Les Avadânas, contes et apologues indiens/26

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 110-114).


XXVI

LE LION, LE TIGRE ET LE CHACAL.

(Craignez les calomniateurs.)


Il y avait jadis deux animaux féroces qui faisaient société ensemble. L’un s’appelait le lion Soudancht’ra, et l’autre le tigre Sougraha. Nuit et jour, ils épiaient et prenaient des cerfs et des daims. Dans ce même temps, il y avait un chacal qui marchait derrière ces animaux, et vivait des restes de leurs proies.

Un jour, il se dit en lui-même : « Je ne puis les suivre longtemps. Il faut que je les brouille et les déchaîne l’un contre l’autre, pour qu’à l’avenir ils ne marchent plus côte à côte. »

Il alla trouver, dans sa demeure, le lion Soudancht’ra et lui parla ainsi : « Le tigre Sougraha m’a dit qu’il était supérieur à vous, par le lieu de sa naissance, par sa famille, par la beauté de son corps, par sa force et sa puissance.

— Comment cela, lui demandai-je ?

— Chaque jour, dit-il, je trouve des mets succulents. Le lion Soudancht’ra marche à ma suite et il est heureux de vivre de mes restes.

— Comment avez-vous pu savoir cela ? lui demanda Soudancht’ra.

— Vous deux, répondit-il, vous vous réunissez dans le même endroit. Je vous ai vus, et j’ai pu m’en convaincre moi-même. »

Il alla ensuite trouver le tigre Sougraha et lui parla ainsi : « Soudancht’ra m’a dit l’autre jour : « Maintenant je l’emporte sur Sougraha par le lieu de ma naissance, par ma famille, par ma force et ma puissance.

— Comment cela ? — Je me repais de chairs succulentes, et le tigre Sougraha mange mes restes pour se nourrir. »

— Comment savez-vous cela ? lui demanda Sougraha.

— Vous deux, répondit-il, vous vous réunissez dans le même lieu ; je vous ai vus, et j’ai pu m’en convaincre par moi-même. »

Quelque temps après, comme le lion et le tigre se trouvaient ensemble dans le même endroit, ils se regardèrent mutuellement d’un œil irrité.

Le lion Soudancht’ra se dit en lui-même : « Je ne puis m’empêcher d’interroger mon compagnon ; puis, je commencerai par mettre la patte sur lui et je l’étranglerai. »

Il se tourna vers le tigre et prononça ce gâthâ : « Par la beauté de mon corps, par ma naissance, et par ma grande force, je l’emporte sur le lion. « Soudancht’ra ne me vaut pas. » Sougraha a-t-il dit cela ? Je pense en moi-même que cela vient absolument du chacal qui voudrait nous déchaîner l’un contre l’autre. »

Le tigre Sougraha ayant prononcé un gâthâ dans le même sens, le lion Soudancht’ra se jeta sur le chacal et le tua.

Dans ce temps-là, le Bouddha dit aux religieux : « Ces deux animaux avaient été désunis par le chacal. Quand ils se trouvèrent ensemble dans le même endroit, ils se regardèrent l’un l’autre d’un œil irrité. À plus forte raison, les hommes qu’un autre aura désunis, ne pourront s’empêcher de lui montrer leur indignation. »

(Extrait de l’Encyclopédie Fa-youen-tchou-lin, livre LXXVI.)