Les Apotres/XIV. Persécution d’Hérode Agrippa

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Michel Lévy (p. 243-260).


CHAPITRE XIV


PERSÉCUTION D’HÉRODE AGRIPPA Ier.


Barnabé trouva l’Église de Jérusalem dans un grand trouble. L’année 44 fut très-orageuse pour elle. Outre la famine, elle vit se rallumer le feu de la persécution, qui s’était ralenti depuis la mort d’Étienne.

Hérode Agrippa, petit-fils d’Hérode le Grand, avait réussi, depuis l’année 41, à recomposer la royauté de son aïeul. Grâce à la faveur de Caligula, il était parvenu à réunir sous sa domination la Batanée, la Trachonitide, une partie du Hauran, l’Abilène, la Galilée, la Pérée[1]. Le rôle ignoble qu’il joua dans la tragi-comédie qui porta Claude à l’empire[2], acheva sa fortune. Ce vil Oriental, en récompense des leçons de bassesse et de perfidie qu’il avait données à Rome, obtint pour lui la Samarie et la Judée, et pour son frère Hérode la petite royauté de Chalcis[3]. Il avait laissé à Rome les plus mauvais souvenirs, et on attribuait en partie à ses conseils les cruautés de Caligula[4]. Son armée et les villes païennes de Sébaste, de Césarée, qu’il sacrifiait à Jérusalem, ne l’aimaient pas[5]. Mais les Juifs le trouvaient généreux, magnifique, sympathique à leurs maux. Il cherchait à se rendre populaire auprès d’eux, et affectait une politique toute différente de celle d’Hérode le Grand. Ce dernier vivait bien plus en vue du monde grec et romain qu’en vue des Juifs. Hérode Agrippa, au contraire, aimait Jérusalem, observait rigoureusement la religion juive, affectait le scrupule, et ne laissait jamais passer un jour sans faire ses dévotions[6]. Il allait jusqu’à recevoir avec douceur les avis des rigoristes, et se donnait la peine de se justifier de leurs reproches[7]. Il fit remise aux Hiérosolymites du tribut que chaque maison lui devait[8]. Les orthodoxes, en un mot, eurent en lui un roi selon leur cœur.

Il était inévitable qu’un prince de ce caractère persécutât les chrétiens. Sincère ou non, Hérode Agrippa était un souverain juif dans toute la force du terme[9]. La maison d’Hérode, en s’affaiblissant, tournait à la dévotion. Ce n’était plus cette large pensée profane du fondateur de la dynastie, aspirant à faire vivre ensemble et sous l’empire commun de la civilisation les cultes les plus divers. Quand Hérode Agrippa devenu roi mit pour la première fois le pied à Alexandrie, ce fut comme roi des Juifs qu’on l’accueillit ; ce fut ce titre qui irrita la population et donna lieu à des bouffonneries sans fin[10]. Or, que pouvait être un roi des Juifs, si ce n’est le gardien de la Loi et des traditions, un souverain théocrate et persécuteur ? Depuis Hérode le Grand, sous lequel le fanatisme fut tout à fait comprimé, jusqu’à l’explosion de la guerre qui amena la ruine de Jérusalem, il y eut ainsi une progression toujours croissante d’ardeur religieuse. La mort de Caligula (24 janvier 41) avait produit une réaction favorable aux Juifs. Claude fut en général bienveillant pour eux[11], par l’effet du crédit qu’avaient sur lui Hérode Agrippa et Hérode, roi de Chalcis. Non-seulement il donna raison aux juifs d’Alexandrie dans leurs querelles avec les habitants, et leur octroya le droit de se choisir un ethnarque ; mais il publia, dit-on, un édit par lequel il accordait aux juifs, dans toute l’étendue de l’Empire, ce qu’il avait accordé à ceux d’Alexandrie, c’est-à-dire la liberté de vivre selon leurs lois, à la seule condition de ne pas outrager les autres cultes. Quelques essais de vexations analogues à celles qui s’étaient produites sous Caligula, furent réprimés[12]. Jérusalem s’agrandit beaucoup ; le quartier de Bézétha s’ajouta à la ville[13]. L’autorité romaine se faisait à peine sentir, bien que Vibius Marsus, homme prudent, mûri par les grandes charges, et d’un esprit très-cultivé[14], qui avait succédé à Publius Pétronius dans la fonction de légat impérial de Syrie, fit de temps en temps remarquer à Rome le danger de ces royautés à demi indépendantes d’Orient[15].

