Les Amazones (Du Bocage)/Les Amazones

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F. Mérigot (p. T-P).

LES
AMAZONES,
TRAGEDIE
En cinq Actes.
Par Madame DU BOCCAGE.

Repréſentée par les Comédiens Ordinaires du Roy aux mois de Juillet & d’Août 1749.
Le prix eſt de trente ſols


A PARIS,
Chez F. Merigot, Quay des Augustins, à la deſcente du Pont S. Michel, près la rue Gît-le-Cœur,
aux Armes de France
M. DCC. XLIX.
Avec Approbation & Privilege du Roy.
ACTEURS.

 
ORITHIE, Reine des Amazones & Prêtreſſe de Mars.

ANTIOPE, Princeſſe héritière du Thrône.

MÉNALIPPE, Miniſtre & Chef de l’Armée.

THÉSÉE, Fils d’Egée Roi d’Athénes.

IDAS, Compagnon & ami de Théſée.

ORONDAL, Ambaſſadeur de Gélon Roi des Scythes.

Une AMAZONE, attachée à la Reine.

Suite d’AMAZONES.


La Scene eſt à Thémiſcyre ſur les bords du Thermodon.

AUX
FEMMES.



BElles dont le puiſſant ſuffrage
Donne au génie un prix flateur,
Je vous conſacre mon ouvrage :
S’il a pû toucher votre cœur
J’oſe me promettre l’hommage
D’un peuple votre adorateur.
Quand vous admirez le courage
De l’Amazone fiere & ſage,
Qui de l’Amour fuit l’art trompeur,
Songez que l’appas ſéducteur
De vos traits, de votre langage,
Met plus de cœurs en eſclavage

Que n’en a ſoumis la valeur
Des Héroïnes du vieil âge.
S’il n’eſt plus ce fameux rivage
Où ſans liens & ſans vainqueur
Sur l’appui d’une loi ſauvage
Vous fondâtes votre grandeur :
De ce triſte & barbare honneur
Notre ſiécle vous dédommage.
Tout fléchit, ſe plaît & s’engage
Sous votre pouvoir enchanteur.
L’Univers eſt votre partage.



LES AMAZONES
TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.



Scène PREMIERE.

ORITHIE, MÉNALIPPE.
MÉNALIPPE.


EN ce célébre jour, où ſelon nos maximes,
Nous offrons au Dieu Mars nos captifs pour Victimes,
Où dans la tréve ouverte après tant de combats
Ils attendent du ſort la vie ou le trépas :
Reine, dont les vertus paſſent l’éclat du thrône
Permettez-vous ici que le peuple Amazone

Pour le bien de l’état, s’exprime par ma voix ?

ORITHIE.

Votre zéle en tout temps fut le ſoutien des loix ;
Ame de mes conſeils & chef de mon armée,
Ménalippe, à vos ſoins je dois ma renommée.

MÉNALIPPE.

Immolons-lui, Madame, un ſuperbe Etranger
Qui mit par ſa valeur nos Armes en danger.
Cet allié du Scythe en ſurpaſſe l’audace,
Dans ſa main à l’inſtant la mort ſuit la menace ;
On l’a vû nous braver courant de rang en rang :
Mais nos fiers Bataillons avides de ſon ſang,
Le ſéparant des ſiens, à ſa perte l’entraînent ;
Des traits partent encor de ſes mains qu’ils enchaînent
Et ce Lion fougueux par le nombre abattu,
Succomba ſans ternir ſa gloire & ſa vertu.
Il eſt à redouter même dans l’eſclavage :
Que ne pourra la haine unie à ſon courage ?
On dit que par votre ordre, au mépris de nos mœurs
De ſes fers en ce jour on ſuſpend les rigueurs ;
Libre dans ce palais, il peut par des intrigues
Chez les peuples voiſins ſe pratiquer des brigues,
Les Armer contre nous & punir nos mépris :

Un homme dans ces murs bleſſe les yeux ſurpris ;
On craint que ſes complots….

ORITHIE.

On craint que ſes complots…. Eh quelle eſt cette crainte ?
Seul avec un des ſiens, libre dans cette enceinte,
La garde du Palais répond de ſa fureur ;
Je dois par des égards diſtinguer ſa valeur,
Et veux que l’Univers apprenne qu’Orithie
Honore ici le bras qu’elle domte en Scythie.
Je viens par mes exploits d’étonner ces climats,
Joüiſſons de la paix après tant de combats ;
Des Scythes belliqueux redoutons le courage,
La mort d’un allié réveilleroit leur rage,
Et peut-être leur Roi, l’intrépide Gélon,
Viendroit pour le venger juſques au Thermodon.

MÉNALIPPE.

Mais le Captif lui-même, amoureux de ſa gloire,
De ſes chaînes, s’il vit, gardera la mémoire ;
Son bras des ennemis ranimant le couroux,
Pour payer vos bienfaits s’armera contre vous.
D’un Héros dans les fers prendre ainſi la défenſe,
Loin d’être grandeur d’ame, eſt manque de prudence ;
Sa valeur qui vous charme augmente ma terreur.

Reine, depuis long-temps on voit Mars en fureur
Par de fréquens combats épuiſer votre empire ;
Le Scythe las des maux que la diſcorde attire
Envoie en ces climats un chef de ſes guerriers
Vous préſenter la paix pour prix de vos lauriers :
Le repos naît enfin des travaux de nos armes ;
Mais d’un trouble inteſtin prévenez les allarmes,
Immolez un Captif au ſang verſé pour vous,
Ou tremblez que le peuple inquiet & jaloux
N’ait recours aux forfaits pour hâter la juſtice :
Enfin j’oſe à la Cour parler ſans artifice,
Craignez de la livrer au poiſon de l’amour.

ORITHIE.

Qui voudroit par ſes feux profaner ce ſéjour ?
Son culte en eſt banni.

MÉNALIPPE.

Son culte en eſt banni. Des fureurs qu’il inſpire
Orithie eſt bien loin d’appréhender l’empire ;
Ce Dieu ſi redoutable eſt pour vous ſans attraits ;
Mais toute votre Cour eſt en butte à ſes traits,
Et la jeune Antiope expoſée à l’orage.

ORITHIE.

Elle vient, calmez-vous, & changeons de langage.


Scène II.

ORITHIE, ANTIOPE, MÉNALIPPE.
ANTIOPE.

QUelle terreur, Madame, ou quels nouveaux projets
A l’eſprit de révolte excitent vos ſujets ?

ORITHIE.

Vous qui devez bien-tôt partager ma puiſſance,
De ce peuple farouche arrêtez la vengeance ;
Il veut pour ſa victime un Prince audacieux,
Captif en ce palais.

ANTIOPE.

Captif en ce palais. Contre ces furieux
Je dois ſervir ici les Grecs qui m’ont ſervie ;
Et viens en leur faveur implorer Orithie.
Prête à céder au nombre, un de ces étrangers
Par pitié pour mes ans m’arracha des dangers.
Si leur devoir la vie, eſt honteux à ma gloire,
L’effort de l’avouer ſurpaſſe leur victoire :
Imitons leurs bienfaits ; qu’ils trouvent parmi nous
Des vertus dont l’éclat rende leurs yeux jaloux,
Et que nos bords glacés du Midi ſoient l’exemple :
Si le ſang des humains arroſe notre temple,

Ce n’eſt point notre arrêt, c’eſt l’ordre du deſtin :
Souvent pour les vaincus ma voix l’implore envain,
Qu’aujourd’hui la pitié propice à Thémiſcire
Affermiſſe à jamais la paix dans cet empire !

MÉNALIPPE.

On ne peut l’affermir qu’en obſervant les loix,
Leurs leçons & les Dieux ſont les guides des Rois ;
Jadis pour parvenir à la gloire où nous ſommes
De nos champs notre audace extermina les hommes ;
Chacune à ſon Tyran oſant ſe dérober,
Un instant ſous nos coups les vit tous ſuccomber.
Si le Ciel m’eût fait naître en ce jour de carnage,
Que ce hardi projet eût flaté mon courage !
Quel plaiſir de remettre un peuple en liberté,
D’établir de nos loix la ſage auſtérité,
Et délivrant nos cœurs d’un joug que je déteſte
D’immoler les objets d’un charme trop funeſte !
En tous lieux leur orgueil a ſçu nous abaiſſer,
Montrons que ſans leur force on peut les ſurpaſſer :
Uniſſons leurs vertus à notre utile adreſſe,
Et craignons des Captifs la fureur vengereſſe :
La dîme de leur ſang eſt dûe aux Immortels,
Payons ſans différer ce tribut aux Autels ;

Le reſte loin de nous doit ſubir l’eſclavage ;
Mais on veut le trépas d’un Chef dont le courage
Répand ici l’effroi dans un peuple indomté.

ORITHIE.

Depuis quand prétend-on régler ma volonté ?
Les mortels dont le front eſt ceint du diadême
Ne connoiſſent de loi que leur pouvoir ſuprême ;
Souvent jugeant à tort de leurs motifs ſecrets,
De la plus juſte cause on blâme les effets.
Nous devons mépriſer la censure publique,
Et dans tous ſes détours ſuivre la politique ;
Sa prudence inconnue aux vulgaires humains
Par un crime apparent prévient des maux certains.
Je vous ſervirois mal en ſuivant votre envie :
La mort de l’Etranger dont on craint la furie,
Peut de l’Etat paiſible ébranler le repos ;
Thésée eſt né des Dieux, reſpectons ce héros.

ANTIOPE.

Songeons que des Tyrans il punit l’injuſtice.

MÉNALIPPE.

Par le ſang d’un Héros rendons le Ciel propice.
Vous Prêtreſſe du Temple & Reine de ces lieux,
Satisfaites le peuple en honorant les Dieux.

Leur bras nous protégea dans le ſort des batailles,
Que leur culte triomphe au ſein de nos murailles ;
Offrons-leur pour encens les plus nobles Captifs.

ORITHIE.

L’Oracle m’apprendra ſes arrêts déciſifs ;
Eſt-ce à nous de choiſir au gré de nos caprices
Le ſang qui doit rougir le fer des Sacrifices ?
Sçachons des Dieux l’encens qui plaît à leurs Autels.
Madame, les Héros ſont chers aux Immortels ;
Le fils d’Egée à Mars conſacra ſon courage,
L’immoler dans ſon Temple eſt peut-être un outrage ;
Cet illuſtre guerrier ne doit finir ſon ſort
Qu’au milieu des combats, en affrontant la mort ;
C’eſt-là que pour punir ſes fureurs meurtriéres,
Son trépas doit venger le ſang de nos guerriéres.

MÉNALIPPE.

La victime en vos mains aſſûre mieux nos coups ;
Sans conſulter les Dieux prévenons leur couroux.
En tous lieux notre ſexe à leur culte fidèle
A les ſervir ici montre encor plus de zèle :
Je le redis, craignez…

ORITHIE.

Je le redis, craignez… Annoncez qu’aux Autels

On ſçaura par ma voix l’ordre des Immortels :
Allez : & modérant l’ardeur qui vous anime,
Songez qu’auprès des Grands trop de zéle eſt un crime.



Scène III.

ORITHIE, ANTIOPE.
ANTIOPE.

QUe je crains les complots d’un peuple furieux !
Contre les Souverains il réclame les Dieux,
Et jaloux du bonheur d’un regne ſans allarmes,
Par l’effroi qu’il y jette, il en ternit les charmes.
Quel trouble ſuit les Rois !

ORITHIE.

Quel trouble ſuit les Rois ! Un plus cruel tourment
Saiſit mes ſens d’horreur.

ANTIOPE.

Saiſit mes ſens d’horreur. Dans ce fatal moment,
Madame, ſi j’ai pu mériter votre eſtime,
Dévoilez à mes yeux le ſort qui vous opprime.
Eléve de vos mains, jointe à vous par le ſang,
Bien-tôt aſſociée aux droits de votre rang,
Tout à vos intérêts m’attache dès l’enfance.

ORITHIE.

