Les Aphrodites/Postface

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Briard (Poulet-Malassis) (p. 191-196).


POST-FACE DES ÉDITEURS.




Dès la fin de 1791, les Aphrodites de Paris et de la province se préparaient à se dissoudre. Quantité d’individus des deux sexes s’étaient d’avance expatriés. De ce nombre le prince Edmond, que des circonstances infiniment heureuses avaient rappelé dans son pays, et la nouvelle grande-maîtresse Eulalie, qui, par des circonstances inutiles à déduire, se trouvait dans le cas d’accepter enfin, sans manquer à la délicatesse, le riche legs que le malheureux comte de Scheimpfreich lui avait destiné ; cette dame, disons-nous, et le prince, s’étaient passionnément occupés de préparer à ceux des Aphrodites qui étaient dignes de survivre à la fraternité de Paris, un asile en pays étranger et les moyens de placer avec avantage ce que l’ordre conserverait encore de richesses, après que tous les confrères (soit volontairement dégagés, soit congédiés) seraient remboursés. Les comptes scrupuleusement apurés par des frères financiers d’une probité à toute épreuve, l’ordre survivant se trouva riche encore de 4,558,923 livres que des frères banquiers trouvèrent moyen de faire sortir adroitement du royaume. L’industrieux M. du Bossage s’était chargé, de plus loin, de dénaturer en fait de constructions tout ce qui caractériserait l’ordre et ses divers objets, de même que de faire parvenir à sa nouvelle destination tous les détails transportables de décoration et d’ornement. Comme presque rien n’était réel que les machines, surtout difficiles à renouveler en pays étranger, l’entreprise du transport était moins difficile que minutieuse ; son utilité infinie l’emportait d’ailleurs sur toute espèce de considération. Madame Durut, Célestine, Fringante et quelques camillons des deux sexes suivirent à la file les fréquents envois, où Ribaudin signala dans la conduite secrète de cette partie de l’opération son excellente tête, sa présence d’esprit, sa vigueur de caractère, et justifia parfaitement l’honneur imprévu qu’on lui avait fait en se rangeant unanimement sous sa loi. Quand tout l’ordre fut écoulé, corps et biens, sa feue Révérence sortit la dernière ; elle porte aujourd’hui le nom de Martinfort, et continue à prouver qu’on peut être de très-nouvelle noblesse, avoir porté par système un uniforme odieux, avoir même précédemment été moine, sans être, comme certains dédaigneux le pensent, un homme vil, parce que l’on n’aurait pas été fait pour monter dans les carrosses du Roi.

La journée funeste du 10 août 1792 suivit de bien près le départ de l’héroïque Martinfort. Plusieurs Aphrodites réformés périrent dans cette bagarre ; un plus grand nombre d’eux encore, dont même quelques dames, subirent les horreurs du 3 septembre suivant ; mais, par bonheur, nul frère, nulle sœur, de ceux et celles que nos cahiers ont fait connaître, ne furent du nombre des victimes. En général, aucun de nos acteurs n’a mal tourné, sinon le pauvre Trottignac. Son mauvais ton, quelques propos indiscrets en faveur de cette liberté qui promet tant aux gens sans élévation d’âme et sans fortune, ayant déplu, sur les bords du Rhin, à quelques fougueux émigrés, envieux d’ailleurs du sort d’un pied plat, étalon de quatre jolies femmes, ces messieurs, disons-nous, se persuadèrent que l’écuyer Trottignac était un propagant. En conséquence, ils le jetèrent, pour le laver, dans le fleuve : il s’y noya. On les blâma fort. Tant de zèle était diamétralement au rebours des vues d’union et d’humanité qu’avaient les chefs de l’émigration, et dont ils n’ont cessé de recommander l’observation à leurs nobles cohortes. Mais il y avait bien d’autres abus, on n’y remédiait point, et Trottignac, à bon compte, était ad patres pour la plus grande gloire de la contre-révolution.

Les Aphrodites, rénovés, ont maintenant, dans un pays que nous ne pouvons nommer, un asile délicieux, des statuts épurés et des sujets d’élite. On nous a flatté d’une prochaine concession de matériaux pour la suite de notre histoire, ou plutôt pour une histoire tout à fait nouvelle. Nous comptons d’autant plus sur la solidité de cet engagement, que M. Visard, notre ami particulier, conserve, en partage avec un homme de lettres du pays, aussi de nos amis, son précieux emploi d’historiographe.


FIN.