Les Aventures de Nigel/Chapitre 17

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Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 17p. 232-248).


CHAPITRE XVII.

LE SANCTUAIRE DE WHITE-FRIARS.


Écoutez-moi, venez ici, jeune homme… Vous vous trouvez parmi des hommes d’épée qui vivent de leur réputation plus que de leur revenu annuel. Ils n’ont qu’un seul habit, j’en conviens ; mais cela ne les empêche pas de maintenir un millier de grenadiers. Et ce sont des hommes qui, en hasardant tout ce qu’ils ont, leurs vêtements, leurs biens, leur corps périssable et leur âme immortelle, ne hasardent au fond rien du tout, puisque rien de tout cela ne leur appartient plus, leurs habits étant au fripier, leurs biens à l’usurier, leur corps à la maladie, qui le dévore, et leur âme à l’esprit malin, qui rit de voir des fous et des spadassins jouer son rôle sur la terre mieux que lui-même.
Les Mohocks.


« Il faut, dit Reginald Lowestoffe, que Votre Seigneurie se résigne à échanger son élégante rapière de courtisan, que je lui garderai avec soin, contre ce sabre qui a cent livres pesant de rouille à la poignée, et à vêtir ces larges hauts-de-chausses, au lieu du vêtement, plus décent et plus modéré dans son ampleur, que vous portez maintenant. Nous ne mettrons pas de manteau, car nos Alsaciens marchent toujours in cuerpo, ; et ce justaucorps de velours râpé avec sa broderie froissée, et, je suis fâché de le dire, avec quelque jus de la grappe, conviendra mieux au costume d’un tapageur. Je vais vous laisser un instant vous habiller : je reviendrai tout à l’heure vous aider pour le reste. »

Lowestoffe se retira pendant que Nigel suivait avec lenteur et hésitation les instructions que son jeune ami venait de lui donner. Il éprouvait de la répugnance et du dégoût à se cacher sous ce misérable costume ; mais quand il réfléchissait au châtiment sanglant que la loi infligeait à l’acte de témérité et de violence qu’il avait commis, au caractère facile et insouciant de Jacques, aux préventions et à l’influence tyrannique du duc de Buckingham, qui, jetées dans la balance, seraient d’un poids terrible contre lui ; et surtout quand il songeait qu’il devait maintenant regarder l’artificieux, l’insinuant Dalgarno comme son plus cruel ennemi, la raison lui disait qu’une situation aussi périlleuse l’autorisait à employer tout moyen honnête, quelque désagréable qu’il fût.