Que ce ſoit l’amitié, non la reconnoiſſance.
Votre Mere en mourant vous remit en mes mains :
Vivez d’accord, dit-elle, & montrez aux humains
Que deux cœurs vertueux regnent ſans jalouſie ;
Sur-tout des feux d’amour redoutez la furie.
Elle expire à ces mots. Loin de craindre vos droits,
Prenant ſoin de vos jours, j’obéis à ſes loix.
Je regnois avec elle, & vous touchez à l’âge
Où du Thrône avec vous je dois faire un partage :
Ce moment tarde trop à mon cœur généreux.
Vos charmes, vos vertus ont ſurpaſſé mes vœux :
J’aime à voir la valeur qui déja vous illuſtre.
Moi qui ſuis parvenue, à mon ſixiéme luſtre,
Un triomphe à mes yeux n’a plus rien d’éclatant,
Et mes vaſtes déſirs changent à chaque inſtant :
A domter l’Univers dans un moment j’aſpire,
Dans l’autre je voudrois abandonner l’Empire.
Les Rois avec envie admirent mon pouvoir,
Et dans mon cœur troublé regne le déſeſpoir.

ANTIOPE.

Eclairciſſez le doute où vous jettez mon ame.
Sur vos malheurs ſecrets expliquez vous, Madame.

Un Funeſte préſage offert à vos régards
Annonce-t-il la foudre au ſein de nos remparts ?
Pour notre liberté redoutez-vous des chaînes ?

ORITHIE.

Ne cherchez point ſi loin la cauſe de mes peines,
Les maux que je reſſens ont pris leur ſource en moi.

ANTIOPE.

Un grand cœur auroit-il à ſe plaindre de ſoi ?
La Juſtice, la Force en banniſſent la crainte,
Et le rang Souverain…

ORITHIE.

Et le rang Souverain… Redouble ma contrainte,
Augmente mes remords, ma honte & mes tourmens.

ANTIOPE.

Depuis que la raiſon régle mes ſentimens,
Nos âmes ſans détour ſe montrent l’une à l’autre :
Si je reçûs du Ciel un cœur digne du vôtre,
Pourquoi me cachez-vous ce funeſte ſecret ?

ORITHIE.

Vos ſoins contre mes maux combattroient ſans effet ;
Mais pour mieux me punir de mon ardeur coupable,
Je vais vous dévoiler le deſtin qui m’accable.
De l’hymen paſſager approuvé par nos loix,

J’avois ſçu juſqu’ici m’interdire les droits ;
Vous ſeule rempliſſiez l’eſpoir de ma couronne ;
Mais l’amour a ſurpris le cœur d’une Amazone.
Ciel ! à ce mot fatal tout frémit en ces lieux.
La honte & la terreur obſcurciſſent mes yeux.
Le remords dans mon ſein étouffe ma penſée ;
Voyez où me réduit, une flamme inſenſée.
Je lis dans vos regards mon crime & votre effroi.

ANTIOPE.

Quel eſt donc ce Vainqueur qui vous tient ſous ſa loi ?

ORITHIE.

Je tremble à le nommer, & cherche à vous le dire ;

ANTIOPE.

Ah ! ne différez plus.

ORITHIE.

Ah ! ne différez plus. Apprenez mon martyre.
Théſée a triomphé de mon farouche orgueil.

ANTIOPE.

O Dieux !

ORITHIE.

O Dieux ! De ſon aſpect que n’ai-je fui l’écueil !
Un déſir curieux né de ſa renommée,
Me fit chercher ce Chef terrible à mon Armée.

Son front majestueux, ſa fierté dans les fers,
M’annoncerent ſon nom connu de l’Univers :
Rappellez-vous l’instant qu’il s’offrit à ma vûe.
Depuis ce jour fatal le poiſon qui me tue,
Se gliſſant dans mon ame, en bannit la raiſon ;
De nos auſtères loix j’oubliai la leçon ;
Par l’obſtacle & le temps mon feu s’irrite encore ;
Je paſſe ſans ſommeil de l’une à l’autre Aurore :
Tantôt de mon amour je chéris le lien,
Bientôt je le déteſte…

ANTIOPE.

Bientôt je le déteſte… Et qu’espérez-vous !

ORITHIE.

Bientôt je le déteste… Et qu’espérez-vous ! Rien.
Je hais mon rang, nos mœurs, ma tendreſſe, mes crimes ;
Au Ciel vengeur des loix j’offre envain des victimes,
De mes maux qu’il voit ſeul, j’oſe accuſer ſes coups ;
Souvent à mon ardeur j’oppose un fier couroux ;
Elle combat, triomphe, & tout à ma mémoire
Peint les traits d’un Guerrier, dont je chéris la gloire ;
Je le vois terraſſer les monſtres indomtés,
Des Centaures fougueux venger les cruautés,

Et raviſſant le jour au meurtrier parjure,
De Procruſte & Sinnis délivrer la nature ;
D’Hercule qu’il imite il paſſe les exploits ;
Son nom & ſa valeur autoriſent mon choix :
Au récit de ſes faits qui raviſſent mon ame,
Mon courage s’anime & mon amour s’enflamme :
Qui venge l’univers, peut bien domter mon cœur.
Ah ! ma chère Antiope, une ſecrette horreur
Fait pâlir votre front à ce récit funeſte :
J’aime à vous voir gémir d’un joug que je déteſte ;
Mais du moins de mes maux n’accuſez que le ſort,
Et plaignez une amante en proie à ſon tranſport
Qui redoute l’Etat, ſon amant, ſon cœur même,
Vos vertueux regards & le couroux ſuprême :
Une Prêtreſſe en proie aux erreurs de l’amour !
Quelle horreur !

ANTIOPE.

Quelle horreur ! Expoſée aux yeux de votre Cour,
Dans la noble fierté qu’inſpire un diadême,
Vous ſçaurez en ſecret triompher de vous-même,

ORITHIE.

Je le croyois ainſi ; mais hélas ! la grandeur
Ne ſert qu’à ſoutenir les caprices du cœur ;

Confiante en ſa force, ignorant les contraintes,
Ses deſirs véhémens triomphent de ſes craintes ;
Et les réflexions d’un grand cœur amoureux
Autoriſent ſon choix & nourriſſent ſes feux.
O vous, dont l’âge tendre écoute la ſageſſe ;
Que mon malheur vous ſerve à craindre mon ivreſſe.
Ah ! je m’alarme envain, vos vertueux déſirs
Sont loin de s’abaiſſer à de honteux ſoupirs :
Les utiles leçons que je reçus d’un autre
Sortirent de mon cœur pour paſſer dans le vôtre :
Vous les gardez, Madame, & ce cœur abattu
Remit en vous ſa force & toute ſa vertu.

ANTIOPE.

Un bien ſi précieux enrichit qui le donne.

ORITHIE.

L’ardeur que je reſſens prouve qu’il m’abandonne.

ANTIOPE.

On ne peut éviter un premier mouvement ;
Mais le feu le plus vif s’éteint ſans aliment :
D’un amour ſans eſpoir vous vaincrez la puiſſance ;
Mais après ce triomphe, ah ! fuyez la vengeance ;
C’eſt avoüer ſes feux que d’en punir l’auteur ;
Accoutumez votre ame à braver ſon vainqueur ;

Cet effort plus qu’humain eſt digne d’Orithie ;
L’amour obſcurciroit l’éclat de votre vie,
Tout vous porte à le fuir.

ORITHIE.

Tout vous porte à le fuir. Je le ſçais ; mais je ſens
Qu’il rend par ſon attrait mes efforts impuiſſans.
Le repos, le courage abandonnent mon ame :
Tremblante pour les jours de l’objet qui m’enflamme,
Je crains ſes feux, ſa haine…

ANTIOPE.

Je crains ſes feux, ſa haine… Eh quoi ! ne ſçait-il pas
Qu’il a par ſa valeur captivé vos appas ?
Ou ſon cœur de l’amour mépriſe-t-il les charmes ?

ORITHIE.

Souvent de ſon empire il ſentit les alarmes ;
Mais il ignore encor le mal qui me pourſuit :
Dans quel gouffre effrayant mon deſtin me conduit !
Dois-je de mes tranſports cachant la violence,
Eſpérer qu’un captif prévienne mon ſilence ?
Non : je n’ai qu’un moment pour pénétrer ſon cœur ;
Eſclave de l’amour, oublions ma grandeur :
Mais comment découvrir mes tourmens à Théſée ?
S’il brûloit d’autres feux, ſi j’étois méprisée :

Quel honteux déſeſpoir ! ah la plus prompte mort
Puniroit ſes dédains & vengeroit mon ſort.
Un oracle ambigu laiſſe au gré du Miniſtre
Rendre l’ordre des Dieux favorable ou ſiniſtre :
Inutile pouvoir s’il ne peut me venger ;
Tout doit ſervir l’amour qu’on voudroit outrager.

ANTIOPE.

Pour condamner l’objet de votre ardeur funeſte,
Quoi ! Reine, à votre gré changer l’ordre céleſte ?

ORITHIE.

Quoi, penſer qu’un mortel inſtruit de mon amour
Mépriſant mes tranſports verroit encor le jour !
Non, j’immolerois tout pour cacher ma foibleſſe ;
Quand de ma paſſion je ne ſuis plus maîtreſſe,
Sur le thrône éclatant où je regne aujourd’hui
Tout doit ſuivre mes loix & chercher mon appui.
S’il eſt ingrat, qu’il tremble, il eſt en ma puiſſance,
Et je ſatisferai mes vœux ou ma vengeance.
Allons, pour appaiſer un peuple furieux,
Oppoſer à ſes droits mon pouvoir près des Dieux.

ANTIOPE.

Ah ! ſauvez le captif…



Scène IV.

ANTIOPE, ſeule.

Ah ! ſauvez le captif… JUſte ciel ! quel martyre
De cacher la terreur d’une ame qui ſoupire !
Le Héros que la Reine aime & livre aux autels
A mes yeux comme aux ſiens ſurpaſſe les mortels ;
La gloire d’Orithie augmente mes alarmes,
Ce guerrier chérira ſa valeur dans les armes :
S’il l’aime, je verrai mépriſer mes attraits ;
S’il s’enflamme pour moi, je le perds à jamais.
Trop funeſte penchant, abandonne mon ame :
Loin de trahir la Reine, immolons lui ma flamme.
La gloire & le bonheur naiſſent de la vertu ;
Que ſon règne triomphe en mon ſein combattu.
Mais ſans bleſſer ſes droits, je puis dans ſa diſgrace,
Avertir le captif du coup qui le menace.
O Diane, propice à nos chaſtes travaux,
Fais qu’avec un cœur pur je ſerve ce Héros.


Fin du premier Acte.

ACTE II.



Scène PREMIERE.

THÉSÉE, IDAS.
IDAS.


CAptif depuis dix jours en ce climat barbare,
Je gémiſſois, Seigneur, du ſort qui nous ſépare ;
Je revois donc Théſée, & brûle de ſçavoir,
Combattant loin des Grecs, quel étoit votre eſpoir.
Je vous rejoignis ſeul, & trouvai l’eſclavage.
De grace, apprenez-moi, quel funeſte courage
Dans les Camps ennemis emporta votre ardeur ?

THÉSÉE.

Connois donc aujourd’hui les ſecrets de mon cœur ;
Cher Idas, ta raiſon aura peine à le croire :
J’ai rencontré l’amour dans les champs de la gloire.
Des troupes de Gélon ſuivant les étendarts,
Joint aux ſiens, loin de toi, je cherchois les hazards ;
Apprends où m’a porté l’entrepriſe des Scythes.
Des remparts ennemis franchiſſant les limites,
Une Amazone prête à périr ſous mes traits

Tombe & briſant ſon caſque offre aux yeux mille attraits.
Bientôt de ſa beauté je ſentis la puiſſance,
Et loin de l’attaquer, j’embraſſai ſa défenſe ;
Deux Scythes obſtinés à lui donner la mort,
Par mon fer à l’inſtant terminerent leur ſort.
L’eſpoir de l’enlever excitant mon audace
Dérobe à mes regards le coup qui me menace,
Elle fuit, je la ſuis, & bientôt mille bras
L’éloignent de mes yeux, & retiennent mes pas.
Tu me trouvas alors ſuccombant ſous le nombre :
Sans doute le Dieu Mars dans un nuage ſombre
De ſes filles lui-même animant les tranſports
De mon bras invincible arrêtoit les efforts.

IDAS.

On voit dans vos revers que la fortune ingrate
Se plaît bientôt à nuire aux mortels qu’elle flate,
Et que ſes dons brillans qui font tant de jaloux,
Nous préparent ſouvent à mieux ſentir ſes coups.
Seigneur, combien l’amour a ſur vous de puiſſance ?
Vos volages ardeurs irritent ſa vengeance :
A quel péril encor…

THÉSÉE.