L’espèce de féodalité qui, depuis la mort de Tibère, tendait à s’établir en Syrie et dans les contrées voisines[16], était, en effet, un arrêt dans la politique impériale, et n’avait guère que de mauvais résultats. Les « rois » venant à Rome étaient des personnages, et y exerçaient une détestable influence. La corruption et l’abaissement du peuple, surtout sous Caligula, vinrent en grande partie du spectacle que donnaient ces misérables, qu’on voyait successivement traîner leur pourpre au théâtre, au palais du césar, dans les prisons[17], En ce qui concerne les Juifs, nous avons vu[18] que l’autonomie signifiait l’intolérance. Le souverain pontificat ne sortait par instants de la famille de Hanan que pour entrer dans celle de Boëthus, non moins altière et cruelle. Un souverain jaloux de plaire aux Juifs ne pouvait manquer de leur accorder ce qu’ils aimaient le mieux, c’est-à-dire des sévérités contre tout ce qui s’écartait de la rigoureuse orthodoxie[19].

Hérode Agrippa, en effet, devint sur la fin de son règne un violent persécuteur[20]. Quelque temps avant la Pâque de l’an 44, il fit trancher la tête à l’un des principaux membres du collège apostolique, Jacques, fils de Zébédée, frère de Jean. L’affaire ne fut pas présentée comme religieuse ; il n’y eut pas de procès inquisitorial devant le sanhédrin ; la sentence fut prononcée en vertu du pouvoir arbitraire du souverain, comme cela eut lieu pour Jean-Baptiste[21]. Encouragé par le bon effet que cette exécution produisit sur les Juifs[22], Hérode Agrippa ne voulut pas s’arrêter en une veine si facile de popularité. On était aux premiers jours de la fête de Pâque, époque ordinaire de redoublement du fanatisme. Agrippa ordonna d’enfermer Pierre dans la tour Antonia. Il voulait le faire juger et mettre à mort avec grand appareil, devant la masse de peuple alors assemblé.

Une circonstance que nous ignorons, et qui fut tenue pour miraculeuse, ouvrit la prison de Pierre. Un soir que plusieurs des fidèles étaient assemblés dans la maison de Marie, mère de Jean-Marc, où Pierre demeurait d’habitude, on entendit tout à coup frapper à la porte. La servante, nommée Rhodé, alla écouter. Elle reconnut la voix de Pierre. Transportée de joie, au lieu d’ouvrir, elle rentre en courant et annonce que Pierre est là. On la traite de folle. Elle jure qu’elle dit vrai. « C’est son ange, » disent quelques-uns. On entend frapper à plusieurs reprises ; c’était bien lui. L’allégresse fut infinie. Pierre fit sur-le-champ annoncer sa délivrance à Jacques, frère du Seigneur, et aux autres fidèles. On crut que c’était l’ange de Dieu qui était entré dans la prison de l’apôtre, et avait fait tomber les chaînes et les verrous. Pierre racontait, en effet, que tout cela s’était passé pendant qu’il était dans une espèce d’extase ; qu’après avoir passé la première et la deuxième garde et franchi la porte de fer qui donnait sur la ville, l’ange l’accompagna encore l’espace d’une rue, puis le quitta ; qu’alors il revint à lui et reconnut la main de Dieu, qui avait envoyé un messager céleste pour le délivrer[23].

