. On verrait alors que, loin de justifier le rattachement de l’Alsace à l’Allemagne, rien ne prouve mieux que cette langue même son unité nationale distincte, je dirai plus, — si singulier que cela paraisse, — son affinité avec la France.

L’Alsace parla sa langue à elle, sa langue propre, une langue qui, au lieu d’être un patois né d’une dégénérescence de l’allemand, est un dialecte remontant au moins jusqu’à l’époque alémanique[6]. Elle a évolué régulièrement depuis cette époque lointaine, en se modelant sur le tempérament du peuple, en introduisant et adaptant bien longtemps avant Louis XIV des mots français nombreux et des flexions analogues aux nôtres. Elle a commencé à être fixée, je l’ai dit, dès le ixe siècle, par Otfried de Wissembourg ; au xiiie siècle, elle a été assouplie et épurée par Gotfried de Strasbourg, et, à y regarder de près, elle reflète admirablement les différences profondes du caractère alsacien et du caractère allemand. Au lieu d’une langue guindée, roide, prétentieuse, chargée de consonnes lourdes et bruyantes, comme l’est l’allemand, le dialecte alsacien est bon enfant, plaisant, gracieux même. Il adoucit les voyelles et les finales, il élimine les diphtongues, les consonnes doubles, et les aspirations rudes, il simplifie et clarifie, il se complaît dans des diminutifs charmans. En veut-on un seul exemple : à Margaretha il oppose Grédelé.

J’ai dit que l’esprit alsacien se reflète dans cette langue. Aussi l’Allemand ne la comprend-il pas. Elle lui est antipathique ; elle l’est devenue d’autant plus qu’elle a révélé sa vitalité, son originalité, en résistant, — ce qui semblait presque invraisemblable, — à la conquête germanique[7]. Nos philologues craignaient qu’elle ne fût contaminée ou absorbée par l’allemand immigré. Elle lui a tenu tête victorieusement, au point de devenir une sorte de citadelle d’où l’Alsacien a pu narguer ses envahisseurs, en y abritant la tradition française.

L’antiquité de cette tradition, il faut, elle aussi, la placer dans son vrai jour, puisque les Allemands ont tout fait pour la masquer. Tous les liens avec la France auraient été rompus, selon eux, depuis le ixe siècle, et c’est le rapt d’un pays foncièrement allemand que Louis XIV aurait perpétré. J’ai cherché, l’an passé, à établir ici même[8] la survivance dans la mémoire populaire de l’usurpation dont l’Alsace et la Lorraine ont été victimes au xe siècle. De ce seul fait le lien avec la France n’était pas rompu. Et cette tradition ne s’est jamais oblitérée. Elle s’est entretenue, elle a été avivée sous des formes concrètes, visibles et tangibles, nées en partie peut-être de circonstances fortuites, mais dont l’effet n’en fut pas moins réel. Grâce aux auteurs antiques vulgarisés au xve et au xvie siècle, grâce aux cartes, aux figures, aux livres populaires tels que la Cosmographie de Munster, nulle notion historique n’avait pénétré plus profondément dans les esprits que celle du Rhin limite de la Gaule, séparant les Germains et les Gaulois ou Français. On verra tout à l’heure quels efforts Wimpheling a faits pour combattre les partisans de la France en taxant César d’erreur.

Mais voici bien autre chose. Les monnaies strasbourgeoises portaient des fleurs de lys, et quand, au xiiie siècle (1262), les Strasbourgeois furent en lutte avec leur évêque, Walter de Geroldseck, ils lui opposèrent cet emblème comme « un témoignage des bontés dont les anciens Rois de France avaient honoré autrefois leur ville. »

Dans la controverse à laquelle je vais arriver, Wimpheling a eu beau objecter que « le Roi de France se sert de trois fleurs de lys et que la ville de Strasbourg n’en a qu’une seule, que les fleurs de lys des Rois de France sont sur leurs armoiries et leurs drapeaux, tandis que le lys de Strasbourg n’est que sur les monnaies, » le peuple ne faisait ou ne pouvait faire une telle distinction, et, du reste, la bannière même de la ville les portait bel et bien.. Ce qu’il y a même de piquant, c’est que, dans la reproduction de cette bannière qui figure en tête de la Germania de Wimpheling, l’Enfant Jésus tient une fleur de lys dans sa main gauche et porte sur son auréole les trois fleurs de lys de France.

Dans ces emblèmes visibles, le souvenir de l’union politique avec la France restait donc présent pour tous. — N’était-ce pas la bannière de Strasbourg qui marchait non seulement en tête des contingens alsaciens, mais à côté de la bannière impériale ? — Il y avait là un point d’attache matériel, indestructible pour les sympathies latentes que les similitudes de caractère ou d’instinct produisaient et qui servaient de trait d’union entre l’âme alsacienne et l’âme française.


III

Il faudrait pouvoir présenter ici un double tableau, que je dois me borner à esquisser : d’une part, une analyse approfondie du caractère alsacien tel qu’il se manifeste à travers les âges, d’autre part une étude des affinités intellectuelles et morales que révèle le développement parallèle ou conjoint de la littérature alsacienne et de la littérature française depuis le premier Moyen Âge jusqu’au xvie siècle.

Du caractère alsacien je retiens ces traits communs avec le caractère français : un vif sentiment de l’honneur allant jusqu’à la susceptibilité la plus chatouilleuse, un esprit de dignité et d’indépendance personnelle en contraste absolu avec la servitude ou la platitude allemande, une bravoure chevaleresque étroitement unie au sentiment de l’honneur et de la justice, le culte de la bonne foi, l’horreur de la duplicité, de la fausseté, un esprit plaisant, gouailleur, narquois, ironique sans méchanceté, le witz alsacien, moins agile, moins ailé que l’esprit français, mais plus incisif peut-être. Plus de rudesse et moins de vanité que dans le tempérament français, plus de persévérance et de ténacité, mais, sous des dehors parfois placides, une nature également ardente, une disposition aussi grande au moins qu’en France à se dévouer pour une idée, pour les idées surtout de justice et de liberté. Qu’on se souvienne de la devise que j’ai citée de Sébastien Brandt : Vivat, floreat, crescat, pax, libertas atque justicia ! — Ce qui accentue les affinités françaises que je viens de dire, ce sont les antipathies allemandes. Si l’Alsacien a des défauts communs avec l’Allemand, tels que la rudesse, des qualités communes telles que l’amour du travail, l’esprit d’ordre et de méthode, il lui a toujours reproché son étroitesse et sa morgue, son manque de tact et sa lourdeur. De tous les Allemands les mieux connus, étaient naturellement les Souabes, non seulement comme les plus voisins, mais parce que, au dire déjà de Sébastien Munster, ils affluaient volontiers en Alsace. Or, pour l’Alsacien, le Schwob est la bête noire, — littéralement puisqu’il appelle schwob les insectes que nous nommons cafards, — et il désigne le souabe lui-même par un sobriquet qui est tout un portrait ; le sobriquet de gêlféssler, pied jaune : l’homme qui piétine des œufs pour les empiler dans une charrette.

Il faudrait maintenant, je le répète, retracer dans son amplitude l’influence que la France a eue au Moyen Âge sur la littérature alsacienne, et décrire le terrain singulièrement propice où cette influence s’est exercée. Le meilleur historien contemporain de l’Alsace, M. Rodolphe Reuss, l’a signalée en excellens termes :

« Le développement de la culture intellectuelle, artistique et morale de l’Alsace au Moyen Âge est, dit-il, très supérieur à celui des territoires situés plus au Nord ou à l’Ouest du Saint-Empire romain d’alors.

« Il présente aussi cet intérêt particulier que, sous leurs formes germaniques, les produits de la littérature et des beaux-arts décèlent un contact plus intime avec les régions de la France nouvelle qui se dégage peu à peu du xie au xiiie siècle de la Gaule franco-romaine. Cette influence est incontestable et reconnue d’ailleurs par les plus véhémens défenseurs des idées germaniques. »

Que la renaissance française du xiie siècle et notre apogée artistique et littéraire du siècle suivant aient rayonné bien au-delà de l’Alsace, sur l’Allemagne, nul fait n’est plus certain. Mais combien différentes furent les conditions, l’étendue, la profondeur de ce rayonnement ! Un départ s’impose entre l’action et la réceptivité. Celle-ci tient aux dispositions d’esprit et de cœur, l’autre aux circonstances. La première se révèle d’une façon radieuse dès le xiie siècle.

