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Les Aventures d'un blaireau

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Les Aventures d’un blaireau
Illustrations par Benjamin Rabier.
Garnier Frères.


Les aventures
d’un BLAIREAU

Le blaireau CAMBOUIS avait pour voisin le renard Faupli.


Un jour Cambouis dit à Faupli : — J’ai pêché deux belles carpes… En voici une ; l’autre est dans la poêle pour mon déjeuner. Malheu­reuse­ment le pain me manque pour compléter mon repas.


— À la maison, j’en ai, moi, une grande quantité répondit le renard tout en regardant
d’un œil de convoitise l’appétissante carpe, et si tu veux, je te propose un marché : donne-moi cette carpe, et, en échange, je t’apporterai du pain en abondance…


— Soit : j’accepte dit Cambouis ;
et aussitôt de remettre à Faupli, souriant et ravi, la belle carpe convoitée.


Le lendemain, le renard vint trouver le blaireau pour s’acquitter de sa dette. Il portait un petit sac en papier qu’il remit bien vite à son créancier d’un jour.


— Qu’est-ce que c’est que ça ? interrogea Cambouis… Ne devais-tu pas m’apporter du pain ?

— C’est en effet du pain que je te devais, mais, ce sac contient des grains de blé… Tu les sèmeras et en Novembre après avoir labouré ton champ…

À la moisson prochaine, tu récolteras ton blé que tu porteras au moulin ; et je veux être pendu si tu ne retires pas au moins douze kilogrammes
de pain… Et, ayant ainsi parlé, Faupli se retira, laissant le blaireau furieux d’avoir été roulé.


À quelques temps de là, au détour d’un
chemin, Cambouis rencontra Faupli, qui portait sur ses épaules un sac et qui paraissait harassé de fatigue.

— Eh là, compère, que portes-tu de si lourd ?

— Un sac qui contient trois lapins que je viens d’acheter au marché et je n’en puis plus, dit Faupli en posant à terre son fardeau.


— Mais je connais un moyen d’alléger le poids de tout ce qu’on porte, insinua le blaireau…


— Vraiment !… Que faut-il faire ?

— Rien n’est plus simple : quand tu seras fatigué, tu t’arrêteras et tu
prononceras ces trois mots : « crupi » « crupa » « crupo » ; tout en donnant cette indication, Cambouis avait eu le temps de fendre le sac à l’aide d’un couteau.

Terrassé par la lourdeur de son fardeau, Faupli s’arrêta et prononça les fameux mots « crupi » « crupa » « crupo »…


À cet instant, un lapin passa son corps par la fente du sac et prit la clé des champs.


— Mais c’est merveilleux… s’écria, ravi, notre renard… mon fardeau est bien moins lourd que tout à l’heure… Et, ce disant,
il répéta les fameux « crupi » « crupa » « crupo »… Il n’avait pas terminé qu’un second lapin s’échappait de son sac.

— Formidable… pensa Faupli, dans on élan d’admiration… le poids diminue comme à volonté ; et pour la troisième fois il s’écria « crupi » « crupa » « crupo »…
Le dernier lapin prisonnier s’enfuit alors : et le renard, enthousiasmé de ce que son sac n’était pour ses épaules qu’un sac de plumes, jeta un cri de joie…


En arrivant chez lui, il laissa tomber son sac et appelant
Madame Renard et les petits renardeaux, leur dit :

— Voici de quoi faire bombance pendant une semaine.


— N’es-tu pas fou, reprit Madame Renard, qui avait tâté le sac ? Tu veux nous faire manger du vide à présent ?

— Bandit, hurla Faupli…
Ce Cambouis m’a roulé…

Pendant cette petite scène de ménage,
les trois lapins rescapés allaient remercier leur sauveur. Car ils avaient entendu la conversation échangée entre Faupli et Cambouis.

Un matin d’hiver, le renard rapporta de sa promenade quotidienne un sac de noisette…


Il vint trouver Cambouis et lui dit : J’ai trouvé un sac de noisettes ; mais ce n’est pas avec ça que je vais pouvoir me réchauffer…

— Moi, j’ai sur le feu un excellent café, répondit le blaireau… Je t’en donnerai un plein pot et tu me le paieras avec tes noisettes… Cela te va ?

— Parfait, ça me va, dit le renard… et il reçut de Cambouis un plein pot de liquide fumant tout noir, que le très astucieux blaireau avait baptisé « café »…


— Mais comme il est très chaud mon café, avait ajouté le blaireau, tu feras bien, renard, quand tu passeras sur le bord de l’étang, de poser un peu ce pot sur la glace…

Et en attendant qu’il soit à bonne température, tu n’auras qu’à regarder voler les alouettes. Le renard fit exactement ce que lui avait conseillé le blaireau. Il avait posé le pot sur la glace et il regardait les alouettes voler…

Quand Faupli voulut reprendre son pot de café, il ne vit plus qu’un carpillon, émergeant d’un trou et dont l’air moqueur était significatif. Faupli rentra chez lui, déçu et hurlant à l’adresse de ce maudit Cambouis des vociférations de rage ; et pendant ce temps, un brave brocher ramassait au fond de
la rivière, le pot vide de café et le rapportait à son possesseur… Cambouis qui adorait les noisettes avait eu, ce jour-là, un succulent dessert…

Sous prétexte d’apaiser la colère du renard, le blaireau alla vers lui et lui tint ce langage :

— Faupli, je veux te faire un cadeau… Vois ce joli caneton… eh bien, je te l’offre… nourris-le de vers et de grenouilles ; et à Noël, quand il sera bien gris et bien gras, nous le mangerons ensemble. Tu vois si je suis gentil…


— Bien !… répondit le renard… j’accepte.

— Émilienne, dit Faupli à sa femme, voici un cadeau que vient de me faire Cambouis…

— Nous l’engraisserons ; mais n’oublions pas de lui lier les pattes afin qu’il ne puisse sortir d’ici. On installa donc le caneton, aux pattes liées, dans un grand plat, et on l’engraissa copieu­sement avec vers et gre­nouilles. Deux mois de ce régime ; et le petit caneton était devenu un splendide canard long de cinquante centimètres au moins. Sa mine était réjouis et son jabot rebondi. En le regardant, les renards se léchaient les babines…

Un jour, pour lui faire prendre l’air, ils avaient placé le canard sur un tronc d’arbre, Faupli s’amusa à lui confectionner un superbe collier, tout fait de saucisses dérobées peu de temps avant dans une ferme.

— Demain, dit-il, nous le mangerons ainsi paré de ce collier, mais nous n’inviterons pas ce satané Cambouis. À ce moment, un corbeau qui tenant dans son bec une fourchette, volée dans une cour de ferme, lâcha l’instrument qui vint malencontreusement se planter


sur le dos du canard… La pauvre bête jeta un cri de douleur et se mit à battre désespérément des ailes. Ce mouvement le souleva à ce point qu’il se mit à voler, disparaissant devant les yeux des renards, absolument ahuris de cet envol imprévu. Le canard arrêta sa course devant le domicile de Cambouis ; et comme les saucisses lui faisaient toujours cortège, notre blaireau put s’offrir un des meilleurs déjeûners de sa vie.