Agrippa survécut peu à ces violences[24]. Dans le courant de l’année 44, il alla à Césarée pour célébrer des jeux en l’honneur de Claude. Le concours fut extraordinaire ; les gens de Tyr et de Sidon, qui avaient des difficultés avec lui, y vinrent pour lui demander merci. Ces fêtes déplaisaient beaucoup aux Juifs, et parce qu’elles avaient lieu dans la ville impure de Césarée, et parce qu’elles se donnaient dans le théâtre. Déjà, une fois, le roi ayant quitté Jérusalem dans des circonstances semblables, un certain rabbi Siméon avait proposé de le déclarer étranger au judaïsme et de l’exclure du temple. Le roi avait poussé la condescendance jusqu’à placer le rabbi à côté de lui au théâtre, pour lui prouver qu’il ne s’y passait rien de contraire à la Loi[25]. Croyant avoir ainsi satisfait les rigoristes, Hérode Agrippa se laissa aller à son goût pour les pompes profanes. Le second jour de la fête, il entra de très-bon matin au théâtre, revêtu d’une tunique en étoffe d’argent, d’un éclat merveilleux. L’effet de cette tunique resplendissante aux rayons du soleil levant fut extraordinaire. Les Phéniciens qui entouraient le roi lui prodiguèrent des adulations empreintes de paganisme. « C’est un dieu, disaient-ils, et non un homme. » Le roi ne témoigna pas son indignation et ne blâma pas cette parole. Il mourut cinq jours après. Juifs et chrétiens crurent qu’il avait été frappé pour n’avoir pas repoussé avec horreur une flatterie blasphématoire. La tradition chrétienne voulut qu’il fût mort du châtiment réservé aux ennemis du Dieu, une maladie vermiculaire[26]. Les symptômes rapportés par Josèphe feraient croire plutôt à un empoisonnement, et ce qui est dit dans les Actes de la conduite équivoque des Phéniciens et du soin qu’ils prirent de gagner Blastus, valet de chambre du roi, fortifierait cette hypothèse.

La mort d’Hérode Agrippa Ier amena la fin de toute indépendance pour Jérusalem. La ville recommença d’être administrée par des procurateurs, et ce régime dura jusqu’à la grande révolte. Ce fut un bonheur pour le christianisme ; car il est bien remarquable que cette religion qui devait soutenir, plus tard, une lutte si terrible contre l’empire romain, grandit à l’ombre du principe romain et sous sa protection. C’était Rome, ainsi que nous l’avons déjà plusieurs fois remarqué, qui empêchait le judaïsme de se livrer pleinement à ses instincts d’intolérance, et d’étouffer les développements libres qui se produisaient dans son sein. Toute diminution de l’autorité juive était un bienfait pour la secte naissante. Cuspius Fadus, le premier de cette nouvelle série de procurateurs, fut un autre Pilate, plein de fermeté ou du moins de bon vouloir. Mais Claude continuait de se montrer favorable aux prétentions juives, surtout à l’instigation du jeune Hérode Agrippa, fils d’Hérode Agrippa Ier, qu’il avait près de lui, et qu’il aimait beaucoup[27]. Après la courte administration de Cuspius Fadus, on vit les fonctions de procurateur confiées à un Juif, à ce Tibère Alexandre, neveu de Philon, et fils de l’alabarque des Juifs d’Alexandrie, qui arriva à de hautes fonctions et joua un grand rôle dans les affaires politiques du siècle. Il est vrai que les Juifs ne l’aimaient pas et le regardaient, non sans raison, comme un apostat[28].

Pour couper court à ces disputes sans cesse renaissantes, on eut recours à un expédient conforme aux bons principes. On fit une sorte de séparation du spirituel et du temporel. Le pouvoir politique resta aux procurateurs ; mais Hérode, roi de Chalcis, frère d’Agrippa Ier, fut nommé préfet du temple, gardien des habits pontificaux, trésorier de la caisse sacrée, et investi du droit de nommer les grands prêtres[29]. A sa mort (an 48), Hérode Agrippa II, fils d’Hérode Agrippa Ier, succéda à son oncle dans ces charges, qu’il garda jusqu’à la grande guerre. Claude, en tout ceci, se montrait plein de bonté. Les hauts fonctionnaires romains, en Syrie, bien qu’ils fussent moins portés que l’empereur aux concessions, usèrent aussi de beaucoup de modération. Le procurateur Ventidius Cumanus poussa la condescendance jusqu’à faire décapiter, au milieu des Juifs formant la haie, un soldat qui avait déchiré un exemplaire du Pentateuque[30]. Tout était inutile ; Josèphe fait avec raison dater de l’administration de Cumanus les désordres qui ne finirent plus que par la destruction de Jérusalem.