Voici le poète latin le plus pur et le plus éloquent de son temps, l’auteur du Ligurinus. Il est Alsacien ; c’est Gonthier de Pairis. Cherchant à définir sa personnalité, qui a été pleinement reconnue depuis lors, Gaston Paris avait dit de lui que, « par l’élégance de sa versification et l’éclat de son style, il se rapproche des poètes de France et s’écarte de tous les Allemands de cette époque. »

Et voici, à côté de ce poète, bien au-dessus de lui par la beauté de l’âme, l’admirable et sereine figure de l’abbesse de Hohenbourg, Herrade de Landsberg, l’auteur du Hortus Deliciarum, que l’incendie sacrilège de 1870 a détruit. L’abbé Grandidier lui a rendu le témoignage qu’ « à une époque où presque toute l’Europe était plongée dans la barbarie et l’ignorance, elle a rappelé dans l’Alsace l’amour de la littérature et des sciences. » Lettrée, savante, artiste, elle était plus encore : elle avait pour qualités maîtresses le goût le plus délicat, la grâce la plus exquise. Si l’on veut juger combien, à cet égard, elle était participante du génie français, que l’on compare ses harmonieuses poésies à la versification lourde et pédantesque de la femme poète dont l’Allemagne s’enorgueillit au Moyen Âge, la nonne Hroswitha. Ces mêmes qualités vont s’épanouir auxiiie siècle sous le souffle enchanteur de la France. Toute une pléiade de poètes alsaciens s’inspire des troubadours de la Provence et des trouvères du Nord.

Reimar de Haguenau subit le charme des cours d’amour, Conrat Fleck met en œuvre Flor et Blanchefor. Le grand Gotfried de Strasbourg, le plus grand poète en langue germanique du xiiie siècle, s’assimile, comme en jouant, avec une rare gentillesse d’esprit, le roman de Tristan et Iseut. Il compose un poème qu’un des critiques les plus réputés de l’Allemagne a avoué être « l’ouvrage le plus français de la vieille littérature germanique. »

Rien n’est plus vrai, et si j’éprouve, en ce moment, un regret, c’est de mon impuissance à mettre le lecteur en mesure de goûter toutes les qualités si essentiellement françaises de ce poète de génie. Les Allemands l’ont traduit en leur langue, fort différente de la sienne. Que n’a-t-on songé encore à le traduire en la nôtre ? Il suffirait souvent d’une simple transposition, tant il a intercalé de vers ou de fragmens de vers français, tant il a recueilli et adapté de formes verbales et de locutions françaises. Ne lui a-t-on pas, sur l’autre rive du Rhin, reproché amèrement d’avoir eu recours à un mot d’origine française (Alemanje) jusque pour désigner le Deutschland ?

Gotfried de Strasbourg n’avait pas seulement une familiarité parfaite de notre langue et de notre littérature courtoise, il connaissait à ravir les lais celtiques, et peut-être savait-il le breton.

Quant à ses qualités mentales, la grâce, l’élégance, la douceur y dominent. Sa sensibilité délicate et suave n’a d’égal que son vif sentiment des beautés de la nature, sa générosité d’âme s’allie à l’amour de la droiture et de l’indépendance personnelle. En tout cela déjà, il s’élève bien au-dessus des Minnesinger contemporains, d’un Hartmann d’Aue ou d’un Walther de la Vogelweide, tout empêtrés dans le conventionnel, l’abstrait et le subtil. Et que d’autres traits encore a pu relever un de nos érudits, M. Piquet, dans sa belle étude sur l’originalité de Gotfried de Strasbourg ! Sa forme, remarque-t-il, est d’une rare élégance, son élocution aisée, sa langue riche, souple, expressive. Il a la sûreté du goût, la finesse du sens critique, l’éclat de la verve, la gaieté de l’humour, un sentiment très haut de l’honneur.


Je dirais volontiers que Gotfried de Strasbourg marque le point culminant des affinités de l’Alsace avec la France, telles qu’elles se manifestent au Moyen Âge dans les lettres, et ce même apogée, j’estime qu’il a été atteint dans le domaine de l’art par l’édification de la grande façade de la cathédrale de Strasbourg. Tous les critiques allemands, même les plus passionnés, sont obligés de reconnaître aujourd’hui l’étroitesse des rapports qui unissent cette œuvre à l’architecture française et d’admettre que son auteur a étudié l’art français à sa source, qu’il s’en est pénétré en France même. Qu’Enwin soit né en Alsace, l’inscription très postérieure, du reste, qui l’appelle Erwin de Steinbach ne l’exclut pas, puisqu’il existe un Steinbach près de Thann ; mais l’essentiel, c’est la profondeur de l’influence exercée sur lui, sur son atelier et son école par la France et l’art français. Cette influence fut telle qu’Erwin en a scellé le témoignage dans la pierre au fronton même du grand portail. Là, dans le deuxième registre du tympan, sur le tombeau d’où sort le Christ ressuscité, ce sont les armes fleurdelysées de France, les armes de saint Louis et de Blanche de Castille que l’architecte a fait sculpter. Emblème déconcertant pour les prétentions germaniques, qui a causé jadis une vive surprise à Albert Dumont et a posé devant son esprit le problème qui préoccupe les nôtres : « L’histoire, dit-il[9] montre bien que, dès le xve siècle, l’Alsace se détache de l’empire, qui l’abandonne, et se rapproche de plus en plus de la France. Ce pieux hommage à la mémoire de saint Louis et de la reine Blanche nous indique-t-il, dès l’âge précédent, des relations entre l’Alsace et la France beaucoup moins connues et non moins dignes, sans doute, d’être mises en lumière ? »


IV

L’influence et les affinités françaises ont continué à se développer, en matière d’art et de littérature, de mœurs et de culture au xive et au xve siècle, grâce surtout aux splendeurs de la Cour de Bourgogne, grâce aussi au privilège de l’Alsace de faire partie de ce grand couloir international, de cette grande artère de civilisation qui relie l’Italie à la mer du Nord. L’esprit de Gotfried de Strasbourg revit, sous une autre forme, dans le grand prédicateur Jean Tauler, et le merveilleux artiste de Colmar, Martin Schœn, laisse loin derrière lui, par sa grâce idéale, tous les artistes allemands !

Nous ne nous étonnerons donc plus que, dès le commencement du xvie siècle, on ait pu compter jusqu’à trente-cinq imprimeurs alsaciens-lorrains livrant au public des livres français, et que la France, à cette époque, ait eu à Strasbourg des partisans assez nombreux pour faire naître les craintes d’une domination française qui mît fin aux libertés alsaciennes. De cela, une controverse célèbre de deux humanistes strasbourgeois, Wimpheling et Murner, va, en l’an de grâce 1501, nous offrir le témoignage attachant et probant.

Wimpheling était un savant pédagogue né à Schlestadt, formé à l’école latine qui y florissait, mais dont Strasbourg était devenu la patrie d’adoption, de même que pour son adversaire, le moine franciscain Thomas Murner, qui, lui, était né à Obernai.

Wimpheling avait commencé par être un partisan de la France, à l’instar de ceux qu’il va combattre, mais on ne sait à quelle occasion il fut amené à sonner une cloche d’alarme, comme si les libertés strasbourgeoises couraient, du fait de la France, les plus graves périls. Il publia à cet effet un opuscule intitulé Germania, auquel Murner répondit l’année suivante (1502) par une Nova Germania. Ce sont des écrits infiniment précieux pour le sujet que j’ai abordé. Il est donc essentiel d’en connaître la substance.