A quel péril encor… Dans un plus grand danger

Le ſoin de l’amitié ſçut jadis m’engager.
Tu ſçais que deſcendu juſqu’aux Royaumes ſombres,
Ma valeur triompha de Cerbère & des Ombres.
Et je revois le jour, ah ! cher Pirithoüs,
Je combattois pour toi, je vis, & tu n’es plus.
Idas, tu me tiens lieu de ce guerrier fidéle ;
Comme toi ſur ces bords il m’eût prouvé ſon zéle ;
Compagnon de ma gloire, & ſervant mes amours,
Pour enlever Hélène il m’offrit ſon ſecours.
Cette Beauté célébre à mon ardeur livrée
Alluma moins de feux dans mon ame enivrée,
Que la fiére Amazone au milieu des combats.
Près du Thrône en ce jour je l’ai revûe, Idas ;
Son rang n’ajoûte rien au pouvoir de ſes charmes ;
A ſon aſpect mon ſort ne m’offre plus d’alarmes ;
Près d’Antiope, ami, diſparoit la terreur.

IDAS.

Si je tremble en ces lieux, c’eſt pour vous ſeul, Seigneur.
Malgré quelques lauriers dont ma tête ſe pare,
Jamais de mes pareils le Ciel ne fut avare ;
Mais rarement il place au rang des Souverains
Des Héros tels que vous pour venger les humains.
Parmi tant de périls, où ce ſoin vous engage,

L’artifice d’un traitre, un monſtre dans ſa rage
Sont moins à redouter que ce peuple cruel.
Songez-vous qu’au Dieu Mars ſon zéle criminel
Immole les captifs d’un ſexe qu’il redoute ?

THÉSÉE.

Leur pieuſe fureur eſt à craindre ſans doute ;
Mais plein du nouveau feu dont je me ſens brûler,
D’un péril évident j’aurois peine à trembler ;
Du trépas les enfers m’ont adouci l’image,
A force de le voir, ſans crainte on l’enviſage ;
La gloire a plus d’appas que la mort n’a d’horreurs :
Sans prévenir ſes coups, ni craindre ſes fureurs,
Guidés par le courage au bord du précipice,
Attendons que le Ciel nous venge ou nous puniſſe.
Reſpectés de l’envie, après nous nos travaux
Au rang des Demi-Dieux élévent les Héros.
Bravons pour un tel prix la fortune rebelle,
Le vaillant s’affermit, où le foible chancelle ;
La vertu qui me guide au milieu des hazards
Toujours ſur le ſuccès arrête mes regards :
Si je ſuccombe enfin je laiſſe à la mémoire
Un grand exemple à ſuivre, & d’amour & de gloire ;
Et ſur ces bords ma flamme adouciroit mes fers,

S’ils n’empêchoient mon bras de venger l’Univers.
Mais ma troupe reſtée aux champs de la Scythie
Sans doute en ſon ardeur ne s’eſt point démentie,
Et ſenſible à mon ſort compte par ſes exploits
M’arracher aux dangers, & mourir ſous mes loix.

IDAS.

Mais votre deſtinée à ſes yeux inconnue
Ote à nos maux l’eſpoir d’y trouver une iſſue.
Sans armes ſans ſecours, Seigneur…

THÉSÉE.

Sans armes ſans ſecours, Seigneur… De mes pareils
Les Dieux ont ſoin, ami, j’attendrai leurs Conſeils.
Ils guidérent mes pas ſur les traces d’Alcide,
Et mon bras triompha de la Parque homicide.
Peut-être ſans effort je vaincrai dans ces lieux.
Mes ſoins pour Antiope, & mes nobles ayeux
Exciteront ſon ame à la reconnoiſſance.
Après la Reine, ici, tout céde à ſa puiſſance.
Abandonneroit-elle aux horreurs du trépas
Qui lui ſauva la vie au milieu des combats ?

IDAS.

Pour eſpérer qu’ici ſes ſoins vous ſoient propices,
Connoît-elle, Seigneur, votre amour, vos ſervices ?

Sçait-elle que ſans vous elle eût perdu le jour ?
Comment l’entretenir au milieu de ſa Cour ?
On obſerve nos pas.

THÉSÉE.

On obſerve nos pas. N’importe, que ton zéle
Trompe l’œil qui la ſuit, & te guide près d’elle.
Un Thrône offert, ma main, mes feux, & mes malheurs
Peut-être adouciront la fierté de ſes mœurs.
Qu’un amant aiſément conçoit de l’eſpérance !
Je crois déja la voir déſirer ma préſence.
Sur tes pas moins ſuſpects on ſurveillera moins.
Fais, que je puiſſe ici lui parler ſans témoins ;
Un cœur tel que le mien, ardent dans ſa pourſuite,
A la ruſe avec peine abaiſſe ſa conduite,
Dans l’uſage de vaincre attaque ſans détour,
Et trop d’empreſſement nuiroit à mon amour.
Je compte ſur tes ſoins…

IDAS.

Je compte ſur tes foins… Mais Seigneur…

THÉSÉE.

Je compte ſur tes foins… Mais Seigneur… On s’avance.
Cours, & par ton ardeur ſers mon impatience.



Scène II.

THÉSÉE, ORITHIE, ANTIOPE.
ORITHIE.

SEigneur, depuis dix ans que mes heureux exploits
Ont élevé mon nom au rang des plus grands Rois,
Le plus brillant ſuccès, le plus cher à ma gloire
Eſt d’enchaîner en vous le bras de la victoire.
Quel triomphe pour moi, d’avoir mis dans mes fers
Ce Héros généreux qu’admire l’Univers ?
Pardonnez à l’Etat flatté de ſa conquête
D’en rendre grâce au Ciel dans ce grand jour de Fête.

THÉSÉE.

Je ne ſuis point ſurpris que ce peuple charmé
Inſulte à la fureur de mon bras déſarmé ;
Mais, Reine, n’attendez ni crainte, ni priére
D’un mortel dont les Dieux ont marqué la carriére.

ORITHIE.

Seigneur, votre fierté, vos traits, & vos lauriers
Frappérent mes regards parmi tant de guerriers :
Et trouvant pour vous ſeul notre loi trop ſévère,
Je rendis de vos fers la chaîne plus légère,

THÉSÉE.

Un captif tel que moi, dans ces funeſtes lieux
Sans craindre vos dédains, s’offre donc à vos yeux.
Je l’avouerai, Madame ; à peine je puis croire
Qu’en ces climats la force ait enchaîné ma gloire.
L’Amour ſeul par vos mains doit y donner des fers.

à Antiope.

Princeſſe, en ce moment j’oublierai mes revers,
Si vous les contemplez du même œil que la Reine.

ANTIOPE.

Un ennemi vaincu n’inſpire plus de haine,
Et notre ame, Seigneur, frémit de vos deſtins :
D’Orithie ou des Dieux conſultez les deſſeins,
Prêtreſſe de leur Temple elle en rend les Oracles.

ORITHIE.

Puiſſent-ils pour Théſée enfanter des miracles !
Si mes vœux ſont remplis, ils ſauveront vos jours ;
Qu’aucun péril nouveau n’en abrége le cours.

THÉSÉE.

Quel que ſoit le deſtin où m’appelle la gloire,
Je dois de vos bienfaits conſerver la mémoire,
Et prodiguant des jours obtenus par vos vœux,
Célébrer vos exploits & vos ſoins généreux.

ORITHIE.

Quand vous peindrez nos mœurs, notre gloire, & nos armes,
Ce ſouvenir pour vous n’aura-t-il point de charmes ?

THÉSÉE.

J’admirerai toujours qu’en ce lieu redouté
Le courage s’uniſſe aux dons de la beauté,
Qu’une main deſtinée aux travaux de Minerve,
En butte aux traits de Mars, ſans les craindre s’en ſerve,
Et que l’art des combats, les vertus, la valeur,
Semblent nés parmi vous…

ORITHIE, à part.

Semblent nés parmi vous… Qu’il connoît peu mon cœur !

Une AMAZONE, à Orithie.

Madame, on vous attend pour commencer la fête,
La foule impatiente à vous ſuivre s’apprête.

ORITHIE, à l’Amazone.

Allez, & je me rends aux Autels de nos Dieux.

à Thésée.

Seigneur, je vais pour vous offrir des dons aux Cieux.
Avant ce prompt départ à mes vœux ſi contraire,
Déja par vos regards une femme vulgaire
Sçauroit ſi ſon espoir par vous eſt prévenu.

L’art de ſonder les cœurs ne nous eſt point connu :
A vous peindre le mien ma voix embarraſſée
Laiſſe Antiope ici vous rendre ma penſée :
La garde des Autels, mon trouble, & mes tourmens,
M’empêchent d’exprimer mes ſecrets ſentimens.



Scène III.

THÉSÉE, ANTIOPE.
ANTIOPE.

VOus le voyez, Seigneur, la Reine vient de peindre
Des feux que ſon orgueil avoit peine à contraindre ;
Inſenſible à ſes ſoins, en trompez-vous l’eſpoir ?
Songez que tout ici fléchit ſous ſon pouvoir.
Nos Peuples furieux demandent votre vie.
Elle peut réprimer, ou remplir leur envie.
Aujourd’hui par ſa voix aux pieds de nos Autels
L’Oracle annoncera l’ordre des Immortels.

THÉSÉE.

J’entendrai ſans effroi la voix de la Prêtreſſe,
Madame, un autre objet me trouble & m’intéreſſe :
Quand vous cherchez pour elle à captiver mes vœux,
Vous me déſeſpérez par ce ſoin généreux.
Je gémis de mes maux, & j’en chéris la ſource.

ANTIOPE.

Ah ! de vos jours ſongez à prolonger la courſe.
Dans ce moment fatal, quel déſir plus preſſant
Peut occuper votre ame ?

THÉSÉE.

Peut occuper votre ame ? Un plus intéreſſant.
Tout ſentiment lui céde ; il brave la contrainte,
Raméne tout à lui, triomphe de la crainte….

ANTIOPE.

Quoi, la gloire, Seigneur ?…

THÉSÉE.

Quoi, la gloire, Seigneur ?… Au portrait que je fais,
Tout autre de l’amour eût reconnu les traits.
Une Amazone ſeule a droit de s’y méprendre.

ANTIOPE.

Quoi, Prince, ſur ces bords l’amour put vous ſurprendre ?
Nos farouches attraits auroient-ils le pouvoir
D’y fixer malgré vous vos vœux & votre eſpoir ?
Ou votre cœur charmé des beautés de la Gréce
Gémit-il de l’abſence, & déſirant….

THÉSÉE.

Gémit-il de l’abſence, & déſirant…. Princeſſe,
Ici mon œil charmé par de plus doux appas

Ne voit plus mon péril, mes fers, ni le trépas.
Si l’eſpoir parmi vous pouvoit flater mon ame,
J’oſerois vous nommer la Beauté qui m’enflamme,
Mais vos cœurs endurcis par les travaux guerriers
Abandonnent le Myrthe, & cherchent les lauriers.
Contre un ſexe ſoumis au pouvoir de vos charmes,
Vos loix & votre haine offrent toujours des armes.

ANTIOPE.

De la haine, Seigneur, j’ignore les fureurs.
Quoique née en ces lieux, je n’en ai point les mœurs.
Votre ſort m’intéreſſe, & vous pouvez m’apprendre

à part.
Quel objet vous ravit… que je crains de l’entendre !
THÉSÉE.

Mon embarras, mes yeux vous le diſent aſſés.
Par quels appas vos traits ſeroient-ils effacés ?
Rien ne peut égaler la valeur & les charmes…

ANTIOPE.

Quoi ! je ſerois l’objet de vos tendres alarmes ?

THÉSÉE.

Vous plaire eſt le ſeul bien dont mon cœur ſoit jaloux.
Si vous me défendez de reſpirer pour vous,
Qu’importe que le ſort me prenne pour victime…

ANTIOPE.

Quand je ſerois ſenſible au feu qui vous anime,
Et pour vous & pour moi redoutant ſon ardeur,
Pour conſerver vos jours, je l’éteindrois, Seigneur.

THÉSÉE.

Quoi ! d’un attrait ſi doux vous pourriez vous défendre ?

ANTIOPE.

