Les Batailles de l’Aisne/01

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Les Batailles de l’Aisne
Revue des Deux Mondes6e période, tome 46 (p. 598-644).
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LES
BATAILLES DE L’AISNE

I
DANS L’HISTOIRE

Le 8 mars 1914, on célébrait, autour du « monument d’Hurtebise », le centenaire de cette « bataille de Craonne, » glorieux épisode de la bataille de l’Aisne de 1814 et dernière victoire de l’Empereur.

La fête était d’ailleurs modeste, car tout à nos Gloria victis ! depuis 1871, nous avions pris l’habitude de négliger nos plus prestigieux centenaires. Un peuple qui n’a fêté le centenaire ni de Fleurus, ni de Rivoli, ni de Marengo, ni d’Austerlitz, ni de Friedland, ni de Wagram, est excusable de n’avoir que médiocrement célébré celui de cette bataille de l’Aisne qui fut bien, quelques heures, une victoire, mais à la manière de celles du roi Pyrrhus. C’était déjà belle concession au Gloria Victoribus ! que l’on eût dérangé un sénateur, un député, un général de brigade, les pompiers du canton et 84 hommes du 45e de ligne pour commémorer l’héroïsme de ces « jeune garde, » que nous verrons tout à l’heure mourir sans faiblesse de la Mutte au Vent au bois Marion, de ces canonniers novices à qui le « sage » Drouot enseignait, sous une pluie de boulets démontant leurs batteries, le maniement de leurs pièces, de ces dragons de Grouchy qui forcèrent l’isthme d’Hurtebise, refoulant jusqu’à Paissy la cavalerie cosaque, de ces soldats de Ney qui, d’Aillés et de l’Abbaye de Vauclerc, escaladèrent trois fois les pentes abruptes de la vallée de l’Ailette, des cavaliers de la vieille garde qui, de la vallée Foulon, prenaient d’assaut les balcons du Trou d’Enfer, de toute cette vaillante petite armée, qui, le 7 mars, au soir, saignant cependant de mille blessures, reconduisait « tambours battant » Russes et Prussiens sur le Chemin des Dames jusqu’à l’auberge de l’Ange Gardien d’où Napoléon datait son bulletin de victoire.

Sous un ciel sourcilleux, M. le sénateur Ermant célébra, selon l’usage, l’alliance franco-russe et salua les petits soldats de vingt ans, appelés à la caserne par la nouvelle loi et qui seraient « nos Marie-Louise. » M. Garrault, député, s’écria : « Gardons comme un réconfort la leçon qu’ils nous ont léguée, gardons-la pour nos enfants, afin que demain, s’il était nécessaire, ils y puisent le précieux enthousiasme d’un inoubliable et grandiose exemple ! » M. Henri de Verneuil, conseiller général de Craonne, se glorifia de représenter « un canton historique jusque dans ses plus petites communes » et s’écria : « Vive Craonne de 1814 et vive Craonne de 1914 ! » Le matin, dans la modeste église d’Aillés, M. l’abbé Ambroise, curé de Chermizy, — que nous retrouverons au cours de cette étude, — avait célébré la messe pour le repos de l’âme des soldats de Ney tombés entre Ailles et Hurtebise.

« Vive Craonne de 1814 et vive Craonne de 1914 ! » M. de Verneuil ne savait pas si bien dire…

Car, malgré les bruits menaçants, on eût sans doute grandement étonné les orateurs si, dans une vision tragique, on leur eût montré une autre armée de héros donnant, moins de sept mois plus tard, l’assaut au plateau de Craonne ; mais on les eût bien autrement étonnés si on leur eût révélé que cette bataille durerait fort exactement 1136 jours, du 13 septembre 1914 au 25 octobre 1917 — coupés, il est vrai, par les longs mois d’une guerre de siège.

Ce sera, en effet, l’originalité de cette bataille de l’Aisne de 1914, — lien entre les batailles de l’Est et les batailles du Nord, — qu’elle aura duré plus de trois ans : commencée les 12 et 13 septembre 1914, s’affaissant après le 30, se réveillant, parfois de notre fait et parfois du fait de l’ennemi, au cours de 1915, elle devait soudain reprendre, le 16 avril 1917, sur ces mêmes positions où les engagements de 1914-1915 avaient laissé les combattants, et, menée par assauts successifs d’avril à juillet, se terminer, — si on la borne à la conquête du plateau méridional, — les 24 et 25 octobre par les combats dits de la Malmaison. Il n’est donc pas trop osé de dire que la bataille, — s’il s’agit du simple massif entre Aisne et Ailette, — se sera terminée 1136 jours après avoir été engagée. L’événement est, dans l’histoire, sans précédent.

Aussi bien, la bataille que nous appelions bataille de l’Aisne, — en 1914 comme en 1917, — n’est pas tout entière, il s’en faut, limitée à l’assaut donné par les armées françaises aux plateaux de l’Est ; pas plus que la bataille de l’Aisne de 1814 ne tient dans la journée de Craonne. De même, en effet, que Napoléon n’a pensé, en assaillant par Craonne et enlevant jusqu’à la Malmaison le massif entre Aisne et Ailette, qu’à assurer le succès d’une opération à très large envergure, qui s’étendait de Compiègne à Reims et de Soissons à Rethel, de même, en 1917 comme en 1914, les armées françaises se proposaient un autre but que de saisir le mur qui couvre la formidable montagne de Laon. Le nom de bataille de l’Aisne s’étend aux opérations qui, de l’Oise à la Suippe, ont eu pour objet de rejeter sur la Meuse les armées allemandes. Le dessein de Joffre et de ses successeurs est, à cet égard, très pareil à celui que Napoléon, — après César lui-même en l’an 56 avant le Christ, — concevait en mars 1814, et il donne à la bataille de l’Aisne une ampleur qu’aussi bien, nous Talions voir, lui impose d’une façon inéluctable la géographie de cette partie si passionnante de notre territoire : la région de l’Aisne.

La bataille de 1917 est encore de trop récente date pour qu’on puisse, sans d’assez sérieux inconvénients, en faire une étude complète et approfondie ; celle-ci paraîtra à son heure[1]. Nous devons nous contenter aujourd’hui de remplir un dessein moins téméraire. Après avoir, pour l’intelligence de ces études, présentes, — et futures, — situé, en quelque sorte, les batailles de l’Aisne, je voudrais, ne parlant que pour mémoire des combats moins éclatants, m’arrêter à trois batailles qui, — en attendant la quatrième, celle de 1917, — sollicitent spécialement l’intérêt et qui peuvent être rapprochées avec profit : celle de César en l’an 56 avant notre ère, celle de Napoléon en 1814, celle enfin que, depuis le soir de la Marne, — car les deux batailles se soudent, — les armées Maunoury, French et d’Esperey, sous le haut magistère du général en chef Joffre, livrèrent en cette région fatidique.


I. — LA RÉGION DE L’AISNE

« La rivière de l’Aisne, disait M. G. Hanotaux au cours d’une conférence évocatrice sur les Falaises de l’Aisne, est l’articulation qui rattache les provinces orientales aux provinces septentrionales. »

Ce seul mot suffit à faire prévoir, à expliquer, à résumer le rôle que doit jouer dans une campagne menée de la mer du Nord aux Vosges la contrée qu’arrose cette rivière, — la plus historique de France, si j’ose dire.

On est à peu près d’accord pour dénommer région de l’Aisne la large province que l’on peut inscrire entre Compiègne, la Fère et même Saint-Quentin, Laon, Rethel, le camp de Châlons, Fismes et Villers-Cotterets : région qui, aussi boisée qu’accidentée, constitue, au Nord-Est de Paris, contre une invasion venant de la Haute-Meuse, la principale couverture de la grande ville.

Mais, en fait, l’Aisne, lien de ces cantons, vient de bien plus loin ; issue près de Vaubecourt, en Barrois, de très médiocres hauteurs, ayant traversé Sainte-Menehould et Vienne-le-Château sur le versant occidental de l’Argonne, elle a, après les eaux du versant occidental de l’Argonne, reçu, par la trouée de Grandpré, l’Aire, autre rivière meusienne, et ce sont leurs eaux réunies qui roulent vers le massif ardennais, contre lequel, après avoir arrosé Vouziers, l’Aisne se heurte et se casse. Retenons déjà que notre rivière relie ainsi à l’Ile-de-France ce coin du gigantesque champ de bataille qu’est le Verdunois.

Le coude fait à Attigny rejette la rivière sur Rethel et Château-Porcien où, contrariée de nouveau, elle s’infléchit vers le Sud-Ouest. Laissant alors à sa droite notre camp de Sissonne et à sa gauche la plaine de Reims, elle court entre de médiocres hauteurs, vers Berry-au-Bac et Pontavert, où elle s’engage dans un couloir, large en moyenne d’un kilomètre, entre les plateaux désormais célèbres où nous verrons s’affronter les armées.

Un peu avant, elle s’est, par un de ses affluents, reliée à la Champagne : c’est la Suippe qui lui apporte les eaux blanches du camp de Châlons et la lie à la région de la Marne avec laquelle elle ne va pas cesser de voisiner. En elîet, après avoir pénétré dans le large couloir dont Beaurieux au Nord et Maizy au Sud marquent à peu près l’entrée, baigné, sur sa rive droite, Soupir, Chavonne, Vailly et Condé, — tous noms qui nous sont aujourd’hui si familiers, — elle reçoit, en aval de cette dernière localité, au pied du plateau de Chivres, la Vesle, autre rivière bien champenoise, car elle ne traverse Fismes et Braisne qu’après avoir eu la gloire de mirer dans ses eaux la royale ville de Reims qu’elle rattache ainsi étroitement à la région de l’Aisne. Elle relie par ailleurs celle-ci à la basse Marne par son voisinage avec la vallée de l’Ourcq ; car, peu après Fismes, à Bazoches, la Vesle a paru courir au-devant de la riviérette qui, à Fère-en-Tardenois, n’en est guère éloignée de plus de quatre lieues et séparée que par un mouvement de terrain. L’Ourcq et la Vesle sont les rivières qui, en 1914 comme en 1814, ont mené une partie de nos armées de la Marne à l’Aisne derrière les Prussiens en retraite.

Après avoir recula Vesle, l’Aisne a sensiblement son plein : elle coule des eaux lentes, « paresseuses » écrira French, mais qui, parfois, se gonflent de redoutable façon, sous les ponts de Venizel et de Soissons, le long des bourgs de Pommiers, de Vie, d’Attichy, de Rethondes et de Choisy-au-Bac et apporte, en amont de Compiègne, son important tribut à l’Oise.

C’est l’Oise qui, coulant, elle, beaucoup plus délibérément » du Nord-Est au Sud-Ouest, met la région de l’Aisne en communication directe avec l’Ardenne belge et française au Nord, la Picardie et la Normandie au Nord-Ouest, la région proprement parisienne au Sud. Aisne et Oise se valent à peu près par leur débit lorsqu’elles se rencontrent et ce sont leurs eaux qui, mariées, viennent arroser Compiègne, Verberie, Creil, avant d’aller, au Nord de Saint-Germain, grossir la Seine. Les deux rivières sont du même « système. » Elles embrassent entre leur cours l’énorme massif accidenté qui, entre Noyon, Chauny, la Fère, Laon, Craonne, Beaurieux, Soissons et Compiègne, va nous retenir.