Dans son épître dédicatoire au magistrat de Strasbourg, Wimpheling retrace l’état d’esprit qu’il veut dénoncer, comme offrant les plus graves dangers.

Il débute en ces termes :

« Beaucoup de gens (multi) estiment, illustres sénateurs, que votre ville de Strasbourg et les autres cités de la rive gauche du Rhin appartinrent jadis aux rois des Français, reges Gallicorum, et, par-là, ces rois ont été, à diverses reprises, incités à les revendiquer… C’est ainsi que le dauphin Louis, fils aîné de Charles vii, quand il envahit l’Helvétie ou l’Alsace, en l’an 1444, indique parmi les causes de son expédition qu’il voulait revendiquer les droits de la maison de France (domus Galliae), qui doit s’étendre jusqu’au Rhin, et que dans ce dessein il se proposait d’assiéger votre ville


« Cette erreur ne dérive que pour une faible part des plus vieilles histoires, mais l’opinion des Français s’appuie du fait (confirmatur) que nous-même partageons cette erreur (quod nos ipsi quoque id idem falso putamus) et que la plupart d’entre nous (ex nostris suédois) sont plus favorables au royaume de France qu’à l’empire romain ou germanique (plus Gallico quam Romano aut Germanico favent). Maintes fois, en effet, des demi-Français (semigalli oratores) sont envoyés en ambassade par les nôtres aux rois de France, et bien reçus par les Français, ils ont coutume de s’entendre avec eux et de les favoriser (assentare solent eis, et favere), dans l’espoir que si les rois de France s’emparent de nos territoires, ils acquerront, sous leur domination, plus d’honneur et de dignité qu’ils n’en peuvent espérer sous les aigles impériales.

« Quant à moi, dit Wimpheling, l’amour de votre ville et de la république me pousse à faire la preuve (s’il plaît à Dieu) que jamais ni Strasbourg ni les autres cités rhénanes n’ont été soumises aux Français. »

Il revient plus loin à ces demi-Français qu’il prétend démasquer et confondre :

« C’est à bon droit, dit-il, que votre ville et toute la patrie des Helvètes ou des Alsaciens s’attache à la liberté romaine et la défend, refusant de tomber dans la suspecte servitude des Français (suspectam Gallicorum incidere servitutem) dans laquelle certains porte-parole demi-Français (semigalli quidam oratores), pour ne pas dire des traîtres à la patrie, se féliciteraient de pouvoir vous pousser en fomentant la désobéissance au roi des Romains. Ils n’agissent pas autrement que jadis Pierre de Hagenbach, quand il voulait réduire cette ville sous la domination du duc de Bourgogne. »

Cette comparaison est significative. P. de Hagenbach, à raison des excès qu’il a commis, est devenu une sorte de croquemitaine de l’Alsace de Hanstrap, comme on a dit là-bas, un personnage odieux, malfaisant entre tous. On les craignait donc bien, ces partisans de la France, pour les assimiler à un tel personnage.

Pour leur donner le coup de grâce, Wimpheling affirme que la descendance de Charlemagne se survit dans les maisons de Bavière, de Saxe et d’Autriche, tandis qu’en France elle a été évincée par un duc, Hugues Capet, sorti d’une famille de bouchers. C’est le dernier mot du factum.

Pour juger du vrai sens de la réponse de Murner dans sa Nova Germania, il faut se représenter le caractère de ce personnage, plein de verve facétieuse[10], d’une malice souvent un peu grosse, grasse surtout, mais vive et impétueuse. Il manie l’ironie avec flegme, et sa pointe acérée pénètre alors d’autant plus profondément qu’il semble ménager l’adversaire.

Il va tourner en ridicule toute l’argumentation historique de Wimpheling en mêlant à la critique sérieuse des argumens plus fantastiques que les siens.

Il renchérira de même sur son patriotisme anti-français, sur sa haine de la « servitude française, » pour montrer ce qu’ont de chimérique les craintes de son adversaire. Et de tout cela ressort finalement la note alsacienne : Nous avons fait partie de la France, nous sommes maintenant rattachés à l’Allemagne, avant tout nous sommes nous-mêmes, nous sommes Alsaciens et Strasbourgeois.

Partout et toujours, dans la question du Rhin, limite de la Gaule, dans celles du rattachement ancien à la France symbolisé par les fleurs de lys de la monnaie strasbourgeoise, ou de la dévotion à la Sainte-Vierge, comme patronne de la ville, Murner met au premier plan, pour s’en faire appui, le sentiment populaire.

Wimpheling avait dédié sa Germanie aux magnifiques et nobles sénateurs, patriciens et magistrats de l’illustre cité argentine.

Murner dédie sa Nouvelle Germanie à un adolescent bien doué (bone indolis), un de ses jeunes disciples.

« Tu serais bien surpris, lui dit-il, que j’eusse dans cet écrit voulu restaurer la puissance primitive des Français (priscam Gallorum venam innovare) et changer la liberté de notre ville en une révoltante servitude (fastidiosam servitutem). Regardes-y de près, et tu verras si j’ai voulu remettre aux mains des Français le gouvernail de Strasbourg. »

La liberté, selon lui, a été accordée à Strasbourg par Charlemagne qu’il regarde comme empereur français et confirmée par le Pape. Il tremble donc bien à tort (trepidavit timore ubi non erat timor), Wimpheling, dit-il, quand il craint que si nous reconnaissons avoir été jadis sous l’empereur des Français, nous devenions par cela même, de plein droit, les serviteurs ou esclaves (servos) de la couronne de France.

Notre véritable seigneur à nous aujourd’hui, c’est la Sainte-Vierge qui est représentée sur les bannières de la ville, les bras étendus pour nous protéger et à laquelle nous vouons nos corps et nos âmes.

Et pourquoi donc ai-je pris en mains de défendre la thèse que nous étions placés jadis sous la domination des Français (ut pristina gallorum dominia defenderem), c’est avant tout par amour de la vérité ; si notre ville se laissait tromper par vos mensonges, on la verrait, pour échapper au danger fictif d’une servitude française, tomber sous le joug du diable, père du mensonge.

Il est une autre raison encore. C’est Dieu qui dispose des dominations. Il n’y a donc pas plus à nier qu’il nous ait placés jadis sous l’empire des Français, que de nier qu’il nous a placés depuis sous l’empire du roi des Romains, d’autant moins que notre véritable seigneur est, nous l’avons dit, la Sainte-Vierge en personne.

Le dernier chapitre intitulé : Erreurs de Wimpheling est peut-être le plus curieux et le plus intéressant pour nous. Après avoir rappelé que Wimpheling a voulu ouvrir les yeux à ces nombreux citoyens qui favorisent la cause française et démasquer ces orateurs demi-Français qui soutiennent les prétentions de la couronne de France, il s’écrie : « Vraiment, il faut se féliciter grandement de vivre à une époque où un seul homme, après avoir détruit la fausse croyance populaire, fait resplendir la pure vérité (veritas prisca refulgeat), » — allusion évidente à la tradition populaire vivace d’un rattachement à la France, tradition que Wimpheling a prétendu extirper.

« Je ne sais pas, ajoute-t-il, s’il mérite vraiment les bonnes grâces de notre cité celui qui accuse ses ambassadeurs de l’avoir trahie. Qu’y a-t-il, en effet, de plus parjure et de plus coupable que l’acte d’un homme qui, après avoir, les mains levées au ciel et la tête nue (selon l’usage des Strasbourgeois), juré fidélité à la ville, souhaite au fond du cœur, par faveur pour les Français, qu’elle soit vaincue, subjuguée par eux. Et voilà ce qu’auraient fait les envoyés de la ville, soit par connivence avec les magistrats, soit par l’imprudence de ceux-ci à les mal choisir. — Ce n’est pas tout. — Jusqu’ici, nous avions passé pour des amis intègres de l’Empire romain, et tu nous accuses, très cher Wimpheling, d’être des demi-Français (tu semigallos nostrates contendis). »

Nous avons bien là, je crois, le vrai fond du débat. Wimpheling avait préconisé une lutte acharnée contre la France, au bénéfice de l’Empire, alors que le sentiment dominant était la défense des libertés alsaciennes, et spécialement des libertés strasbourgeoises avec entente, selon les circonstances, avec la France.

