Les Avadânas, contes et apologues indiens/35

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Traduction par Stanislas Julien.
Paris B. Duprat (1p. 141-143).


XXXV

LE RELIGIEUX ET LA TORTUE.


Jadis, lorsque le Bouddha vivait dans le monde, il y avait un religieux qui demeurait au bord d’un fleuve. Assis tranquillement sous un arbre, il s’appliquait à obtenir l’intelligence (Bôdhi). Douze ans s’étant écoulés sans qu’il se délivrât de la convoitise, il ne put obtenir l’intelligence. Le Bouddha, sachant qu’il était en état d’être converti, prit la figure d’un Çraman’a, se rendit auprès de lui pendant la nuit et s’endormit à ses côtés. Au bout de quelques instants, comme la lune brillait de tout son éclat, une tortue sortit d’un fleuve et vint au pied de l’arbre. Ensuite arriva une loutre affamée qui, cherchant de la nourriture, rencontra la tortue et voulut la dévorer.

Mais la tortue rentra sous sa carapace sa tête, sa queue et ses quatre pieds, de sorte que la loutre ne put en faire sa proie. La loutre s’étant un peu éloignée, la tortue sortit encore la tête et les pieds, et se mit à marcher comme auparavant. Se voyant encore menacée, elle déroba de nouveau sa tête et ses pieds, et échappa ainsi au danger.

Le religieux interrogea le personnage transformé en Çraman’a[1], et lui dit : « Cette tortue, ayant une cuirasse qui protège sa vie, la loutre affamée n’a pu saisir l’occasion qu’elle cherchait. »

— Je pense, dit le Çraman’a, que les hommes n’ont pas la prudence de cette tortue. Ils ne songent point à la mort et s’abandonnent aveuglément aux six affections[2]. Les démons du dehors profitent de cette occasion. Le corps de l’homme périt et son âme l’abandonne.

(Extrait de l’ouvrage intitulé : Fa-kiu-pi-yu-king.)
  1. Ce mot sanscrit signifie un religieux bouddhiste.
  2. C’est-à-dire : Les affections qui naissent de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, du goût, du (contact) du corps (Sparça) et de la pensée (Kiao-ching-fa-sou, livre VI, fol. 3.)