Les Amours de Tristan/Le Cruel

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Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 114-115).


LE CRVEL.

STANCES.



POVR quel ſujet prends tu plaiſir
À me lancer ce trait de flame,
Qui vient ſuborner mon deſir
Pour luy faire trahir mon Ame ?
Tourne ailleurs ces regards puiſſans
Dont tu ſolicites mes ſens
De r’entrer deſſous ton Empire ;
Apres m’auoir ſi mal traité,
Ne veux tu pas que ie reſpire
Le doux air de la liberté ?

C’est mon agreable Element :
La moindre contrainte m’afflige,
Et ie ne m’aime ſeulement
Que pour ce que ie me neglige.
Sçay tu pas que mes ſentimens,
Pour les ſoins & pour les tourmens,
Sont d’vn naturel vn peu tendre ?
Et que c’eſt meſme ſans effort
Que mon esprit oſe pretendre
De ſauuer mon nom de la mort ?

Ne croy donc pas me rembarquer
Deſſus le point d’vne Tempeſte,
Et ne penſe pas te moquer
De cette ſeconde conqueste :
Contante toy que ſouz tes loix
I’ay ſupporté plus de ſix mois
Vne tyrannie importune ;
Et que i’ay moins forcé mon cœur
Pour acquerir de la fortune,
Que pour adoucir ta rigueur.

Si tu formes donc le deſſein
De me prendre encore au paſſage ;
Fay moy voir l’Amour dans ton ſein
Comme il est deſſus ton viſage :
Permets que ſans peine & ſans bruit
Ie me charge en ſecret du fruit
Dont mon eſperance est bornée :
Car i’ay pris assez de ſoucy
De ſemer toute l’autre année,
Pour recueillir en cette-cy.