Les Auxiliaires/XXIII

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Charles Delagrave (p. 139-144).
XXIII. — Le pic-vert. — L’épeiche. — Le torcol. — La sittelle

XXIII

LE PIC-VERT. — L’ÉPEICHE. — LE TORCOL. — LA SITTELLE

Paul. — Le plus répandu de nos pics est le pic-vert, grand comme une tourterelle. Son plumage est d’une richesse peu commune parmi nos oiseaux. Le haut de la tête et la nuque sont d’un magnifique rouge carmin ; deux moustaches de la même couleur ornent la face ; le dos est vert, la poitrine et le ventre sont d’un blanc jaunâtre, le croupion est jaune, enfin les fortes plumes des ailes sont noires et régulièrement marquées de blanc sur le bord. La femelle se distingue du mâle par des couleurs moins brillantes et par ses moustaches, qui sont noires au lieu d’être rouges.

C’est le pic-vert dont vous avez entendu ce matin dans le bois le tiô, tiô, tiô retentissant. Je ne reviendrai pas sur ses divers cris, que Jacques vous a fort bien décrits. Le pic-vert est passionné pour le régal de fourmis. Quand il découvre une fourmilière, il s’établit tout à côté et couche sa longue et visqueuse langue en travers du petit sentier suivi par les fourmis. Vous connaissez les habitudes de marche de ces petites bêtes en pérégrination. Elles vont à la file les unes des autres, sur un ou plusieurs rangs, sans se détourner de la voie suivie par les premières. La langue du pic, enduite d’une abondante glu fournie par la salive, est mise en travers de cette voie. Les fourmis arrivent, hésitent un peu devant la barricade noire, puis s’engagent sur le perfide piège pour rejoindre l’avant-garde, qui chemine comme si de rien n’était. En voilà une de prise, en voilà quatre, en voilà dix qui se débattent engluées. Le pic ne bouge pas ; il attend que la brochette soit au grand complet. Son attente n’est pas longue : la langue surchargée de gibier rentre au fond du bec. Voilà une bouchée. Sans désemparer, les mêmes manœuvres recommencent, la langue est couchée à terre et retirée noire de fourmis, jusqu’à ce que le pic soit rassasié.

Émile. — Les bêtes ont plus d’esprit qu’on ne pense, nous disiez-vous tantôt ; cette ruse du pic me le fait bien voir. Au lieu de les becqueter une à une, travail bien long avec un gibier si petit, le pic prend les fourmis par douzaines à la fois. Il étale sa langue à terre sur leur passage, la retire quand elle est chargée de fourmis engluées, et c’est fait. Au moins, de la sorte, la bouchée en vaut la peine. Qui se serait avisé de faire un piège de la langue, un piège où le gibier se prend à la glu ?

Paul. — Sa passion pour les fourmis ne fait pas oublierPic-vert.
Pic-vert.
au pic son rôle de conservateur des forêts. Il grimpe, toujours en montant, contre les troncs d’arbre, sondant les points malades et donnant des coups de bec qui retentissent au loin comme le choc d’un marteau. Si quelque passant le surprend au travail, le pic ne fuit pas tout d’abord ; il tourne comme l’écureuil autour du tronc et va de l’autre côté, d’où il aventure un peu la tête pour voir venir. Si l’homme avance, le pic continue son circuit, se tenant toujours à l’opposite, jusqu’à ce que la crainte le gagne. Il s’envole alors en jetant son hourra sonore : tiacacan, tiacacan. Il vole par élans et par bonds, il plonge, se relève et décrit dans l’air une série d’arcades ondulées.

Il creuse, pour l’établissement de son nid, un trou profond dans les arbres à bois tendre, comme les sapins et les peupliers. Le mâle et la femelle travaillent à grands coups de bec, en se relayant au plus difficile de l’ouvrage, au percement de la partie vive du tronc, jusqu’à ce qu’ils atteignent le centre vermoulu. Les copeaux, la poussière de bois, les éclats cariés, sont rejetés au dehors avec les pieds ; enfin le trou est rendu si oblique et si profond que la lumière du jour ne peut y pénétrer. Les petits sortent du nid bien avant qu’ils sachent voler. On les voit s’exercer autour du tronc natal, apprendre à grimper, circuler en spirale autour du tronc, s’accrocher le dos en bas. Je vous recommande leurs amusantes évolutions si vous avez jamais la bonne fortune d’assister aux ébats d’une jeune famille de pics.

Le pic-épeiche est de la taille d’une grive. Il a sur la nuque une large bande transversale rouge. Le dessus du corps est joliment varié de blanc pur et de noir intense, le dessous est blanc jusqu’au bas-ventre, qui est rouge, ainsi que le croupion. La femelle n’a pas de rouge à la nuque. Sa nourriture est la même que celle du pic-vert. Il frappe contre les arbres des coups plus vifs et plus secs ; si quelque chose lui porte ombrage, il se tient immobile derrière une grosse branche, le regard toujours fixé sur l’objet qui l’inquiète. Son cri est une espèce de grincement enroué : tre, re, re, re, re.

Le pic varié ressemble beaucoup à l’épeiche pour le plumage. Il est un peu moins grand. Il est orné d’une calotte rouge qui lui couvre tout le dessus et le derrière de la tête, tandis que l’épeiche n’a qu’une bande de cette couleur sur la nuque. Le pic varié et l’épeiche habitent l’un et l’autre les grands districts forestiers de la France ; ils vivent du même régime : insectes, larves perforant le bois et fourmis. Tous les deux, par leur costume de velours noir écussonné de blanc, el leur calotte écarlate, méritent de figurer parmi les plus jolis oiseaux de nos pays.