Ce sentiment, la Germanie l’avait, au dire de Murner, travesti en le représentant comme une inimitié contre le Saint-Empire romain, alors que Strasbourg était obligé de ménager l’Empereur et ne pouvait entrer en lutte directe avec lui.

C’est sans doute pour sauvegarder sa neutralité que le magistrat sévit avec tant de rigueur contre l’écrit de Murner, qu’il le fit si impitoyablement détruire qu’on n’en connaît plus que deux exemplaires.

Mais du côté germanique, d’outre-Rhin, ce fut un déchaînement d’une virulence, d’une fureur inouïe contre Murner, accusé d’avoir pris la défense de ces partisans strasbourgeois si nombreux de la France que Wimpheling avait voulu désabuser ou de ces orateurs demi-Français (semi-Galli) qu’il avait dénoncés à la vindicte du magistrat et à la méfiance du peuple.


V

Tout le xvie siècle, qui s’ouvrait seulement à l’époque de la controverse dont je viens de parler, demanderait une étude détaillée, des rapports intellectuels et moraux de l’Alsace, spécialement de ses villes, avec la France. Il est infiniment regrettable qu’elle n’ait jamais été entreprise et que les relations politiques aient occupé presque seules les historiens. Le jour où cette étude aura été faite, on sera étonné du développement qu’ont pris, au cours de ce siècle et durant tout le règne de Henri iv, les affinités anciennes que j’ai esquissées.

La Réforme, en somme, produisit de multiples et fortes oscillations du sentiment public en Alsace, aussi bien qu’en France et en Allemagne. Elle accrut d’une façon inattendue à Strasbourg le nombre, l’étendue et aussi la solidité des attaches françaises, tant par l’enseignement qui y fut organisé pour protestans et pour catholiques, par un ancien disciple et maître de l’Université de Paris, Jean Sturm, un des plus nobles et plus larges esprits du xvie siècle, — tant par cela, que par le passage ou le séjour de savans français. Les jurisconsultes Hotman, François Baudoin, Philippe de la Garde, l’historien Denis Godefroy l’ancien y professent, — celui-ci pendant près de quinze ans ; — Charles Dumoulin en 1553, Ramus en 1568 y sont reçus avec un singulier empressement. L’accueil fait à Ramus surtout est significatif. « À son entrée dans la ville, lui et ses compagnons rencontrèrent une noce fort nombreuse, qui aussitôt les entoura et leur fit cortège. Ramus, dont le nom était acclamé par cette foule, fut complimenté et harangué comme s’il eût été quelque prince faisant son entrée solennelle[11]. » Diplomates et hommes politiques ne cessent d’arriver, et, dès les troubles religieux en France, les réfugiés affluent et se fixent à demeure. Ils appartiennent aux plus grandes familles du royaume, — c’est un duc de Bouillon, ce sont les Condé, les Coligny, — ils appartiennent à la noblesse, à la bourgeoisie, aux professions libérales et aux métiers. Les uns apportent des fortunes importantes, les autres des connaissances, une tournure d’esprit, des arts nouveaux. À côté de Mgr de Bar on voit s’installer un baron d’Haussonville, le célèbre médecin de François Ier, Gonthier d’Andernach, les fils de Guillaume Budé, Jean Brossel, recteur de l’Université de Châtillon, et une foule d’ « honnêtes, pieuses et bonnes gens, » comme les qualifie le stettmeister Jacques Sturm, finit par se presser dans Strasbourg, — l’hôtellerie de la justice. En une seule année, en 1575, on constate la venue de 15 398 Français, si bien que, dix ans plus tard, un chroniqueur strasbourgeois alla jusqu’à dire (il exagérait) que l’élément welsch formait le tiers de la population strasbourgeoise.

Les Français étaient en tout cas si nombreux que le magistrat limita à deux cents le chiffre des admissions à la bourgeoisie, afin que Strasbourg ne cessât pas d’être une ville allemande (damit man eyn teutsch Stadt behielte) (1566), et que, dès 1555, une coterie d’immigrés allemands, en tête desquels se plaça le Souabe Marbach, mena une fougueuse et astucieuse campagne d’intolérance contre l’église française qui avait été ouverte par Calvin lui-même en 1538. On craignit même qu’à raison de leur nombre les Français ne livrassent la ville. Ils devenaient suspects en se promenant sur les remparts, ou seulement en montrant l’arsenal du doigt, et on leur interdit, en 1595, de monter sur la cathédrale.

Observons que Strasbourg ne fut pas seulement, comme l’a dit Bossuet, la ville la plus savante de la Réforme, celle qu’on proposait pour modèle de discipline, elle devint au xvie siècle, en même temps qu’un centre diplomatique international, une capitale à la fois politique et intellectuelle de l’Alsace. Il importe donc d’autant plus de montrer que, selon l’expression d’un historien aussi sage et aussi réservé que M. Reuss, « son annexion politique avait été précédée dans une certaine mesure d’une annexion intellectuelle[12]. »

De tous les États faisant partie de ce grand corps amorphe, le Saint-Empire romain, et que ne reliait plus qu’une ombre de puissance, la République de Strasbourg était le plus indépendant. Elle était la plus libre des villes libres. Seules Ratisbonne et Bâle avaient été, comme elle, dispensées de tout serment d’hommage et de fidélité à l’Empereur, même quand il venait dans la cité, et Ratisbonne avait perdu ce privilège en 1492. Quant à Bâle, elle avait rompu tout lien avec l’empire en entrant dans la Confédération helvétique. Une seule fois l’indépendance de Strasbourg parut fléchir. La ville, après la défaite de Mühlberg (1547)[13], était à la merci de Charles-Quint, qui contraignit le magistrat à lui prêter serment. Mais le magistrat le prêta seul, et non point l’ensemble du peuple, comme cela se faisait dans les autres villes libres de l’empire, et, avant de le prêter, il protesta solennellement devant notaire que son serment était un acte contraint et forcé qui ne pouvait préjudicier en rien aux droits de la ville. Cette protestation, le magistrat la renouvela en public, quand, en 1552, Charles-Quint étant présent, le vice-chancelier redemanda la prestation du serment. Le serment fut refusé, et l’affaire en resta là. Même refus et même résultat au xviie siècle, lors d’une tentative analogue de Léopold Ier.

Strasbourg formait ainsi un monde à part, un microcosme dans le Saint-Empire romain. Elle était de plus une république des lettres en même temps qu’une république politique. Son originalité intellectuelle, et sa supériorité morale, par rapport à la Germanie, ressortent avec éclat de la lettre fameuse qu’Érasme a écrite à Wimpheling (août 1514) après un séjour enchanteur dans la libre Cité[14]. Le magistrat de Strasbourg est, à ses yeux, l’image d’une antique cité de la sapience (philosophicae civitatis). L’urbanité de la Grèce s’y allie à la discipline romaine, la culture de l’esprit à l’intégrité des mœurs. De là naît une harmonie toute platonicienne, harmonie de la constitution, harmonie dans la structure sociale : des vieillards sans morosité, des nobles sans faste, des gouvernans sans morgue, des plébéiens doués de vertus d’élite, un peuple sans populace, des savans et des lettrés groupés en cénacle littéraire (sodalitas), qui excellent dans tous les genres sans cesser d’être modestes. C’est le joyau de la Germanie, le « joyau du Rhin, » dira un jour le poète Jean Fischart.

Ce témoignage a une valeur inappréciable, émanant d’un homme tel qu’Érasme, en relation avec toute l’Europe savante, et en mesure de juger le monde de haut. Il a été ratifié un siècle plus tard par un autre savant originaire des Pays-Bas, qui, après avoir parcouru l’Europe presque entière, devint historiographe de France, et professeur au Collège royal, Pierre Bertius. « J’ai peine, dit-il, en citant Érasme, de détacher ma pensée de cette ville, la plus belle de toutes, me souvenant quelle douce existence j’y ai menée, dans l’étude, non sans gloire, de la sagesse[15]. »

La « Société littéraire » avec laquelle Érasme était entré en relation à Strasbourg et dont il a goûté l’esprit, le caractère et le talent, nous offre la fleur de l’humanisme alsacien et comme la quintessence de l’esprit alsacien. Ne retenons que les côtés qui rapprochent l’Alsace de la France.