Pendant qu’il se rhabillait en rêvant à tout cela, l’obligeant étudiant rentra dans la chambre à coucher. « Morbleu ! dit-il, milord, il est fort heureux que vous ne soyez pas entré tout droit dans notre Alsace comme vous en aviez l’intention, car les faucons s’y sont abattus. Voilà Jimp qui vient de m’apprendre qu’il y a vu entrer un huissier porteur d’un mandat du conseil privé, avec une douzaine de satellites armés jusqu’aux dents : le cor que vous avez entendu sonner était pour rassembler tous les Alsaciens. Cependant, quand le vieux duc Hildebrod a vu que l’objet de la recherche était un individu qu’il ne connaissait pas, il a permis, par courtoisie, aux dénicheurs d’hommes de faire une descente dans ses états, étant bien certain que cela ne leur servirait pas à grand’chose, car le duc Hildebrod est un très-judicieux potentat. Retournes-y, petit drôle, et reviens nous dire quand tout sera tranquille. — Et qui est donc ce duc Hildebrod ? demanda lord Glenvarloch. — Morbleu ! milord, y a-t-il si long-temps que vous êtes dans la ville sans avoir entendu parler du vaillant, du sage, du politique duc Hildebrod, le grand protecteur des libertés de l’Alsace ? Je croyais que tout homme qui avait secoué des dés devait le connaître de réputation. — Et cependant je n’en ai jamais entendu parler, maître Lowestoffe, dit lord Glenvarloch ; ou, ce qui revient au même, je n’ai fait aucune attention à ce qu’on a pu dire de lui devant moi. — Eh bien donc, reprit Lowestoffe… mais d’abord permettez-moi d’avoir l’honneur de vous aider : remarquez, je vous prie, que je laisse quelques-unes des aiguillettes dénouées exprès, et s’il vous plaît de laisser voir un peu de votre chemise entre votre justaucorps et la ceinture de votre pantalon, cela vous donnera un air de libertin qui ne peut que faire bon effet, et vous attirer de la considération en Alsace où le linge est assez rare. Maintenant j’attache quelques-unes des pointes de travers, car un garnement du bon genre ne doit pas être habillé avec trop de soin. — Arrangez cela comme vous voudrez, monsieur ; mais apprenez-moi du moins quelques-uns des règlements du malheureux district où, semblable à d’autres misérables, je suis forcé de me retirer. — Eh bien donc, milord, les états voisins d’Alsace, que la loi appelle le sanctuaire de White-Friars[1] ont eu leurs mutations et leurs révolutions comme de plus grands royaumes ; et le gouvernement y étant mal réglé et arbitraire, il s’ensuit qu’elles ont été plus fréquentes que dans nos communautés mieux ordonnées du Temple, de Gray’s-Inn, et autres associations. Nos traditions et nos annales parlent de vingt révolutions dans le cours des douze dernières années, pendant lesquelles ledit état a passé successivement du despotisme absolu au républicanisme, sans oublier les degrés intermédiaires, tels que l’oligarchie, la monarchie limitée, et même la gynocratie ; car je me rappelle moi-même avoir vu l’Alsace gouvernée neuf mois durant par une vieille marchande de poisson ; puis elle tomba au pouvoir d’un procureur banqueroutier, qui fut détrôné par un capitaine réformé, lequel, s’étant montré tyran, fut déposé à son tour par un prédicateur des champs ; et celui-ci ayant abdiqué, eut pour successeur le duc Jacob Hildebrod, le premier du nom : que Dieu le leur conserve ! — Et le gouvernement, de ce potentat, » demanda lord Glenvarloch en s’efforçant de prendre quelque intérêt à la conversation, « est-il d’un caractère despotique ? — Pardonnez-moi, milord, reprit l’étudiant du Temple, ledit souverain sait trop bien ce qu’il y aurait d’odieux à exercer, comme beaucoup de ses prédécesseurs, une sorte de dictature. Il a établi un conseil d’état qui se rassemble régulièrement tous les jours à sept heures pour boire le coup du matin ; à onze pour l’ante meridiem, second coup pour s’aiguiser l’appétit ; et qui enfin se réunit en un conclave solennel, à deux heures après midi, pour délibérer à table sur les intérêts de la république : il est si prodigue de son temps et de ses travaux pour le service de l’état, qu’il se sépare rarement avant minuit. Ce digne sénat est composé en grande partie des prédécesseurs du duc Hildebrod dans sa haute dignité, fonctionnaires qu’il a eu soin de s’associer pour échapper à l’envie qui s’attache toujours à l’autorité souveraine et sans partage. C’est à lui que je vais présenter tout à l’heure Votre Seigneurie pour qu’il l’admette aux privilèges des Alsaciens et lui assigne un lieu de résidence. — Son autorité s’étend-elle jusque-là ? demanda lord Glenvarloch. — Le conseil regarde ce droit comme un de ses principaux privilèges, milord, répondit Lowestoffe, et dans le fait c’est un des moyens les plus puissants qu’il ait de soutenir son autorité ; car lorsque le duc Hildebrod et son sénat s’aperçoivent que quelqu’un des principaux maîtres de maison de White-Friars commence à devenir mécontent et factieux, ils n’ont qu’à lui assigner pour locataire un gras banqueroutier ou un nouveau résident que ses affaires obligent à se réfugier parmi eux, et dont la bourse est en état de supporter certains frais, et le mécontent devient doux comme un mouton. Quant aux plus pauvres réfugiés, on les laisse s’arranger comme ils peuvent : seulement ils sont tenus de se faire inscrire sur les registres du duc et de payer un droit d’entrée conforme à leurs moyens. Le sanctuaire de White-Friars serait une résidence très-peu sûre pour quiconque oserait contester ces points de juridiction… — Fort bien, maître Lovestoffe ; je suis obligé de céder à la force des circonstances qui me prescrivent de me cacher ainsi ; mais vous concevez bien que je ne désirerais pas qu’on sût mon nom et mon rang. — Il sera fort convenable de le cacher, milord, et c’est un cas que les statuts de la république, ou monarchie, ou enfin tout ce que vous voudrez l’appeler, ont ainsi prévu… Celui qui désire qu’on ne lui fasse aucune question sur son nom, sur l’affaire qui l’oblige à se cacher, etc., peut échapper aux interrogations ordinaires en payant un droit d’entrée double. Après avoir satisfait à cette stipulation importante, Votre Seigneurie peut s’inscrire, s’il lui plaît, roi de Bantam, car on ne lui fera pas une question. Mais voici notre éclaireur qui nous rapporte la nouvelle du rétablissement de la paix et de la tranquilité… Je vais accompagner moi-même Votre Seigneurie et la présenter au conseil d’Alsace, avec toute l’influence que j’y puis avoir comme un des dignitaires du Temple, et je vous assure qu’elle n’est pas médiocre ; car les Alsaciens n’ont volé que d’une aile toutes les fois que nous avons pris parti contre eux, et ils le savent bien. Le moment est propice ; le conseil est maintenant assemblé dans l’Alsace, et les allées du Temple sont désertes. Milord, jetez votre manteau sur vous afin de cacher votre extérieur pour le moment ; vous le remettrez au garçon quand nous serons au pied de l’escalier qui conduit au sanctuaire ; et comme la ballade dit que la reine Éléonore tomba à Charing-Cross, et se releva à Queen-Hithe[2], ainsi vous laisserez votre noblesse dans les jardins du Temple, et vous entrerez en Alsacien dans White-Friars. »

Ils sortirent en effet accompagnés du petit domestique qui leur servait de vedette, traversèrent les jardins, descendirent l’escalier, et quand ils furent en bas, le jeune étudiant s’écria : Maintenant chantons avec Ovide :


