Les Aventuriers (Aimard)/XXV

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F. ROY (p. 204-211).
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XXV

FRAY ARSENIO

Disons ce que c’étaient que ces boucaniers dont déjà plusieurs fois nous avons parlé, et quelle était l’origine du nom qu’on leur donnait et qu’ils se donnaient eux-mêmes.

Les Caraïbes rouges des Antilles avaient la coutume, lorsqu’ils faisaient des prisonniers dans les combats acharnés qu’ils se livraient les uns aux autres, ou qu’ils soutenaient contre les Blancs, de couper ces prisonniers en pièces et de les étendre sur des espèces de claies au-dessous desquelles ils faisaient du feu.

Ces claies se nommaient Barbacoas, le lieu où ils les établissaient boucans, et l’action boucaner, pour signifier tout à la fois rôtir et fumer.

C’est de là que les boucaniers français prirent leur nom, avec cette différence que les uns faisaient aux animaux ce que les autres faisaient aux hommes.

Les premiers boucaniers furent des Espagnols établis sur les îles des Antilles, qui avaient eu des rapports suivis avec les Indiens ; aussi lorsqu’ils s’adonnèrent à la chasse, s’accoutumèrent-ils, sans y songer, à se donner à eux-mêmes ces noms indiens, caractéristiques du reste et qu’on aurait difficilement remplacés par d’autres.

Les boucaniers ne faisaient point d’autre métier que de chasser ; ils se divisaient en deux espèces, les premiers ne chassaient que les taureaux pour en avoir le cuir, les seconds les sangliers pour en avoir la viande qu’ils salaient et vendaient aux habitants.

Ces deux espèces de boucaniers avaient à peu près le même équipage et la même manière de vivre.

Les véritables boucaniers étaient ceux qui poursuivaient les taureaux, ils ne nommaient jamais les autres autrement que chasseurs.

Leur équipage se composait d’une meute de vingt-cinq chiens braques, dans laquelle ils avaient deux venteurs chargés de découvrir l’animal ; le prix de ces chiens, réglé entre eux, était de trente livres.

Ainsi que nous l’avons dit, leur arme était un long fusil fabriqué à Dieppe ou à Nantes ; ils ne chassaient jamais que deux ensemble au moins, quelquefois plus, et alors tout était commun entre eux ; au fur et à mesure que nous avancerons dans l’histoire de ces hommes singuliers, nous entrerons dans des détails plus circonstanciés sur leur manière de vivre et leurs coutumes étranges.

Lorsque don Sancho et le mayordomo les avaient quittés, le Poletais et l’Olonnais avaient longtemps suivi d’un regard moqueur la course des deux Espagnols, puis ils s’étaient remis à la construction de leur ajoupa et à l’installation de leur boucan, comme si rien n’était arrivé. Dès que le boucan fut installé, le feu allumé, la viande posée sur les barbacoas, l’Olonnais se mit en devoir de brocheter le cuir qu’il avait apporté tandis que le Poletais en faisait autant à celui du taureau tué par lui une heure auparavant.

Il étendit le cuir sur le sol, le dedans de la peau en dessus, il l’attacha au moyen de soixante-quatre chevilles plantées en terre, puis il le frotta vigoureusement avec de la cendre et du sel mélangés afin qu’il séchât plus vite.

Ce devoir accompli, il s’occupa du souper ; les apprêts n’en furent ni longs ni compliqués : un morceau de viande avait été mis dans une petite chaudière avec de l’eau et du sel ; comme cette chaudière avait été placée au feu dès qu’il avait été allumé, la viande ne tarda pas à être cuite ; l’Olonnais la retira de la marmite au moyen d’une longue baguette pointue et il la posa sur une tâche de palmier en guise de plat ; ensuite il ramassa la graisse avec une cuiller de bois et la jeta dans une calebasse. Sur cette graisse il exprima le jus d’un citron, mit un peu de piment, remua le tout, et la sauce, cette fameuse pimentade, si chère aux boucaniers, se trouva faite. Alors, ayant placé la viande dans une belle place devant l’ajoupa, la calebasse à côté, il appela le Poletais, et les deux hommes, s’asseyant en face l’un de l’autre, s’armèrent de leur couteau et d’une brochette de bois au lieu de fourchette et commencèrent à manger de bon appétit, trempant soigneusement chaque bouchée de viande dans la pimentade, et entourés de leurs chiens qui, sans oser rien demander, fixaient des regards de convoitise sur les provisions étalées devant eux et suivaient d’un œil ardent chaque morceau englouti par les aventuriers.

