Les Aventures de Nono/ VII. Le travail à Autonomie

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LES AVENTURES DE NONO
VII. Le travail à Autonomie



VII

LE TRAVAIL À AUTONOMIE


Il faisait grand jour, le lendemain, quand Nono fut éveillé par une bande de ses camarades qui avaient envahi sa chambrette.

— Hou ! le paresseux, fit Mab, en lui faisant les cornes, le paresseux qui dort encore et le soleil qui l’aveugle. Hou ! hou !

— Allons ! lève-toi, fit Hans, nous venons te chercher pour aller jardiner.

— Non, fit Mab, il m’a promis hier soir de venir voir traire les vaches avec moi, je l’emmène.

Nono s’était lestement levé, avait passé sa culotte, s’habillant en un clin d’œil. — Les garçons avaient mis bas couvertures et draps, remué les matelas et fait le lit, pendant que les petites filles époussetaient, balayaient et rangeaient partout.

Quand ce fut fini, les enfants l’entraînèrent à une des pièces du sous-sol, organisée en salle de bains. Deux grandes piscines tenaient la plus grande partie de la pièce. Dans l’une de l’eau fraîche, dans l’autre de l’eau tiède pour les frileux. Autour de la salle, des appareils pour toutes sortes de douches. Se déshabiller, et se jeter à l’eau fut l’affaire d’un instant pour toute la bande espiègle.

Puis lorsqu’on se fut séché, l’on passa dans une autre grande pièce qui servait de salle à manger où les enfants étaient en train de déjeuner : avalant qui du lait chaud, d’autres du chocolat, d’autres du café. Biquette, qui avait filé à la cuisine, en revint avec un pot plein de chocolat dont elle versa une grande tasse à Nono.

— Tiens, fit-elle, nous l’avons préparé à ton intention.

— Et voici de la bonne galette bien beurrée » fit Sacha qui, depuis un instant, était actionnée à étendre le beurre sur la galette bien chaude.

Nono remercia ses amis et se mit à déjeuner avec appétit, pendant que les autres faisaient de même.

Quand tous furent restaurés, la bande se dispersa. Mab, prenant Nono par la main, l’entraîna du côté des étables. Mais déjà les vaches étaient parties aux pâturages.

En traversant les étables, Mab fit remarquer à son compagnon comme elles étaient propres, bien tenues, et différentes de celles qu’ils avaient vues à la campagne, celles-ci toujours sombres, sales, sentant mauvais, la litière ressemblant plus à du fumier qu’à de la paille.

Ici rien de semblable. C'était de grandes salles spacieuses, parfaitement éclairées, dallées de larges pierres, bien unies et cimentées entre elles, allant légèrement en pente de façon à conduire le liquide vers de petits canaux qui l’entraînaient au dehors.

De solides cloisons, en planches façonnées d’une manière élégante, séparaient chaque bête lui formant une case où elle pouvait se mouvoir à l’aise. Les râteliers étaient pleins de foin, une litière de paille bien fraîche était répandue à terre. Une jolie plaque de marbre à chaque box donnait le nom de sa locataire.

— Tu vois comme nos bêtes sont bien ici, remarqua Mab. Tiens, voilà la loge de ma préférée ; c’est celle que j’aime à soigner. (Indiquant la plaque :) tu vois, c’est Blanchette qu’elle s’appelle. Viens, maintenant, nous allons les retrouver dans le pré. »

Et traversant l’étable, ils ouvrirent une porte donnant sur un grand pré où les vaches paissaient et s’ébattaient à l’air.

Quelques-uns des Autonomiens étaient en train d’en traire.

— Voilà ma Blanche », fit Mab, en courant à une des vaches, qui poussa un meuglement joyeux en voyant accourir sa jeune maîtresse, qui, passant ses deux bras autour de son cou, l’embrassa sur le mufle.

— Regarde comme elle est propre. Nous sommes camarades, toutes les deux. Elle sait aussi que je lui porte des friandises.

Et ce disant, elle tira de sa poche une poignée de sel que la bête sembla savourer avec délices.

Puis, s’emparant d’un petit banc et d’un seau, Mab se mit en devoir de traire la vache.

Au bout d’un instant de cet exercice, elle proposa à Nono d’essayer à son tour. Nono prit sa place, mais ses doigts inexpérimentés servant mal sa bonne volonté, il ne parvint pas à extraire une seule goutte de lait ; à son grand déplaisir, car à voir la facilité avec laquelle Mab le faisait couler dans le seau, rien ne lui avait semblé aussi facile.

Cependant, à force d’essais et d’explications de la part de son amie, il parvint à en faire jaillir quelques gouttes. Ce fut alors un transport de joie de la part des deux enfants comme s’ils avaient accompli une merveille, et Nono, qui commençait à se décourager, reprit du cœur à la besogne. Mais Mab, toujours remuante, reprit sa place et ne s’arrêta que lorsque le seau fut plein.

Nono, que le rôle de spectateur n’amusait plus, s’était mis à cueillir des fleurs dont était émaillée la prairie. En ayant fait une ample moisson, et voulant faire une surprise à ses amies Mab et Sacha, qui avaient été si prévenantes pour lui, il alla s’installer à l’ombre d’un énorme noyer, et là, se mit à tresser, avec les fleurs qu’il avait cueillies, de belles guirlandes, mariant les couleurs selon la disposition qui lui semblait le plus harmonique.

Il avait terminé sa deuxième guirlande et commencé une troisième, lorsque, levant les yeux, il vit Mab qui le contemplait.

— Mâtin ! tu es joliment occupé, fit-elle. Pour qui donc ces belles guirlandes ?