C’est d’abord, on l’a vu, le culte de la civilisation latine et même hellénique. Il est représenté de la façon la plus parfaite par un érudit strasbourgeois qui portait un nom prédestiné, Nachtgall, latinisé, selon l’usage de l’époque, en Philomela et Luscinius. Quelle attrayante figure où domine l’harmonie célébrée par Érasme ! Il vient tout jeune à Paris, il y étudie le grec avec ardeur, sous la direction de Jérôme Aléandre (1508), il y prend le goût des bonnes lettres, il le développe et le satisfait à Louvain et à Padoue, bien plus, en Grèce même et jusqu’en Asie Mineure. Rentré dans sa patrie, il y introduit l’étude du grec, et, par le charme naturel et acquis de son esprit, par son caractère spirituel et aimable, plein de mesure, par sa conversation enjouée et vive, il est pour beaucoup dans cette atmosphère heureuse dont Érasme a ressenti et décrit le charme. Il jouait délicieusement de la flûte, et je me le figure, tel l’orateur antique, recevant de la flûte le ton de son discours.

Si doux et tolérant que soit son naturel, il n’échappe pas plus que ses compatriotes au goût de la satire et de la facétie. Il publie un recueil d’anecdotes facétieuses (Joci ac sales), précédé d’une apologie de l’esprit. Sa verve satirique se nourrit et s’affine par le commerce familier avec Lucien, et l’emporte ainsi en finesse sur Murner, en ironie sur Brandt.

N’est-ce pas ici un trait d’union curieux avec l’esprit français tel qu’il s’incarnera en Rabelais ? et combien me paraît juste cette réflexion d’un Strasbourgeois d’il y a cent ans, l’ancien maire de Strasbourg, Hermann : « Il paraît que les Strasbourgeois d’ancienne roche placés entre deux grandes nations dont ils pouvaient étudier et comparer le caractère et les mœurs, et entretenant un commerce fréquent avec un grand nombre d’étrangers qui venaient visiter leur ville, étaient très disposés à l’esprit de satire[16]. »

Rien n’est plus juste, et les noms de Murner, de Sébastien Brandt, de Jean Fischart, contresignent cette vérité pour l’Alsace entière. Plus que tout autre, Jean Fischart est le type accompli de cet esprit de terroir et nous permet de saisir ses affinités avec le génie français. Il mérite bien, toutes proportions gardées et toutes réserves faites, le nom de Rabelais alsacien, moins pour avoir adapté le Gargantua (1575), que pour l’ensemble de sa luxuriante production.

C’est un esprit encyclopédique en même temps que cosmopolite, comme il s’en est rencontré volontiers en Alsace, comme l’était ce préteur Obrecht que Bossuet appellera epitome omnium scientiarum et homo omnium populorum. Il a étudié à Paris, visité Londres, parcouru l’Allemagne, les Pays-Bas, peut-être l’Italie. À la science du droit il a joint une connaissance approfondie de l’histoire ; il s’est occupé de théologie, de philosophie, de médecine. Il a une aptitude et une prédilection extrême pour les langues. Outre les langues classiques, il possède le français, l’italien, l’espagnol, le flamand, partiellement l’hébreu. Et il écrit, en prose et en vers, dans la langue populaire, le dialecte alsacien, sans, souci des règles classiques, avec une liberté créatrice analogue à celle de Rabelais.

Le champ de sa satire est dès lors infini, et voyez comme il l’arpente : « Quel spectacle plus beau, nous dit son récent biographe[17], que celui de cet homme toujours en éveil, toujours disposé à payer de sa personne quand il s’agit de défendre les idées qui lui sont chères ! Pauvre, isolé, ne possédant rien que sa plume à une époque où la carrière littéraire ne rapportait ni honneurs, ni richesses, il n’hésita pas à engager la lutte contre tous les préjugés, tous les vices, tous les ridicules… Sa satire, tantôt morale et philosophique, tantôt religieuse ou politique, embrasse tous les intérêts, toutes les passions du xvie siècle, ou plus exactement de l’humanité entière. »

Il ne peut s’attaquer à tant de « puissances » qu’avec l’arme de l’humour. Il la manie avec d’autant plus de succès que son rire est naturel, jovial, au lieu d’être amer, qu’il jaillit de source et l’amuse lui-même en amusant les autres.

Si ce rire parfois devient un peu gros, songez aux mœurs allemandes, aux vices et aux travers allemands qu’elle vise[18], nullement dans un but patriotique, à coup sûr, mais par antipathie naturelle, par un sentiment juste et droit de ce qui sonne faux. Et cela ne revient-il pas à dire que, comme pour Rabelais, la largeur d’esprit est le caractère dominant de l’œuvre, qu’elle entre en conflit avec l’étroitesse des castes, des sectes, des races, et qu’elle prend corps à corps tous les despotismes ?

De même que chez la plupart des écrivains alsaciens, l’esprit de satire ne se sépare pas, chez Fischart, de l’esprit d’indépendance. À juste titre, M. Besson a-t-il noté comme trait fondamental de sa nature « un amour profond de la liberté sous toutes ses formes, liberté politique et liberté de conscience, liberté religieuse et civile. »

Cette union si frappante dans la mentalité alsacienne de la veine satirique et de l’amour de la liberté nous ouvre une large perspective sur ses affinités françaises, et elle nous permet de dissiper une des plus fallacieuses équivoques que les Allemands aient mises en cours, quand ils ont exalté le patriotisme « germanique » des humanistes alsaciens, et l’ont représenté comme anti-français.

Qu’était-il, au vrai, ce patriotisme ? C’est l’amour du pays natal à la fois comme terre de la liberté et comme partie intégrante, comme membre d’une société politique idéale, où, sous l’autorité d’un pouvoir suprême, religieux et laïque, l’ordre, la paix, la justice soient maintenus entre les hommes et d’où la foi chrétienne, victorieuse des infidèles (des Turcs), se propage et rayonne sur l’univers. Ainsi un triple sentiment s’unit et se confond, pour les humanistes alsaciens, dans le culte fervent de leur patrie : l’amour de la liberté, que satisfaisait, à Strasbourg, la constitution républicaine ; l’amour de l’ordre, que représentait, à leurs yeux, la majesté impériale ; la fraternité chrétienne, que le Saint-Empire romain avait pour mission de réaliser.

Le Saint-Empire n’était dans son essence ni romain, ni germanique ; il était chrétien, il devait embrasser toute la chrétienté, et il pouvait avoir à sa tête un autre souverain qu’un souverain allemand, un souverain français par exemple. Sébastien Brandt le dit et le prévoit expressément, et un autre humaniste, Mathieu Ringman, fait appel à la fois à la France, la Germanie, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Hongrie et l’Italie pour s’unir en un seul corps et « obtenir que le Christ fût adoré par tous les peuples. »

Nul plus que les humanistes strasbourgeois n’a regretté la faiblesse de l’autorité impériale, son impuissance à assurer la paix publique et la justice sociale, et c’est pourquoi ils avaient tant espéré en Maximilien. Fischart reproche à l’aigle de l’Empire d’être devenu une « pie, » qui tient dans ses serres, au lieu d’un globe, une « balle de raquette. »

Et nul, non plus, n’a stigmatisé avec plus de force les vices de l’Allemagne et célébré par des accens plus lyriques la liberté républicaine.