Lorsque, de la plaine champenoise qui s’étend entre Chà-lons et Vouziers, on pense gagner Laon ou Soissons, on se trouve en face d’un changement total de décor. Si on escaladait jadis une des tours, aujourd’hui ruinées, de la cathédrale de Reims, le contraste qu’offraient de là les deux contrées était frappant. Sans doute la plaine au Sud et à l’Est de Reims n’est-elle point complètement plate. Des éminences s’y remarquent : les hauteurs de Moronvilliers, au Sud-Est, forment même massif, et nos soldats de 1917 savent que les pentes de ce massif ne sont point si médiocres ; les hauteurs de la Pompolle, de Nogent-l’Abbesse, de Vitry-lès-Reims à l’Est, celle où, au Nord-Est, a été établi le fort de Brimont, sont assez marquées pour qu’elles aient pu constituer des positions où se sont, en 1914, dépensés, — finalement en vain, — les héroïques efforts des soldats de Franchet d’Esperey. Mais plus au Nord, la plaine reprend sans accidents sensibles : entre Brimont et les premières pentes du plateau de Craonne, une trouée fort large s’ouvre, défaut de la défense, qu’elle se fasse d’un côté ou de l’autre, que seuls coupent la croupe qui s’allonge de la ferme du Choiera au Camp de César, enveloppée au Nord et à l’Est par la marécageuse Miette, et les hauteurs de la Ville-aux-Bois, qui se rattachent, mais comme des îlots prolongent en mer un continent, au massif de l’Aisne.

Celui-ci, de ce côté, l’oriental, commence aux pentes de Beaurieux, d’Oulches, de Craonne, de Bouconville, et dès lors ce ne seront jusqu’à la forêt de Laigue, au-dessus de laquelle se dresse Tracy-le-Mont, jusqu’à l’éminence où Coucy-le-Château s’est bâti, jusqu’aux dernières pentes occidentales du massif de Saint-Gobain, entre l’Aisne, au Sud, l’Oise et la plaine de Laon, que plateaux coupés de vallons, creusés de cirques, effilés en éperons ou terminés en falaises, traversés de couloirs étroits et de capricieuses entailles où se reconnaissent, après le plissement très ancien, l’œuvre des lots marins, puis le travail des eaux souterraines.

Ce n’est pas pour faire image que M. G. Hanotaux intitulait sa conférence : les Falaises de l’Aisne[2]. Des hauteurs plus médiocres de la rive gauche de l’Aisne, on aperçoit proprement se dresser une falaise marine. Il faut toujours, — Vidal La Blache suffirait à nous en convaincre, — pour expliquer le sol, ses aspects, les raisons de son histoire, « passer au déluge. » En fait, l’Ardenne émergeant seule, les plateaux actuels de l’Aisne ne se sont dégagés que bien plus tard, mais la falaise calcaire où se retrouvent tous les indices de l’origine sous-marine, — coquillages, squelettes de poissons, poches de phosphates, — a été, des siècles encore, battue par les flots. La paroi dessine tantôt des caps aigus, tantôt une muraille rigide que l’érosion seule a pu sur certains points briser. Au-dessus ou au flanc de ces falaises, des corniches courent, les balcons. Escaladant, — - dans les premiers jours de la bataille de 1917, — ces pentes, ces corniches, ces « balcons », je disais à un camarade : « C’est un champ de bataille perpendiculaire. » Cependant un palier inférieur parfois permet de faire étape dans l’ascension : c’est qu’au pied de la falaise, les sables se sont accumulés qui forment un premier étage élevé de 50 ou 60 mètres au-dessus du niveau de la rivière. C’est généralement sur cette banquette que, l’eau des plateaux s’y faisant jour, la végétation est luxuriante et c’est là encore que, à mi-côte, entre la vallée, qui est souvent marécageuse, et les plateaux plus âpres, se sont fondés les villages. Presque tous sont ainsi à flanc de montagne. Nos soldats le savent qui ont dû décomposer l’action et prendre la ligne des villages et des fermes à une étape, le faîte des plateaux à une autre. Quelques heures avant que, dans le tapage de la bataille du plateau, je gravisse ces pentes, nos hommes l’avaient fait sous les obus et la mitraille. Cet assaut avait emprunté à la nature abrupte des deux paliers un caractère prodigieux qui, à la vue des lieux, m’arrachait des cris d’admiration.

Aussi bien, la géologie qui a, là comme ailleurs, déterminé la physionomie de ces éperons, impose toutes ses conséquences. Ce sol si dur a été cependant travaillé par les eaux de telle façon que, à l’intérieur même du roc, des galeries naturelles se sont creusées. D’autre part, l’excellence de cette belle pierre blanche aux arêtes nettes a tenté les constructeurs : ces galeries naturelles ont été vite découvertes et agrandies par l’exploitation. D’où ces creuttes de l’Aisne, à tout jamais célèbres aujourd’hui, ces boves où la résistance allemande a trouvé de si utiles auxiliaires. « Si on découvrait la crête de nos collines, disait M. Hanotaux en 1915, on s’apercevrait sans doute qu’elles ne sont que de puissantes taupinières. » C’est du flanc de ce massif qu’ont été extraits les moellons énormes avec lesquels ont été bâtis non seulement les célèbres basiliques qui, à Reims, Soissons, Laon, enferment ce pays en un triangle mystique, mais tant d’églises, d’abbayes, de monastères, de châteaux, monuments de la piété chrétienne ou de la guerre féodale, mais les fermes massives et les maisons même des paysans qui, dans le Laonnais, le Soissonnais, ont un aspect facilement monumental. Des tours de Reims au donjon de Coucy, tout a jailli de ce fond. D’ailleurs, la richesse du sol, — autant que les ressources du sous-sol, — permettait aux plus modestes de bâtir : « sur le limon roux » dont parle Vidal La Blache, le blé a toujours été beau et toutes les cultures prospères. De grandes fermes s’étaient fondées dès le moyen âge, centres de culture opulente (la ferme Hurtebise est citée dès 1185 sous le nom de Vetus Hurtebise, vieille Hurtebise, dans le cartulaire de l’abbaye de Vauclair). En revanche, les eaux, en se taillant partout passage, dit Vidal La Blache, à travers les sables et argiles de l’étage inférieur de l’éocène, « n’ont pas seulement créé de larges et fécondes vallées, entretenant une végétation épaisse et drue d’arbres et d’herbes ; » les eaux que laissent filtrer les calcaires des plateaux et les sables des pentes se rassemblent dans le lit des vallées pour nourrir des marécages. « On voit ainsi, au Sud de la montagne de Laon, s’allonger jusqu’à Anizy-le-Château, une ligne d’anciens marais qui a contribué à renforcer la position stratégique de l’ancienne cité épiscopale. » Ceux de nos soldats qui, le 26 octobre 1917, atteignaient le fond de la vallée de l’Ailette, savent si le géographe écrit vrai.

Des pentes abruptes, des fossés marécageux, des galeries souterraines, faciles à agrandir, des tunnels, des chemins profonds, un dédale de vallons encaissés, dans tous les temps pareil pays a constitué une forteresse naturelle où les hommes devaient être tentés d’installer leur résistance à l’ennemi qui les cherchait. Par surcroit, de la pierre et du bois en abondance, éléments de défense encore, de la barricade à la muraille. Nous verrons les conséquences. Notons dès maintenant ces détails si gros de destinées.


Ainsi géologiquement constitué, le massif, d’une altitude moyenne de 150 à 200 mètres, s’étend sur une longueur de plus de 15 lieues, des pentes de Craonne jusqu’à Tracy-le-Mont, dominé à sa partie occidentale par l’un des monuments les plus célèbres de la féodalité, le château de Coucy, et, à sa partie septentrionale, par l’un des monuments les plus célèbres de la chrétienté, la cathédrale de Laon, terminé, à sa partie orientale, par l’éperon effilé, le musoir de Craonne, que nos soldats de 1917 ont baptisé plateau de Californie.

Le plateau entier de l’Aisne, dont nous savons, par sa constitution géologique, l’aspect général, le voici devant nous ; mais il jouera un tel rôle dans les batailles de l’Aisne, de la bataille de César contre les Belges à celle que livraient, en octobre 1917, les troupes du général Maistre, qu’il nous faut maintenant le visiter en détail.

A l’Est, le voici tout d’abord s’élevant au-dessus d’une vraie couverture de bois : du Sud au Nord, bois des Couleuvres (à l’Est de Beaurieux), bois de Beaux-Marais (à l’Ouest de Craonnelle), enfin bois de Corbeny. Derrière cette couverture, du Sud au Nord encore, vers Beaurieux, vers Vassogne, vers Oulches, vers Craonne, vers Bouconville, vers Vieux-Laon, vers Montaigu, les pentes de six plateaux s’élèvent au-dessus des bois.

Montaigu est, au Nord-Est, la pierre d’angle : en allant maintenant de l’Est a l’Ouest, voici les plateaux que j’appellerai de Festieux, de Parfondru, de Bruyères, d’après les bourgs qui en occupent les pentes. Entre les deux premiers, une dépression permet le passage à la route de Reims à Laon qui, ayant cheminé par Berry-au-Bac et Corbeny, prend le plateau en écharpe à Festieux, rentre en plaine, — la plaine de Laon, — à Athies, dont je rappellerai de quel drame il fut, en 1814, le théâtre, tandis que le chemin de fer a, de Reims à Laon, tourné le massif par l’Est.

Au Sud de la montagne de Laon, qui n’est que le donjon de ce gigantesque château fort de l’Aisne, celui-ci infléchit sa muraille vers le Sud-Ouest. Le plateau au pied et au Nord duquel s’est construit Laniscourt est une sorte d’isthme, à la vérité très large, rattachant au système le considérable massif boisé de Saint-Gobain-Coucy et cet énorme plateau d’entre Oise et Aisne dont les parties septentrionales portent Massenancourt, Moulin-sous-Touvent, Nampcel, Quennevières, Tracy-le-Mont, dont les pentes occidentales meurent en face de la forêt de l’Aiguë et dont les éperons méridionaux dominent l’Aisne de Rethondes à Soissons. Ce sera, ce plateau de l’Ouest, le champ de bataille en 1914 du général Maunoury.

Mais ce plateau n’est qu’un énorme appendice : le plateau de Soissons-Laon-Craonne doit, beaucoup plus spécialement, nous retenir et nous y revenons. La dépression qui a permis le passage à la belle route de Paris à Maubeuge, entre Soissons et Laon, le borne à l’Ouest. La limite occidentale du plateau entre Aisne et Ailette est, en effet, à Chivy, Etouvelles, Pinon, Vauxaillon, Neuville-sous-Margival, Crouy. Ce couloir, ne nous le figurons point comme plan ; le chemin de fer, entre Vauxaillon et Laffaux, a dû s’enterrer sous un tunnel long de 600 mètres ; le canal sous un autre d’une demi-lieue ; la route, elle, enjambe, si j’ose dire, le massif, mais à sa partie la moins élevée où elle a dans le fameux Chemin des Dames un embranchement nettement orienté de l’Ouest à l’Est.

Le plateau, — à l’est de Soissons, — présente, face à l’Aisne, sa muraille dentelée : hauteurs autour de Crouy ; plateau de Chivres au Nord de Missy ; éminence où, au Nord de Condé, s’est bâti le fort ; cole 109 et grand plateau de Jouy (188 mètres), au Nord de Celles ; puis le vaste plateau d’Ostel, au Nord de Vailly et Chavonne ; l’étroit plateau 197, qui, au-dessus de Soupir, s’allonge de la Cour Soupir à Froidmont ; le plateau de Beaulne et Chivy, au Nord de Pont-Arcy ; le plateau de Comin ; le plateau de Paissy, au Nord d’Oeilly et de Pargnan ; et enfin le plateau de Craonne, qui, trois fois étranglé, se décompose, après l’isthme d’Hurlebise, en trois tables : le plateau de Vauclerc, resserré à la hauteur du moulin de Vauclerc, s’élargit une seconde fois, — c’est la partie qu’on baptisera après 1916 du nom de plateau des Casemates, — se rétrécit encore à l’Est pour s’épanouir, puis s’effiler en un dernier plateau qui, pour Napoléon, s’appelait « le petit plateau de Craonne » et pour nos soldats de 1917 le plateau de Californie. L’isthme d’Hurlebise, — le plus fameux point de toute cette ligne de hauteurs, — est une manière de col où, le nom le fait pressentir, le vent souffle fort, mais col aux parois fort peu aménagées, du côté de la forêt de Vauclerc comme vers la vallée Foulon ; les soldats de Ney l’assaillant du Nord et ceux de Nansouty l’assaillant du Sud en sauront quelque chose, et nos soldats de 1914 comme ceux de 1917. Craonne est accroché à flanc de falaise, vers l’Est, au pied de la terrasse, où se terminent, à proprement parler, vers la plaine de Reims à Rethel, les plateaux de l’Aisne.