Je vous immolerois, ſi j’oſois vous entendre ;
Je dois tout à la Reine ; en trahiſſant ſa Foi,
Indigne de vos vœux, je vous perds avec moi.
Quel ſeroit notre eſpoir ! ſongez bien où nous ſommes ;
La Loi de ces climats en bannit tous les hommes.

THÉSÉE.

Je l’avois bien prévû, qu’un Captif malheureux
Aigriroit vos dédains par l’aveu de ſes feux.
Quoi ! l’auſtère pudeur d’une injuſte Patrie
Etouffe la pitié dans votre ame attendrie !

ANTIOPE.

Quoi ! la vertu qu’en nous vous eſtimez le plus
Paroît ingratitude à vos Eſprits déçûs ?
Ah ! ſur mon foible cœur loin de prendre avantage,
Quand je dois fuir l’amour, ranimez mon courage ;
M’armer contre vous-même eſt l’effort d’un Héros…

En vain je cherche en vous ma force & mon repos….
Je me trouble, je fuis, Seigneur, flatez la Reine.
Pourrois-je la tromper, & m’attirer ſa haine ?
J’en frémis ; quoi trahir & ſes feux & l’Etat !

THÉSÉE.

Pour moi ſeul votre cœur voudroit-il être ingrat ?
Rappellez-vous l’inſtant, où dans l’horreur des armes
Le fer d’un Ennemi combattit pour vos charmes.

ANTIOPE.

Ah ! ce bienfait, Théſée, eſt gravé dans mon cœur.
Cent fois j’ai déſiré de revoir ce Vainqueur,
Et voudrois que le ſort dans ce climat ſauvage,
M’offrît l’occaſion de ſervir ſon courage.

THÉSÉE.

Il ſe jette à vos pieds.

ANTIOPE.

Il ſe jette à vos pieds. Ah ! Seigneur, quoi c’eſt vous ?…

THÉSÉE.

Oui, vos attraits vainqueurs arretêrent mes coups ;
Votre adreſſe aux combats étonna ma vaillance.
De vos jours en péril j’embraſſai la défenſe ;
La pouſſiére, le fer, l’horreur, & le trépas
Ne purent à mes yeux dérober vos appas.

Depuis ce jour mon ame attachée à la vôtre,
Chériſſant ſon lien, n’en pourroit ſouffrir d’autre.
Je voulois ne devoir votre cœur qu’à mes feux,
Et vous vante à regret mon ſecours généreux.
Pour vous je ſuis captif ; mais je chéris ma chaine,
Ordonnez-vous ma mort en me paiant de haine ?
Expliquez-vous, Madame, & décidez mon ſort.

ANTIOPE.

Pour cacher mon penchant je fais un vain effort.
La crainte & le devoir m’ordonnent de vous taire,
Qu’à peine je vous vis, que je voulus vous plaire ;
Mais la reconnoiſſance arrache mon ſecret.
Hélas ! qu’en cet aveu mon cœur eſt indiſcret !
Si nos feux ſont connus, c’eſt fait de votre vie.
Je me perds, vous immole, & trahis Orithie.

THÉSÉE.

Songeons à la fléchir, ou cachons-lui nos feux,
Le ſort n’a plus pour moi de deſſeins rigoureux,
Il offre à mes regards la beauté qui m’enflamme ;
Mais on vient en ces lieux ; contraignez-vous, Madame,
Et mettons nos deſtins dans les mains de l’amour.



Scène IV.

THÉSÉE, ANTIOPE, MÉNALIPPE.
MÉNALIPPE, à Antiope.

LA Prêtreſſe, Madame, attend votre retour,
Et je vais du Captif obſerver la conduite.

ANTIOPE.

Je plaignois l’infortune où ſon ame eſt réduite ;
Mais la Reine m’appelle ; adieu, Seigneur, j’y cours.



Scène V.

MÉNALIPPE, THÉSÉE.
THÉSÉE.

DE vos haines, Madame, interrompant le cours,
Ne pourrez-vous jamais nous voir ſans défiance ?
D’un homme déſarmé craignez-vous la préſence ?

MÉNALIPPE.

Non, mon cœur aguerri par les travaux de Mars
Des plus fameux Héros ne craint point les regards.
Dès notre tendre Enfance on nous deſtine aux armes ;
Nos yeux farouches, durs, & ſtériles de larmes
Ignorent l’art flateur inventé pour charmer ;
Nous inſpirons l’effroi, non le déſir d’aimer.
Nos mains de nos attraits négligeant la parure

S’occupent ſur le fer à forger notre armure.
Loin de régler nos pas ſur des ſons cadencés,
A la courſe, à la lutte, on les trouve exercés.
Les Centaures de nous apprirent à conduire
Les courſiers indomptés, que notre Art ſçut réduire.
La hâche à deux tranchans ſecondant nos fureurs,
Des traits de l’ennemi rend nos efforts vainqueurs.
Fermes dans le danger, ſans ruſe & ſans foibleſſe,
A rompre vos projets nous mettons notre adreſſe,
Et du fils de Venus mépriſant les attraits
Sur les filles de Mars il lance en vain ſes traits.
Si nous nous ſoumettons aux loix de la nature,
Ce n’eſt que pour regner dans la race future,
Et repeupler ces champs de femmes dont le bras
Soit libre, généreux, & terrible aux combats.
Puiſſent-elles toujours à nos vertus fidelles,
Voir nos Tyrans détruits, & nos loix immortelles !

THÉSÉE.

J’admire, Ménalippe, & vos faits & vos loix.
Tout ce qu’en croit la terre eſt moins que je n’en vois ;
Mais le ſang des captifs qu’épargnent les batailles,
Devroit-il arroſer le ſein de vos murailles ?
La cruauté ternit l’éclat de la valeur.

MÉNALIPPE.

Il falloit à la force oppoſer la rigueur.
Contre un ſexe orgueilleux d’une injuſte Puiſſance,
Notre effort unanime emporta la balance ;
Bientôt le déſeſpoir fils de l’adverſité
De la main tirannique abat l’autorité.
Si chés vous la vertu ſe montroit plus parfaite,
Notre fierté vaincue avoueroit ſa défaite ;
Mais ſi vous l’emportez par plus d’exploits fameux,
Vos vices ſont plus grands, vos crimes plus nombreux :
Vos droits nés de la force, & non des dons de l’ame.
Révoltent la raiſon, l’équité….

THÉSÉE.

Révoltent la raiſon, l’équité…. Mais, Madame,
La crainte d’obéir détruit votre bonheur.
Sans ceſſe a nous braver forçant votre valeur,
Au milieu des lauriers vous trouvez mille alarmes ;
Dans les autres climats vous regnez par vos charmes :
Cet empire plus doux ici n’eſt point connu ;
Contre notre pouvoir votre eſprit prévenu,
A nous craindre, à nous fuir emploiant ſon adreſſe,
Bannit tous les plaiſirs, ignore la tendreſſe,
De l’union des cœurs vous briſez le lien.

MÉNALIPPE.

La liberté, Théſée, eſt le ſouverain bien.
La vaine ſoif de l’or, la diſcorde, & l’envie
Dans le ſein des plaiſirs, germent & prennent vie.
Parmi nous les travaux & la frugalité
Maintiennent la vertu, la Paix, la vérité.
Sur l’empire des Rois le nôtre a l’avantage ;
Souvent dans vos États le pouvoir ſe partage,
Mille jeunes Beautés ſoumettant leurs Vainqueurs
Au gré de leurs déſirs diſpenſent vos faveurs.
Leur regne d’un inſtant dure aſſés pour vous nuire,
Pour uſurper vos droits qu’elles voudroient détruire,
Et la vieilleſſe enfin les livre à vos mépris :
Loin de la craindre ici, le temps nous donne un prix,
Les rides ſur le front y marquent la Puiſſance,
Nul intérêt ſecret n’y porte à la vengeance
Et le ſeul bien public y réunit les voix.
Les ſiécles à venir ſurpris de nos exploits,
Si nos États détruits revivent dans l’Hiſtoire,
En admirant nos mœurs, auront peine à les croire.
Peut-être on doutera, que jamais l’Univers
Ait vû regner nos Loix juſqu’au delà des mers ;
Mais, Seigneur, je m’oublie en vantant leur ſageſſe.

Mon cœur né ſans pitié va preſſer la Prêtreſſe
D’interroger le Ciel, & s’il entend ma voix,
La mort terminera vos jours & vos exploits.



Scène VI.

THÉSÉE, seul.

QUelle férocité ! quelle fureur l’anime !
D’un ſexe foible & vain ſerois-je la Victime ?
Non, Souvent la Fortune au moment du danger,
Nous éprouve, nous ſert, & ſe plaît à changer.


Fin du ſecond Acte.

ACTE III.



Scène PREMIERE.

ORITHIE, ſeule.

INterpréte des Dieux dans leur réponſe obſcure,
Differons à la rendre au peuple qui murmure :
Dois-je irriter ſa haine en ſauvant mon Héros,
Ou finir par ſa mort mes deſtins & mes maux ?…
Devoir, honte & remords, cédez à ma tendreſſe ;
De l’amour, Mars lui-même a reſſenti l’ivreſſe.
Seules dans l’Univers aurons-nous en horreur,
Ce feu dont la nature eſt l’ouvrage & l’Auteur ?
Je rapporte du Temple un cœur ſous ſa puiſſance,
D’un Oracle douteux il tiendra la balance ;
Mais d’Antiope ici bien-tôt je vais ſçavoir,
Quel ſort aura Théſée, & quel eſt mon eſpoir.



Scène II.

ORITHIE, ANTIOPE.
ORITHIE.

DAns le cœur du Captif vos yeux ont-ils ſçu lire ?
Madame, répond-il aux tranſports qu’il m’inſpire ?
Par lui Vénus ſur moi venge tous nos mépris.
Connoît-il les tourmens de mon cœur trop épris ?
J’ai vû qu’à ſes regards je devois me contraindre.
D’un refus mon orgueil auroit il à ſe plaindre ?

ANTIOPE.

Ce Guerrier aſſuré ſur vos ſoins généreux,
Du peuple ne craint plus le zèle dangereux,
Et ſemble s’affermir à l’aſpect de l’orage ;
Mais pour vous au reſpect réduiſant ſon hommage,
Il donne à vos vertus le prix le plus flatteur.
Sans doute à vos yeux ſeuls il ouvrira ſon cœur.

ORITHIE.

Dans ſes ſoins réſervés ſa froideur eſt écrite.
Un mortel que la haine, ou que l’amour irrite,
Annonce ſes déſirs en voulant les cacher.
On apprend ſon ſecret, même ſans le chercher.
S’il ſentoit le beau feu qu’en mon cœur il fit naître,
Malgré lui ſon maintien vous l’auroit fait connaître.

Ses regards plus diſtraits à mon départ ſubit,
Vous auroient exprimé ſa flamme ou ſon dépit,
Et par mes tendres vœux ſon ame prévenue,
D’un orgueilleux reſpect n’eût point bleſſé ma vuë.
Je ne ſuis point aimée ! en ce moment d’horreur,
Ma honte & ma fierté ſe changent en fureur.
Quoi ! j’offenſe nos Dieux, mon devoir, & ma gloire,
De mes faits éclatants j’obſcurcis la mémoire :
Découvrant une ardeur, que j’aurois dû cacher,
Je me dégrade aux yeux que je n’ai pû toucher !
Et l’objet qui me plonge au fond de cet abîme,
Mépriſe mon pouvoir, & le mal qui m’opprime.
Dans cet abaiſſement, où me réduit l’amour,
Moi-même je me hais, je crains l’éclat du jour.
Pour punir mes erreurs, Ombres de nos Guerriéres
Venez, du noir ſéjour franchiſſez les Barriéres…
Je vous invoque en vain ; il n’eſt plus temps ; mes feux
Etouffent mes remords, & maîtriſent mes vœux.
Qu’il redoute, l’ingrat, une Amante outragée !

ANTIOPE.

Ah ! Reine, la vertu guide le fils d’Egée.
Ne croyez point ſon cœur ingrat à vos bienfaits ;
Tout lui parle pour vous ; votre rang, vos attraits,

Son deſtin que le Ciel mit en votre puiſſance.
Qui peut contre ſa tête armer votre vengeance ?
Quand vos regards enfin ne pourroient l’enflammer,
Eſt-ce un crime d’Etat de vivre ſans aimer ?

ORITHIE.