— Il y en a une pour toi, fit Nono, en la lui arrangeant sur les cheveux.

— Pour moi, cette belle guirlande ? fit Mab, enthousiasmée, en courant se mirer à un ruisseau qui coulait au bord du pré. Puis, revenant : il faut que je t’embrasse. Et ce disant, elle lui appliqua deux bons gros baisers sur les joues.

— Celle-ci, fit Nono, qui venait de terminer, est pour Sacha, l’autre pour Biquette. Et les plaçant autour de son cou, pour ne pas les froisser, il alla chercher le seau de Mab, pour le porter à la laiterie. Puis ils se mirent à la recherche de leurs deux amies.

Ils allèrent au jardin, et y trouvèrent Hans qui, avec quelques autres camarades, bêchait un coin de terrain où ils se proposaient de faire quelques expériences.

Ils avaient lu dans un livre de jardinage, qu’en greffant des arbres de même espèce, on pouvait faire porter différentes sortes de fruits sur le même tronc, des roses de différentes couleurs, sur le même rosier. Désireux de s’assurer du fait, ils voulaient faire des plantations de sujets qu'ils se proposaient de greffer. Nono admira l’ardeur avec laquelle ils remuaient la terre, bêchant, creusant, préparant les engrais qu’on leur avait indiqués comme les plus convenables aux essences qu’ils se proposaient d’expérimenter.

Hans ignorait où se trouvaient Biquette et Sacha.

Nono et Mab allèrent plus loin. Ils trouvèrent Biquette dans une des serres, y faisant la toilette aux plantes que l'on y cultivait.

À la vue de la belle guirlande, elle claqua des mains, sautant de joie. Toutes ses compagnes lâchèrent leur travail pour venir l’admirer aussi, et Nono dut leur promettre de leur apprendre comment en fabriquer de semblables.

Interrogée sur l’endroit où devait se trouver Sacha, Biquette assura qu’on la trouverait dans la partie du jardin affectée à la culture des graines.

Mab et Nono se dépêchèrent d’y courir ; ils y trouvèrent Sacha, un petit pinceau à la main, prenant, avec ce pinceau, une petite poussière jaune que plus d’un de vous a sans doute remarquée dans les fleurs lorsqu’elles sont complètement épanouies.

Avec ce même pinceau, Sacha barbouillait de cette poudre jaune le calice d’autres fleurs différentes.

— À quoi donc t’amuses-tu là ? firent Mab et Nono intrigués.

Sacha raconta que leur professeur Botanicus leur avait expliqué qu’en mariant certaines plantes entre elles, on en obtenait des graines d’une espèce différente de formes et de couleurs. C’est ce qu'on appelait les hybrides.

Et comme Nono ne comprenait pas, n’ayant jamais ouvert un livre d’histoire naturelle, elle lui expliqua comment se formait la graine dans les fleurs.

Cette poussière jaune qu’elle recueillait sortait d‘une petite poche nommée anthère, cette poussière était recueillie par une autre partie de la fleur que l’on nomme le stigmate ; car le plus souvent, les deux organes sont dans la même fleur ; mais il y a certaines espèces où ces organes sont sur des pieds séparés.

Dans le premier cas, la plante est dite hermaphrodite, dans le second cas, les pieds qui portent les anthères sont dit mâles, ceux qui recueillent cette poussière sont les femelles. Et ce sont ceux-là seulement qui produisent la graine.

Le stigmate conduit les grains de poussière jaune qu’il a recueillis dans une glande que l’on appelle ovaire, là ils grossissent, pendant que grossit aussi l'organe qui les a recueillis. C’est ce qui forme les fruits, comme les pommes, les poires ; les pépins à l’intérieur sont la graine produite par les grains de poussière jaune.

À l’état libre ce sont les insectes qui, en venant chercher leur nourriture dans les fleurs, transportent cette poussière jaune d’une fleur à l’autre. Ici, Sacha remplissait, avec son pinceau, le rôle des insectes, seulement au lieu de porter la poussière jaune, appelée pollen, dans des fleurs identiques, c’était sur des fleurs de genres différents, afin de créer une nouvelle variété.

Mais tout en donnant ces explications et en montrant à Nono, dans une fleur qu’elle avait cueillie, les organes qu’elle nommait, Sacha jetait des regards d’admiration sur la guirlande que portait Mab et sur celle que Nono avait à son bras.

— C’est pour toi, fit Nono en la lui posant sur la tête.

Sacha fut non moins enthousiasmée que Mab et Biquette. À ses amies qui étaient accourues, Nono dut également promettre de leur en apprendre la fabrication.

Ce fut un véritable succès ; pendant huit jours, à Autonomie, on ne pensa plus qu’à fabriquer des guirlandes. Les prés, à la fin, ne fournissant plus assez de fleurs, les jardins furent quelque peu pillés, et je ne sais pas si les serres auraient été épargnées, si un jeu nouveau n'était venu opérer une diversion, faisant abandonner les guirlandes.

Mais avec tout cela, l’heure du déjeuner était venue. Les tables furent servies encore au dehors, sur l’esplanade, car il faisait un temps superbe.

Nono qui, cette fois, avait faim, put goûter non seulement aux fruits qu’il aimait, mais à une foule d’autres qu’il ne connaissait pas. Et, ne pouvant plus manger, comme s’il avait eu peur d’en manquer il fourra dans sa poche une demi douzaine de fruits presque semblables à des pommes, dont il ne connaissait pas le nom, mais qui lui semblaient excellents, et que, lorsqu’on se fut levé de table, il courut porter à sa chambre.