Le plateau oriental, — entre la plaine de Laon, Soissons et Craonne, — présente donc un mur crénelé du côté de l’Aisne, d’un aspect assez abrupt et peu engageant à l’assaut. Par surcroit, il est, les premières crêtes franchies, coupé par un fossé profond, creusant le massif qui enveloppe ainsi Laon de deux murs de circonvallation. Entre le musoir de Craonne et celui de Berrieux, l’Ailette pénètre dans le massif et le creuse. Ce ruisseau aux rives marécageuses va passer à l’histoire. Il en était déjà sans cesse question dans les rapports des lieutenants de Napoléon, mais sous le nom de Lette, et Vidal La Blache, il y a quinze ans, ne lui donnait encore que ce nom. L’état-major en avait, à la vérité, décidé autrement et adopté sur ses cartes là forme Ailette, qui est charmante et s’est imposée. Mais le nom fait illusion : la riviérette ne coule point vive et claire, capricieuse et cascadante, telle qu’une petite rivière vosgienne. Elle est médiocre, trouble, marécageuse. Ce fossé boueux sépare nettement en deux le massif. Ayant cheminé, libre d’abord, ensuite canalisée entre la forêt de Vauclerc et Bouconville, entre Ailles et Chermizy, entre Cerny et Chamouille, entre Courtecon et Grandelain, entre Pargny-Filain et Chevregny, elle tourne brusquement vers le Nord, confondue parfois avec le canal de l’Aisne à l’Oise, et, se dirigeant vers Coucy-le-Château, vient en baigner les pieds avant de s’aller jeter dans l’Oise en aval de Chauny, après un cours singulièrement long pour son médiocre débit. Il n’en va pas moins que ce cours d’eau a joué et continue à jouer un rôle historique. Le fossé qu’il creuse augmente sensiblement les difficultés d’une bataille de plateaux : les soldats de Napoléon ayant pu, de Corbeny, s’engager dans son étroite vallée, en connaîtront moins que les nôtres la malfaisance ; mais les Prusso-Russes de Winzingerode et de Blücher, courant au secours des Russes de Woronzof engagés sur le plateau de Craonne, s’y embourberont proprement, nous le verrons, au point d’y perdre la partie. Les avant-gardes de Maud’huy et de Haig, en 1914, le franchiront assez allègrement, mais non leurs gros ; les soldats d’octobre 1917 ont été arrêtés par ordre devant ce ruisseau fangeux, constituant la limite des deux armées.

Bornant au Nord la première partie du plateau, l’Ailette donne à cette partie une personnalité : le mur entre Aisne et Ailette est le premier rempart de Laon, mais c’est le plus haut. Qui le tient menace ou Laon ou Soissons, suivant le cas, du haut du Chemin des Dames.

Ce Chemin des Dames, — et c’est par-là que je finirai, — est le chemin de ronde du rempart. Sa possession est capitale pour qui veut aborder Laon de front.

Il commence devant la ferme d’Hurtebise où, courant vers l’Ouest, il constitue une des branches de l’étoile que forment les chemins allant vers Craonne, vers Oulches, vers Vassogne, vers la Bove. Laissant à sa gauche, au Sud, le village Vauclerc, la vallée Foulon, et la plus grande partie du plateau de Paissy, à sa droite le village d’Aillés, il chemine entre Troyon et Cerny, entre la ferme Malval et la Creutte, franchit entre Filain au Nord et Ostel au Sud l’épine de Chevregny, longe la ferme de la Royère, le pied du fort de Malmaison et la ferme du même nom pour rejoindre, entre la ferme de Vaurains et l’Ange Gardien, la route de Paris à Maubeuge par Soissons.

Pour tout le monde, ce Chemin des Dames fut, geste de courtisanerie ou galanterie, tracé et bâti en 1770 par le comte de Narbonne pour que vinssent le visiter plus commodément en leurs carrosses, à son château de la Hove, les filles de Louis XV, les Dames de France. Henry Houssaye a adopté cette version et elle permettrait des rapprochements piquants, pittoresques ou pathétiques ; car une route jetée sur ces plateaux par un galant courtisan comme un tapis sous les pieds de princesses royales serait devenue le plus sanglant des champs de bataille. Il était déjà curieux que les grognards de l’Empereur l’eussent, moins d’un demi-siècle après sa naissance, annexé à l’histoire ; il était plus curieux encore que, après le Royal North Lancashire de Sir Douglas Haig, après les zouaves et les biffins de Maud’huy en 1914, les Marocains à djellabah brune du général Pellé l’eussent, en 1917, les premiers abordé et y eussent à genoux, disent les témoins, chanté en l’honneur de leur victoire un hymne à Allah, — toutes choses qui eussent étonné le comte Louis de Narbonne.

En réalité les Dames de France semblent n’être pour rien dans ce chemin sauf qu’elles le purent, comme bien d’autres, employer. En réalité le Chemin des Dames est marqué très nettement sur la carte de France de Cassini (carré de Soissons) dressée bien avant la naissance des filles de Louis XV. Son tracé est tellement indiqué par le faite des plateaux qu’il doit être fort ancien : il existait là une voie romaine que Jeanne d’Arc avait suivie se rendant de Corbeny (où, après le sacre de Reims, Charles VII était venu, suivant la tradition, toucher les écrouelles) à Vailly où la Pucelle reçut les clefs de Laon et les remit au « gentil roy. » Quand Napoléon, sur son cheval de bataille, poursuivait « tambours battant, » d’Hurtebise à l’Ange Gardien, les troupes de Woronzof, il ne marchait pas sur les traces seulement des insignifiantes filles du roi Louis XV, mais sur celles de Jeanne, et le souvenir de l’héroïque fille était là, comme en bien d’autres champs de bataille, pour accueillir nos héros de 1914 et 1917 quand ils sautaient sur le Chemin des Dames.

Pourquoi ce nom gracieux, dès lors ? Probablement parce que le chemin reliant Laon et Soissons à Vauclerc, les religieuses d’un des monastères de dames avaient coutume de le suivre ou que, suivant une tradition, les dames de Proisy, possédant la Bove depuis longtemps, l’avaient tracé et employé ; ainsi la route des seigneurs, reliant le bois de Beaurieux à la ferme de la Tour, tenait son nom des sires de Roucy, qui, à l’Est du plateau, jouèrent, des siècles, le rôle prépondérant que les sires de Coucy assumaient à l’Ouest. Aussi bien, que le nom charmant sous lequel s’inscrit sur les cartes cette belle route, — aujourd’hui bouleversée, — vint des dames religieuses de Laon, des dames de Proisy ou de Mesdames de France, qu’elle ait été parcourue par les haquenées des châtelaines du XIVe siècle, les chaises des nonnes du XVe siècle ou les carrosses des princesses du XVIIIe, ce Chemin des Dames est aujourd’hui le Chemin des soldats, triplement si les soldats de Maud’huy en 1914, avant les poilus de 1917, y trouvaient, — les Anglais étant d’ailleurs, chose piquante, de la partie, — avec le souvenir de Napoléon, l’ombre lumineuse de Jeanne d’Arc.


Nous voici au terme de ce tableau. Embrassons-le d’un coup d’œil : Laon est le donjon d’un énorme château fort qui se dresse entre l’Ile-de-France et les régions du Nord. Deux grands plateaux le couvrent au Sud : double enceinte, entourée chacune d’un fossé profond, le fossé de l’Aisne qui enveloppe le mur extérieur, le fossé de l’Ailette qui sépare celui-ci de la seconde enceinte. Et si, à l’Est, la gigantesque forteresse s’élève à pic au-dessus de la plaine, du côté de l’Ouest, d’autre part, elle se couvre encore de la formidable et double ceinture de Saint-Gobain-Coucy et de Moulin-sous-Touvent-Carleponl-Tracy-le-Mont. Face au Sud, un double mur, haut parfois de près de 180 mètres, large, entre Soissons et Laon, de cinq lieues. Face à l’Ouest, une avancée non moins gigantesque qui semble, autant que le mur du Sud, défier l’assaut. Face à l’Est seulement, — Napoléon le devait comprendre qui s’y jettera vivement et les Allemands de 1914 qui la tiendront avec acharnement barrée, — une brèche au mur, la porte de l’Ailette entre Craonne et Berrieux, mais bien étroite poterne pour un château fort de cette importance. Par surcroit, des souterrains tels qu’une pareille forteresse en méritait : creuttes et boves naturelles que les eaux ont creusées, que les hommes ont élargies, quand ils ne songeaient qu’à tirer du sous-sol des millions de moellons, que d’autres ont aménagées pour s’en faire des abris secrets ou, — s’il s’agit des féodaux du XIIIe siècle, bien avant les Allemands du XXe, — un redoutable lacis de défenses.


II. — CHAMP DE BATAILLE DEUX FOIS MILLÉNAIRE

Voilà la forteresse. Toujours elle a été considérée comme redoutable. César n’osa l’attaquer de front et, la menaçant sur le flanc Est, la tourna par l’Ouest pour s’en rendre maître. La Monarchie de Paris ne se considérera comme solide que lorsqu’elle en aura démantelé, en paralysant les Coucy et les Roucy, les principaux bastions. Napoléon, lorsqu’il entendra soudain délivrer Paris des menaces que l’Europe coalisée suspendra sur sa capitale, pensera aussitôt à frapper là et, parce que finalement, il y échouera, perdra l’Empire. C’est parce que, s’étant fait assommer d’un seul coup à Sedan, la France ne pourra défendre le massif, qu’elle semblera impuissante à rétablir sa fortune. Et le génie militaire le comprendra si bien qu’il bâtira entre Soissons et Laon ces forts que malheureusement l’ennemi en août 1914 trouvera désarmés et, — d’après l’aveu de la carte d’État-Major elle-même, s’il s’agit de Malmaison, — « en ruines. » La montagne de Laon n’est, pour Henry Houssaye, qu’une « immense redoute. » El si on lit le rapport du maréchal French de 1914, on semble le voir s’arrêter, en ces jours de septembre, frappé d’anxiété devant le mur qu’il va falloir réduire et qu’il décrit en termes si expressifs, ces « éperons et rentrants » de la falaise au-dessus de ce traître fleuve « sans gués, » aux ponts tous exposés au feu de l’ennemi, ces bois épais « semés sur les bords des pentes » qui sont de redoutables couverts, ces « positions masquées » par la nature elle-même, avant même que l’ennemi en ait aménagé les secrets réduits.

En réalité, c’est là le front presque inattaquable et il a fallu vraiment à nos soldats un héroïsme au-dessus de l’imagination pour avoir, en des journées célèbres de 1917, enlevé cette barrière de falaises. En fait, on pouvait penser jusque-là qu’on n’enlevait pas le front de l’Aisne, qu’on n’assaillait même pas le massif, mais qu’on le tournait. Ni César, ni Napoléon, ni Joffre ne paraissent avoir conçu le dessein de forcer une forteresse dont il reste dès lors à surprendre une des portes ou à déborder la masse. Et c’est, en effet, en forçant la porte Craonne que Napoléon put entrer en coin par l’Est, en forçant la porte Laffaux-Malmaison que nos soldats, en octobre 1917, firent sauter définitivement la résistance organisée par l’ennemi sur le Chemin des Dames.

Quant à négliger le massif, aucun chef de guerre prévoyant ne put jamais y songer. J’ai dit quel rôle il joue dans l’économie d’une grande bataille engagée des provinces du Nord à celle de l’Est. C’est, à dire vrai, le cœur de cet énorme tournoi.