Le christianisme ne jouait aucun rôle dans ces troubles[31]. Mais ces troubles étaient, comme le christianisme lui-même, un des symptômes de la fièvre extraordinaire qui dévorait le peuple juif, et du travail divin qui s’accomplissait en lui. Jamais la foi juive n’avait fait de tels progrès[32]. Le temple de Jérusalem était un des sanctuaires du monde dont la réputation s’étendait le plus loin, et où l’on faisait le plus d’offrandes[33]. Le judaïsme était devenu la religion dominante de plusieurs parties de la Syrie. Les princes asmonéens y avaient converti violemment des populations entières (Iduméens, Ituréens, etc.)[34]. Il y avait beaucoup d’exemples de la circoncision ainsi imposée par la force[35] ; l’ardeur pour faire des prosélytes était très-grande[36]. La maison d’Hérode elle-même servait puissamment la propagande juive. Pour épouser des princesses de cette famille, dont les richesses étaient immenses, les princes des petites dynasties, vassales des Romains, d’Émèse, de Pont et de Cilicie, se faisaient juifs[37]. L’Arabie, l’Éthiopie, comptaient aussi un grand nombre de convertis. Les familles royales de Mésène et d’Adiabène, tributaires des Parthes, étaient gagnées, surtout du côté des femmes[38]. Il était reçu qu’on trouvait le bonheur en connaissant et en pratiquant la Loi[39]. Même quand on ne se faisait pas circoncire, on modifiait plus ou moins sa religion dans le sens juif ; une sorte de monothéisme devenait l’esprit général de la religion en Syrie. À Damas, ville qui n’était nullement d’origine israélite, presque toutes les femmes avaient adopté la religion juive[40]. Derrière le judaïsme pharisaïque, se formait ainsi une sorte de judaïsme libre, de moindre aloi, ne sachant pas tous les secrets de la secte[41], n’apportant que sa bonne volonté et son bon cœur, mais ayant bien plus d’avenir. La situation était, à quelques égards, celle du catholicisme de nos jours, où nous voyons, d’une part, des théologiens bornés et orgueilleux, qui seuls ne gagneraient pas plus d’âmes au catholicisme que les pharisiens n’en gagnèrent au judaïsme ; de l’autre, de pieux laïques, mille fois hérétiques sans le savoir, mais pleins d’un zèle touchant, riches en bonnes œuvres et en poétiques sentiments, tout occupés à dissimuler ou à réparer par de complaisantes explications les fautes de leurs docteurs.

Un des exemples les plus extraordinaires de ce penchant qui entraînait vers le judaïsme les âmes religieuses, fut celui que donna la famille royale de l’Adiabène sur le Tigre[42]. Cette maison, persane d’origine et de mœurs[43], déjà en partie initiée à la culture grecque[44], se fit presque tout entière juive, et entra même dans la haute dévotion ; car, comme nous l’avons dit, ces prosélytes étaient souvent plus pieux que les Juifs de naissance. Izate, chef de la famille, embrassa le judaïsme sur la prédication d’un marchand juif, nommé Ananie, qui, en entrant pour son petit commerce dans le sérail d’Abennérig, roi de Mésène, avait converti toutes les femmes et s’était constitué leur précepteur spirituel. Les femmes mirent Izate en rapport avec lui. Vers le même temps, Hélène, sa mère, se faisait instruire dans la vraie religion par un autre juif. Izate, dans son zèle de nouveau converti, voulait aussi se faire circoncire. Mais sa mère et Ananie l’en dissuadèrent vivement. Ananie lui prouva que l’observation des commandements de Dieu était plus importante que la circoncision, et qu’on pouvait être fort bon juif sans cette cérémonie. Une pareille tolérance était le fait d’un petit nombre d’esprits éclairés. Quelque temps après, un Juif de Galilée, nommé Éléazar, ayant trouvé le roi qui lisait le Pentateuque, lui montra, par les textes, qu’il ne pouvait pas observer la Loi sans être circoncis. Izate en fut persuadé, et se fit faire l’opération sur le champ[45].

La conversion d’Izate fut suivie de celle de son frère Monobaze et de presque toute la famille. Vers l’an 44, Hélène vint se fixer à Jérusalem, où elle fit bâtir pour la maison royale d’Adiabène un palais et un mausolée de famille, qui existe encore[46]. Elle se rendit fort chère aux Juifs par son affabilité et ses aumônes. C’était une grande édification de la voir, comme une pieuse juive, fréquenter le temple, consulter les docteurs, lire la Loi, l’enseigner à ses fils. Dans la peste de l’an 44, cette sainte personne fut la providence de la ville. Elle fit acheter une grande quantité de blé en Égypte, et de figues sèches à Chypre. Izate, de son côté, envoya des sommes considérables pour être distribuées aux pauvres. Les richesses de l’Adiabène se dépensaient en partie à Jérusalem. Les fils d’Izate vinrent y apprendre les usages et la langue des Juifs. Toute cette famille fut ainsi la ressource de ce peuple de mendiants. Elle avait pris dans la ville comme droit de cité ; Plusieurs de ses membres s’y trouvaient lors du siège de Titus[47] ; d’autres figurent dans les écrits talmudiques, présentés comme des modèles de piété et de détachement[48].