« Vivre libre et indépendant, s’écriera Brandt, voilà la vie heureuse. Les plus grands trésors ne sont rien à côté de la liberté ! »

« La liberté, dira Fischart, est la splendeur de la noblesse. — Celui qui est d’espèce ignoble s’engourdit dans la servilité, comme un bousier dans le fumier. — Prendre la liberté à l’homme, c’est le sang même de son cœur qu’on lui prend. »

Ce que les Allemands ont prétendu être un patriotisme germanique n’était donc au fond que l’amour de la liberté et de la fraternité chrétienne. Comparez-le, ce patriotisme, à celui que la Révolution française a fait éclore, et voyez comme il anticipe sur lui et dans quelles profondeurs de sentimens se préparait, dès le xvie siècle, l’union de l’âme alsacienne et de l’âme française. Faut-il chercher ailleurs la spontanéité de l’élan qui a entraîné l’Alsace dans les bras de la France de 89 ?


VI

Les sentimens qui s’échappaient bouillonnans du cœur des humanistes alsaciens du xvie siècle et qui couvaient instinctivement dans l’âme du peuple, l’Alsace en prit chaque jour une conscience plus vive sous la poussée des grands événemens politiques et religieux du xvie et du xviie siècle. Il en fut ainsi à mesure que les déchiremens de la Réforme achevèrent de mettre l’Empire en pièces et que s’élevait sur ses ruines la monarchie despotique et persécutrice de la maison d’Autriche, à mesure qu’en France, au contraire, les partisans de l’Espagne succombaient et que s’intronisa la monarchie tolérante, éclairée, brillante de Henri iv et de Sully, à mesure enfin que, dans l’anarchie de la guerre de Trente Ans, la France, par le succès de ses armes, apparut comme un principe d’ordre, et, par son alliance avec les protestans d’Allemagne, comme une sauvegarde de la liberté de conscience.

Les partisans de la France qui inquiétaient Wimpheling, au début du xvie siècle, ne cessèrent donc d’augmenter en nombre et en influence, et les sympathies latentes pour elle de s’accroître, de s’étendre et de se renforcer.

Dans la lutte que Strasbourg engagea contre la domination oppressive de Charles-Quint, elle n’a pu trouver qu’en France l’appui indispensable, et l’on peut dire que ses sympathies pour notre pays croissaient à proportion de ses antipathies contre les Habsbourg.

Un rapprochement plus étroit encore avec Henri IV devint pour la cité républicaine une question de vie et de mort, lors de la guerre des évêques en 1592, et ce rapprochement inaugura une politique de confiance mutuelle, qui avait atteint son point culminant au moment de la mort du Béarnais. Nous verrons quel essor avait pris alors la culture française en Alsace.

Pendant la guerre de Trente Ans, la France eut alternativement à prendre en main la cause des catholiques contre les Suédois et des protestans contre les Impériaux, et elle joua en définitive un rôle dont toute l’Alsace lui sut gré. Les relations devenaient du reste de plus en plus actives et de plus en plus soutenues.

Dès 1630, la France fut représentée d’une façon permanente par un agent diplomatique, qui devint un centre de rayonnement et un foyer de francisation. Il rallia à la cause française des personnages de tout rang, des bourgeois et des nobles ; il accrut le nombre des partisans de marque que, depuis bon nombre d’années, la Cour de France comptait en Alsace, et desquels je veux détacher la curieuse figure d’un secrétaire du Conseil des xv, Josias Glaser[19]. La mission secrète, — à Paris, pour négocier un emprunt, — dont il fut chargé par le magistrat, en juillet 1631, est, me semble-t-il, du plus vif intérêt pour mon sujet. Non seulement elle nous apprend quels serviteurs la cause française avait dès alors dans la bourgeoisie alsacienne ; mais, en nous les montrant à l’œuvre, elle fait apparaître à tous les yeux les affinités de l’esprit alsacien et de l’esprit français.

Écoutons-le, cet envoyé de Strasbourg, quand il raconte ses rapports personnels avec le roi de France ou ses ministres. Pour cela, suivons-le à la Cour, au château de Monceaux. Il va être présenté au Roi, il a préparé le petit compliment qu’il doit lui adresser. Il l’a préparé en français, bien que, dit-il, on lui eût permis de se servir de la langue latine. Il est moins allemand que ne le croit Louis XIII, car le Roi, sitôt qu’il l’aperçoit, lui fait signe d’approcher en lui disant : « Veni, veni, monsieur Alleman. » Glaser débite sa petite harangue, que voici textuellement, à titre d’échantillon du français qu’un Strasbourgeois parlait dès 1631 :

« Sire, je suis très aise de trouver Vostre Majesté en si bonne santé et parfaite prospérité. Je prie Dieu qu’il conserve Vostre Majesté longtemps en mesme estat pour le bien et la grandeur de Vostre Royaume et de toute la Chrestienté. Mes supérieurs et messieurs de la ville de Strasbourg m’ont donné ces présentes (missives), — avec très-humbles recommandations de leur Estat et remercîment pour tant de grâce qu’il a plu à Vostre Majesté d’eux favoriser, suppliant très humblement Vostre Majesté de croyre que mesdits Sieurs sont toujours vos très humbles serviteurs et voisins. »

À cela que répond le Roi ? « Sa Majesté royale m’a répondu en français, tête nue, d’une voix grave, mais claire : « Je suis amateur de la liberté et de touts Estats libres, mais singulièrement de vostre ville de Strasbourg, comme vous entendrez de mes gens. »

Je passe sur l’audience que Richelieu lui accorde dès le lendemain, mais je m’arrête un instant aux conférences d’une saveur très piquante qu’il a eues avec le Père Joseph. Le Strasbourgeois, ce qui prouve sa perspicacité, n’est pas dupe d’une profession de large tolérance que lui développe celui dont mon savant confrère, M. Fagniez, a dit qu’il avait la passion d’entreprendre et de mener rondement des conversions en masse et en détail. Cette perspicacité rend d’autant plus spirituel le mot que suggère à Josias Glaser un petit incident qu’il raconte ainsi :

« Pendant que nous étions à discourir de la sorte, une guêpe s’approcha et se mit à bourdonner bruyamment autour de nous ; elle finit par pénétrer sous le froc du Père et le piqua à la cuisse, si bien qu’il se mit à crier lamentablement, et que son frère, M. du Tremblay, le gouverneur de la Bastille, accourut, ainsi que le Père Ange. Ils ont examiné le bon vieux monsieur (den gutten alten Herrn) et l’ont guéri avec une compresse d’encre. Bientôt, il s’est senti mieux : alors, je lui ai dit que c’était sans doute une guêpe espagnole sortie de la niche de Cerbère, et qui n’avait pu supporter d’entendre plus longtemps ses excellentes paroles (de tolérance). Là-dessus, il s’est mis à rire, sa bonne humeur est revenue, et il m’a congédié à mon entière satisfaction. »

C’est plus, me semble-t-il, qu’un trait d’esprit, c’est un trait d’union entre l’esprit alsacien et l’esprit parisien, un demi-siècle exactement avant la réunion de Strasbourg à la France.

Voici un autre trait pareil qui montrera en même temps combien peu l’Alsace était connue alors par les Français. Glaser vient réclamer au Trésorier de l’Épargne les fonds qui lui ont été promis par un contrat en bonne et due forme.

« Le nom de Strasbourg, raconte Glaser, lui a fait une impression étrange et singulière ; comme s’il l’entendait pour la première fois. Car ce trésorier (Marc Bertrand), bien qu’il fût un vieillard et un conseiller d’État, ne savait pas si Strasbourg était une ville, un pays, un animal ou un homme. Il m’a dit d’un air effaré :

« — Qu’est-ce que Strasbourg ?

« Je lui dis : — Une ville.

« Il me répond : — Une ville, en Hongrie, en Allémanie ?

« Moi : — En Allémanie.

« — Nous verrons.

« Il veut voir ce qu’il peut faire, je dois revenir le lendemain. »

Mais un Alsacien ne se laisse pas évincer. Glaser se plaint à la Cour et obtient le jour même par un exprès l’ordre pour le trésorier de payer séance tenante, « sous peine de perdre sa place, » ce qui amusa beaucoup le Père Joseph.

Je note que ce même Glaser a, huit ans plus tard, en 1639, remis à M. d’Oysonville un projet d’organisation de l’Alsace par la France où se trouvent exposés les principes mêmes de ménagement et de tolérance dont M. Albert-Petit a décrit l’application après 1681.