C’est par sa bataille de l’Aisne que César a démoli l’énorme confédération de la Gaule Belgique ; et c’est devant Soissons que, triomphant de Syagrius, gouverneur pour Rome de la Gaule latinisée, Clovis, en 486, fonda son pouvoir. C’est en chassant de l’Aisne les derniers fils de Charlemagne, puis en renversant la féodalité de l’Aisne, dans une bataille d’un siècle, que les Capétiens devaient fonder et assurer la leur.

Car ce pays de l’Aisne, débordant de souvenirs historiques, est, plus même que tout le reste de l’Ile-de-France, la terre de la vieille histoire de France. « Nous sommes habitués, écrit Vidal La Blache, à faire pivoter notre histoire autour de Paris : pendant longtemps elle a pivoté entre Reims, Laon, Soissons et Noyon. » Rien n’est plus vrai : des Mérovingiens aux Capétiens, notre vieille histoire est là.

C’est à Reims que Clovis, par son baptême, a, en quelque sorte, transformé l’histoire des Gaules, car, de ce jour, une tribu de barbares, pas très différente jusque-là des autres, a reçu droit de cité dans cette civilisation gallo-latine, vaincue par les armes à Soissons, et licence de l’employer à de grands desseins. Et si le sacre des rois se fait traditionnellement à Reims, c’est cependant à Noyon que Charles, le futur Charlemagne, a reçu la couronne passée à une nouvelle famille. Et quand à cette deuxième race une troisième tente de se substituer, c’est le massif de l’Aisne qui est, entre les « ducs de France » prétendants au trône et les derniers descendants de Charlemagne, le grand champ de bataille. Celui qui enlèvera ou gardera le massif sera roi. Le comte de Paris, Eudes, s’empare-t-il de Laon en 891 sur le Carolingien, il devient roi ; Charles le Simple le reprend-t-il en 897, il redevient roi ; Robert, fils d’Eudes, après avoir battu Charles le Simple à Soissons, enlève-t-il derechef Laon au prix de sa vie, son frère Raoul sera roi ; le Carolingien Louis IV en est-il redevenu maître qu’aussitôt il s’y fait sacrer ; il abandonne la ville, il la reprend. Et le dernier des ducs de France, Hugues Capet, y assiège le dernier des petits-fils de Charlemagne, Charles de Lorraine, qui, réduit à ce mince domaine, reste roi tant qu’il est, ainsi que le disent les chroniqueurs, « le roi de Laon. » Ainsi Hugues tient-il à gagner les gens du massif ; c’est l’évêque de Laon, Adalbéron, qui, à Noyon, le fait acclamer rex Francorum et c’est donc sur ce champ de bataille, un siècle disputé entre les deux races, que le vainqueur fonde la troisième dynastie, comme Clovis a fondé vraiment la première entre le champ de bataille de Soissons et le baptistère de Reims, Charles, — très réellement, — la seconde au sacre de Noyon.

C’est à ce massif que reviennent, au XIIe et au XIIIe siècle, les petits-fils d’Hugues parce que, ce massif leur échappant, ils entendent le ressaisir. Que seront-ils à Paris si la voie de Reims leur est coupée par les féodaux qui ont mis la main sur le massif ? Le Coucy qui « n’est roy ne prince ne comte, » mais « qui est le sire de Coucy, » tient tout l’Ouest, vrai souverain qui a Saint-Gobain, qui a Pinon, qui, au Nord, a la Fère, Marle et Vervins, qui possède autour de Coucy seul vingt et un villages et cent en ses autres seigneuries, le Coucy, qui de ses hautes tours domine, comme un aigle de son aire, la région de Noyon à Soissons et qui, de ce fait même, est le premier des féodaux, puisque Enguerrand III, au milieu du XIIIe siècle, en arrive à prétendre à la couronne de France.

Mais ce que le Coucy est à l’Ouest, le Roucy l’est à l’Est, Roucy qui ne tient pas seulement ce château dominant le massif de la rive gauche, entre Maisy et Cormicy et sur la tour duquel nous verrons Maud’huy surveiller sa bataille, mais qui, par cette tour, tient Vesle et Aisne, Roucy qui, descendant du Normand Ragenold, est devenu prince en cette région de l’Aisne, car, tenant encore Draine, Neufchâtel, Sissonne, il a acquis, après le bastion Sud-Est qu’est Roucy, le bastion Nord-Est qu’est Montaigu. Et, à côté des Coucy et des Roucy, il y a les sires de Parfondru, les seigneurs d’Anizy, les seigneurs de Vassogne, les seigneurs de la Bove, etc. Tant que ces gens, de Coucy à Montaigu, de Roucy à Anizy, seront maîtres, la dynastie de Paris ne sera pas solide. Imaginez ces gens qui, bien avant l’Allemand, ont utilisé les creuttes, liant leurs souterrains par un réseau de galeries à travers le massif. Les Capétiens ont, — des siècles, — mené la bataille des Féodaux, l’une des plus compliquées, capitale pour leur royaume. Ils sortaient de Reims sacrés, mais en regagnant Paris, ils passaient, — très vite, — sous les tours crénelées. Ils tournèrent, eux aussi, le massif, mais à leur façon qui fut toujours de préférence politique ; avares de concessions aux communes dans leur domaine, ils s’insinuèrent dans le pays en montant les bourgeoisies contre les seigneurs : quand Noyon et Laon les reconnurent pour les protecteurs de leurs petites républiques, les rois avaient à leur manière mené leurs sapes vers le massif. Alors ils entamèrent la lutte et les châteaux durent baisser pavillon sous peine d’être de haut en bas fendus. Ainsi, par deux fois, le Capétien a, par des batailles de l’Aisne, fondé et assuré son trône.

Et c’est là encore que le Valois vient, — en 1429-1430, — ressaisir ce trône derrière Jeanne d’Arc. Les Bourguignons ont livré le massif à l’Anglais : une lutte très âpre s’est engagée depuis quinze ans. Pour ne citer qu’un épisode, ce château de Montaigu, jadis possession des Roucy, est aux Bourguignons en 1417 ; La Hire, un des meilleurs soldats du roi, les en a chassés en 1418 ; ils l’ont repris en 1421 ; le roi les en chassera en 1441 et pour plus de sûreté le rasera. La Bove a été envahi par les Anglo-Bourguignons en 1400 ; Laon a été livré à la coalition ; Soissons semble pour eux. Lorsque, ayant tiré le roi de Bourges, lui ayant par sa campagne de la Loire, puis par sa campagne de la Marne, frayé la voie vers Reims, la bonne Lorraine l’a fait sacrer, elle se demande, dans une veillée d’angoisses douloureuses, si sa mission est remplie. La dynastie est-elle restaurée et la France sauve ? Mais le massif n’a pas reconnu le roi. Elle s’y engage de Corbeny, suit la crête du Chemin des Dames, descend à Vailly, y reçoit les clefs de Laon ; elle rend au roi Noyon, Compiègne. Et plus tard c’est à la nouvelle que cette cité est assiégée, principe d’une nouvelle bataille de l’Aisne, qu’elle reprend l’épée : on peut dire, puisque c’est là, en vue du massif, qu’elle fui prise, que c’est encore pour défendre sur une de ses avancées la région de l’Aisne que la noble fille a sombré dans la gloire.

Les siècles passent ; des féodaux, les châteaux de l’Aisne, Coucy, Anizy, ont passé aux Condé. La Fronde s’adosse au massif. Le gouverneur de Coucy, Hébert, refuse de reconnaître l’autorité du roi. Mazarin y jette des troupes : le 10 mai 1652, le célèbre château de 10 000 pieds carrés avec ses tours, ses murs, ses courtines, son donjon, est pris : une mine y est placée, car il faut en finir avec cette éternelle bataille de la Monarchie et des arrière-Féodaux dans le massif ; et l’énorme tour se fend des fondations au sommet. C’est par cette brèche que la Monarchie enfin rentre en maîtresse dans la région. La bataille des Féodaux est close.

Et c’est encore en cette contrée où, après César et Clovis, Carolingiens et Capétiens ont fondé leur fortune et l’ont disputée, où les fils d’Hugues et les Féodaux se sont affrontés, et Français contre Bourguignons, et Mazarin contre Condé, c’est en cette contrée fatidique, à Soissons, Reims, Laon, que Napoléon est ramené lorsque, d’un coup hardi, il tente de relever nos armes et son tronc. Point de doute que si le vainqueur de Craonne eut été, le lendemain, le conquérant de Laon, l’armée coalisée tout entière, — l’hypothèse fut par elle envisagée, — n’eût rétrogradé vers la Meuse et le Rhin. L’Empereur eût en quelque sorte rétabli sa fortune dans cette région même où Clovis, Charlemagne, Hugues Capet avaient, en des circonstances diverses, fondé celle de leurs maisons, où contre les Coucy les premiers Capétiens avaient assuré la leur, où Jeanne avait, en y menant Charles VII, achevé de restaurer la « Maison de France. »


III. — LA BATAILLE DE CÉSAR

Lorsque l’Empereur, en 1814, accourant de la Marne sur l’Aisne, passait la rivière à Berry-au-Bac, il savait, ayant étudié à fond les Commentaires, mettre une fois de plus ses pas dans les pas de César. Et d’ailleurs, marchant sur Corbeny, il pouvait voir s’élever à sa droite une croupe allongée et régulière dont le sommet a gardé à travers les siècles la mémoire du vainqueur des Gaules : à l’est de la ferme du Choléra, s’élève en effet le « Camp de César. » Enfin, lorsque Napoléon étudiait sa marche sur Laon, son œil, couvant le massif, avait dû apercevoir, sur les pentes orientales du massif, entre Saint-Thomas et Erne, ce Vieux Laon où, à 206 mètres d’altitude, s’inscrit le « camp des Romains, » l’antique Bibrax, oppidum Remorum, ville forte des Rémois.

C’est en effet César qui ouvre la série des batailles de l’Aisne.

Appelé en Gaule par les gens de la région d’Autun, les Eduens, il avait, en l’an 696 de Rome, 58 avant notre ère, refoulé les Helvètes au-delà du Jura, rejeté, en 57, les Germains d’Arioviste de l’autre côté du Rhin ; et maintenant il se heurtait à l’énorme confédération des Belges, occupant le pays entre la mer du Nord, la Somme, l’Aisne et la Meuse, Remois, Suessions (gens du Soissonnais), Bellovaques et Ambiens (gens du pays de l’Oise et de la Somme), Atrebates (gens de l’Artois), Nerviens (gens du Hainaut et des Flandres). Puissante confédération puisqu’elle pouvait mettre sur pied une armée de plus de 250 000 hommes, alors qu’après ses deux campagnes, le général romain voyait ses six légions tombées chacune des 6 000 hommes de l’effectif normal à 4 000 et moins.

César, ayant résolu de marcher contre les peuples belges, reconstitue son armée. Recrutant dans le Nord de l’Italie deux nouvelles légions régulières, que lui amena Quintus Pedius, il grossissait ses troupes noires de plusieurs milliers d’archers et de frondeurs enrôlés en Afrique et dans les Baléares et allait bientôt voir les escadrons de cavalerie légère numide s’ébattre aux côtés des solides corps de cavalerie d’Aurunculeius Cotta. Cette question d’effectifs réglée, il disposait de 50 000 hommes environ, ce qui était peu encore en face des 250 000 Barbares que lui dénonçait son service de renseignements. Mais le chef était César et ces 50 000 hommes, c’étaient les légions de Rome.

