Les Amours de Tristan/Promesse à Phillis

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Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 77-81).


PROMESSE À PHILLIS.

STANCES.



CELESTE Obiect de mes deſirs,
Prenez vous à mes deſplaiſirs
Si ie n’eſcris à voſtre gloire ;
Les violences du mal-heur
Ne m’ont point laißé de chaleur,
Et m’ont rendu l’humeur ſi noire
Que ie ne trouue en ma memoire
Que des Images de douleur.

Außi toſt que ie me reſous
À prendre la plume pour vous
Dans la veine la plus puiſſante ;
Mille triſtes reſſentimens
S’oppoſent à ſes mouuemens,
Mon ardeur deuient languiſſante,
Et ie m’apperçois que i’enfante
Des ſouſpirs pour des complimens.

Mais ne croyez pas que ce dueil
Me conduiſe dans le cercueil
Auant que ie vous en deffende :
Et que ma froide volonté
Reconnoiſſe voſtre bonté
D’vne ingratitude ſi grande
Que ie vous dérobe vne offrance
Que ie dois à voſtre beauté ?

L’ennuy qui me fait ſouſpirer
Se puiſſe touſiours empirer
Par de plus ſenſibles outrages,
Et iamais la rigueur du Sort
Ne me laiſſe trouuer de port ;
Si le plus beau de mes ouurages,
Ne vous laiſſe des teſmoignages
D’vn deſſein qui me plaist ſi fort.

Et dés que mes ſens appaiſez,
Treuueront des vers plus aiſez
Et des lumieres moins communes ;
S’il vous plaiſt de les auoüer,
Ie promets de vous les voüer
Ceſſant les plaintes importunes
Que ie fais de mes infortunes,
Pour commencer à vous loüer.


Dans le plus tranquille loiſir
Que ma veine puiſſe choiſir,
Ie dois vous rendre cét hommage :
Mais ie veux ſi bien vous tirer
Que l’on ſoit forcé d’admirer
Les traits de voſtre belle Image ;
Et que la plus ialouſe rage
N’oſe iamais les cenſurer.

Lors que dans ſon plus large cours,
Le Soleil allume des iours
Qui n’ont rien de froid ny de ſombre :
Que l’Aurore en verſant des pleurs,
Seme des perles ſur les fleurs,
Et qu’on a des plaiſirs ſans nombre
Quand on peut trouuer aſſez d’ombre
Pour ſe deffendre des chaleurs.

Lors ſouz vn arbre bien couuert,
Estendu ſur le gazon vert
En vne réſveuſe posture ;
Flatté du doux bruit d’vn ruiſſeau,
D’vn eſprit plus clair & plus beau,
Comme à l’enuy de la peinture
Qu’estale par tout la Nature,
I’entreprendray voſtre tableau.

Et quand i’auray fait quelque traict
De cét adorable portraict,
Qui fait deſia que ie ſouſpire ;
Les Nymphes ſans m’incommoder
Prés de moy viendront s’accouder,
Et la Nayade & le Zephire
Perdans le ſoin de leur Empire,
Se tairont pour vous regarder.

Vous pouuez par vostre Beauté
Paſſer pour la Diuinité
Qui fut les delices d’Anchiſe :
Mais ſi ie vous peins vne fois
Auec la Trompe & le Carquois,
D’vne ardeur innocente épriſe,
À meſme temps vous ſerez priſe
Pour la chaſte Reine des Bois.

Amour rauy de mon deſſein
Sentira dés lors en ſon ſein
Les pointes d’vne ardeur nouuelle ;
Et iugeant vos diuins appas
Francs des atteintes du treſpas,
Il dira vous voyant ſi belle,
Que ſi vous n’eſtiez immortelle
Sa mere ne le ſeroit pas.

Mon ouurage aura du deffaut :
Mais ſi pour vn ſujet ſi haut
Ie n’ay point de clartez trop baſſes :
Au ſentiment de nos Neueux,
Le plus petit de vos cheueux,
La moins charmante de vos graces,
La moindre marque de vos traces
Sera digne de mille vœux.