Ils mangeaient ainsi silencieusement depuis quelque temps déjà, lorsque les venteurs relevèrent la tête en aspirant l’air avec inquiétude, puis donnèrent quelques éclats de voix ; presque aussitôt la meute tout entière commença à aboyer avec fureur.

— Eh ! eh ! fit le Poletais en buvant une gorgée d’eau-de-vie coupée d’eau et passant la gourde à l’engagé, qu’est-ce que cela signifie ?

— Quelque voyageur, sans doute, répondit insoucieusement l’Olonnais.

— À cette heure, reprit le boucanier, en levant les yeux au ciel et consultant les étoiles, comment diable ! il est plus de huit heures du soir.

— Dame ! j’ignore ce que cela peut être, mais tenez, je ne sais si je me trompe, il me semble entendre le galop d’un cheval.

— C’est pardieu vrai, mon fils, tu ne te trompes pas, reprit le boucanier, c’est bien le pas d’un cheval, en effet ; allons, la paix ! vous autres, s’écria-t-il, en s’adressant à ses chiens qui redoublaient leurs abois et paraissaient prêts à s’élancer en avant, la paix, couchez-vous, mille diables !

Les chiens, habitués sans doute depuis longtemps à obéir aux accents impérieux de cette voix, vinrent immédiatement reprendre leurs places et cessèrent leur étourdissant vacarme, tout en continuant cependant à gronder sourdement.

Cependant le galop du cheval que les chiens avaient entendu à une grande distance se rapprochait rapidement ; bientôt il fut parfaitement distinct et enfin au bout de quelques minutes un cavalier émergea de la forêt et devint visible bien que, à cause de l’obscurité de la nuit, il ne fût pas encore possible de reconnaître quel était cet homme.

En débouchant dans la savane, il arrêta son cheval, parut regarder autour de lui d’un air indécis, pendant quelques instants, puis, lâchant de nouveau la bride à sa monture, il se dirigea au grand trot vers le boucan.

Arrivé devant les deux hommes, qui continuaient tranquillement à souper, tout en le surveillant du coin de l’œil, il inclina la tête et leur adressa la parole en espagnol.

— Braves gens, leur dit-il, qui que vous soyez, je vous prie, au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’accorder, pour cette nuit, l’hospitalité à un voyageur égaré.

— Voilà du feu, voilà de la viande, répondit laconiquement le boucanier dans la même langue dont s’était servi l’étranger, reposez-vous et mangez.

— Je vous remercie, répondit-il.

Il mit pied à terre ; dans le mouvement qu’il fit pour quitter la selle, son manteau s’entr’ouvrit et les boucaniers s’aperçurent que cet homme était revêtu d’un costume religieux. Cette découverte les surprit sans cependant qu’ils le laissassent paraître.

De son côté l’inconnu fit un geste de frayeur, aussitôt réprimé, en reconnaissant que, dans la précipitation qu’il avait mise à chercher un abri pour la nuit, il était venu donner dans un boucan d’aventuriers français.

Cependant ceux-ci lui avaient fait place auprès d’eux et pendant qu’il entravait son cheval et lui ôtait la bride afin qu’il pût brouter l’herbe haute et drue de la savane, ils lui avaient préparé sur une tâche une portion de viande suffisante pour calmer l’appétit d’un homme qui depuis vingt-quatre heures aurait été à jeun.

Un peu rassuré par les manières cordiales des aventuriers et prenant, dans l’impossibilité de faire autrement, bravement son parti de la situation fâcheuse dans laquelle son étourderie l’avait jeté, l’étranger s’assit entre ses deux hôtes et se mit à manger tout en réfléchissant, à part lui, sur les moyens de sortir du mauvais pas dans lequel il croyait se trouver.