La guerre pouvait être d’autant plus scabreuse que les Belges occupaient par tous les côtés le massif de l’Aisne ; les Bellovaques à l’Ouest, les Suessions au Sud, les Rémois à l’Est en tenaient les fronts. De la région de la Saône où il avait reconstitué son armée, le proconsul avait l’œil fixé sur cette énorme forteresse naturelle qu’il allait falloir, avant toutes choses, faire tomber, — barrière élevée entre lui et la Belgique. Sa fortune, si constamment menacée à Rome par les intrigues d’illustres politiciens, n’avait pas bénéficié des premiers succès contre Helvètes et Germains, qui, tenus pour médiocres, avaient coûté trop de sang aux légions, criait-on sur le Forum ; sa politique de guerre était désapprouvée, combattue, incriminée ; s’il échouait contre les Belges, si même un combat plus ou moins heureux laissait derechef les légions en lambeaux, le proconsul était perdu. C’était contre le massif de l’Aisne que pouvait, battue en brèche sur le Forum, se briser, après ses premiers pas, la fortune de Jules César.

Grand politique déjà, plus encore que grand militaire, obligé d’ailleurs de ménager ses forces et d’agir avec prudence, il cherchait par des intrigues à s’assurer des alliés. Les Rémois, seuls parmi les Belges, penchaient vers Rome Or, ils étaient alliés précieux, autant que l’avaient été, contre les Helvètes, les Eduens maîtres de la vallée de la Saône. Car, tenant le pays entre la Meuse et le massif de l’Aisne, ils avaient leur capitale Durocortorum (Reims) étant en plaine, bâti une place forte au flanc oriental du massif, Bibrax, probablement Vieux Laon[3]. Qu’il s’agisse de Beaurieux ou de Vieux Laon, pentes du


CARTES POUR SUIVRE LES OPERATIONS DE LA BATAILLE DE CESAR


Sud-Est ou pentes de l’Est, Bibrax, place forte importante était une clef du massif[4]. Les Rémois la livrèrent à César en se livrant eux-mêmes. Mais les Belges sentant d’instinct que, tenant le massif, ils barraient la route au Romain, se jetèrent sur Bibrax où commandait Iccius, Rémois romanisé. Ils établirent leur armée autour de la forteresse, annulant ainsi en partie l’avantage que César croyait avoir acquis.

Celui-ci continuait à réfléchir, tout en agissant. Il s’était, de la Franche-Comté actuelle, avancé sur la Champagne. De la Marne, il gagna la rivière Axona, l’Aisne actuelle. Attaquer le massif lui paraissait sans doute folie : même Bibrax tenant, il fallait maintenant, pour délivrer la ville, escalader les pentes sous les flèches, les balles des frondes et les pierres des balistes. Son plan parait avoir été, tout en tâtant le flanc Est, de faire tourner le massif à l’Ouest par l’Aisne inférieure et l’Oise, alors Isara. Il savait que les Bellovaques, gens de ce pays, fournissaient, pour l’heure, la plus grosse partie de l’armée belge qui occupait la région de l’Aisne. Tandis qu’il fixerait les Barbares à l’est du massif, les attirerait peut-être en plaine et les déconfirait, il jetterait un corps allié à l’Ouest, qui, marchant sur Braduspantium (probablement Breteuil, dans l’Oise), déborderait le massif, par un large mouvement tournuant. « Cela était possible, écrit-il, une fois que les Eduens auraient fait pénétrer leurs troupes sur le territoire des Bellovaques[5]. » Négligeant d’attaquer le front Sud des plateaux tenu par les gens du Soissonnais, qu’il ne comptait réduire qu’après la chute du massif, il donna à Diviciac et à son armée éduenne mission de marcher sur le Beauvaisis actuel en suivant probablement la rive gauche de l’Aisne et, après Compiègne, la rive droite de l’Oise. — Diviciac recevait donc de César à peu près la mission que, vingt siècles après, le général en chef Joffre devait confier au général Maunoury, tandis que lui, César, fixerait les Barbares dans la région où, en 1914, le même général en chef Joffre attribuerait un rôle analogue à l’armée du général Franchet d’Esperey. Tant la géographie impose les mêmes gestes !

Le proconsul passa délibérément l’Aisne à Berry-au-Bac, — où Napoléon la franchira lui-même, — avec ses huit légions et ses troupes africaines. Il y organisa une forte tête de pont, un castellum, où il laissa Quintus T. Sabinus avec six cohortes (environ 3 000 hommes). Une bulle, — celle qui aujourd’hui s’étend de la ferme du Choléra à la ferme de Mauchamp, — lui paraissait fort propre à porter un beau camp. Car, couverte par l’Aisne au Sud, elle l’est au Nord et à l’Ouest, nous l’avons vu, par le petit ruisseau marécageux de la Miette qui court de Juvincourt vers l’Aisne. Le camp lui-même fut établi à l’extrémité orientale de la longue bulle, où s’est conservé le nom de Camp de César (notre 287e de ligne l’assaillera, avant tant d’autres, le 14 septembre 1914) ; César le fit entourer d’un retranchement de 12 pieds et d’un fossé de 22 et flanquer du côté de l’Aisne d’un redan, — autre castellum. Là il attendit que la diversion des alliés à l’Ouest du massif produisît son effet.

Cependant il importait que Bibrax, sur le flanc Est, ne succombât point ; car les Barbares pouvaient dès lors, de leur côté, y attendre l’attaque des Romains, ce qui eût indéfiniment prolongé la situation. Or, la ville, serrée de près, appelait à l’aide ; résolu à ne pas engager son armée dans une aventure, le proconsul se contenta d’y jeter un gros d’archers Numides, entendant garder pour une bataille possible ses solides légions. Ces indigènes d’Afrique firent si bonne besogne sous les murs de Bibrax, que les Barbares, désespérant de réduire la ville, dévalèrent soudain en plaine où ils vinrent à leur tour ; à 2 000 pas (environ 13 kilomètres) de celui de César, établir leur front de bataille qui semble avoir été énorme[6].

Le camp des Belges était, — on ne peut en douter, — sur le petit massif où s’élève la Ville-aux-Bois, que devait enlever, le 16 septembre 1914, le 18e de ligne, du corps Maud’huy. Les Barbares alors déployèrent leur armée au Nord de la Miette et semblèrent attendre les Romains. Mais César était patient : audacieux dans ses conceptions, il était souvent assez prudent, le cas échéant, pour s’exposer au reproche de pusillanimité ou tout au moins de lenteur. Il envoya simplement sa cavalerie inquiéter les avant-postes ennemis : ainsi s’engagèrent dans les marais de la Miette quelques combats équestres. Jugeant que la disposition des lieux lui donnait l’avantage[7], il organisa en outre son champ de bataille, creusant deux longs fossés qui, jusqu’à la Miette au Nord et l’Aisne au Sud, couvraient son camp[8] ; à l’extrémité, il établit un ouvrage où il installa ses tormenta, balistes qui, infiniment plus perfectionnées que celles des Gaulois, constituaient cette grosse artillerie dont la vue et l’action avaient si souvent démoralisé les Barbares. Cela fait, il rangea, lui aussi, son armée en bataille devant la Miette, laissant simplement deux légions à la garde du camp lui-même.

Mais aucun des deux partis n’entendait engager ses gros dans le marécage (celui-là même que traverse en chaussée la route de Reims à Laon). Les Belges essayèrent alors d’une manœuvre : ayant découvert des gués, vadis repertis, — actuellement entre Gernicourt et Pontavert, — ils tentèrent de passer l’Aisne. Ils entendaient ainsi tourner et emporter l’ouvrage que tenait, on s’en souvient, Tilurius Sabinus, dans le dessein de couper ensuite le pont qu’il commandait. Averti par Sabinus, César fait passer le pont à sa cavalerie latine et à la légère d’Afrique, ainsi qu’aux frondeurs et archers indigènes. Assaillis dans le fleuve même, les Belges devaient succomber. Le massacre fut terrible ; César donne ce détail que, sur les cadavres mêmes accumulés dans l’eau, les survivants essayèrent encore, — c’étaient des Gaulois, — de se faire un pont ; mais arrivés sur la rive gauche, ils y étaient entourés et mis en pièces. L’armée belge n’était plus de force, après ce massacre, à livrer une bataille rangée : elle se rejeta brusquement dans le massif. Mais elle y manquait de vivres, ipsos res frumentaria deficere cœpit, et César, plus résolu que jamais à ne pas faire massacrer ses légions dans un assaut prématuré, attendait, par ailleurs, les effets du mouvement tournant par l’Oise. Il n’attendit pas très longtemps : à la nouvelle que leur pays était envahi, les Bellovaques de l’Oise déclarèrent qu’ils y couraient ; les Belges, désormais trop faibles, ne pouvaient, en face de l’année romaine intacte, s’exposer à un désastre. Ils décidèrent la retraite.

César l’apprit un peu tard. Il jeta cependant la cavalerie de Pedius et de Cotta à leurs trousses : elle les suivit pendant plusieurs lieues, taillant en pièces les arrière-gardes.

Quant à César, il quitta son camp, descendit rapidement l’Aisne, marcha sur Noviodunum (Soissons), capitale des Suessions, qui, quoique ville forte (propter lalitudinem fossæ murique altitudinem), émue par le spectacle des Belges en fuite qui l’envahissaient, et prise de panique devant l’installation des grosses machines de siège, se rendit sans combat.

César entendait accentuer le mouvement tournant. De Noviodunum (si on adopte l’hypothèse de Napoléon III dans sa Vie de César), il continua à descendre l’Aisne jusqu’à son confluent avec l’Oise, passa ce fleuve à Compiègne, se dirigea sur Braduspantium (Breteuil) devant lequel il dut rejoindre les troupes de Diviciac et, ayant fait capituler la place, marcha délibérément vers le Nord, — c’était sa « course à la mer », — où il allait réduire à la soumission les Ambiens (Amiens), puis battre derrière la Sambre, au Sud de Maubeuge, Atrebates (Artésiens), Viromandunois (Vermandois) et Nerviens (Flamands et gens du Hainaut) qu’il devait achever d’écraser près de Namur.

Mais dès que, de Soissons à Beau vais, César avait triomphé, le massif de l’Aisne tombait. César l’eut désormais sous la main. Il en fit une de ses plus sûres forteresses. A l’heure où la Gaule se soulèvera, en 51, Suessions et Rémois lui resteront fidèles. Assaillis par les Bellovaques révoltés, ils appelleront à l’aide, et c’est alors que César, pour les dégager, livrera, à l’Est de la forêt de Compiègne, cette bataille de Trosty qui, rejetant les ennemis au-delà de l’Aisne inférieure, fut le point de départ d’une nouvelle campagne de l’Oise. Le massif de l’Aisne était sauf.

On peut dire que César y avait gagné sa première grande bataille. Sa qualité maîtresse, — qui était le sang-froid, — s’y était révélée. La diplomatie qui lui avait valu, avec l’alliance des Rémois, un pied sur le plateau, l’intelligence stratégique dont il avait fait preuve en faisant tourner par les troupes alliées le massif à l’Ouest, le soin avec lequel il avait installé son camp, l’entêtement qu’il avait mis à s’y maintenir, la résistance qu’il avait opposée aux sollicitations d’Iccius qui eut voulu entraîner toute l’armée sur Bibrax, la patience avec laquelle il avait supporté les provocations de l’armée ennemie sur la Miette, l’à-propos avec lequel il l’avait surprise en flagrant délit au passage de l’Aisne et la rapidité foudroyante avec laquelle il avait de Berry-au-Bac à Soissons, de Soissons a Breteuil, enveloppé le massif, font de cette première bataille de l’Aisne un des gros événements de sa carrière militaire. Il était guetté à Rome, compromis, presque perdu. On peut dire qu’il gagna l’Empire de loin, — là même où Napoléon devait vingt siècles plus tard, tenter de rétablir le sien et le perdre : — la région de l’Aisne.