C’est par là que la famille royale d’Adiabène appartient à l’histoire du christianisme. Sans être chrétienne, en effet, comme certaines traditions l’ont voulu[49], cette famille représenta sous différents égards les prémices des gentils. En embrassant le judaïsme, elle obéit au sentiment qui devait amener au christianisme le monde païen tout entier. Les vrais Israélites selon Dieu étaient bien plutôt ces étrangers, animés d’un sentiment religieux si profondément sincère, que le pharisien rogue et malveillant, pour lequel la religion n’était qu’un prétexte de haines et de dédains. Ces bons prosélytes, parce qu’ils étaient vraiment saints, n’étaient nullement fanatiques. Ils admettaient que la vraie religion pouvait se pratiquer sous l’empire des codes civils les plus divers. Ils séparaient complètement la religion de la politique. La distinction entre les sectaires séditieux qui devaient défendre Jérusalem avec rage, et les pacifiques dévots qui, au premier bruit de guerre, devaient fuir vers les montagnes[50], se manifestait de plus en plus.

On voit, du moins, que la question des prosélytes se posait dans le judaïsme et le christianisme de la même manière. De part et d’autre, on sentait le besoin d’élargir la porte d’entrée. Pour ceux qui se plaçaient à ce point de vue, la circoncision était une pratique inutile ou nuisible ; les observances mosaïques étaient un simple signe de race, n’ayant de valeur que pour les fils d’Abraham. Avant de devenir la religion universelle, le judaïsme était obligé de se réduire à une sorte de déisme, n’imposant que les devoirs de la religion naturelle. Il y avait là une sublime mission à remplir, et une partie du judaïsme, dans la première moitié du premier siècle, s’y prêta d’une manière fort intelligente. Par un côté, le judaïsme était un de ces innombrables cultes nationaux[51] qui remplissaient le monde, et dont la sainteté venait uniquement de ce que les ancêtres avaient adoré de la sorte ; par un autre côté, le judaïsme était la religion absolue, faite pour tous, destinée à être adoptée de tous. L’épouvantable débordement de fanatisme qui prit le dessus en Judée, et qui amena la guerre d’extermination, coupa court à cet avenir. Ce fut le christianisme qui reprit pour son compte la tâche que la synagogue n’avait pas su accomplir. Laissant de côté les questions rituelles, le christianisme continua la propagande monothéiste du judaïsme. Ce qui avait fait le succès du judaïsme auprès des femmes de Damas, au sérail d’Abennérig, auprès d’Hélène, auprès de tant de prosélytes pieux, fit la force du christianisme dans le monde entier. En ce sens, la gloire du christianisme est vraiment confondue avec celle du judaïsme. Une génération de fanatiques priva ce dernier de sa récompense, et l’empêcha de recueillir la moisson qu’il avait préparée.