Qui voit avec froideur l’excès de ma tendreſſe,
Qui du cœur d’Orithie a cauſé la foibleſſe,
S’il n’y répond, Madame eſt digne de la mort.
Théſée, aux Dieux vengeurs j’abandonne ton ſort.

ANTIOPE.

Votre gloire gémit du feu qui vous irrite.

ORITHIE.

Princeſſe, je ne ſçai quel ſoin vous ſollicite ;
Mais votre empreſſement à défendre un ingrat,
M’étonne d’autant plus, qu’il offenſe l’Etat.
Jadis mes ſeuls déſirs rempliſſoient votre envie.



Scène III.

Une AMAZONE armée, ORITHIE, ANTIOPE, ORONDAL.
L’AMAZONE, à Orithie.

MAdame, ce guerrier parti de la Scythie,
De Gelon près de vous ſe dit Ambaſſadeur.

ORITHIE.

A l’Amazone.
Je le vois ; qu’il s’avance ; éloignez-vous.
A l’Ambaſſadeur.
Je le vois ; qu’il s’avance ; éloignez-vous. Seigneur,
Vous qu’à la Cour des Rois, le bien public enchaîne,
Quel ſoin dans Thémiſcyre aujourd’hui vous améne ?
Venez-vous de la guerre éteindre les fureurs ?

ORONDAL.

Nos peuples, tour à tour & vaincus & vainqueurs,
Redoutent leur vengeance au ſein de la victoire,
Et mon maître témoin de vos jours pleins de gloire,
Place Orithie au rang des plus fameux Héros ;
Le deſtin de Théſée allarme ſon repos,
Il voudroit aux Autels diſputer la victime ;
Mais reſpectant des Dieux le pouvoir légitime,
La haine armoit ſon bras, l’amour ſuſpend ſes coups :
Son cœur, pour affermir l’accord fait entre vous,
A la main d’Antiope a borné ſa conquête ;
Du don de ſa couronne il veut orner ſa tête ;
A ſes déſirs vos loix s’oppoſeroient en vain ;
La Paix eſt à ce prix.

ORITHIE.

La Paix eſt à ce prix. Ce ton de Souverain,
En m’impoſant la loi, rend ma ſurpriſe extrême ;

Mais ſe prêter au temps, Seigneur, eſt l’art ſuprême :
Ma gloire aſſujettie au bien de mes ſujets,
Conſent par un himen d’unir nos intérêts ;
Antiope peut ſeule en fixer la journée.

ANTIOPE.

Reine, d’un tel projet mon ame eſt étonnée.
Quand j’y conſentirois, votre gloire, & nos loix
Réveillant ma fierté, condamneroient mon choix :
On doit pour prévenir une injuſte Puiſſance,
De la ſoumiſſion fuir juſqu’à l’apparence.
Un Roi qui de l’himen nous oſe offrir les nœuds,
Devient, vous le ſcavez, indigne de nos vœux.
C’eſt à nous de choiſir l’objet, que notre flamme
Deſtine pour un tems à regner ſur notre ame.

ORITHIE.

Pour le bonheur du Peuple on établit les loix :
Mais le beſoin préſent change, ou reſtraint leurs droits ;
L’œil du Légiſlateur n’a pû voir la meſure
Des divers intérêts de la race future.
Souvent le mal prévû nous arrive le moins,
Et d’autres accidens exigent d’autres ſoins.

ORONDAL.

Déja plus d’une fois on vit les Amazones

Pour acheter la Paix accepter des couronnes,
Et regner par l’himen ſur le cœur des Tyrans.

ANTIOPE.

L’exemple quelquefois par des biens apparents,
Dans des périls cachés entraîne la prudence.

ORONDAL.

Songez que notre force eſt dans notre alliance.
Orithie, & Gélon rivaux aux champs de Mars,
Chériſſent leurs vertus au ſein de leurs remparts.

ORITHIE.

Reſſerrant nos liens par l’Himen d’Antiope
Uniſſons nous pour vaincre & l’Aſie & l’Europe.

ORONDAL.

Je ſors dans cet eſpoir, Madame, que ce jour
Doive à vos ſoins la Paix, en couronnant l’amour.



Scène IV.

ORITHIE, ANTIOPE.
ORITHIE.

L’Interêt de l’Etat qui nous unit au Scythe ;
A répondre à ſes vœux, Princeſſe, vous excite
Du trouble, où je vous vois, que dois-je préſumer ?
Si le Trône d’un Roi n’a droit de vous charmer,

Quand la force s’abat ſous un deſtin Barbare,
On plie en attendant que le temps la répare.
Les foudres de la guerre ont trop grondé ſur nous,
Un long calme peut ſeul en effacer les coups ;
Au repos de l’État vous vous devez, Madame,
La néceſſité parle, aſſerviſſez votre ame.

ANTIOPE.

Mais loin de ramener la Paix dans ces climats,
Mon himen peut un jour renverſer nos États.
Le Scythe ſur ce droit uniroit à ſon Thrône
La fertile contrée, où regne l’Amazone,
Et briſeroit l’airain où l’on grava nos loix.
Quoi ! nos Tyrans bannis redeviendroient nos Rois !
Et vantant nos appas rendroient notre ame eſclave ?
J’en frémis ; craignons tout d’un ſexe qui nous brave ;
Quand il paroît ſoumis, comptez-vous ſur ſa foi ?

ORITHIE.

Nos guerrieres ſçauront défendre notre loi.
La vertu qu’elle inſpire en ſoutient la puiſſance.

ANTIOPE.

Dès ce jour d’un Tyran puniſſons l’arrogance,
Et loin de me livrer pour appaiſer ſes coups,
Détruiſons ſes remparts.

ORITHIE.

Détruiſons ſes remparts. D’où naît tant de courroux ?
Dans vos refus conſtans, vos douleurs inquiétes,
Madame, je crois voir d’autres raiſons ſecrettes.
La crainte d’avilir la fierté de nos mœurs,
N’eſt pas le vrai motif qui cauſe vos rigueurs.

ANTIOPE.

A commander ici, croyez-vous que j’aſpire ?

ORITHIE.

Non, un ſoin plus flatteur vous trouble & vous inſpire.
Dans les yeux du Captif pour vous, & non pour moi,
Vous trouvâtes peut-être un gage de ſa foi.
Quand je vous confiai l’interêt de mon ame,
Dans quel aveuglement m’avoit plongé ma flame !
Sans doute, vos beautés ont charmé ce Héros.
Vous, l’objet de mes ſoins, cauſeriez-vous mes maux !
Non, de votre amitié votre vertu m’aſſure,
Amour, réduirois-tu ſon ame à l’impoſture !
Rends-tu même en ces lieux les cœurs faux & jaloux ?
Il n’eſt donc point d’empire à l’abri de tes coups.

ANTIOPE.

Quand un tendre interêt ſurprendroit ma foibleſſe,
Je ſçaurois m’en défendre & mon devoir

Je ſçaurois m’en défendre & mon devoir Princeſſe,
Souvent un doux penchant eſt en vain combattu,
Mes doutes, malgré moi, bleſſent votre vertu.
Des Dieux bien-tôt ici je rendrai les Oracles.
Qu’à mon retour, mes vœux ne trouvent plus d’obſtacles ;
Vos refus fonderoient un dangereux ſoupçon ;
Songez qu’il faut répondre aux offres de Gélon.



Scène V.

ANTIOPE, ſeule.

DIeux, pour ſauver Théſée, inſpirez ſon amante ;
Mais cet inſtant propice à mes yeux le préſente.



Scène VI.

ANTIOPE, THÉSÉE.
ANTIOPE.

AH ! Prince, le deſtin qui s’arma contre vous,
Loin d’émouſſer ſes traits, redouble ſon courroux.
Mon trouble & vos froideurs apperçus d’Orithie,
Ont porté dans ſon ſein la ſombre jalouſie.
J’oſe dire à vous ſeul un ſecret odieux ;
On a ſur nos Autels interrogé les Dieux.

L’avouerai-je ? je crains qu’une obſcure réponſe
Ne cauſe les malheurs que mon trouble m’annonce.
La Reine eſt l’interpréte & peut dans ſa fureur
Vous perdre, ſe venger, & mourir de douleur.
Ah ! grand Dieu ! pardonnez ſi ma terreur ſecrette
M’arrête à ce ſoupçon que ma vertu rejette,
Mais du ſort d’un Amant ce qu’on oſe prévoir
Nous inſpire toujours trop de crainte ou d’eſpoir.
Théſée, en ce moment à vos jours ſi funeſte,
Prenez, pour les ſauver, le parti qui nous reſte.
Touché de mon effroi, pour calmer mes tourmens,
D’une Reine en courroux flattez les ſentimens ;
Mon amour me réduit à ſouffrir cet outrage.

THÉSÉE.

D’Antiope qui m’aime eſt-ce là le langage ?
Quoi ! vous m’ordonneriez de feindre des ſoupirs ?
Diſpoſez de mon ſort au gré de vos déſirs.
Contre vos Ennemis faut-il ſeul vous défendre ?
Pour mériter vos vœux, je puis tout entreprendre ;
Mais s’il faut à tromper abaiſſer ma fierté,
Je préfère la mort….

ANTIOPE.

Je préfère la mort…. Ciel ! quelle cruauté !

Vous voulez donc la mienne ? Ah ! ſongez bien, Théſée,
Que mon ame pour vous, tendre & tyranniſée
Se fait de vous ſauver ſon eſpoir & ſa loi.

THÉSÉE.

Si vous plaignez mes maux, il n’en eſt plus pour moi.

ANTIOPE.

Puiſque de mes ſermens je ne ſuis plus maîtreſſe,
A quoi vous ſerviroient mes vœux & ma tendreſſe ?

THÉSÉE.

Qui peut dans ſes déſirs contraindre votre cœur ?

ANTIOPE.

Orithie à Gélon me deſtine, Seigneur.
Mon refus d’obéir a produit en ſon ame
Le trouble & la fureur de ſa jalouſe flame.
Pour me déterminer je n’ai plus qu’un inſtant,
Je fixe de la Paix le deſtin inconſtant ;
Ma main en eſt le gage, & le ſort qui m’opprime,
D’un tyrannique amour me rendra la victime :
D’un Scythe audacieux je ſubirai la Loi.

THÉSÉE.

Vous combleriez les vœux d’un autre Amant que moi !
Ah ! Madame, à ce mot je me livre à la rage :
Que ces murs ſoient remplis d’horreur & de carnage,

Le Peuple vous chérit ; comptés ſur ma valeur,
Combattons Orithie, abattons ſa grandeur ;
Que mes Grecs irrités prennent votre défenſe,
Contre mon Allié j’armerai ma puiſſance ;
S’il vous offre en Scythie & ſon thrône & ſa main,
Je vous réſerve en Grèce un plus noble deſtin.
Je ſuis du ſang des Dieux, & mes faits dans la guerre
Déja plus d’une fois ont étonné la terre.

ANTIOPE.

Je connois votre amour, vos exploits, vos ayeux ;
Mais contre notre himen tout s’oppoſe en ces lieux.
Mon parti vous redoute, on reſpecte Orithie,
Et je garde mon bras pour venger ma Patrie.

THÉSÉE.

J’oſerai vous ravir au milieu des combats.

ANTIOPE.

Mon devoir le défend, je ne vous ſuivrai pas.
Songez que l’amour même en notre ame guerriére,
De l’éclat des vertus ſuit toujours la lumiére.
Je vais de la Prêtreſſe embraſſant les genoux,
Faire un dernier effort pour fléchir ſon courroux,
Obtenir qu’elle rompe un himen que j’abhorre,
Et la prier enfin, ſi ſon cœur m’aime encore,

De ſauver un Héros défenſeur de mes jours.
Ma douleur de ſa haine arrêtera le cours.
Si rien ne peut changer l’orage qui s’apprête,
Pour vous au trait vengeur je livrerai ma tête.
Ma mort calmant la Reine, & le Scythe jaloux,
Forcera le deſtin à s’adoucir pour vous.

THÉSÉE.

Vous voulez que je vive, & le ſort nous ſépare.
L’amour d’une Amazone, eſt-il donc ſi barbare ?

ANTIOPE.

Non, je cours vous ſervir : comptez ſur mon ardeur.

THÉSÉE.

Quoi ! vous fuiez Madame ?



Scène VII.

THÉSÉE, IDAS.
IDAS.