In nova fert animus mutatas dicere formas[3]
Corpora


À bas, à bas, vêtements empruntés ! » continua-t-il du même ton, « à bas le manteau qui couvrait Borgia !… Mais, milord, » dit-il en baissant la voix lorsqu’il vit que lord Glenvarloch paraissait réellement peiné de ce changement humiliant de situation… « j’espère que vous n’êtes point offensé de toutes les folies que je débite ? Je voulais essayer de vous réconcilier avec les circonstances où vous vous trouvez, et monter votre esprit au ton du lieu singulier où nous allons entrer. Allons, un peu de fermeté ; j’espère que vous n’y ferez qu’une courte résidence. »

Nigel ne put que lui serrer la main en lui disant à voix basse : « Je suis sensible à l’intérêt que vous me témoignez… Je sais qu’il faut boire la coupe que ma folie m’a préparée… pardonnez-moi si, en y portant mes lèvres, le goût au premier abord m’en paraît si amer. »

Reginald Lowestoffe était serviable, officieux et bon enfant, mais habitué à une vie de dissipation et de folie ; il n’avait pas la moindre idée de l’étendue des souffrances intérieures de lord Glenvarloch, et regardait sa retraite momentanée du même œil que le tour qu’un jeune espiègle joue à son précepteur, lorsqu’il se cache pour le faire chercher… D’ailleurs ce lieu lui était déjà familier ; mais son aspect fit sur son compagnon une impression profonde.

L’ancien sanctuaire de White-Friars était situé beaucoup plus bas que les terrasses élevées et les jardins du Temple, et par conséquent il se trouvait souvent enveloppé dans les brouillards et les vapeurs humides qui s’élevaient de la Tamise. Les bâtiments en brique qui couvraient cet emplacement étaient amoncelés les uns sur les autres, car dans un lieu qui jouissait d’un privilège si rare, chaque pouce de terrain était précieux. Cependant la plupart des maisons ayant été élevées par des gens dont les fonds étaient insuffisants pour leurs spéculations, étaient incomplètes, et offraient le déplorable spectacle de constructions toutes fraîches encore, qui déjà tombaient en ruine. Les cris des enfants, la voix grondeuse des mères, la vue des misérables haillons qui séchaient aux croisées, tout indiquait les besoins et la misère des malheureux habitants ; tandis que, par un affligeant contraste, les gémissements étaient couverts par les cris tumultueux de la débauche, les jurements profanes, les chansons licencieuses et les rires bruyants qui sortaient des cabarets et des tavernes, comme l’indiquaient de nombreuses enseignes : il y en avait autant que de maisons. Enfin, on voyait aux fenêtres des femmes au visage flétri et couvert d’un pied de rouge, vêtues de sales chiffons et ornées de faux clinquant, qui annonçaient leurs prétentions et leur misère, et qui fixaient sur les étrangers un regard hardi, ou, avec une modestie affectée, semblaient s’occuper de quelques pots de fleurs ébréchés, dans lesquels croissaient le réséda et le romarin, et qui en garnissaient le devant de leurs croisées, au grand danger des passants.

« Semi reducta Venus[4], » dit le Templier, en montrant une de ces nymphes qui semblait craindre d’être vue, et se cachait à demi derrière la croisée en parlant à un misérable merle emprisonné dans une cage d’osier suspendue en dehors du mur de la maison. « Je connais les traits de cette belle, continua le Templier, et je parierais un noble à la rose, d’après la posture dans laquelle elle se tient, qu’elle a un bonnet blanc et une camisole sale… Mais tenez, voici deux des habitants de l’autre sexe fumant comme des volcans ambulants… ce sont des tapageurs de la bonne espèce, pour qui les produits de Nicotia et de la Trinité remplacent le bœuf et le pouding ; car il faut que vous sachiez, milord, que la prohibition du roi contre la feuille qui nous vient des Indes n’a pas plus cours ici que son mandat de capias[5]. »

Pendant qu’il parlait, les deux fumeurs s’approchèrent… C’étaient deux hommes à mines de brigand : leurs énormes moustaches rejoignaient leurs oreilles et se mêlaient aux mèches éparses de leurs cheveux, qu’on apercevait sous le vieux castor placé de travers sur leur tête, et dont une partie s’échappait par les trous dudit chapeau. Leurs vestes de pluche passée, leurs larges pantalons, leurs ceinturons gras et sales, leurs écharpes déteintes, et surtout l’espèce d’ostentation avec laquelle l’un portait son sabre, et l’autre un poignard et une rapière d’une longueur extravagante, offraient l’accoutrement obligé d’un ferrailleur alsacien, caractère bien connu alors, et qui continua de l’être pendant environ un siècle.

« Regarde, » dit l’un de ces drôles à l’autre, « comme cette fille fait la coquette avec ces étrangers. — Je flaire un espion, » dit l’autre en regardant Nigel ; « enfonce-lui ton poignard dans les yeux. — Doucement, doucement, reprit le premier ; celui qui l’accompagne est Reginald Lowestoffe, qui a la langue si bien pendue… Je le connais, c’est un bon garçon et un familier de la province… »

Là-dessus ils répandirent de nouvelles bouffées de fumée, et continuèrent leur route sans rien ajouter.