Voyons maintenant ce qu’avait été la culture française dans le premier tiers du xviie siècle.

L’Académie de Strasbourg, sortie en 1566 de la haute École où, dès 1530, le français était enseigné, avait, en 1592, institué un professeur officiel de cette langue et organisé, en 1604, son enseignement sur une base très large. Le programme prescrivait notamment d’étudier Amyot, et il en donnait ce motif qui témoigne en faveur du goût éclairé des scolarques : « à raison, disait-il, de sa gentillesse (Zierlichkeit). »

Cette Académie fut, en 1621, érigée en Université et, en même temps qu’elle tint le premier rang parmi les Universités allemandes, elle servit d’avant-poste à l’Université de Paris. Strasbourg était l’étape nécessaire où la jeunesse s’arrêtait pour apprendre la langue et acquérir les manières françaises, avant d’entreprendre le voyage habituel de France. Ce voyage était le complément indispensable de l’éducation. « En ceste ville, disait un maître de langue française, qui enseigna à Strasbourg de 1616 à 1637, Daniel Martin de Sedan, on ne tient conte d’un homme qui n’a rien veu : on l’appelle rostisseur de pommes derrière le fourneau, gardeur de poile ou casanier. » — « Nos jeunes gens, écrivait en 1635 le professeur strasbourgeois Bernegger, ont grand plaisir à se rendre en France. »

Pour les préparer, nous voyons, en 1607, un Genevois, le sieur Bernard, publier à Strasbourg un Tableau des actions du jeune gentilhomme en dialogues, qui constitue un parfait manuel d’éducation française.

Quelques années plus tard (1613), un professeur de l’Académie, J. Clutenius, dans un rapport aux scolarques, signale la résidence de nombreux précepteurs qui s’arrêtent dans la ville pour faire prendre à leurs disciples les manières et le langage de France.

Et voici ce que dit le Favus praeceptorum linguae Gallicae, le rayon de miel des précepteurs, publié à Strasbourg en 1622 : « Mon destin m’ayant porté en ces quartiers où nostre langue est autant de requeste que chose qui soit, j’y ai trouvé les esprits ne respirant que l’estude d’icelle… Ce livret servira de phanal et boussole à ceux qui, pour parvenir aux charges et honneurs, s’embarquent sur l’Océan françois ; car, pour l’heure, c’est la route la plus commune, ce chemin est le plus battu, l’herbe croist es autres. » Soyons indulgens aux figures de rhétorique de ce pédagogue, ne retenons que l’état d’esprit qu’il décrit.

La bourgeoisie rivalise avec la noblesse dans ces études. Un pasteur s’écriait avec dépit que, pour être honoré, il faut savoir monter à cheval et parler le français. Voici, du reste, un exemple typique : un stettmeister de Colmar, mort en 1668 et qui a joué un rôle important durant la guerre de Trente Ans, a été célébré en ces termes :

« Ce que la France a de bon, — Les bonnes manières pour lesquelles elle est prisée, — Tout ce qui fait briller très haut Paris par-dessus les autres villes, — Tout cela, il a voulu l’apprendre de même que la langue. »

Le professeur Bernegger appelait Strasbourg une ville demi-française, dans une lettre du 1er mai 1625, et il expliquait que, si on n’avait pas créé en 1621 de chaire de français à l’Université, c’est « qu’on trouvait partout des occasions commodes d’apprendre cette langue. »

Et, en effet, il y avait eu dès 1592 tant de maîtres privés faisant concurrence au professeur officiel de l’Académie qu’il ne trouva pas assez d’élèves payans pour pouvoir continuer longtemps son enseignement.

Du reste, il n’existait pas davantage de chaire de langue allemande, et c’était le latin, non l’allemand, qui était la langue scolaire.

Il faut entendre encore la déclaration étrangement significative faite en 1603 par un des plus vieux professeurs de l’Académie où, dès 1573, il professait la dialectique et la physique, Jean-Louis Hauenreuter. La voici :

« Qui donc ignore, je vous le demande, que la connaissance de la langue française doive être recherchée partout, à moins qu’il ne se terre à perpétuité, à la façon des lapins, dans le sous-sol de sa patrie… Celui qui l’ignore devra ou se taire, ou passer pour un barbare. »

L’enseignement du français ne se limite pas à Strasbourg. Même dans les petites villes comme Bischwiller, nous trouvons, dès 1618, un maître d’école français, et à Colmar, quelques années plus tard, le magistrat introduit trois leçons de français par semaine dans les classes supérieures de l’école latine. Dès le xvie siècle, il s’y trouvait du reste des maîtres privés.

Il me semble inutile de multiplier ces exemples, mais un point essentiel est à mettre plus complètement en vedette. M. Rodolphe Reuss l’a dit excellemment : « On ne se contentait pas des leçons qu’on pouvait avoir à domicile ; on allait aussi chercher la connaissance pratique de la langue française au dehors. Dès la fin du xvie siècle et surtout au xviie siècle, nous voyons un grand nombre de jeunes Alsaciens de bonne famille, après avoir étudié théoriquement le français chez eux, faire le tour de France ou de Suisse, pour apprendre à s’en servir, » et il ajoute : « Le nombre est considérable de ceux qui ont séjourné plus ou moins longtemps en France comme touristes, commerçans, étudians, etc. »

De retour dans leur pays, ces voyageurs continuaient à encourager l’étude et à répandre la pratique du français, qui se conservait, d’autre part, malgré les obstacles nés des rivalités confessionnelles, par le prêche en cette langue.

L’Église française calviniste du xvie siècle avait survécu, en effet, sous des formes officieuses diverses, a la proscription dont l’avait frappée la réaction conduite par le Souabe Marbach. Elle s’était réorganisée au xviie siècle dans le voisinage immédiat de Strasbourg, à Wolfisheim, et, détail piquant, c’est un de ses adhérens qui, en 1655, traduisit le Cid en allemand.

Il en fut ainsi avant la réunion de Strasbourg à la France.

Or, que voyons-nous après cette réunion ? En 1686, l’intendant de la province d’Alsace, M. de La Grange, met comme condition au maintien de la paroisse réformée de Wolfisheim que le ministre ne sache pas la langue françoise. Cette interdiction avait pour but évident d’écarter du culte réformé les Français immigrés. Mais n’est-il pas étrange de constater, selon la remarque de M. Reuss, que le Grand Roi travaillait à germaniser ses sujets ? Et nous pouvons noter une résistance analogue, en 1716, du préteur royal, M. de Klinglin, à l’ouverture d’une école luthérienne française.

De tels faits contribuent, ce me semble, à montrer quelle large part la prédisposition, les affinités naturelles ou acquises, ont eue dans l’intime union de l’Alsace et de la France.

Il a été dit maintes fois que l’Alsacien a le cœur sur la main. C’est un éloge mérité. Mais dans un pays aussi disputé que le sien, en proie aux convoitises, victime de tant d’assauts, la réserve est une autre qualité inhérente à sa nature. De là cette difficulté si grande de pénétrer jusqu’au tréfonds de son caractère, et tant de jugemens incomplets portés sur lui, de droite ou de gauche.

Les mémoires d’un Parisien du xviie siècle peuvent nous le rendre sensible. Ils se rapportent à des séjours successifs qui forment un trait d’union entre l’Alsace d’avant et celle d’après la réunion définitive à la France[20]. Commissaire des fermes dans la Haute-Alsace, le sieur de l’Hermine avait rencontré, grâce à sa courtoisie et à sa droiture, des sympathies nombreuses dans la population alsacienne. Il s’est familiarisé avec elle, et il a cru la connaître. Il en fait le portrait fort pittoresque. Mais voici qu’il la retrouve sous un autre jour. Le ciel s’est éclairci ; l’Alsacien peut se montrer plus à plein.