Cependant les aventuriers qui, à son arrivée, avaient presque terminé leur repas, eurent fini de manger longtemps avant lui ; ils donnèrent à leurs chiens la pâture que ceux-ci attendaient avec tant d’impatience, puis ils allumèrent leurs pipes et commencèrent à fumer sans paraître s’occuper autrement de leur convive que pour lui procurer les choses dont il avait besoin.

Enfin l’étranger s’essuya la bouche et, afin de prouver à ses hôtes qu’il ne jouissait pas d’une liberté d’esprit moins grande que la leur, il prit une feuille de papier, du tabac, tordit délicatement une cigarette, l’alluma, et fuma aussi tranquillement en apparence que les boucaniers.

— Je vous remercie de votre généreuse hospitalité, señores, dit-il au bout d’un instant, comprenant qu’un long silence pourrait être interprété à son désavantage ; j’avais grand besoin de reprendre des forces, depuis ce matin je suis à jeun.

— C’est une grande imprudence, señor, répondit le Poletais, de s’embarquer ainsi, sans biscuit, comme nous disons, nous autres matelots ; les savanes sont un peu comme la mer, on sait lorsqu’on s’y engage, on ne sait jamais quand on en sort.

— Ce que vous dites est exact, señor ; sans vous j’aurais, je le crains, passé une fort mauvaise nuit.

— Bah ! ne parlez plus de cela, señor, nous avons fait pour vous ce qu’en pareille circonstance nous voudrions qu’on fit pour nous ; l’hospitalité est un devoir sacré auquel nul n’a droit de se soustraire ; d’ailleurs vous en êtes une preuve palpable.

— Comment cela ?

— Dame ! vous êtes Espagnol, si je ne me trompe, tandis que nous, au contraire, nous sommes Français ; eh bien ! nous oublions un instant notre haine pour votre nation afin de vous recevoir au foyer commun, comme tout hôte envoyé par Dieu a droit à être reçu.

— C’est vrai, señor, et je vous en remercie doublement, croyez-le bien.

— Oh ! mon Dieu, répondit le boucanier, je vous assure que vous avez tort de tant insister sur ce sujet : ce que nous faisons en ce moment est autant pour vous que dans l’intérêt de notre honneur ; ainsi, je vous en prie, señor, n’en parlons plus, cela n’en vaut réellement pas la peine.

— Pardieu ! señor, dit en riant l’Olonnais, sans que vous vous en doutiez, peut-être, nous sommes de vieilles connaissances.

— De vieilles connaissances ! s’écria l’étranger avec surprise ; je ne vous comprends pas, señor.

— Ce que je vous dis est cependant bien clair.

— Si vous daignez vous expliquer, répondit l’étranger, tout déferré, comme on disait alors, peut-être comprendrai-je, ce qui, je vous l’assure, me fera grand plaisir.

— Je ne demande pas mieux que de m’expliquer, señor, reprit l’Olonnais d’un air goguenard ; et d’abord, permettez-moi de vous faire observer que, si bien fermé que soit votre manteau, il ne l’est pas assez cependant pour qu’on ne puisse deviner l’habit de franciscain que vous portez dessous.

— Je suis en effet un religieux de cet ordre, répondit l’étranger assez décontenancé ; mais cela ne prouve pas que vous méconnaissiez.

— En effet, mais je suis certain que d’un seul mot je rappellerai vos souvenirs.

— Je crois que vous vous trompez, cher señor, et que nous ne nous sommes jamais vus.

— En êtes-vous bien sûr ?

— L’homme, vous le savez, ne peut jamais être sûr de rien ; cependant, il me semble…

— Il n’y a pourtant pas bien longtemps que nous nous sommes rencontrés ; il est vrai qu’il est possible que vous n’ayez pas fait grande attention à moi.

— Sur mon honneur, je ne sais ce que vous voulez dire, reprit le moine après l’avoir attentivement examiné pendant une minute ou deux.