« Crasso in are[6], dit l’étudiant, vous voyez la belle réputation que me font ces coquins… Mais si cela peut être utile à Votre Seigneurie, j’en prends volontiers mon parti. Et maintenant permettez-moi de vous demander, milord, quel nom vous voulez prendre, car nous sommes près du palais du duc Hildebrod ? — Je m’appellerai Grahame ; répondit Nigel ; c’était le nom de ma mère. — Grime[7], répéta l’étudiant, cela conviendra très-bien à l’Alsace ; car c’est un lieu où l’on n’entre pas sans faire la grimace, et qui vous la fait aussi. — J’ai dit Grahame, » reprit Nigel d’un ton un peu bref, en appuyant avec force sur la voyelle ; car les Écossais en général n’entendent pas raillerie au sujet de leur nom.

« Je vous demande pardon, milord, » répondit l’imperturbable calembouriste ; « mais graam ne conviendra pas moins à la circonstance ; car ce mot veut dire, en bon allemand, tribulation, et, dans ce moment, Votre Seigneurie peut être considérée comme un homme qui n’en manque pas. »

Nigel ne put s’empêcher de rire de la persévérance de l’étudiant, et celui-ci, lui montrant une enseigne représentant ou faite pour représenter un chien attaquant un taureau et lui sautant à la tête, « C’est ici, dit-il, que le brave duc Hildebrod distribue des lois, de l’ale et des liqueurs fortes à ses fidèles Alsaciens… Champion déterminé du jardin de Paris[8] ; il a choisi une enseigne analogue à ses habitudes, et, par état, il donne à boire à ceux qui ont soif, afin de pouvoir lui-même se désaltérer sans payer, et se faire payer par ceux qu’il désaltère… Entrons par la porte toujours ouverte de ce second Axylus. »

En parlant ainsi, ils entrèrent dans cette taverne démantelée, qui cependant avait des dimensions plus vastes et était en moins mauvais état que les autres maisons du voisinage. On y voyait courir çà et là deux ou trois garçons à figure hagarde et dont les yeux, comme ceux du hibou, ne semblaient faits que pour l’obscurité de la nuit, temps où toutes les autres créatures se livrent au sommeil : blessés de l’éclat du grand jour, ils avaient l’air stupide et à moitié endormis. Guidés par un de ces Ganymèdes clignotants, les nouveaux venus entrèrent dans une chambre où les faibles rayons du soleil étaient presque entièrement éclipsés par le volume d’épaisse fumée de tabac qui s’échappait des pipes de la compagnie, et du sein des nuages qui enveloppaient le sanctuaire, sortait une voix qui chantait cette vieille et stupide chanson :


Le vieux sire ou le roi Simon,
Le nez couleur de Malvoisie,
Le bas tombant sur le talon,
Chantait : Égayons notre vie !


Le duc Hildebrod, qui daignait chanter lui-même ce refrain à ses sujets dévoués, était un vieux bonhomme d’une corpulence monstrueuse, qui n’avait qu’un œil, et dont le nez témoignait qu’il buvait souvent et beaucoup, et du plus fort. Il portait une veste de pluche, couleur de mûre, couverte de taches de liqueurs, et fort endommagée des injures du temps ; elle était déboutonnée par le bas pour la commodité de son énorme ventre. Derrière lui était un boule-dogue favori, qui n’avait non plus qu’un œil : sa grosse tête ronde et son embonpoint excessif lui donnaient avec son maître une ressemblance burlesque.

Les conseillers chéris qui entouraient le trône ducal, et l’encensaient de vapeur de tabac, tout en faisant raison à leur maître avec de l’ale trouble et terreuse, et en répétant ses refrains bachiques, étaient les dignes satrapes d’un tel Soudan. La veste de buffle, le large ceinturon et la longue épée de l’un d’eux, faisaient reconnaître en lui un soldat des Pays-Bas ; et son air important et querelleur, son effronterie naturelle, augmentée encore par l’ivresse, convenaient pour soutenir ses droits au titre de ferrailleur. Nigel crut se souvenir qu’il avait déjà vu ce drôle-là quelque part. Un prédicateur des champs[9], ou mendiant à courte robe, suivant le nom peu respectueux qu’on avait donné aux ministres ambulants, était assis à la gauche du duc, et se distinguait aisément à son rabat déchiré, à son chapeau rabattu, et aux lambeaux d’une vieille soutane. À côté du ministre était un vieillard décharné, de l’aspect le plus misérable : sa tête était couverte d’un capuchon de gros drap tout usé, boutonné sous son sale menton, tandis que ses traits desséchés, comme ceux du vieux Daniel, étaient animés par


Un œil qui, défiant l’imbécile vieillesse,
Conservait sa malice et même sa finesse.


À sa gauche était un ci-devant procureur qui, pour quelques malversations, avait été rayé du nombre de ses confrères, et n’avait conservé de son état que la friponnerie. Un ou deux autres personnages moins apparents, parmi lesquels Nigel crut apercevoir encore une figure qui, comme celle du soldat, ne lui était pas inconnue, complétaient le conseil de Jacob, duc Hildebrod.