Quoi ! vous fuiez Madame ? OU vous vois-je ? Seigneur.
Tout le Peuple en tumulte aſſemblé pour la fête,
Pour premiére victime exige vôtre tête :
La Prêtreſſe différe à répondre à leurs vœux ;
Mais craignez du deſtin, les ordres rigoureux,
Tandis qu’on eſt au Temple, en ce Palais ſauvage,
Par les ſoins d’Orondal ouvrons-nous un paſſage,

Pour changer votre ſort apprenez ſon projet.
L’élite de vos Grecs aſſemblée en ſecret,
Tient la vaſte Forêt qui méne à Thémiſcyre :
Et Gélon aux combats préparant ſon Empire,
Le refus dAntiope en ſera le ſignal.
Venez joindre le Scythe, ou braver un rival.
A la mort en fuyant arrachons la victoire.

THÉSÉE.

La fuite & l’artifice obſcurciroient ma gloire,
Irois-je d’un rival ſervir les intérêts,
Et dois-je ici du ſort redouter les arrêts ?
Mes jours ſont précieux aux ſoins de la Prêtreſſe,
Et la paix qu’elle accepte irrite la Princeſſe.
Cet objet de mes vœux eſt promis à Gélon.
Je l’enléve, ou péris aux bords du Thermodon :
Son himen y répand le poiſon de la haine,
Profitons des combats que ſa fureur entraîne ;
Au milieu du tumulte un Parti mécontent,
Pour ſe joindre à mes Grecs peut m’armer à l’inſtant,
L’amour & la valeur domptent tous les obſtacles.

IDAS.

Le Ciel pour vous ſauver fut prodigue en miracles.
Vous laſſez ſes faveurs en courant à la mort :

Quoi ! Théſée, à l’amour abandonne ſon ſort !
Si loin de vous guider, ſon flambeau vous égare,
Moi ſeul je préviendrai le coup qu’on vous prépare,
Et l’amitié ſçaura vous ravir au trépas.

THÉSÉE.

Viens, & ſuis le deſtin qui t’attache à mes pas.


Fin du troiſiéme Acte.

ACTE IV.



Scène PREMIERE.

ORITHIE, ANTIOPE.
ANTIOPE.

DAns un péril preſſant j’oſe eſpérer, Madame,
Que les projets d’Himen n’occupent plus votre ame,
Tandis que Gélon m’offre & ſon thrône & ſa foi,
Armé pour les combats, il vous donne la loi.
Je dois vous en inſtruire ; ici la renommée
M’apprend que dans vos champs on a vû ſon armée.
Songeons à nous défendre.

ORITHIE.

Songeons à nous défendre. Ayez moins de terreur ;
Le Scythe eſt ſans courroux, s’il fléchit votre cœur.

ANTIOPE.

Votre ſécurité m’afflige & m’épouvante.

ORITHIE.

Rebelle à mes déſirs quelle eſt donc votre attente ?
Et comment oſez-vous mépriſer aujourd’hui
Le repos de l’Etat, un thrône, & mon appui ?

ANTIOPE.

Je chéris mon devoir ; mais par vous dès l’enfance,
J’attachai mon bonheur à notre indépendance.
La politique envain combat ce ſentiment,
Et quand j’enfreins vos loix, concevez mon tourment.
Reine, en votre amitié mon eſpoir ſe confie.

ORITHIE.

Au Scythe avec douleur mon cœur vous ſacrifie ;
Que cet exemple ſerve à vous déterminer.
Le tems preſſe, & l’Hymen vient pour vous couronner.
Le peuple contre vous reclame ma puiſſance ;
Envain vous eſpérez d’emporter la balance.
Ne me repliquez plus…

ANTIOPE.

Ne me repliquez plus… J’embraſſe vos genoux.
Ah ! Puiſque mon refus aigrit vos ſoins jaloux,
Il faut les terminer en m’arrachant la vie.
Puiſſai-je ainſi calmer les Dieux & la Scythie ;
Rendre la paix au monde, & ſauver un Héros,
Qui trouve ici la mort pour prix de ſes travaux,
C’eſt lui dans nos combats, c’eſt ſa pitié guerriere
Qui ravit ma jeuneſſe à la main meurtriére ;
Pour lui rendre le jour, je ſçaurai m’en priver.

ORITHIE.

Votre pitié le perd, en voulant le ſauver.

ANTIOPE.

Songez qu’il vous fut cher, & s’il ceſſe de vivre,
Craignez que la douleur ne vous force à le ſuivre.
Pour vous fléchir ma tête eſt offerte à vos coups ;
Prononcez mon arrêt.



Scène II.

ORITHIE, ANTIOPE, MÉNALIPPE.
MÉNALIPPE.

Prononcez mon arrêt. MAdame, montrez-vous.
De vos retardemens le peuple oſe ſe plaindre ;
Son inquiéte ardeur ne peut plus ſe contraindre ;
Il murmure & frémit du prompt départ d’Idas ;
Tandis qu’au bois ſacré vous dirigez vos pas,
En habit d’Amazone, il a caché ſa fuite.
D’un projet ſi hardi nous redoutons la ſuite,
Sur la Princeſſe même on jette des ſoupçons.

ANTIOPE.

Quoi ! l’impoſture ainſi…

ORITHIE.

Quoi ! l’impoſture ainſi… Je vois des trahiſons !

Ceſſez de vains diſcours, vous êtes accuſée ;
Ménalippe, ſur-tout, qu’on obſerve Théſée.

MÉNALIPPE.

Il ne peut échapper ; Reine, dans cet inſtant,
Rendez ſur ſon deſtin l’oracle qu’on attend,
Et détruiſant l’eſpoir de ce parti rebelle,
Venez ſur nos autels…

ORITHIE.

Venez ſur nos autels. Doute-t-on de mon zéle ?
Le peuple en nourriſſant ſes animoſités
Prend pour pieuſe ardeur la ſoif des cruautés.
Des ſpectacles ſanglans, tels que nos ſacrifices,
De ſes déſirs fougueux irritent les caprices.
Il veut plaindre ou haïr ; plus l’objet eſt fameux,
Plus ſa chûte intéreſſe, & ſatisfait ſes vœux,

MÉNALIPPE.

La piété ſoutient nos plus ſages maximes ;
Nourriſſons-là, Madame, en nommant les victimes.

ORITHIE, à part.

Eh bien, on va ſçavoir… ô funeste moment.

ANTIOPE.

Quoi ! Vous cédez, Madame, à cet empreſſement ;
Vous ſçavez, que les Dieux cherchant à nous confondre,

Par des mots ambigus, ſe plaiſent à répondre.
Souvent plus d’une fois il faut les conſulter.
Craignez contre un Héros de rien précipiter ;
Il m’a ſauvé la vie, & ce peuple barbare
Voudroit…

ORITHIE.

Voudroit… Qu’entends-je ? ô Ciel ! la colere m’égare.
Ecoutez, frémiſſez, voici l’ordre des Dieux.
D’une vapeur épaiſſe ils ont couvert mes yeux.
Sur l’autel, à ces mots, j’ai vû briller la foudre ;

Un Héros pourſuivi du ſort

Doit réduire ton thrône en poudre,

S’il ne trouve en ces lieux la mort.
Thésée eſt déſigné dans cet arrêt terrible.
ANTIOPE, à part.

O Ciel…

MÉNALIPPE.

O Ciel… Obéiſſons au deſtin invincible.
Hâtons le ſacrifice, ou craignons qu’en ces lieux,
Les hommes ramenés par le courroux des Dieux,
Sous l’apas de l’hymen ne nous chargent de chaînes.


ORITHIE.

Ménalippe, achevez nos fêtes inhumaines ;

Promettez le captif aux vœux de mes ſujets ;
Mais avant qu’on l’immole, apprenons ſes projets.
Qu’on l’améne en ces lieux, & vous, ſage Héroïne
Prévenez par vos ſoins le coup qu’on me deſtine.



Scène III.

ORITHIE, ANTIOPE, ORONDAL, Guerrieres.
ORONDAL.

REine, après nos combats, enfin dois-je eſpérer
D’obtenir un Hymen qu’on ne peut différer ?
Rendre la paix au monde eſt digne d’Orithie.

ORITHIE.

Mon peuple fut toujours ami de la Scythie.
De nos traités rompus rétabliſſons l’accord ;
La Princeſſe ſans doute y ſoumettra ſon ſort.
Obtenez ſon aveu…

ORONDAL, à Antiope.

Obtenez ſon aveu… Jeune & brave guerriére,
Daignez-vous de mon Maître écouter la priére ?
Annoncez d’un ſeul mot la diſcorde ou la paix.

ORITHIE, à Antiope.

Songez que l’Etat ſeul doit régler vos ſouhaits.

ANTIOPE.

Madame, vos conſeils, nos loix, & vos exemples
M’apprirent à ſervir le ſeul Dieu de nos Temples,
Et non à redouter un pouvoir étranger.
À l’Hymen de Gélon rien ne peut m’engager ;
Orondal, ma fierté bleſſera ſon audace ;
Mais un cœur Amazone affronte la ménace.
Déja de nos ſuccès nous l’avons vû confus ;
Partez, il peut s’armer pour venger mes refus.

ORITHIE.

Princeſſe tant d’orgueil me dévoile votre ame.
Qu’on connoiſſe à quel point votre Reine le blâme.
Pour prévenir ici de ſecrets attentats,
Guerrières qu’en ces murs on retienne ſes pas.

ANTIOPE.

Quand je cherche la mort, vous me donnez des chaînes.

ORITHIE.

Obéiſſez…

ORONDAL.

Obéiſſez… Madame, ah ! redoutez nos haînes ;
Appaiſez s’il ſe peut, vos troubles inteſtins.
Regrétant un Héros outragé des deſtins,
Furieux du refus de ſa main mépriſée,

Mon maître vengera ſon amour & Théſée.
Les Grecs à ſon pouvoir unis par leur fureur,
Répandront dans vos champs le carnage & l’horreur.
Nos maux vont donc encore épouvanter la terre !
Par ma voix la diſcorde annonce ici la guerre,
Et déja me bannit du ſein de vos remparts.



Scène IV.

ORITHIE, ſeule

QUe d’horreurs à mes yeux s’offrent de toutes parts !
J’attends ici Théſée, & que vais-je lui dire ?
Dieux ! s’il reſte inſenſible à l’ardeur qu’il m’inſpire ;
S’il me quitte rebelle à mes déſirs ſecrets,
Lui-même de ſa mort il hâte les apprêts.



Scène V.

ORITHIE, THÉSÉE.
THÉSÉE.

ME rendant à votre ordre, oſerai-je, Madame,
Pénétrer les projets qui rempliſſent votre ame ?
Quelle pitié mon ſort a-t-il pû m’attirer ?

ORITHIE.

Théſée, envain vos yeux feignent de l’ignorer.
Votre cœur eſt inſtruit qu’un penchant invincible

Me rend ſur vos périls inquiéte & ſenſible.
Abandonnant pour vous le ſoin de ma grandeur,
Je vous ai trop montré ma crainte & mon ardeur.
Rebelle aux volontés de nos cruels oracles,
Envain pour les changer j’eſpérai des miracles ;
Le Ciel en vous frappant lance ſur moi ſes coups.

THÉSÉE.

Quoi ! vous plaignez mon ſort, quand il dépend de vous ?

ORITHIE.

C’eſt le comble des maux : le deſtin veut encore
Que j’annonce moi-même un arrêt que j’abhorre.
Autour de ce Palais mon peuple mutiné,
Qui même avant les Dieux vous avoit condamné,
Armé par la vengeance attend le ſacrifice.
Je ne puis plus régler ſa haîne ou ſon caprice ;
L’oracle eſt divulgué : l’Etat en eſt inſtruit :
Il faut que je vous livre, ou mon regne eſt détruit.

THÉSÉE.

Armez mon bras, Madame, & par ma ſeule audace
J’éloignerai de vous le coup qui vous ménace.
Pour payer vos bienfaits, au péril de mon ſang,
Je ferai reſpecter les droits de votre rang.
Un peuple mutiné trop ardent dans ſon zéle,

Bornant votre pouvoir eſt un peuple rebelle ;
Il doit exécuter, non prévenir les loix ;
Courons vous l’aſſervir.

ORITHIE.