— Allons, fit en riant l’engagé, j’ai pitié de votre embarras, et ainsi que je vous l’ai promis, d’un seul mot je dissiperai tous vos doutes ; nous nous sommes vus à l’île de Nièves. Vous rappelez-vous, maintenant ?

À cette révélation, le moine pâlit, il perdit contenance, pendant quelques instants il demeura comme atterré ; cependant la pensée ne lui vint pas une seconde de nier que cela fût vrai.

— Où, reprit l’Olonnais, vous avez eu un long entretien avec Montbars.

— Cependant, fit le moine avec une hésitation qui n’était pas exempte de frayeur, je ne comprends pas…

— Comment je sais tout cela, interrompit en riant l’Olonnais ; vous n’êtes pas au bout de votre étonnement alors.

— Comment, je ne suis pas au bout ?

— Bah ! señor padre, croyez-vous que je me serais donné la peine de vous intriguer pour si peu de chose ; j’en sais bien d’autres, allez !

— Comment, vous en savez bien d’autres ! s’écria le moine en se reculant instinctivement de cet homme qu’il n’était pas éloigné de croire sorcier, d’autant plus qu’il était Français et de plus boucanier, deux raisons péremptoires pour que le diable fût à peu près maître de son âme, si par hasard toutefois il en avait une, ce dont le digne moine doutait fort.

— Pardieu ! reprit l’engagé, supposez-vous par hasard que je ne connais pas le motif de votre voyage, l’endroit d’où vous venez, le lieu où vous vous rendez, et qui plus est la personne que vous allez voir ?

— Oh ! pour cela, c’est impossible, dit le moine d’un air effaré.

Le Poletais riait intérieurement de la terreur mal déguisée de l’Espagnol.


— Alerte ! señor moine dit gaiement l’Olonnais, voilà votre guide.

— Prenez garde, mon père, dit-il mystérieusement à l’oreille de fray Arsenio, cet homme sait tout ; je le crois, entre nous, un peu possédé du démon.

— Oh ! s’écria-t-il, en se levant comme poussé par un ressort et faisant force signes de croix, ce qui donna encore davantage à rire aux aventuriers.

— Allons, reprenez votre place et écoutez-moi, reprit l’Olonnais en le saisissant par le bras et l’obligeant à se rasseoir, mon ami et moi nous plaisantons, voilà tout.

— Excusez-moi, nobles caballeros, balbutia le moine, je suis extraordinairement pressé, il me faut malgré moi vous quitter à l’instant.

— Bah ! où irez-vous seul à cette heure ? tomber dans quelque fondrière ?

Cette perspective peu agréable donna à réfléchir au moine, cependant la terreur qu’il éprouvait fut la plus forte.

— C’est égal, dit-il, il faut que je parte.

— Allons donc ! jamais dans ces ténèbres vous ne trouverez le chemin du hatto del Rincon.

Pour cette fois le moine fut vaincu, cette nouvelle révélation lui cassa littéralement bras et jambes, il se considéra comme en proie à un horrible cauchemar, et n’essaya pas de continuer une lutte impossible.

— Là, reprit l’engagé, vous voilà raisonnable maintenant ; reposez-vous, je ne vous tourmenterai pas davantage, et afin de vous prouver que je ne suis pas aussi méchant que vous le supposez, je me charge de vous trouver un guide.

— Un guide, balbutia fray Arsenio, Dieu me garde d’en recevoir un de votre main.

— Rassurez-vous, señor padre, ce ne sera pas un démon, bien qu’à la rigueur il se puisse faire qu’il ait quelque ressemblance morale et physique avec l’esprit malin ; le guide dont il s’agit est tout simplement un Caraïbe.

— Ah ! fit le moine en respirant avec force, comme si un grand poids lui était enlevé de dessus la poitrine, si c’est bien réellement un Caraïbe…

— Pardieu ! que diable voulez-vous que ce soit ?

Fray Arsenio se signa dévotement.

— Excusez-moi, dit-il, je ne voulais pas vous offenser.