Les étrangers eurent tout le loisir de faire ces observations ; car soit que Sa Grâce le duc fût entraîné d’une manière irrésistible par les effets de l’harmonie, soit qu’il voulût imprimer aux étrangers une idée convenable de son importance, il jugea à propos de finir sa chanson avant de leur adresser la parole, quoique pendant ce temps il ne cessât de les examiner avec la plus grande attention.

Quand le duc Hildebrod eut fini de chanter, il informa ses pairs qu’un digne officier du Temple était devant eux, et ordonna au capitaine et au ministre d’abandonner leurs fauteuils aux deux étrangers qu’il fît asseoir à sa droite et à sa gauche. Ces nobles représentants de l’armée et de l’église de l’Alsace allèrent se placer au bout de la table, sur un mauvais banc qui, peu en état de supporter des hommes d’un tel poids, fléchit et se brisa sous eux, de sorte que l’homme d’épée et l’homme de robe allèrent rouler l’un par-dessus l’autre sur le plancher, au milieu des rires bruyants de l’assemblée. Ils se relevèrent furieux, exhalant, à l’envi l’un de l’autre, leur colère par les plus terribles jurements, lutte dans laquelle les connaissances supérieures du ministre en théologie lui donnèrent un grand avantage sur le capitaine. Ce ne fut qu’avec peine que leur colère se calma et lorsque les garçons alarmés étant accourus leur eurent présenté des sièges plus solides et de nouvelles rasades pour se rafraîchir le sang. Quand ce tumulte fut apaisé, et qu’on eut poliment pourvu les étrangers d’un flacon chacun, suivant la coutume de l’assemblée, le duc but de la manière la plus gracieuse à la prospérité du Temple ainsi qu’à la bienvenue de maître Reginald Lowestoffe ; et cette attention ayant été reçue avec reconnaissance, la partie ainsi honorée demanda la permission de faire apporter un gallon de vin du Rhin et de communiquer le verre en main l’affaire qui l’amenait.

La demande d’une liqueur aussi supérieure à leurs libations ordinaires produisit immédiatement l’effet le plus salutaire sur le petit sénat ; et l’on peut dire que le vin, qui fut apporté sur-le-champ, assura un accueil favorable à la proposition de maître Lowestoffe. Celui-ci, après que l’on eut fait deux ou trois tournées, s’expliqua en demandant l’admission de son ami maître Nigel Grahame aux privilèges du sanctuaire et aux autres immunités de l’Alsace, ajoutant qu’il désirait être du nombre de ceux qui payaient un double droit d’entrée, afin de ne point exposer devant le sénat les motifs particuliers qui le forçaient à venir chercher ce refuge.

Le digne duc entendit cette proposition avec une joie qui fit étinceler son œil, et l’on ne doit pas s’en étonner, car c’était une circonstance rare et d’un avantage particulier pour son revenu personnel. En conséquence, il ordonna que son registre ducal[10] lui fût apporté : c’était un livre énorme, semblable au grand livre d’un marchand, et dont les feuilles, tachées de vin et souillées de tabac, portaient vraisemblablement le nom d’autant de mauvais sujets qu’il s’en trouve dans le calendrier de Newgate.

Nigel fut averti de déposer deux nobles pour sa rançon, et de réclamer les privilèges d’Alsace en récitant ces vers burlesques, qui lui furent soufflés par le duc :


Votre suppliant, moi Nigel,
Craignant sur l’épaule une tape,
Et que justice ne m’attrape,
Elle dont le poignet cruel
Est plus vigoureux qu’une pince ;
Voulant de vos bontés, mon prince,
Réclamer l’utile secours.
Et des armes qui dans ces jours
Me sauvent des mandats du juge,
Comme de la prise de corps
Et de la verge des recors,
Près de vous j’implore un refuge.


Comme le duc Hildebrod commençait à écrire l’enregistrement d’une main tremblante, et que déjà, avec une générosité prodigue, il avait épelé Nigel avec deux g au lieu d’un, il fut interrompu par le ministre. Ce révérend gentilhomme chuchotait depuis un moment, non pas avec le capitaine, mais avec l’autre individu dont nous avons dit que Nigel avait un souvenir vague ; en outre, il était peut-être encore un peu mécontent de l’accident qui lui était arrivé : bref, il demanda qu’on l’entendît avant que l’enregistrement eût lieu.

L’individu, dit-il, qui vient d’avoir l’assurance de se proposer comme candidat aux privilèges et immunités de cette honorable société est, pour parler clairement, un mendiant écossais, et nous avons déjà assez de ces sauterelles à Londres. Si nous admettons une seule de ces chenilles dévorantes dans le sanctuaire, nous aurons bientôt toute la nation sur les bras. — Nous n’avons pas le droit de nous informer, répliqua le duc Hildebrod, si le candidat est Écossais, Français ou Anglais ; dès qu’il a honorablement déposé son droit d’entrée, notre protection lui est due. — Je demande la parole, très-souverain duc, reprit le ministre ; je ne lui fais pas de questions, mais son langage le trahit : c’est un Galiléen, et l’argent qu’il a déposé doit être confisqué pour le punir d’avoir osé se présenter dans notre royaume ; et je réclame de vous, sir duc, que les lois soient mises en vigueur à son égard. »

L’étudiant se leva ; et il allait interrompre les délibérations de la cour, lorsque le duc l’assura gravement qu’il serait entendu à son tour en faveur de son ami, aussitôt que le conseil aurait terminé ses discussions.