Courons vous l’aſſervir. L’état où tu me vois,
Te prouve aſſez l’attrait qui pour toi m’intéreſſe.
Si j’avois par mes ſoins obtenu ta tendreſſe,
Sans courir aux combats, pour conſerver tes jours,
Ton cœur dans mon amour chercheroit du ſecours.
Cet inſtant favorable eſt le ſeul qui te reſte ?
Parle, un mot peut changer ton deſtin trop funeſte :
Pour attendrir ton ame, en cet inſtant peins toi
Mes exploits, mes bienfaits, ma flamme & mon effroi.
Une Amazone en pleurs quand la mort te menace,
Mérite bien le cœur d’un Héros de ta race.
Si les travaux guerriers ont terni mes attraits,
Les lauriers que je porte embeliſſent mes traits,
Et ma tendre pitié qui partagea ta chaîne,
Pour moi doit en amour avoir changé ta haine.

THÉSÉE.

Reine, votre beauté, vos vertus, vos exploits,
Frappent d’étonnement le vulgaire & les Rois ;
Mais l’admiration qu’on doit à votre Empire,

Eſt le vrai ſentiment que tant de gloire inſpire ;
Un plus tendre intérêt en terniroit l’éclat.

ORITHIE.

Ah ! que ce trait flateur peint bien un cœur ingrat !
Cruel, laiſſe ma gloire & conſerve ta vie ;
Je chériſſois nos loix, je te les ſacrifie.
Fidèle à la vertu, ſans toi mon triſte cœur
Jamais des feux d’amour n’eût reſſenti l’ardeur :
Et ſur le Thermodon tu portes plus d’alarmes,
Que les monſtres cruels terraſſés par tes armes ;
Leurs perfides regards du moins n’ont point d’appas,
Qui voilent les dangers qu’on trouve ſur leurs pas.
Pourquoi franchir les mers, dont le Ciel nous ſépare,
Pour bannir la vertu de ce ſéjour barbare
Y porter les ſoupçons, la honte, les remords,
Et rendre un fol amour vainqueur de mes efforts ?
En mille autres climats ſa chaîne eſt légitime :
On briſe ici ſes nœuds, & ſon joug eſt un crime ;
Mais s’il eſt des mortels formés pour tout charmer,
Que n’ont ils donc des cœurs que l’on puiſſe enflammer ?
Tu fis naître en mon ſein un feu qui me dévore,
Et tu hais juſqu’aux ſoins de l’objet qui t’adore.
Ah ! du moins ſi ton ame inſenſible à l’amour,

N’eût point par d’autres feux profané ce ſéjour,
Si mes regards trompés ignoroient ma rivale !
Mais je connois mes maux dès leur ſource fatale.
Pour mon repos ſecret, non pour l’amour des loix,
De mon peuple irrité que n’ai-je cru la voix ?
Que ne t’ai-je banni de ce Palais paiſible ?
J’y crains plus tes regards que ton bras invincible.

THÉSÉE.

Hélas…

ORITHIE.

Hélas… Ah ! ce ſoupir réveille mon eſpoir.
De t’attendrir mes pleurs auroient-ils le pouvoir ?
S’il étoit vrai, grands Dieux ! j’oublirois mes alarmes,
Mes ſoupçons mes remords, un Thrône plein de charmes,
Et ſuivant les projets que m’inſpire l’amour,
Pour toujours avec toi je fuirois ce ſéjour.
Si mes ſoins, mes appas n’ont pû gagner ton ame,
Par des faits inoüis éterniſons ma flamme.
Tandis qu’on ſe prépare à terminer ton ſort,
Par des détours cachés t’arrachant à la mort.
Avec toi j’oſerai ſortir de mon Empire ;
Il eſt vil à mes yeux ; pour toi ſeul je reſpire.

Les Dieux & les humains t’enlevent leur ſecours ;
Prends l’unique moien de conſerver tes jours.
Viens ; je veux avec toi porter par tout la guerre ;
De monſtres, de brigands allons purger la terre ;
Montrons à l’Univers à quel point de grandeur,
L’amour d’une Amazone éleve ſa valeur.
Pour une amante née au milieu des alarmes,
Ne crains ni les dangers, ni la ſoif, ni les armes.
En te prouvant l’amour qui guidera mes coups,
Que ces travaux guerriers à mes yeux ſeront doux.
Quelle félicité de partager la gloire
De l’objet de ſes feux chéri de la victoire !
D’avoir les mêmes ſoins, les mêmes ennemis,
Se voir tous deux vainqueurs, & le reſte ſoumis !
Ton exemple & ta vûe élevant mon courage,
Par mes heureux exploits j’obtiendrai ton hommage,
Et ton amour acquis par mes ſoins généreux,
De ton cœur, malgré toi, m’apportera les vœux ;
Je ſerai digne enfin que la Gréce étonnée
Admire nos lauriers unis par l’himénée.

THÉSÉE.

Touché de vos bontés, de vos offres ſurpris,
Reine, pour vous prouver que j’en ſens tout le prix,

Je dois d’un tel ſecours nous priver l’un & l’autre ;
Il terniroit mon nom : il ſoüilleroit le vôtre.
Le plus grand héroïſme eſt de garder ſon ſang.
Pour ſervir ſa patrie, & conſerver ſon rang.
Qui s’expoſe à perir cherchant loin la victoire,
Enleve à ſon païs un ſoutien de ſa gloire.
Cent fois me rappellant à cette vérité,
J’ai blâmé mon ardeur ; mais par l’age emporté,
Ennemi des Tyrans, vengeur de l’innocence,
De l’Univers ſurpris j’embraſſai la défenſe.
Cette ſoif des combats m’a conduit dans vos fers ;
Envain pour les briſer vos ſoins me ſont offerts.
Qu’on m’immole plutôt que j’approuve la fuite,
Où l’amour en Tyran vous eût enfin réduite.
Je dois ainſi répondre à vos ſoins généreux ;
Regnez ici, Madame.

ORITHIE.

Regnez ici, Madame. Ah ! je conçois tes vœux ;
Pour diriger tes pas tu cherches la Princeſſe.

THÉSÉE.

Pourquoi l’accuſez-vous de l’ennui qui vous preſſe ?

ORITHIE.

J’ai vû combien ta perte excite ſon effroi.

THÉSÉE.

Qui ne craint que les Dieux, ne trahit point ſa foi
Madame, je l’avoue : une chaine ſecrette
En m’entrainant vers elle a cauſé ma défaite ;
Mais ſon reſpect pour vous égale ſa vertu,
Et toujours dans ſon cœur ſon penchant combattu
Déſapprouva mes feux.

ORITHIE.

Désapprouva mes feux. C’en eſt aſſés, Théſée.
La lumiére rénaît dans mon ame abuſée.
Epargnez-moi l’horreur de gémir à vos yeux,
Et ne joüiſſez plus d’un Triomphe odieux.
Laiſſez-moi ſeule en proie à ma rage, à ma honte.
Sortez.



Scène VI.

ORITHIE, ſeule.

Sortez. POur m’éviter, combien ſa fuite eſt prompte !
Il croit à ma rivale aller porter ſa foi ;
Mais le trépas l’attend, il y court malgré moi.
Il ne peut faire un pas ſans trouver un abîme ;
Et c’eſt moi qui l’y plonge ! ah ! ſauvons la victime :
Duſſai-je au même inſtant ſubir le même sort…

Que dis-je ? ma douleur feroit un vain effort ;
Mes ordres divulgués enchaînent ma puiſſance.
Cruelle jalouſie, aſſouvis ta vengeance…
Déja l’air retentit de chants & de clameurs ;
Le fer ſacré s’apprête ; on l’immole, je meurs…
Sur moi, triſte Palais, renverſe tes murailles.
Terre, pour m’engloutir, entr’ouvre tes entrailles…
Dans ces climats glacés on eſt ſourd à mes cris,
Ignorant les tourments que ſouffre un cœur épris,
Tout y reſte inſenſible à mes vives allarmes…
Pour la première fois répandons y des larmes ;
Mais du moins les cachant aux yeux de mes ſujets,
Dérobons ſous ces murs ma honte & mes regrets.


Fin du quatriéme Acte.

ACTE V.



Scène PREMIERE.

ANTIOPE, seule.

DAns ce moment fatal en ces lieux enchaînée,
Ne puis-je du Captif ſçavoir la deſtinée ?
Si j’en crois ma terreur & le bruit du Palais,
Un homicide fer m’en ſepare à jamais…
Non : la Reine au trépas n’a pu livrer Théſée…
Quel fol eſpoir s’éleve en mon ame abuſée !
Pour conſerver ſes jours je veux donc aujourd’hui,
Qu’auprès de ma rivale il trouve un ſûr appui…
Vain effort ! le Deſtin à mes déſirs s’oppoſe :
Hélas ! de tes malheurs ma tendreſſe eſt la cauſe ;
Cher Amant ! ah ! pardonne un indiſcret effroi,
Qu’Antiope jamais n’eût ſenti que pour toi.
Peut-être en ce moment où ton ſort m’épouvante,
Tes plus ſenſibles maux ſont ceux de ton Amante ;
Ah ! dans le trouble affreux de mon cœur déchiré
Le trépas m’offre ſeul un azile aſſuré :
Et je ſuis déſarmée ! ô Parques, en furie,
Plongez-moi dans le Styx près d’une ombre chérie !



Scène II.

ORITHIE, ANTIOPE.
ORITHIE.

SOyez libre, Madame, allez dans vos douleurs,
Voir expirer l’objet de vos tendres ardeurs :
Allez ſur ſon bucher pleurer ſa deſtinée.

ANTIOPE.

Juſte Ciel !

ORITHIE.

Juſte Ciel ! Il finit ſa vie infortunée :
Ah ! tout mon ſang ſe glace à cet affreux tableau !
Perfide, c’eſt donc vous qui creuſez ſon tombeau !
C’eſt votre trahiſon qui condamna ma gloire
A livrer un Héros, ſi cher à ma mémoire ;
Le plus grand des humains ſuccombe ſous vos coups :
Que ſur vos jours ſon ombre exhale ſon couroux :
Déja dans les enfers ſes cris ſe font entendre :
Mon cœur a ſon Image, une Urne aura ſa cendre ;
Il ne verra donc plus la lumiére des Cieux !
Sous des prétextes vains évitant tous les yeux,
J’attends ici la fin d’un fatal Sacrifice…
Quoi ! c’eſt vous qui cauſez ma honte & mon ſupplice !

Au ſang, à mes bienfaits votre cœur eſt ingrat ;
Vous rallumez la guerre & trahiſſez l’Etat :
De ces forfaits la mort dût être le ſalaire :
Si je vous laiſſe encore le jour qui nous éclaire,
C’eſt pour livrer votre ame à de plus longs rémords,
Et me venger ainſi de mes jaloux tranſports ;
Mais pour vous voir gémir, il faut que je gémiſſe ;
Ma mort que je différe allonge mon ſuplice :
Que l’amour & la honte & nos crimes égaux,
De nos cœurs tour-à-tour deviennent les bourreaux.

ANTIOPE.

Que cette cruauté dont votre ame eſt ſaiſie,
Dans vos ſombres regards peint bien la jalouſie.
Juſqu’ici la douleur accablant mes eſprits,
M’a fait, ſans vous répondre, eſſuyer vos mépris ;
Enfin la Vérité ſoutien de l’innocence
De vos crimes aux miens va montrer la diſtance.
Si le remords me ronge, il doit vous dévorer ;
Contre un Amant aimé j’oſois me déclarer ;
J’appris que pour moi ſeule il ſubit l’eſclavage ;
Plus ſenſible à ſes maux je m’armai de courage,
Et rejettant toujours l’hommage de ſes feux,
J’excitai ce Héros à vous porter ſes vœux.

Pouvois-je refuſer à ſa vive tendreſſe
Le ſoin reconnoiſſant qui pour lui m’intéreſſe ;
Par ce ſeul ſentiment il eût connu ma foi,
Si votre haine eut moins éclaté contre moi ;
Et malgré ma foibleſſe, à la vertu fidelle,
Dites en quoi l’amour me rendit criminelle ?
Le vôtre n’écoutant ni crainte, ni remords,
Me ſacrifie au gré de ſes jaloux tranſports.
A quoi vous ſert le rang de Reine & de Prêtreſſe ?
A tromper les mortels, à ſuivre votre ivreſſe,
A mépriſer les Dieux, enfin dans vos fureurs
A livrer au trépas l’objet de vos ardeurs ?
Le vengeur des forfaits en devient la Victime !
Tremblez à ce portrait, ſi l’image du crime
Peut encore effraier votre cœur endurci.

