Les Avadânas, contes et apologues indiens/103

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (2p. 95-97).


CIII

LE ROI ET L’HOMME CALOMNIÉ.

(Des choses inutiles.)


Il y avait jadis un homme qu’on accusait de raconter les fautes et les crimes du roi. « Le roi, disait-il, est dur et cruel, et il gouverne d’une manière absurde. »

Le roi ayant appris ces propos, entra en fureur, et ne songea pas à s’assurer de la vérité. Il n’écouta que ses favoris, et, s’étant emparé de cette homme sage, il lui fit couper sur le dos cent onces de chair. Plus tard, il fut clairement prouvé qu’il n’avait point proféré de telles paroles. Le roi se repentit de ce qu’il avait fait, et se procura mille onces de chair. Mais, au milieu de la nuit, cet homme poussa des cris douloureux. Le roi ayant entendu ses plaintes, lui demanda pourquoi il souffrait. « Je vous ai enlevé, dit-il, cent onces de chair, et je vous en ai rendu dix fois autant ; est-ce que vous n’êtes pas content ? Pourquoi paraissez-vous souffrir cruellement ?

— Sire, dirent au roi ses serviteurs, si l’on vous coupait la tête, on aurait beau vous donner mille têtes, vous n’échapperiez pas à la mort. Bien que cet homme ait reçu dix fois autant de chair qu’on lui en a coupé, comment voulez-vous qu’il ne souffre pas ? »

(Extrait de l’Encyclopédie Fa-youen-tchou-lin, livre XLIV.)