Le procureur se leva ensuite, et annonçant qu’il allait traiter la question de droit, il dit : « Qu’il était bien facile de voir que ce gentilhomme ne venait pas ici pour une affaire civile ; qu’il s’agissait sans doute de l’affaire dont on avait déjà parlé relativement à un coup de plat d’épée donné dans l’enceinte du parc ; que le sanctuaire ne pouvait pas protéger le coupable dans un cas de ce genre ; que pour un pareil fait le vieux chef du royaume britannique ferait balayer l’Alsace, depuis le Strand jusqu’à la rivière, et que la politique exigeait qu’on réfléchît aux maux qui pouvaient résulter pour la république de l’asile accordé à un étranger dans de pareilles circonstances. »

Le capitaine, qui s’était agité sur sa chaise avec impatience pendant ce discours, s’élança sur ses pieds avec l’impétuosité d’un bouchon qui saute au plafond, chassé par une bière pétillante, et relevant sa moustache d’un air martial, jeta un regard de mépris sur le procureur et le ministre, en exprimant son opinion dans ces termes :

« Très-noble duc Hildebrod, quand j’entends des propositions aussi basses, aussi lâches, venir des conseillers de Votre Grâce, et quand je me rappelle les Huffs, les Muns, et les Tytyretu, par qui les ancêtres et les prédécesseurs de Votre Grâce furent conseillés dans de semblables occasions, il me semble que toute vigueur et toute énergie est aussi éteinte dans l’Alsace que dans ma grand’mère ; et cependant, qui dirait cela en aurait menti par la gorge, puisque je me fais fort de trouver assez de bons garçons dans les White Friars pour défendre nos libertés contre tous les suppôts de Westminster… Et d’ailleurs, si nous avions un moment le dessous, merci de ma vie, n’aurions-nous pas le temps d’envoyer ce gentilhomme par eau, soit au jardin de Paris, soit du côté de la Banque ?… Et, si c’est un vrai brave, nes aura-t-il pas nous dédommager de la peine qu’il nous donnera ? Que d’autres sociétés existent par les lois ; je le répète, nous autres bons garçons de la flotte, nous vivons en dépit d’elles, et nous ne sommes jamais plus florissants que quand nous sommes en opposition directe avec les assignations et les mandats, les ordonnances et les contraintes, les huissiers, les reeors et les baillis. »

Ce discours fut suivi d’un murmure d’approbation, et Lowestoffe, se hâtant de porter le dernier coup pendant que durait cette impression favorable, rappela au duc et à son conseil combien la sécurité de son état dépendait de leur bonne intelligence avec les habitants du Temple, qui, en fermant leurs portes, pouvaient, à leur gré, priver les Alsaciens de toute communication de ce côté. Il ajouta que, d’après la manière dont ils se conduiraient dans cette circonstance, ils s’assureraient ou perdraient entièrement son appui auprès de sa corporation, appui qu’ils savaient bien n’être pas à dédaigner. Et quant à l’observation du révérend et savant ecclésiastique, que son ami était Écossais, « vous devez réfléchir, ajouta Lowestoffe, à la cause pour laquelle il est obligé de se réfugier ici… N’est-ce pas pour avoir battu, non pas un Anglais, mais un de ses propres compatriotes ? Quant à moi, » poursuivit-il en touchant légèrement lord Glenvarloch, pour lui faire comprendre que ce n’était qu’une plaisanterie, « si tous les Écossais de Londres s’assemblaient pour se battre et s’entre-tuaient tous jusqu’au dernier, dans mon humble opinion, celui qui survivrait aurait droit à notre reconnaissance comme ayant rendu le service le plus essentiel à la pauvre vieille Angleterre. »

Un éclat de rire et des applaudissements suivirent cette harangue, dans laquelle l’étudiant venait de justifier son ami de la qualité d’étranger, d’une manière qui parut singulièrement ingénieuse ; et Lowestoffe termina son plaidoyer par cette vigoureuse péroraison : « Je sais bien que c’est la coutume des pères de cette ancienne et glorieuse république, de réfléchir dûment et mûrement sur les mesures qu’ils vont adopter, en buvant une quantité raisonnable de liqueur ; et loin de moi la pensée de proposer l’abolition de cette noble coutume, ou de prétendre qu’une affaire comme celle qui vous occupe puisse être examinée constitutionnellement pendant le temps qu’il faut pour boire un misérable gallon de vin. Mais comme il est indifférent à cet honorable conclave de boire d’abord et de décider après, ou de décider premièrement et de boire ensuite, je propose à Votre Grâce, noble duc, avec l’assentiment de vos sages et puissants sénateurs, de passer un édit qui accorde à mon honorable ami les privilèges du sanctuaire, et lui assigne, suivant vos sages coutumes, un logement où il puisse se retirer, étant un peu fatigué des événements de cette journée ; après quoi j’ordonnerai un petit baril de vin du Rhin avec une quantité proportionnée de langues de bœuf et de harengs salés, pour vous régaler tous comme de vrais George a green[11]. »