ORITHIE.

Princeſſe, de quels traits me peignez-vous ici ?
Ah ! loin qu’à vous punir ce reproche m’engage,
Je tourne ſur moi ſeule & ma haine & ma rage.
Quand on perd ce qu’on aime, on mépriſe les coups,
Que le Peuple & les grands oſent lancer ſur nous.
Le cœur enſeveli dans ſa douleur muette,
N’eſt ſenſible qu’aux maux de l’objet qu’il regrette.

L’amour que ma fierté rendoit plus dangereux,
Arma ſeul contre vous ma puiſſance & mes vœux.
Pardonnez des tourmens qu’avec vous je partage.
Quoi ! j’immole un Guerrier qui des Dieux eſt l’image !
Et ces Dieux ſans couroux regardant ſon trépas
N’ont point tourné ſur moi les fureurs de mon bras.
Hâtons leurs coups trop lents ; au défaut du Tonnerre
Allons chercher la mort dans l’horreur de la guerre :
Princeſſe, uniſſons-nous. Nos regrets, nos ſoupirs
Nés de la même cauſe ont les mêmes déſirs.
Nous cherchons à périr. Tournons contre le Scythe
La rage qu’en nos cœurs notre douleur excite.
Le trépas ne peut fuir qui le cherche en tous lieux ;
Offrons à mille morts des jours trop odieux,
Et qu’enfin l’Univers apprenne dans l’Hiſtoire
Que jamais mes forfaits n’ont égalé ma gloire…
Mais déja Ménalippe ici porte ſes pas ;
Son vertueux maintien, ſes farouches appas
Glacent mes ſens d’effroi.

ANTIOPE.

Glacent mes ſens d’effroi. Ciel ! quel tranſport l’anime !



Scène III.

MENALIPPE armée, ORITHIE, ANTIOPE
MÉNALIPPE.

AH ! Prêtreſſe, les Dieux…

ORITHIE.

AH ! Prêtreſſe, les Dieux… Prennent-ils la victime ?

ANTIOPE.

Ont-ils lancé leurs coups ?

MÉNALIPPE.

Ont-ils lancé leurs coups ? Non, le Ciel en fureur
Suſpend le ſacrifice.

ORITHIE

Suſpend le ſacrifice. Ah ! quel eſpoir flateur !

ANTIOPE.

De grace apprennez-nous ?

MÉNALIPPE.

De grace apprennez-nous ? Quel combat à décrire.
De la foule ſuivie en quittant Thémiſcyre,
Les Captifs vers le Temple avançoient ſur mes pas ;
J’ai vû du bois ſacré ſortir mille Soldats.
Leur nombre s’augmentant, j’ai penſé que la terre,
Enfantoit des Géants pour nous livrer la guerre,

Ou que de nos Captifs Mars briſoit les liens ;
Mais de près j’ai connu les fiers Athéniens.
Ils fondent ſur nos rangs, notre Troupe ſurpriſe
Bien-tôt céde à l’effort de leur vive entrepriſe ;
Ils délivrent Théſée ; alors dans nos fureurs,
Tout ſert à nous armer, & parmi les clameurs,
Nous marchons ſans déſordre, & combattons ſans crainte.
A peine l’Ennemi de nos dards ſent l’atteinte,
Qu’irrité de nos coups, ardent à s’en venger,
Dans d’étroits défilés il se laiſſe engager.
Je romps leurs Bataillons, leur ſang ſouille la terre,
Et dans la nuit qui joint plus d’horreur à la guerre,
Théſée offre à mes yeux ſon brillant bouclier ;
Il falloit pour tout vaincre abattre ce Guerrier,
Nous nous joignons ; nos traits ſe croiſent l’un & l’autre
Et loin que ſa valeur l’emporte ſur la nôtre,
Tandis qu’un coup léger teint ſon fer de mon ſang,
D’un coup mortel ma hache a partagé ſon flanc.

ANTIOPE.

Dieux !

ORITHIE.

Dieux ! Quel ſort imprévû !

MÉNALIPPE.

Dieux ! Quel ſort imprévû ! Quel bonheur ! Orithie,
Vous regnez, je triomphe, & ce Grec perd la vie.
A peine eſt-il tombé, que j’ai vû ſes Soldats
Quitter l’eſpoir de vaincre, & fuir devant nos pas ;
Juſques ſur nos ramparts, ils n’ont porté l’alarme,
Que pour venger leur Chef, ſon trépas les déſarme.
Du reſte de ces Grecs j’ai mépriſé les traits,
Nos braves Bataillons les poursuivent de près ;
N’en redoutant plus rien, je viens à vous moi-même,
Raconter nos ſuccès, notre péril extrême,
Et remettre en vos mains des lauriers que je dois,
A votre exemple, aux Dieux, à l’amour de nos loix.
L’Univers étonné ſur nous fixant la vûe,
Verra nos traits vainqueurs d’une attaque imprévûe,
Le plus grand des mortels aſſervi ſous nos fers,
Et rendu par nos coups aux rives des Enfers ;
Le deſtin dans nos champs enchaîne la victoire.
Jour heureux ! venez, Reine, en recueillir la gloire,

ORITHIE, on entend un grand bruit.

Quel trouble dans ces lieux & quel nouvel effort !

MÉNALIPPE.

Ah ! ne redoutons rien ; le fier Théſée eſt mort.



Scène IV.

ORITHIE, ANTIOPE, MÉNALIPPE, une AMAZONE.
L’AMAZONE.

REine, des cris affreux par-tout ſe font entendre ;
Théſée en ce Palais eſt prêt à vous ſurprendre,
Et déja Thémiſcyre en proie à sa fureur,
Pour la première fois reconnoît un Vainqueur.

ORITHIE.

Guerrieres ſuivez moi : quand le ſort nous accable
Oppoſons à ſes coups un front inébranlable.

ORITHIE, & ſa ſuite marchant vers le fond du Théatre.



Scène V.

ORITHIE, MÉNALIPPE, ANTIOPE

THÉSÉE paroît à leur rencontre avec des Amazones enchaînées & des Grecs à ſa ſuite.

THÉSÉE.

OU courez vous Madame ? ici tout m’obéit
Le bruit de mon trépas me ſert & vous trahit.
Au milieu de ma troupe & dans la nuit obſcure,
Idas fut pris pour moi, ſous une égale armure.

MÉNALIPPE.

Qu’ai-je fait ! quoi ! l’eſpoir d’avoir vaincu ton bras,
M’a fait en d’autres mains remettre nos combats !
Nul triomphe après toi ne flattant plus ma gloire,
Mon depart imprudent t’a donné la victoire ;
Que le Ciel m’en puniſſe, ou ſerve mon courroux.

THÉSÉE.

Cruelle, mon ami ſuccomba ſous vos coups,
C’est lui qui joint aux Grecs s’arma pour ma vengeance :
La vertu n’a ſouvent qu’elle pour recompenſe ;
Il a perdu la vie en défendant mes jours ;
De ma fureur alors rien n’arrête le cours.
Pour mieux venger ſon ſang, j’ordonne & feins la fuite ;
Votre crédulité par mon art fut ſéduite.
Tandis qu’ici vos mains portoient de vains lauriers,
Je ramene au combat mes plus vaillants guerriers :
Et la Troupe Amazone immolée à leur rage,
Juſqu’ici ſur ſes morts aux Grecs ouvre un paſſage ;
Thémiſcyre effrayée eſt ſoumiſe à mes loix ;
Mais loin d’y commander je vous remets vos droits ;
Reine, daignez reprendre un rang dont ma victoire
Rend hommage au grand nom que vous acquit la gloire.
Il eſt un prix plus cher aux déſirs de mon cœur.

Princeſſe, c’eſt de vous que dépend mon bonheur ;
De mon rang, de mes droits, je ne veux point l’attendre,
Je le demande au nom de l’ardeur la plus tendre,
Venez ; que dans Athène un lien fortuné,
M’aſſure votre cœur.

ANTIOPE.

M’aſſure votre cœur. L’amour vous l’a donné ;
Seigneur, il ſe joignit à la reconnoiſſance ;
Tout m’invite à vous ſuivre, & nos loix que j’offenſe
Se tairont, ſi ma main ſeul prix de vos exploits
A notre liberté conſerve tous ſes droits,
Qu’aucun tribut enfin n’outrage ma Patrie.

THÉSÉE.

Elle eſt libre, Madame.

ANTIOPE.

Elle eſt libre, Madame. A vos jours je me lie ;
Mais, rendant à la Reine un thrône glorieux,
Faut-il avec ſa haine abandonner ces lieux ?

ORITHIE.

Arrêtez ; c’eſt à moi d’éviter votre vûe,
Théſée, as-tu penſé que la main qui me tuë,
Pût me rendre des biens dont j’aimaſſe à jouir ?
En ce moment où rien ne peut plus m’éblouir,

De mon illuſion je déteſte la ſource :
Et le comble des maux en terminant ma courſe,
Eſt d’avoir un moment vû ton ſexe orgueilleux
Regner ſur un climat ſi rebelle à ſes vœux.
Moi, dont le bras dompta la fortune ennemie,
Faut-il que par l’amour aux mortels aſſervie,
Je cède à ces Tyrans que j’ai tant combattus ?
Une foibleſſe hélas ! ternit mille vertus.
Puiſſes-tu quelque jour reſſentir mon Martyre,
Languir dans le mépris qu’un feu jaloux inſpire,
Voir tes États gémir ſous un pouvoir nouveau,
Et dans ton déſeſpoir te plonger au tombeau,

Elle ſe tue.

Je t’en donne l’exemple ; imite mon courage.
Ménalippe, regnez sur ce triſte rivage ;
Maîtreſſe de vos ſens, vous ſçaurez mieux que moi ;
Gouverner un État dont j’ai trahi la loi.
En acceptant mon Sceptre, épouſez mon offenſe,
Que j’emporte aux Enfers, l’eſpoir de la vengeance.
Bravez ce fier vainqueur, que la poſtérité…
Je meurs… & le trépas me rend la liberté ;
Qu’on m’ôte de ces lieux.

THÉSÉE.

Qu’on m’ôte de ces lieux. Ô deſtin !

L’AMAZONE, qui ſoutient la Reine.

Qu’on m’ôte de ces lieux. Ô deſtin ! Elle expire.

ANTIOPE.

Que ne puis-je lui rendre & le jour & l’Empire ?

MÉNALIPPE.

Eſperes-tu Théſée, échapper à mes coups ?
Réunie à Gélon de ton himen jaloux,
Le fer, la flamme en main, ſur tes pas dans la Grèce,
Nous porterons par-tout la fureur vengereſſe,
Les Mers & les Rochers nous ſéparent en vain ;
Ton armure deux fois ne peut tromper ma main.
Tu vois mes ſentiments ; maître dans Thémiſcyre,
Oſeras-tu partir, & m’en rendre l’Empire ?

THÉSÉE

Oui Madame, regnez ; & quoique votre cœur,
M’annonce un ennemi digne de ma valeur,
L’himen de la Princeſſe unit mon Peuple au vôtre,

MÉNALIPPE.

Je briſerai le nœud qui vous joint l’un à l’autre,
Invincible à l’amour, prompte à venger nos droits,
Un jour à l’Univers je puis donner des loix.


FIN.

APPROBATION.


J’Ai lû les ordres de Monſeigneur le Chancelier la Tragédie des Amazones, & j’ai crû que le public verroit avec beaucoup de plaiſir les Amazones Guerrieres, ſi bien repréſentées par une autre illuſtre Amazone du Parnaſſe. Ce 10. Août 1749.


De Fontenelle.

A MADAME
DU BOCCAGE,
Par M.***, Allemand, Docteur en Médecine.


DUm canit innocuos Evæ, Boccagia, luſus :

In paradiſiacos me rapit Eva locos.

Dum canit Antiopes Scythicas Boccagia flammas ;

In Scythiam Antiopes captus amore feror.

At dum ſe ipſa offert oculis, Boccagia, noſtris :

Qualis ab Oceano Phœbe redire ſoles ;

Nec Scythiæ campos, Paradiſi nec moror hortos,

Nec places Antiope, nec places Eva parens.

Leſbia Amazonibus vitam vocemque dediſti

Ut placeant oculos, Leſbia, junge tuos.