IV. — LA BATAILLE DE NAPOLÉON. — DE L’OURCQ A L’AISNE

Les Gaules sont de nouveau envahies. L’invasion, — sans précédent, — a, dès les dernières heures de 1813, débordé l’Empire et pénétré en France par toutes les voies : Schwarzenberg, par la Suisse violée, a gagné la Haute-Seine, avec ses 200 000 hommes ; Blücher, traversant la Lorraine, avec ses 46 000 hommes, a occupé l’entre Marne et Seine ; les corps Bülow et Winzingerode, par la Belgique, ont envahi le Nord avec 66 000 hommes : 512 000 Allemands, Autrichiens et Russes, formidable avant-garde de deux millions de soldats, ont, dès les derniers jours de janvier, paru devoir se rencontrer sans éprouver de résistance sérieuse autour de Paris.

Napoléon, refoulé au-delà du Rhin, avec des lambeaux de la Grande Armée, a dû employer décembre et janvier à se refaire, avec ces débris et de jeunes conscrits, » une armée de fortune : soldats fatigués et soldats inexpérimentés, vieille garde usée, jeune garde novice, cadres insuffisants, artillerie médiocre, dans un pays qu’on peut légitimement tenir pour las sous un empereur qu’on croit à bout. Le Grand Empire est en ruine, l’Empereur condamné dans l’esprit de l’ennemi, la France envahie, menacée de dépècement. Mais Napoléon ne s’est pas un instant abandonné. Appelé à défendre contre un ennemi cinq fois supérieur en nombre la France avec sa couronne, on l’a retrouvé soudain tel que, quinze ans auparavant, il apparaissait à la nation : c’est le chef qui, dès le milieu de février, va pouvoir s’écrier : « Cent mille hommes et moi, cela fait 200 000 ; » l’homme aux décisions promptes, aux infatigables combinaisons, à la forme direction. Seul le nombre lui manque ; mais, dès la fin de janvier, il compte remédier à l’infériorité des effectifs par la supériorité du génie chez lui, de la valeur chez les Français. La nation, — tardivement, mais ardemment, — a répondu à son appel. Rien ne semble perdu s’il est là. Et il ne désespère point de rejeter sur la Meuse, puis sur le Rhin, les armées de la Coalition déconfites.

On sait comment, se jetant d’abord sur Blücher, il l’a accroché à Brienne le 27 janvier, tenu en échec à la Rothière le 1er février, a presque anéanti à Champaubert, le 10, le corps Olsufjew, battu les corps York et Sacken à Montmirail le 11 et rejeté derrière l’Ourcq, le 12, ces corps désemparés, chargé le 14, à Vauchamps, le feld-maréchal lui-même, enfoncé, bousculé son armée, et ne perdant que 600 hommes, tué, blessé, pris 6 000 Prussiens ; comment, se retournant contre l’armée de Schwarzenberg qui, descendant la Seine, menaçait Paris, il a, par un simple geste, figé sur ses positions la grande armée alliée, puis, en refoulant les avant-gardes de Fontainebleau, Provins, Montereau, reconduit dans sa retraite jusqu’à Troyes le feld-maréchal autrichien si effrayé, que, le 23, celui-ci se dérobe dans une nouvelle retraite, 150 000 hommes refusant le combat à 70 000 ; comment enfin, le 25 février, les souverains et généraux alliés assemblés en un conseil de guerre à Bar-sur-Aube ont délibéré de regagner le Rhin. C’est alors que l’armée Schwarzenberg, se retirant tout au moins sur Langres, Blücher, plus audacieux, — le « général Vorwaerts, » — franchissait l’Aube et, pensant enlever Paris d’un coup de main, pendant que Napoléon poursuivrait Schwarzenberg, se jetait, à destination de la capitale, sur la grand’route de Coulommiers, le 24 février.

Il n’avait que 48 000 hommes ; mais il appelait à lui le corps russo-prussien Bülow (30 000), le corps russe de Winzingerode (36 000) qui, en ce moment même, opéraient dans les vallées de l’Oise et de l’Aisne. Ç’avait été pour eux campagne sans grand mérite, tout leur semblant livré des Ardennes à l’Oise ; Bülow, venant de Mons, occupait ce jour-là même (24 février) la forte position de Laon démunie de troupes. Par ailleurs, les Cosaques de Winzingerode, arrivant de Rethel, avaient, dès le 6, enlevé Reims. Poussant son avant-garde sur Soissons, le général russe Tchernitchef avait trouvé la ville évacuée et Winzingerode y était entré le même jour. Il est vrai que, persuadé que tout allait se terminer sous Paris, il l’avait évacuée à son tour le 16 pour installer son quartier général à Reims. Soissons avait alors été réoccupé par une petite garnison française. Mais un corps franc ennemi, le corps Geismar, ayant, le 26, occupé brusquement Noyon et Chauny, et la Fère ayant été, le 27, enlevée par le général Thumen, le massif de l’Aisne paraissait tout entier entre les mains des coalisés, l’encadrant par Rethel, Reims, la Fère et Noyon. C’est sur ces entrefaites que Blücher appelait, avec l’autorisation des souverains coalisés, les corps Bülow et Winzingerode, à le rejoindre devant Paris.

Le feld-maréchal prussien, — persuadé que Napoléon était entraîné et comme enchaîné par la retraite même de l’armée Schwarzenberg, — avait, en effet, délibérément marché sur Paris, que couvraient seuls les deux faibles corps de Marmont et de Mortier. Dans la nuit du 27 au 28, il avait traversé la Seine à la Ferté-sous-Jouarre et porté ses divisions sur la rive gauche de I’Ourcq, qu’il comptait franchir facilement. A la vérité, les deux maréchaux s’étaient, à Lizy, opposés à son passage, et Marmont se portait à May à la rencontre des Prussiens, quand le feld-maréchal apprit que, tenu en échec par les lieutenants de l’Empereur sur son front, il était menacé d’être attaqué sur ses derrières, — et par qui ? Par Napoléon lui-même.

Celui-ci, dès qu’il avait eu vent de la marche de Blücher sur Paris, avait délibérément abandonné la poursuite de Schwarzenberg. Laissant 40 000 hommes à Macdonald pour contenir celui-ci derrière l’Aube, il avait quitté Troyes et, à la tête d’une armée de 35 000 hommes, couru droit à la Marne ; Victor, avec les deux divisions de jeune-garde Charpentier et Boyer de Rebeval, Ney avec deux autres (Meunier et Curial) et la brigade d’Espagne Pierre Boyer, Friant avec la vieille garde, la division du duc de Padoue, enfin Belliard et Grouchy avec 6000 cavaliers de la Garde et dragons d’Espagne constituaient cette petite armée. Le 2 mars, Napoléon était à la Ferté-sous-Jouarre.

Blücher, s’il délibérait vingt-quatre heures, était pris entre deux feux. Ainsi que devait le faire, en 1914, Klück, pris entre Maunoury, French et d’Esperey, il ne songea qu’à une prompte retraite vers l’Aisne, espérant passer sans encombre la rivière et tenir dans le massif. Napoléon entendait non seulement l’y suivre, mais, le débordant, l’y précéder et lui couper la retraite. C’est ainsi qu’un siècle avant que des circonstances pareilles amenassent pareil événement, une bataille de l’Aisne s’allait souder à une bataille de l’Ourcq[9].


Napoléon croyait tenir Blücher ; s’il parvenait à le gagner de vitesse, il lui fermerait le passage de l’Aisne. Cette victoire serait de la plus grande conséquence. Car, redevenu maître de la région de l’Aisne, l’Empereur, qui avait écrasé Blücher entre les maréchaux et lui, se trouverait en situation de recommencer la campagne en des conditions singulièrement plus favorables. S’étant jeté ainsi sur les communications de l’ennemi avec le Nord, il appellerait à lui les garnisons immobilisées dans les places des Ardennes et de la Moselle, se jetterait, avec une armée doublée, sur les derrières de Schwarzenberg à Saint-Dizier, le couperait, le chasserait, rétablirait totalement la situation. La reprise du massif de l’Aisne, après l’écrasement d’une des armées alliées, restaurait à coup sûr la fortune de l’Empereur avec celle de la France. Il fallait avant tout détruire Blücher.

Celui-ci ne pouvait passer l’Aisne que fort en amont de Soissons. La ville en effet avait été réoccupée, nous l’avons vu, par une petite troupe qui, si elle tenait bon, lui barrerait le passage, le forcerait à l’effectuer plus haut dans des conditions en tout état de cause très défectueuses, même si le feld-maréchal parvenait, ainsi qu’il y prétendait, vingt-quatre heures avant Napoléon au pont de Berry-au-Bac.

Il ne lui fallait pas, en ce cas, perdre une heure. Laissant Kleist sur l’Ourcq, pour masquer sa retraite à Marmont et le contenir, le feld-maréchal remontait promptement la vallée de l’Ourcq qui le menait à celle de la Vesle par où il aboutirait à l’Aisne. Mais, redoutant d’être acculé par Napoléon a une bataille rangée, il adressait appel sur appel à Bülow et à Winzingerode afin qu’ils vinssent au-devant de lui dans la région de Fismes. Par ailleurs, il leur demandait, sur un ton où, malgré son affectation de confiance, perçait l’anxiété, de lui indiquer les points de passage de l’Aisne. Bülow et Winzingerode ne songeaient, eux, qu’à faire tomber Soissons qu’ils abordaient l’un par la rive droite, l’autre par la rive gauche. L’occupation de Soissons par les Français semblait, de l’avis des lieutenants, placer le feld-maréchal dans tel péril qu’il faudrait, si Soissons tenait, un miracle pour l’en tirer.

Blücher, cependant, gagnait précipitamment Oulchy-le-Château, puis Fère-en-Tardenois, courant vers Fismes. Marmont avait, à May, bousculé et repoussé jusqu’à la Ferté-Milon le corps Kleist et n’avait été arrêté à Neuilly-Saint-Front que par la supériorité d’artillerie de l’ennemi. D’autre part, l’Empereur, ayant franchi la Marne à la Ferté-sous-Jouarre, marchait droit au flanc de Blücher. Celui-ci, averti, exigeait de ses troupes des marches folles : en réalité, essayant, avec l’habituelle morgue prussienne, de faire illusion à son entourage, affirmant qu’il était sans inquiétude, ayant tout prévu, il était rongé d’anxiété, haletant de crainte. En admettant qu’il pût garder son avance, non de vingt-quatre, comme il le dit, mais de douze heures, sur l’Empereur, et arriver ainsi avant lui à Berry, il était matériellement impossible qu’il pût, en ce laps de temps, faire passer l’Aisne à toute son armée sur le seul pont de Berry : il risquait donc d’être saisi par Napoléon en flagrant délit de passage, attaqué lorsque son armée, éreintée au témoignage de tous les témoins, serait par surcroît en partie passée sur la rive droite. ! Or, il recevait de Winzingerode avis que celui-ci ayant tenté un coup de main sur Soissons, y avait échoué ; il avait, à la vérité, sommé la place de se rendre, mais il ne paraissait pas espérer grand’chose de cette démarche et promettait, si elle échouait, de rejoindre le maréchal à Fismes sans plus insister.

Blücher dut connaître, en cette matinée du 4 mars, des heures terribles. La résistance de Soissons anéantissait la seule chance que, malgré les affirmations de ses apologistes, il eût d’échapper aux « serres de l’aigle. » Mais en arrivant à Buzancy, à midi, il y reçut une dépêche triomphante de Winzingerode : Soissons avait capitulé : le passage était libre.

La capitulation de Soissons est peut-être l’événement le plus néfaste de la campagne de 1814 et par conséquent l’un des plus graves de notre histoire. Quoique Napoléon ait tenté d’en réparer le mal, il devait rester finalement irréparable. On sait quels projets fort réalisables l’Empereur avait échafaudés sur l’écrasement de Blücher ; on sait que, selon toutes les probabilités et de l’aveu des propres lieutenants du feld-maréchal, cet écrasement le 3 mars au soir semblait à peu près inévitable. Il fallait que Soissons tînt quarante-huit heures : le gouverneur de la place, un général Moreau, médiocre, pusillanime et crédule, s’en laissa imposer par les artifices du parlementaire de Winzingerode, le général de Löwenstern[10] et capitula sans aucune nécessité pressante, encore qu’il dût entendre le canon de Marmont à quelques lieues au Sud. C’eût été, en tout état de cause, une faute très grave ; les circonstances en faisaient un crime.