Cette proposition fut reçue avec des acclamations tumultueuses d’approbation qui couvrirent entièrement les voix des dissidents, si toutefois il s’en trouvait dans le sénat d’Alsace qui pussent résister à une proposition si populaire. On n’entendait dans toutes les bouches que ces mots : « Le bon cœur ! le généreux jeune homme ! voilà un vrai brave ! » L’enregistrement du nom du pétitionnaire fut aussitôt achevé dans le grand livre, et le digne doge lui fit prêter serment. Comme les lois des douze tables des anciens Cambriens, et d’autres nations primitives, la formule était en vers, et conçue en ces termes :


Par la broche et par le bouchon,
Par l’épée et le ceinturon,
Jurez de défendre la cause
En noble et brave champion.
Il faut que votre bravoure ose
Soutenir dans tous les hasards
Le parti de White-Friars,
Et puis marchant sous sa bannière,
Combattre pour ses libertés,
Sources de ces félicités
Qu’attend un chevalier ceint de la jarretière.


Nigel éprouvait, en se prêtant à cette momerie, une répugnance qu’il ne pouvait s’empêcher de laisser apercevoir ; mais l’étudiant lui rappelant qu’il était trop avancé pour reculer, il répéta les paroles, ou plutôt fit un signe d’assentiment pendant que le duc Hildebrod les récitait ; et celui-ci termina la cérémonie en lui accordant les privilèges du sanctuaire par ces rimes burlesques :


Je t’affranchis et je te mets
Pour le présent et désormais
À l’abri du mandat terrible
Et de la baguette inflexible.
Ne crains plus les traîtres recors,
L’huissier, ni les prises de corps ;
Te voilà libre et joyeux d’âme.
Comme un chevalier de la lame.
Admis au droit anticipé
De tromper et d’être trompé,
D’être battu comme de battre.
Le jurer, pester, de l’ébattre.
De boire jusqu’à chanceler.
D’insulter, frapper et voler.
De faire enfin le diable à quatre ;
Libre d’errer avec fierté.
Durant l’hiver comme en été.
De fumer, d’égayer ta vie
Dans le porter ou l’eau-de-vie ;
De prendre du punch ou du thé ;
D’aller nu, faute de chemise,
Pour jouir de plus de franchise ;
De gagner en jouant des bras.
Comme en dégainant ta rapière,
Ta subsistance journalière ;
De recourir, dans tous les cas,
Aux expédients que tout bas
Combine une âme aventurière,

Tout en jurant sur ton honneur :
Tels sont les nombreux privilèges
Qui te sauveront de tous pièges,
Et dont je le rends possesseur.


Cette homélie ayant été prononcée, il s’éleva une dispute sur la résidence spéciale qui allait être assignée au nouveau frère du sanctuaire ; en effet, comme les Alsaciens étaient d’avis, dans leur république, que le lait d’ânesse engraisse, il s’élevait ordinairement de grands débats parmi les habitants quand il y avait un nouveau membre de la société, chacun voulant en avoir la direction, suivant le terme dont ils se servaient.

L’Hector qui avait parlé si chaudement et si à propos en faveur de Nigel se montra alors le chevalier d’une certaine Blowselinda, qui avait, à ce qu’il paraît, une chambre à louer, laquelle avait été habitée autrefois par Slicingdick de Paddington, qui venait d’être exécuté à Tyburn, et dont la mort prématurée avait été pleurée jusque-là par la dame, dans la solitude du veuvage, à la manière des tourterelles.

Cependant le crédit du capitaine dut céder devant celui du vieillard au capuchon de drap dont nous avons parlé, et qui, malgré son extrême vieillesse, passait pour savoir plumer un pigeon aussi bien et même mieux que tout autre habitant de l’Alsace.

Ce vénérable personnage était un usurier assez fameux, appelé Traphois, et qui venait dernièrement de rendre un service considérable à l’état, en avançant un subside au duc pour qu’il pût remplir ses caves d’un nouveau renfort de liqueurs, le marchand de vin de Vintry se faisant scrupule de traiter avec un aussi grand homme autrement qu’argent comptant.

C’est pourquoi, quand le vieillard se leva, et qu’après avoir beaucoup toussé, il rappela au duc qu’il avait un pauvre appartement à louer, les droits de tous les autres furent écartés, et Nigel fut donné pour locataire à Traphois.