Dans l’intervalle de quelques années, une transformation singulière s’était opérée. Le bien-être matériel avait reparu, comme par enchantement, avec la sécurité, et la physionomie des gens eux-mêmes avait pris un aspect nouveau. L’accueil qui est fait à l’ancien résident est tellement chaud qu’il en éprouve une agréable surprise, et ce dialogue s’engage à Altkirch : « Vous avez, monsieur, gagné le cœur de tout le monde, on ne se peut lasser de dire du bien de vous. » — « J’en serais ravi, si vous ne me flatiez point tant, je ne suis pas assez vain pour croire que j’aye pu gagner l’affection de toute une ville, en n’y faisant ni bien ni mal. » — « Ah ! ne m’en croyez pas encore, vous serez bientôt persuadé par la voix publique, si vous demeurez un peu de temps icy. Les enfans mêmes, qui ne vous connoissent pas, vous révèrent sur le bien qu’ils entendent dire de vous à leurs pères et mères. »

En réalité, la connaissance du dialecte alsacien que notre Parisien avait acquise fut pour beaucoup dans sa popularité. Elle avait levé une barrière. « De mémoire d’homme, dit-il, ils n’avoient vu de François, que M. Colbert, fils du premier président du Parlement de Metz, et moi, qui eussent pu en cinq ou six mois de temps apprendre assez d’allemand pour se mêler dans leur conversation. »

La réserve à son tour tombe. Une autre surprise attendait le sieur de l’Hermine, à un souper dont le régala un de ses anciens hôtes : « Je fus bien étonné de voir chez lui un grand étalage de belle vaisselle et un buffet garni de coupes dorées, qu’il ne m’avoit point montrées du tems de la guerre. La paix l’avoit changé d’une extrémité à l’autre, c’étoit un homme nouveau, je n’en ay parlé cy devant que comme d’un ménager jusqu’à la vilennie, d’un malpropre, d’un homme d’esprit lent, distrait et mélancolique, au lieu que, pour lors, je le trouvai libéral, honnête, spirituel, gai et proprement habillé. » Je vois dans ces observations tout un symbole, j’y vois la levée du voile dont le passé se couvre, et que je viens de tenter de soulever moi-même.  L’étude de M. A. Albert-Petit laissait en dehors d’elle un champ historique immense, celui que forme l’histoire intellectuelle et morale de l’Alsace avant son retour à la France. Et il m’a paru que sa connaissance était indispensable pour placer dans leur vraie lumière, pour mesurer à l’aune juste, les transformations qui se sont accomplies depuis lors. Ignorer ce passé pourrait conduire à raisonner comme un naturaliste qui ferait abstraction de la nature du sujet sur lequel une greffe a été entée. Ce sujet, c’est l’âme alsacienne et pour que la greffe ait pu réussir et produire des fruits savoureux, il fallait que la nature de cette âme s’accordât avec la nature de l’âme française.

Plaçons-nous au point de vue alsacien, nous dirons que l’âme de l’Alsace n’a trouvé que dans la France le génie propre à la féconder.

Cette âme-là, elle vit toujours, elle est impérissable. La légende l’atteste autant que l’histoire. Sait-on qu’une des plus vieilles légendes populaires du pays l’évoque, à chaque an nouveau, dans ce château de Hoh-Kœnigsbourg que Guillaume ii a prétendu réédifier ? Aurait-il connu la légende ?

Là s’éveille pour une nuit la Dame blanche de l’Alsace. Elle embrasse du regard la vaste plaine du Rhin et annonce à ceux qui savent l’entendre le sort, heureux ou funeste, qui attend le pays. C’est l’ombre du passé et l’ange de l’avenir. C’est la figure légendaire de la patrie.

C’est la même qui appelait jadis le peuple à la défense de son sol et de ses libertés.

C’est la même qui a salué l’aube de la culture française et, un siècle plus tard, l’aurore révolutionnaire des temps nouveaux.

C’est la même enfin qui, dans la dernière nuit de décembre, a dû annoncer à la foule anxieuse des annexés l’heure prochaine de la délivrance, l’heure de la nouvelle et définitive union de l’âme de l’Alsace avec le génie de la France. 

Jacques Flach
  1. R. Reuss, L’Alsace au XVIIe siècle, t. I, p. 42 (Paris, 1897).
  2. Revue des Deux Mondes, 1er mai 1915.
  3. Une description poétique de l’Alsace par un humaniste alsacien du xvie siècle, le géographe Matthieu Ringmann, a pour couronnement ces deux vers :

    Odilia in summo requiescit verlice montis,
    Odilia alsalici gloria tumma soli.

  4. Il s’en réunit dans les années 1531, 1546, 1552, 1562. En 1552, ces États comprenaient l’évêque de Strasbourg, l’abbé de Munster, la noblesse d’Alsace, les villes de Strasbourg, Haguenau, Colmar, Schlestadt, Obernai, Kaysersberg, Munster etc.
  5. In frenkisga zungun. Quels précieux rapprochemens seraient à faire entre cette langue que le vieil Otfried a le premier fixée et le dialecte alsacien actuel ! Une des particularités les plus saillantes est la prédominance de la voyelle i, surtout dans les désinences, prédominance telle que la langue d’Otfried en prend l’aspect d’une langue romane. Qu’on en juge par le début des trois premières strophes de la description traduite partiellement au texte :

    Si sint so sama chuani
    Selb so thie (th anglais) Romani
    ..............
    Si eigun in zi nuzzi
    So samalicho wizzi (Ils ont dans la pratique la même habileté)
    ..............
    Rihiduam ginuagi
    Joh (jô, ja) sint ouh filu chuani (richesse à foison, bravoure en abondance).

  6. Son antiquité se manifeste dans les rapports très particuliers qu’elle présente avec l’anglais et qui sont étrangers à l’allemand. On y trouve l’auxiliaire anglais to do et l’article indéfini a (é).
  7. Dès le xvie siècle un humaniste alsacien, Thomas Vogler (Aucuparius), la défendait contre l’intrusion des Souabes, par cette spirituelle épigramme latine : « Étranger souabe, qu’attire sur notre sol l’amour de notre bon vin, ne t’avise pas, je te prie, de gâter notre pays avec ta langue, laisse là ton parler natal. »
  8. Revue des Deux Mondes, 1er octobre 1914.
  9. Albert Dumont, La Cathédrale de Strasbourg, p. 26.
  10. C’est lui qui fut, sinon le père, du moins le parrain de Dil Ulenspiegel dont nous avons fait Til l’Espiègle, et qu’il a mis au jour en 1519.
  11. Ch. Waddington, Ramus, Paris, 1855, p, 191.
  12. Notes pour servir à l’histoire de l’Église française de Strasbourg (1538-1794), Strasbourg, 1880, p. 70.
  13. Peu de jours avant la bataille, le 15 avril 1547, Jean Sturm écrivait au connétable de Montmorency : « il sera fort difficile de leur faire faire ce serment de fidélité… si est-ce que depuis les Otto, jamais (Strasbourg) n’a fait serment de fidélité à aucun Empereur, mais au contraire a toûjours esté plûtost estimée comme alliée que subjette à l’Empire. » (Ribier, Lettres et Mémoires d’Estat Paris, 1666, II, p. 4.)
  14. Le lecteur trouvera le texte dans la grande édition de la Correspondance d’Érasme qu’a entreprise M. Allen, Opus epistolarum Erasmi, II, p. 17-24 (Oxford, 1910).
  15. Commentarii rerum Germanicarum, p. 464 (Amsterdam, 1632).
  16. Hermann. Notices historiques sur la ville de Strasbourg (Strasbourg, 1819), II, p. 302.
  17. P. Besson, Étude sur Jean Fischart, Paris, 1889, p. 14-15.
  18. Fischart larde de traits directs les Souabes et les Bavarois.
  19. R. Reuss. Josias Glaser et son projet d’annexer l’Alsace à la France en 1639. Mulhouse, 1869. — Une mission française à la Cour de Louis XIII. Paris, 1900.
  20. Mémoires de deux voyages, et séjours en Alsace, 1674-76 et 1681, par L D L S D L’ H P. (… Sieur de l’Hermine, Parisien) publiés pour la première fois à Mulhouse en 1886.