— Allons, allons, ayez patience ; je vais moi-même chercher le guide promis, car je vois que vous êtes pressé réellement de nous fausser compagnie.

L’Olonnais se leva, prit son fusil, siffla un venteur et s’éloigna à grands pas.

— Plaignez-vous donc, dit le Poletais, vous allez pouvoir continuer votre route sans craindre de vous égarer cette fois.

— Ce digne caballero est-il donc réellement allé chercher un guide, ainsi qu’il me l’a promis ? demanda fray Arsenio, qui n’osait trop compter sur la promesse de l’engagé.

— Dame ! je ne vois pas trop où il serait allé sans cela, et pourquoi il aurait ainsi quitté le boucan.

— Vous êtes donc bien véritablement boucanier, señor ?

— À votre service, señor padre.

— Ah ! ah ! et venez-vous souvent de ce côté ?

— Je crois, le diable m’emporte, que vous me questionnez, señor padre ! dit le Poletais en fronçant le sourcil et en le regardant en face, qu’est-ce que cela vous fait que je vienne ici ou autre part ?

— À moi ? rien du tout. — C’est juste, mais cela peut faire à d’autres, n’est-ce pas ? Et vous ne seriez pas fâché de savoir à quoi vous en tenir.

— Oh ! pouvez-vous supposer ? se hâta de dire fray Arsenio.

— Je ne suppose pas, vive Dieu ! je sais fort bien ce que je veux dire ; mais, croyez-moi, señor moine, perdez cette habitude d’interroger, surtout des boucaniers, gens qui par caractère n’aiment pas les questions : cela risquerait un jour ou l’autre de vous jouer un mauvais tour ; c’est un simple conseil que je me permets de vous donner.

— Je vous remercie, señor, je m’en souviendrai, bien que je n’aie pas eu, en vous disant cela, l’intention que vous me supposez.

— Tant mieux, faites toujours votre profit de ma recommandation.

Ainsi rebuté, le moine se renferma dans un craintif silence ; pour donner le change à ses pensées qui, nous devons le dire, n’étaient nullement couleur de rose en ce moment, il prit le chapelet pendu à sa ceinture et commença à marmotter des prières à voix basse.

Près d’une heure s’écoula ainsi sans qu’un seul mot fût échangé entre les deux hommes : le Poletais hachait du tabac en sifflotant entre ses dents, le moine priait ou du moins en avait l’air.

Enfin un léger bruit se fit entendre à une courte distance et au bout de quelques instants l’engagé parut ; un Indien le suivait, cet Indien était O-mo-poua, le chef caraïbe.

— Alerte, alerte, señor moine ! dit gaiement l’Olonnais, voilà votre guide, je vous réponds de sa fidélité ; il vous conduira en sûreté jusqu’à deux portées de fusil du hatto.

Le moine ne se fit pas répéter l’invitation : tout lui semblait préférable à demeurer plus longtemps en compagnie de ces deux réprouvés ; d’ailleurs il croyait ne rien avoir à redouter d’un Indien.

Il se leva d’un bond, remit la bride à son cheval, qui avait fait un excellent souper et avait eu tout le temps nécessaire pour se reposer.

— Señores, dit-il, dès qu’il fut en selle, je vous remercie de votre cordiale hospitalité, que la bénédiction du Seigneur soit avec vous.

— Merci, répondit en riant l’engagé, mais une dernière recommandation avant votre départ : n’oubliez pas, en arrivant au hatto, de dire de ma part à doña Clara de Bejar que je l’attends demain ici, vous m’entendez ?

Le moine poussa un cri d’effroi. Sans répondre il enfonça les éperons dans les flancs de sa monture et se lança au galop du côté où déjà le Caraïbe s’était éloigné de ce pas pressé et élastique qu’un cheval au trot ne suit que difficilement.

Les deux boucaniers le regardèrent fuir en riant aux éclats, puis, s’étendant les pieds au feu et plaçant leurs armes à portée de leurs mains, ils s’accommodèrent pour dormir, sous la garde de leurs chiens, vigilantes sentinelles qui ne les laisseraient pas surprendre.