Joignons-y l’épeichette, le plus petit de nos pics. Sa taille est celle d’un moineau, son costume est celui de l’épeiche. Cet oiseau habile presque exclusivement les forêts de sapins de l’Est et des Pyrénées.

Le torcol est voisin des pics par la conformation de ses pattes, dont les quatre doigts se divisent en deux paires, l’une dirigée en avant, l’autre en arrière ; par sa langue très longue et enduite de glu, qu’il darde dans les fourmilières ou qu’il étale à terre pour cueillir les insectes qui passent. C’est un petit oiseau de la taille d’une alouette. Son plumage est ondé de noir, de brun, de gris et de roussâtre, à peu près comme celui de la bécasse, mais les teintes sont plus nettes et d’un plus bel effet. Le torcol est un grand consommateur de chenilles ; il est passionné pour les fourmis, qu’il prend, à la manière des pics, avec sa langue visqueuse couchée à terre sur leur passage. Son nom lui vient de l’habitude qu’il a de tordre et de tourner le cou en arrière, en renversant la tête vers le dos, avec des mouvements lents et onduleux pareils à ceux d’une couleuvre.

Émile. — Pourquoi fait-il ainsi le serpent avec son cou tourné en arrière ?

Paul. — C’est une manière à lui d’exprimer la surprise et l’effroi ; il veut peut-être, par ces replis tortueux de reptile, intimider son agresseur. Il y parvient quelquefois. Si quelque dénicheur grimpe à son trou pour lui dérober ses petits, le torcol jette du fond du nid un sifflement aigu et se met à faire onduler le cou. Les petits, encore sans plumes, à qui mieux mieux, imitent la mère, si bien que le dénicheur croit avoir mis la main dans un paquet de couleuvres, redressant et branlant leurs têtes plates. Effrayé, le gamin descend à la hâte, non sans laisser aux branches un lambeau de sa culotte.

Émile. — Tant pis pour le vaurien.

Paul. — Le torcol nous arrive en avril et repart vers la fin de l’été. Il se tient sur la lisière des bois, et visite les jardins et les vergers pour écheniller. Il niche dans un trou d’arbre, et profite volontiers des travaux abandonnés du pic, qu’il dispose à sa façon par une légère retouche. Les œufs reposent sur une simple couchette de poussière de bois que l’oiseau fait tomber à coups de bec des parois de son trou. Ils sont blancs et vernissés, comme ceux du pic.

Malgré la conformation de ses pieds, le torcol ne grimpe pas contre les arbres, rarement même il se perche ; il préfère se tenir à terre pour rechercher des chenilles ou pour tirer la langue sur le sentier des fourmis, ce qui lui a valu dans les provinces du Midi le nom de tire-langue.

La sittelle, au contraire, quoique éloignée des pics par la disposition des pieds, est un grimpeur de premier mérite, qui passe la vie à circuler autour des troncs d’arbre, inspectant les fissures, refuge des insectes, et frappant du bec les vieilles écorces. Trois de ses doigts sont dirigés en avant, le quatrième est seul en arrière ; mais pour la solidité de la station ce dernier en vaut deux, tant il est large et fort, tant l’ongle qui le termine est robuste et crochu. Le bec rappelle celui du pic : il est droit, taillé à facettes et pointu. C’est un excellent outil pour fouiller le bois et en retirer les vers. LaSittelle ou torche-pot.
Sittelle ou torche-pot.
langue ne s’allonge pas comme celle des pics pour engluer les insectes ; la queue ne sert pas de point d’appui.

La sittelle explore les vieux arbres en tous sens, tantôt montant et descendant le long du tronc en tournant en spirale, tantôt visitant une branche par-dessus, par-dessous, de côté. Chaque fente est sondée de la pointe du bec, avec un cri : tuî, tuî, tuî, à chaque instant répété d’une voix forte. Bien peu d’insectes doivent échapper à des recherches aussi minutieuses. Si le vermisseau manque, la sittelle fait un frugal repas d’une noisette, fille commence par l’assujettir solidement dans l’enfourchure de deux branches, puis la pioche du bec, en s’encourageant de la voix, jusqu’à ce qu’elle ait percé la robuste coque et mis l’amande à découvert.

Jules. — Ce doit être un travail bien long pour l’oiseau que de percer une noisette avec le bec.

Paul. — Mais non, c’est très prestement fait, tant le bec est dur et pointu. Très prestement encore, la sittelle mise en cage perce la paroi de bois de sa prison et pratique une issue suffisante pour lui livrer passage. Le pic n’a pas un meilleur ciseau de charpentier.

La sittelle est à peu près de la grosseur du moineau. Elle a tout le dessus d’un cendré bleuâtre, la gorge et les joues blanches, la poitrine et le ventre roux. Une bande noire, partant du coin du bec, passe au-dessus de l’œil et s’étend sur les côtés du cou. Cet oiseau niche dans un trou d’arbre, dont il sait au besoin rétrécir l’ouverture trop grande avec un bourrelet de terre grasse. Les œufs, au nombre de cinq à sept, sont déposés sur de la mousse ou de la poussière de bois. Ils sont d’un blanc sale et pointillés de roux. Je ne saurais vous dire pour quels motifs on donne à la sittelle, dans quelques provinces, le singulier nom de torche-pot.