Cet arrangement ne fut pas plus tôt terminé que lord Glenvarloch fit connaître à Lowestoffe son empressement de quitter cette méprisable assemblée : il en prit congé avec tant de précipitation et si peu de cérémonie que, sans le baril de vin du Rhin qu’on venait d’apporter, la chose aurait bien pu être prise en mauvaise part. Le jeune étudiant accompagna son ami jusqu’à la maison du vieil usurier, dont lui et quelques autres jeunes gens du Temple ne connaissaient que trop bien la route. En chemin, il assura lord Glenvarloch qu’il allait loger dans la seule maison de White-Friars qui fût un peu propre, avantage qu’elle devait entièrement à l’activité de la fille unique de l’avare, vieille demoiselle assez laide pour effrayer le péché, mais qui serait probablement assez riche pour tenter un puritain, aussitôt que le diable aurait hérité de l’âme de son père. Comme Lowestoffe parlait ainsi, ils arrivèrent à la porte de la maison, et la figure sévère et repoussante de la femme qui leur ouvrit la porte confirma pleinement ce que l’étudiant venait de dire à Nigel de son hôtesse. Elle reçut avec l’expression du mécontentement et de la mauvaise humeur la nouvelle que lui annonça le jeune étudiant, en lui apprenant que le gentilhomme qui l’accompagnait allait devenir le locataire de son père, et murmura quelques mots sur l’embarras que cela lui donnerait ; cependant, elle finit par montrer à l’étranger un appartement plus commode qu’il ne s’y était attendu d’après l’aspect de la maison, et beaucoup plus grand, quoique moins élégant, que celui qu’il avait occupé sur le quai Saint-Paul.

Lowestoffe ayant vu son ami bien installé dans son nouvel appartement, et lui ayant fait apporter la carte d’un traiteur voisin, pour qu’il connût la manière dont il pourrait vivre en cet endroit, prit congé du jeune lord, en lui offrant de lui envoyer les effets qu’il avait laissés dans son ancien domicile, ou du moins ceux qu’il lui désignerait. Nigel demanda fort peu de chose, et l’étudiant ne put s’empêcher de remarquer que Sa Seigneurie ne paraissait pas avoir l’intention de jouir long-temps de ses nouveaux privilèges.

« Ils sont trop peu d’accord avec mes habitudes et mes goûts, » répondit lord Glenvarloch.

« Peut-être serez-vous demain d’un autre avis, milord, reprit Lowestoffe ; mais, pour le moment, je vais vous souhaiter le bonsoir. Je reviendrai demain de bonne heure. »

Le lendemain vint ; mais, au lieu de l’étudiant, ce fut une lettre de lui qui arriva. Elle apprenait à Nigel que les visites de Lowestoffe en Alsace lui avaient attiré l’animadversion de quelques-uns des vieux censeurs de son ordre, et qu’il croyait prudent de les discontinuer pour le moment, afin de ne pas exciter l’attention sur la résidence de lord Glenvarloch. Il lui mandait qu’il avait pris des mesures pour mettre ses effets en sûreté, et qu’il lui enverrait, par un homme de confiance, la cassette où il gardait son argent, ainsi que les objets dont il pourrait avoir besoin. Suivaient quelques bons avis dictés par la connaissance qu’avait Lowestoffe de l’Alsace et de ses coutumes. Il conseillait au jeune lord de laisser l’usurier dans une incertitude complète sur l’état de ses fonds, de ne jamais s’engager dans une partie avec le capitaine, qui avait l’habitude de jouer serré et de payer, quand il perdait, avec trois voyelles[12] ; et enfin de se méfier du duc Hildebrod, qui était, ajoutait-il, aussi fin qu’une aiguille, quoique, semblable à cet instrument de l’industrie féminine, il n’eût aussi qu’un œil.



  1. White Fiars signifie moines blancs. a. m.
  2. Charing-cross et Queen-Hithe sont deux quartiers de Londres ; le premier au centre, le second vers l’extrémité orientale de la cité. a. m.
  3. Je vais changer les transformations du corps. a. m.
  4. Vénus prête à se rendre. a. m.
  5. Prise de corps. a. m.
  6. Dans un air épais. a. m.
  7. Mot qui signifie en anglais renfrogné. a. m.
  8. Jardin de Londres où la reine Élisabeth assistait à des combats d’ours. a. m.
  9. Hegde parson or buckle-beggar, mot à mot, prêtre de haie (prêchant à côté du grand chemin) ou mendiant bouclé, termes de mépris pour désigner un prédicateur ambulant. a. m.
  10. Ce curieux registre existe encore, et se trouve dans la possession d’un célèbre antiquaire, le docteur Dryasdust, lequel a eu la libéralité d’offrir à l’auteur de faire graver l’authographe du duc Hildebrod, pour servir de preuve à ce passage. Malheureusement, le docteur, s’en tenant aussi rigoureusement que Ritson lui-même à la lettre de son manuscrit, crut devoir attacher à son offre généreuse la condition que nous adopterions l’orthographe du duc, et que nous intitulerions notre ouvrage : les Aventures de Niggle, stipulation à laquelle nous n’avons pas jugé à propos de souscrire.
  11. George a green, personnage grotesque dont l’image figure honorablement dans la procession des ramoneurs à Londres. a. m.
  12. Three vowels, dit le texte ; ce qui signifie bien trois voyelles, mais n’en a pas moins besoin d’explication : Quand un joueur perd et n’a pas de quoi payer, comme un billet pour dette de jeu n’est pas reconnu par la loi anglaise, le perdant, qui veut donner un titre au gagnant, lui remet un papier sur lequel il écrit les trois voyelles I. O. Y, qui veulent dire, I owe youJe vous dois tant ; cela constitue une dette d’honneur. a. m.