Les Amours de Tristan/L’Amante soupçonneuse

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L’AMANTE SOVPÇONNEUSE.

SONNET.



VOVS dont la chere Image erre deuant mes yeux,
Et que ie voy touſiours de ceux de la penſée ;
Vous diuertiriez vous quand ie pleure en ces lieux,
Beaux lieux, triſtes teſmoins de ma gloire paßée ?

Amour le plus cruel & le plus grand des Dieux,
D’vne ſecrete peur rend mon Ame glacée ;
C’eſt que ſans redouter la iuſtice des Cieux
Par quelque changement vous l’ayez offencée.

S’il faut qu’il ſoit ainſi, Daphnis, ie veux mourir,
Ie n’ay plus de deſir que celuy de courir,
Ou vers vne riuiere, ou vers vn precipice.

Car vn deſtin barbare à ma fidelité
Veut que par trop d’amour i’eſprouue le ſuplice
Que par trop peu de foy vous auez merité.