Napoléon arrivait, le 4, à Fismes, avec la vieille garde et le corps de Ney ; il croyait toucher au but ; en fait, il barrait la route de Berry-au-Bac à Blücher. Par surcroît, Corbineau, détaché sur Reims, allait reprendre cette ville, ce qui garderait le flanc droit de l’armée de toute surprise. Et enfin Marmont et Mortier, l’Ourcq passé, talonnaient l’armée Blücher de telle façon que l’étau semblait près de la broyer. A Hartennes, les maréchaux apprirent que Soissons avait capitulé et que toute l’armée prussienne franchissait sur les quatre ponts le fleuve dont, quelques heures avant, le passage lui semblait interdit. Ils s’arrêtèrent et expédièrent à Napoléon avis de l’événement. Napoléon reçut à Fismes la nouvelle : il ne perdit que cinq minutes à écrire cette lettre foudroyante en sa brièveté au ministre de la Guerre où l’on sent, contre ce « misérable » Moreau, gronder une fureur bien légitime ; puis, à son ordinaire, il se rejeta sur ses cartes et chercha, — c’était le propre de son génie, — à reconstruire une situation avec les morceaux de sa combinaison mise en pièces.


V. — CRAONNE ET LAON

Encore que maîtresse de quatre ponts, l’armée de Blücher passait très lentement l’Aisne ; d’autre part, l’Empereur la savait fatiguée, et, avec la complaisance que tout chef militaire, fût-il le plus grand, accorde aux renseignements favorables, la tenait pour plus démoralisée qu’elle ne l’était ; si, voulant éviter encore la bataille, Blücher essayait, par la route de Paris-Maubeuge à travers le plateau, de gagner Laon, Napoléon, dont les avant-gardes atteignaient Berry-au-Bac, pouvait espérer encore l’y précéder en utilisant la route de Reims à Laon, un peu plus courte et moins accidentée. Par Corbeny et Festieux, il gagnerait la plaine et Laon plus rapidement que Blücher ne saurait le faire par Laffaux, Chavignon et Etouvelles. Arrivant à Laon avant les Prussiens, il leur offrirait la bataille, adossé à cette formidable redoute. Il poussa son armée vers Berry, pressant par ailleurs Marmont et Mortier de le rejoindre.

L’Empereur ne craignait qu’une chose, c’est que Blücher, au lieu d’essayer de se porter sur Laon, tentât de lui disputer le passage de l’Aisne. Effectivement, Blücher en avait l’intention, mais ne pouvant s’imaginer que l’Empereur fût déjà sur Berry-au-Bac, il s’attendait à lui voir tenter de forcer le passage vers Venizel ou Micy. Le 4 mars au soir, il avait établi ses troupes sur les premières crêtes du plateau ou sur la rive droite de l’Aisne : Langeron était à Crouy, Bucy-le-Long, Vregny et Nanteuil-la-Fosse et Sacken le long de l’Aisne, de Soissons à Vailly ; Winzingerode occupait au centre les hauteurs au Nord de Vailly ; Kleist s’installait à Vaudesson, Pinon, Pargny-Filain, Chavignon, Anizy-le-Château ; York bivouaqua dans la région de Margival à Laffaux ; Biilow gardait la route de Soissons à Chauny, entre Cuffies et Terny.

C’était bien mal connaître Napoléon que de le croire capable de commettre la folie qu’eussent été, sous le feu de Blücher, le passage de l’Aisne et l’attaque du plateau sur le front Sud : le lecteur qui a bien voulu nous suivre tout à l’heure sur ces pentes comprend assez que, n’ayant qu’une petite armée, l’Empereur était doublement tenu, — tout comme César en 56, — d’éviter une opération qui, même heureuse, lui eût coûté les trois quarts de ses effectifs. Il ne songeait qu’à tourner le massif par l’Est : l’important était que Blücher n’eût pas incontinent étendu son armée à sa gauche jusqu’à Berry et Corbeny. Il retendait au contraire à sa droite, vers Vic, n’ayant fait garder le pont de Berry que par quelques régiments de Cosaques et deux canons. L’Empereur n’hésita plus à marcher de l’avant : Nansouty enlèverait le pont avec ses lanciers polonais et la cavalerie de la garde.
CARTE POUR SUIVRE LA BATAILLE DE NAPOLEON

Vers deux heures de l’après-midi, cette cavalerie arrivait devant Berry ; le chef d’escadron Skarzynski se précipitait avec sa simple avant-garde sur le pont et l’emportait, bousculant les Cosaques surpris et enlevant leurs deux canons. Les Cosaques essayant de se rallier au-delà de la Miette, — la même où la cavalerie de César s’était engagée avec celle des Belges et que devaient connaître en 1914 les soldats du général Brulard, — les Polonais de Skarzynski les chargèrent derechef avec tant de succès que, écrit un témoin, « je ne crois pas qu’on ait jamais vu de cavalerie fuir avec un abandon aussi désespéré. Pendant plus de deux lieues que dura la poursuite, aucun de ces cavaliers russes ne fit mine de regarder derrière lui[11]. » Les nôtres, arrivant sur Corbeny à leurs trousses, occupèrent le village.

Le pont libre, les divisions passèrent le fleuve et vinrent s’échelonner entre Berry-au-Bac et Corbeny. Le passage continua durant les journées du 5, du 6 et du 7. L’Empereur, enchanté, voyait dans ce facile passage une relative revanche de la chute de Soissons. Sur son flanc droit, Corbineau, le 5, venait d’enlever Reims aux Russes : Napoléon en montra une vive satisfaction. S’il parvenait à Laon, il allait, maître des deux villes, donner la main aux garnisons de l’Ardenne d’une part, de la Moselle de l’autre. Cependant son flanc gauche l’inquiétait : pouvait-on marcher sur Laon, en laissant Blücher sur le plateau ? Si celui-ci, sortant de son erreur, tombait sur l’armée impériale en marche, on risquait un désastre. L’Empereur faisait surveiller le plateau de Craonne, tout en appelant à lui les maréchaux qui, de CBaine, se livraient à des démonstrations sur Soissons.

Ces démonstrations confirmaient le feld-maréchal dans son opinion erronée. Brutal et audacieux, il continuait à prêter à l’Empereur le dessein que le « général Vorwaerts » eût peut-être conçu : ses divisions restaient, face au Sud, le dos à l’Ailette, attendant l’attaque de front, Winzingerode, entre Brave et Cerny, constituant sa gauche, avec la mission de surveiller le terrain, mais « en avant de lui. »

Dans la nuit du 5 au 6, le feld-maréchal apprit le passage de l’Empereur à Berry et sa marche sur Corbeny. La surprise de Blücher surprend ; ses lieutenants montrèrent quelque mécontentement. « Il est bien fâcheux, écrit Woronzof à Winzingerode, que nous n’ayons pas pu défendre ce pont, et Votre Excellence peut voir, en calculant le temps, que la chose était impossible, l’infanterie n’étant partie de Soissons qu’hier, vers le soir. » Signalant cependant comme une hypothèse peu croyable la marche audacieuse de l’Empereur sur Laon, il ajoutait que, sans attendre les ordres du feld-maréchal, il massait ses troupes, soit pour attaquer l’ennemi en route, soit pour lui résister sur le plateau, ajoutant d’ailleurs : « Si je suis contraint de me replier avant d’avoir été renforcé, j’exécuterai ce mouvement par la route qui, venant de Craonne, rejoint près de l’Ange Gardien la chaussée de Soissons à Laon. » Déjà il délibérait d’abandonner le Chemin des Dames à l’Empereur.

Encore que Winzingerode « ne pût croire que l’ennemi se dirigeât sur Laon, » le départ des maréchaux abandonnant soudain la région de Soissons pour gagner à leur tour Berry-au-Bac, achevait d’éclairer Blücher. Avec un bel à-propos, il modifia en quelques heures, avec son plan, le dispositif de ses troupes. Il entendait maintenant précipiter son armée vers l’Est, occuper le plateau de Craonne, menacer Napoléon, l’attaquer de flanc. Suivant le Chemin des Dames, il descendrait en plaine entre Corbeny et Berry-au-Bac. L’armée reçut l’ordre de pivoter sur sa gauche et de faire face à l’Est : la droite, vers l’Aisne, de Cerny et Paissy à Craonne ; la gauche, de Bruyères à Festieux ; le centre, à la Bove et dans la vallée de l’Ailette. Le front ayant ainsi été modifié, l’armée russo-prussienne foncerait sur le flanc de l’Empereur en flagrant délit de marche.

Napoléon continuait à pousser droit sur Laon. Déjà, avec la promptitude d’esprit qui le caractérisait, il entendait que la combinaison prît corps dont la possession du massif, tourné, était la base. « Sa Majesté, écrit Berthier au ministre de la Guerre, va aujourd’hui sur Laon et ordonne de faire sortir des places des Ardennes et de la Moselle deux fortes divisions. Sa Majesté compte (le chef d’état-major général prévoit évidemment l’écrasement de Blücher devant Laon) se jeter sur le flanc droit de la Grande Armée ennemie (Schwarzenberg) par Saint-Dizier et Joinville, dans le temps qu’Augereau (qu’il suppose en Franche-Comté) se jettera sur son flanc gauche par Bourg, Lons-le-Saunier et Besançon. » On voit à quel projet grandiose l’opération de l’Aisne devait servir de point de départ et quelle foi l’Empereur avait dans son succès.

Mais il était, par ailleurs, trop prudent pour continuer à marcher vers le Nord, en laissant à Blücher, sur son flanc, la disposition de la partie orientale du plateau. Il était renseigné sur les mouvements de l’ennemi : Blücher avait quitté Chavignon, le 6 au matin, pour se porter sur Craonne ; à la même heure, Napoléon faisait occuper le bourg par deux bataillons de la jeune garde ; après un court combat, ces conscrits étaient restés maîtres de la situation. Napoléon avait fait par ailleurs avancer sur l’abbaye de Vauclerc, dans la vallée de l’Ailette, la division Meunier, du corps de Ney, qui en avait délogé les Russes et pénétré assez avant dans ce couloir pour que Ney pût, sans crainte d’être surpris, établir son quartier général au château de la Bove, sur le plateau septentrional.


« L’offensive prise par Napoléon déconcertait Blücher, écrit Henry Houssaye, mais le mouvement de Blücher sur Craonne déconcertait Napoléon. » Le maréchal devait renoncer à surprendre Napoléon en marche et lui livrer bataille en plaine, mais Napoléon devait renoncer à marcher délibérément sur Laon par la plaine avant d’avoir nettoyé d’ennemis les plateaux orientaux du massif. Il était ainsi entraîné vers le Chemin des Dames et la route de Soissons à Laon où celui-ci l’amènerait ; il lui faudrait refouler l’ennemi sur Laon, au lieu d’aller l’y attendre. Il espérait, à la vérité, ne rencontrer, barrant le chemin, qu’une très forte arrière-garde dont il aurait raison en quelques heures ; portant sur le plateau son armée, il entendait que Marmont et Mortier, qui allaient passer l’Aisne, marchassent sur Laon par la route de Reims. Peut-être arriveraient-ils assez tôt pour n’avoir à écraser sous la ville que les débris de l’armée alliée battue par l’Empereur sur le plateau.