  1. Les inscriptions de ces contrées confirment pleinement les indications de Josèphe (Comptes rendus de l’Acad. des Inscr. et B.-L., 1865, p. 106-109).
  2. Josèphe Ant., XIX, iv ; B. J., II, xi.
  3. Jos., Ant., XIX, v, 1 ; vi, 1 ; B. J., II, xi, 5 ; Dion Cassius, LX, 8.
  4. Dion Cassius, LIX, 24.
  5. Jos., Ant., XIX, ix, 1.
  6. Ibid., XIX, vi, 1, 3 ; vii, 3, 4 ; viii, 2 ; ix, 1.
  7. Ibid., XIX, vii, 4.
  8. Jos., Ant., XIX, vi, 3.
  9. Juvénal, Sat. vi, 158-159 ; Perse, Sat. v, 180.
  10. Philon, In Flaccum, § 5 et suiv.
  11. Jos., Ant., XIX, v, 2 et la suite ; XX, vi, 3 ; B. J., II, xii, 7. Les mesures restrictives qu’il prit contre les juifs de Rome (Act., xviii, 2 ; Suétone, Claude, 25 ; Dion Cassius, LX, 6) tenaient à des circonstances locales.
  12. Jos., Ant., XIX, vi, 3.
  13. Jos., Ant., XIX, vii, 2 ; B. J., II, xi, 6 ; V, iv, 2 ; Tacite, Hist., V, 12.
  14. Tacite, Ann., VI, 47.
  15. Jos., Ant., XIX, vii, 2 ; viii, 1 ; XX, i, 1.
  16. Jos., Ant., XIX, viii, 1.
  17. Suétone, Caius, 22, 26, 35 ; Dion Cassius, LIX, 24 ; LX, 8 ; Tacite, Ann., XI, 8. Comme type de ce rôle des petits rois d’Orient, étudier la carrière d’Hérode Agrippa Ier dans Josèphe (Ant., XVIII et XIX). Comp. Horace, Sat., I, vii.
  18. Ci-dessus, p. 143-144, 174-175, 191-192.
  19. Act., xii, 3.
  20. Act., xii, 1 et suiv.
  21. En effet, Jacques fut décapité et non lapidé.
  22. Act., xii, 3 et suiv.
  23. Act., xii, 9-11. Le récit des Actes est tellement vif et juste, qu’il est difficile d’y trouver place pour une élaboration légendaire prolongée.
  24. Jos., Ant., XIX, viii, 2 : Act., xii, 18-23.
  25. Jos., Ant., XIX, vii, 4.
  26. Act., xii, 23. Comp. II Macch., ix, 9 ; Jos., B. J. I, xxxiii, 5 ; Talm. de Bab., Sota, 35 a.
  27. Jos., Ant., XIX, vi, 1 ; XX, I, i, 2.
  28. Jos., Ant., XX, v, 2 ; B. J., II, xv, 1 ; xviii, 7 et suiv. ; IV, x, 6 ; V, i, 6 ; Tacite, Ann., XV, 28 ; Hist., I, 11 ; II, 79 ; Suétone, Vesp., 6 ; Corpus inscr. græc, no 4957 (cf. ibid., III, p. 311).
  29. Jos., Ant., X, i, 3.
  30. Jos. Ant., XX, v, 1 ; B. J., II, xii, 2.
  31. Josèphe, qui expose l’histoire de ces agitations avec un soin si minutieux, n’y mêle jamais les chrétiens.
  32. Jos., Contre Apion, II, 39 ; Dion Cassius, LXVI, 4.
  33. Jos., B. J., IV, iv, 3 ; V, xiii, 6 ; Suét., Aug., 93 ; Strabon, XVI, ii, 34, 37 ; Tacite, Hist., V, 5.
  34. Jos., Ant., XIII, ix, 1 ; xi, 3 ; xv, 4 ; XV, vii, 9.
  35. Jos., B. J., II, xvii, 10 ; Vita, 23.
  36. Matth., xxiii, 13.
  37. Jos., Ant., XX, vii, 1, 3. Comp. XVI, ii, 6.
  38. Ibid., XX, ii. 4.
  39. Ibid., XX, ii, 5, 6 ; iv, 1.
  40. Jos., B. J., II, xx, 2.
  41. Sénèque, fragm. dans S. Aug., De civ. Dei, VI, 11.
  42. Jos., Ant., XX. ii-iv.
  43. Tacite, Ann., XII, 13, 14. La plupart des noms de cette famille sont persans.
  44. Le nom d’« Hélène » le prouve. Cependant il est remarquable que le grec ne figure pas sur l’inscription bilingue (syriaque et syro-chaldaïque) du tombeau d’une princesse de cette famille, découvert et rapporté à Paris par M. de Saulcy. Voir Journal Asiatique, décembre 1865.
  45. Cf. Bereschith rabba, xlvi, 51 d.
  46. C’est, selon toutes les apparences, le monument connu aujourd’hui sous le nom de « tombeaux des rois ». Voir Journal Asiatique, endroit cité.
  47. Jos., B. J., II, xix, 2 ; VI, vi, 4.
  48. Talm. de Jérus., Peah, 15 b, où l’on prête à l’un des Monobaze quelques maximes qui rappellent tout à fait l’Évangile (Matlh., vi, 19 et suiv.) ; Talm. de Bab., Baba Bathra, 11 a ; Joma, 37 a ; Nazir, 19 b ; Schabbath, 68 b ; Sifra, 70 a ; Bereschith rabba, xlvi, fol. 51 d.
  49. Moïse de Khorène, II, 35 ; Orose, VII, 6.
  50. Luc, xxi, 21.
  51. Τὰ πάτρια ἔθη, expression si familière à Josèphe, quand il défend la position des Juifs dans le monde païen.