Blücher pénétra le dessein. Ayant appris l’occupation par les Français de Craonne et de la vallée de l’Ailette, il jugea que la position devenait moins bonne qu’il ne l’avait espéré et qu’il serait téméraire d’y compromettre toute son armée. Par ailleurs, il paraissait que le problème étant d’arrêter les Français sur le Chemin des Dames, point n’était besoin pour barrer l’isthme d’Hurtebise d’une armée entière ; ce serait déjà beaucoup d’y placer quelques corps, une trentaine de mille hommes. Pendant qu’ils arrêteraient l’armée impériale, un corps de cavalerie, passant l’Ailette, gagnerait, à travers le plateau septentrional, la région de Festieux et, débouchant ainsi sur les derrières de l’assaillant, le tournerait sur la route de Reims entre Coucy-les-Eppes et Montaigu. Préférant d’ailleurs faire tuer des Russes plutôt que des Prussiens, le vieux maréchal jeta vers Hurtebise Woronzof, avec 16 300 fantassins, 2 200 cavaliers et 96 canons, le corps prussien de Sacken, fort de 16 000 hommes, devant ne former en arrière qu’une réserve ; Winzingerode, avec, sa cavalerie (10 000 chevaux) et 60 pièces de canon, suivi par l’infanterie de Klüst, opérerait la marche sur Festieux, après avoir franchi l’Ailette entre Chevregny au Nord et Filain au Sud.

Rappelons en peu de mots ce que nous avons dit du champ de bataille. Craonne est accroché sur le flanc oriental d’un plateau qui, de son rebord Est à Hurtebise, se trouve deux fois étranglé : ainsi forme-t-il trois presqu’îles qu’en 1917 on devait baptiser plateau de Californie, plateau des Casemates, plateau de Vauclerc. Aucun de ces étranglements ne laisse un passage aussi étroit que le troisième, l’étranglement d’Hurtebise, par lequel le plateau de Craonne se rattache aux grands plateaux d’entre Ailette et Aisne. De la vallée toujours marécageuse de l’Ailette, la forêt de Vauclerc monte à l’assaut de la pente et s’enfonce en coin dans le plateau : c’est le ravin qu’en 1814 on appelait le Trou de la Demoiselle : au Sud, un autre ravin vient creuser le plateau : il part de la vallée Foulon et escalade la hauteur par une pente plus abrupte encore : c’était le Trou d’Enfer. C’est entre le Trou de la Demoiselle et le Trou d’Enfer que s’allongeait l’isthme d’Hurtebise. À l’entrée de l’isthme se trouvait la vieille ferme d’Hurtebise devant laquelle commençait le Chemin des Dames, courant vers Cerny à l’Ouest, à travers le large plateau qui s’étend de Paissy au Sud aux pentes qui dominent, dans la vallée de l’Ailette, le village d’Aillés.

Après avoir pris Craonne, les bataillons de jeune garde s’étaient avancés sur le plateau, mais, chargés par les hussards russes Pawlograd, ils avaient été rejetés dans le bourg où ils se maintenaient. En revanche, la division Meunier, s’étant emparée de l’abbaye de Vauclerc, sur les pentes de l’Ailette, avait refoulé l’ennemi sur la ferme d’Hurtebise qui, prise et perdue trois fois, avait été finalement évacuée par nous a la nuit. Le corps de Ney avait pu cependant s’établir en toute sécurité sur les deux rives de l’Ailette, à Chermizy, Bouconville, Ailles. Le reste de l’armée était resté en plaine entre Berry-au-Bac et Corbeny où Napoléon avait encore son quartier général, à l’hôtel de l’Ecu de France, depuis démoli. Il s’en fallait que toutes les troupes eussent passé l’Aisne : une partie de l’artillerie divisionnaire de Charpentier était encore sur la rive gauche que Mortier et Marmont n’avaient pas encore atteinte. La bataille allait donc s’engager, le 7, au matin, dans des conditions assez défavorables pour nous.

Par surcroit, Woronzof, chargé de la défense de l’isthme, avait dit avec raison le commandant Weil, « admirablement tiré partie du terrain » qui, à la vérité, se prêtait à une défense aisée. Sa première ligne barrait l’isthme : forte de quatorze bataillons, elle faisait face au débouché d’Hurtebise, à 1 200 mètres en arrière de la ferme qu’occupait un poste russe avancé : la gauche s’appuyait à la crête de la montagne dominant le Trou de la Demoiselle, la droite débordait l’isthme et s’allongeait un peu sur les pentes du Trou d’Enfer vers la vallée Foulon. Une deuxième ligne de sept bataillons, une troisième de neuf étaient à cheval sur le Chemin des Dames, l’une à 500 et l’autre à 1 000 mètres en arrière de la première. La droite de la première ligne était couverte par le régiment Pawlograd et quatre régiments de Cosaques, face à la vallée Foulon et à Vassogne. Mais la force de Woronzof était dans son artillerie très supérieure, par le nombre des pièces comme par l’expérience des canonniers, à la nôtre : 26 pièces, dont 12 de gros calibre, commandaient le défilé, 12 étaient braquées sur les fonds du Trou d’Enfer, 18 sur ceux du Trou de la Demoiselle et 6 sur le village d’Aillés, 30 bouches restant en réserve.

Peu de positions avaient offert à Napoléon, soit par la disposition du terrain, soit par la façon dont l’ennemi l’avait utilisé, plus de difficultés.

Il eut la chance de rencontrer dans le maire de Beaurieux un de ses anciens camarades de la Fère, Bussy, qui le renseigna sur ces difficultés, — ce qui était déjà aider à les vaincre. L’Empereur avait l’intention de canonner le débouché de l’isthme pour faire croire à une attaque de front : cependant, Ney, escaladant de l’abbaye de Vauclerc les pentes du Trou de la Demoiselle, déboucherait sur le flanc gauche de Woronzof, et les cavaliers de Nansouty feraient, de Vassogne, la même opération sur son flanc droit. Mais pour Bussy, c’était folie d’essayer de faire gravir à des cavaliers les pentes Sud de l’abbaye de Vauclerc ; mieux valait partir d’Ailles : la pente était moins raide et le débouché se ferait un peu en arrière de l’isthme, double profit. Napoléon, qui aimait employer les gens compétents, nomma incontinent colonel cet ancien lieutenant et le chargea de guider la cavalerie sur la pente Sud dont le maire de Beaurieux connaissait tous les sentiers.

L’artillerie était encore, dans la nuit du 6 au 7, près de Craonne ou en plaine. Une assez forte gelée avait, cette nuit-là, verglassé le sol, et les équipages eurent quelque peine à hisser les pièces, si bien qu’elles ne furent le 7 mars qu’entre neuf et dix heures en position, — retard qui fut très préjudiciable, — sur le petit plateau (Californie actuelle). Pendant que l’on échangeait des boulets, Blücher, qui s’était porté près de Woronzof, attendait avec anxiété des nouvelles de Winzingerode ; il était résolu à ne pas rester sur la défensive : il prendrait l’offensive dès qu’il aurait de bonnes nouvelles du corps chargé d’exécuter, par Festieux, un grand mouvement tournant. Mais, apprenant que, loin d’être à Festieux, ce corps complètement envasé piétinait encore dans la vallée de l’Ailette, il quitta le champ de bataille pour l’aller presser et donna l’ordre à Sacken, qui le suppléerait, et à Woronzof, de se contenter de résister jusqu’à nouvel ordre.


L’Empereur eût de son côté volontiers attendu, ainsi qu’il l’avait fait en avant d’Iéna sur le plateau de Landgrafenberg, l’arrivée de toutes ses unités avant d’entamer le combat. Et ce fut encore Ney qui, comme huit ans avant sur le Landgrafenberg, l’engagea prématurément. Tandis que l’artillerie amusait le tapis, soudain une terrible fusillade éclata sur la gauche de l’ennemi. C’était Ney qui escaladait les pentes du Trou de la Demoiselle par sa brigade Pierre Boyer : le terrible maréchal, chez qui la valeur ne se modéra jamais de prudence, avait du moins les avantages de ses défauts. C’était un entraîneur d’hommes : son audace se communiquant à ses troupes, celles-ci avaient, avec une surprenante vigueur, grimpé à travers les arbres de la forêt de Vauclerc et pris pied en quelques instants sur la crête du plateau ; mais elles restaient en l’air, notre attaque de front ne se pouvant déclencher, et, en butte bientôt à un feu nourri d’infanterie et d’artillerie, elles étaient bientôt rejetées avec pertes dans les fonds. Nansouty cependant, parti de Vassogne, gravissait moins rapidement les pentes du Trou d’Enfer.

Il était urgent qu’engagé par Ney le combat ne semblât pas s’affaisser : l’Empereur attendait Victor et la division de jeune garde Boyer de Rebeval ; car, s’il avait autour de lui la division Friant, il n’entendait pas la lancer dès le début d’une action difficile : c’était la vieille garde, « espoir suprême et suprême pensée. » Victor enfin arriva : ordre lui fut donné de côtoyer le ravin de Vauclerc jusqu’au Chemin des Dames ; Ney tentant un second assaut sur le flanc gauche de l’ennemi, Victor, longeant la crête du plateau, essaierait de lui donner la main.

Ces soldats de Rebeval étaient tout jeunes : « Le général, écrit son chef d’état-major, était loin de s’attendre à entrer en ligne avec des troupes formées de conscrits réunis depuis vingt jours, pendant lesquels ils avaient fait plus de cent lieues et avaient en conséquence à peine eu le temps d’apprendre à charger un fusil[12]. » Cependant ces enfants s’élancèrent avec le courage de vieux soldats.

Ayant contourné le plateau, ils débouchèrent devant la ferme d’Hurtebise ; les Russes l’évacuèrent après y avoir mis le feu, — fort heureusement, car telle circonstance permit aux jeunes soldats de Rebeval, sous le couvert de la fumée et malgré le feu de quarante-huit pièces, de gagner sans trop de dommage la Mutte-aux-Vents, derrière laquelle ils s’abritèrent. « La division, ployée en colonne serrée, franchit le défilé et se porta en avant afin de gagner le terrain nécessaire pour favoriser le déplacement de l’ennemi jusqu’à l’arrivée des troupes qui ne purent monter que lentement. » Le feu continuait à être intense : derrière la Mutte-aux-Vents, les Marie-Louise s’apprêtaient à une nouvelle marche, résignés, bons petits Français qui ce jour-là attendrirent les grognards. L’artillerie de la division s’était mise en batterie ; mais les canonniers, tout jeunes, valaient les fantassins ; le gémirai Drouot qui survint en eut pitié : l’illustre artilleur, le héros de Hanau, « montrait à nos canonniers, avec autant de douceur que de sang-froid, comment on chargeait et pointait un canon. »

Infanterie et artillerie avaient tout de même si bien travaillé que le défilé était libre. Ney, par ailleurs, se liant à Victor, avait pu, après un second assaut, s’accrocher au tfanc Nord de l’isthme et, sous la pression de cette attaque, la gauche ennemie fléchit : Victor en profite pour ordonner un second bond à l’infanterie de Rebeval qui, avançant de mille mètres, se jette dans le petit bois Marion. Victor, blessé, passe le commandement à Rebeval qui, entouré de feux, voit avec désespoir ses pauvres Marie-Louise « fondre » dans cette fournaise, suivant l’expression qu’emploiera l’Empereur.

Il était urgent de les renforcer : la brigade Sparre franchit le défilé : les dragons d’Espagne débouchent sur le bois Marion, chargent les batteries, sabrent les servants, emportent les canons. À ce moment où la gauche ennemie fléchit, où son front supporte ce rude assaut, grand tumulte à sa droite ; Nansouty débouche enfin de Vassogne en haut des pentes du Trou d’Enfer ; ses escadrons, chargeant hussards et Cosaques, coupant ces cavaliers de l’armée Woronzof, les rejettent à gauche, les refoulent jusque près de Paissy, s’apprêtent à les précipiter dans les ravins quand l’artillerie de la réserve ennemie, intervenant, interrompt cette poursuite.

Il n’en va pas moins que Woronzof est fort inquiété sur ses flancs ; sans doute son centre résiste, mais qu’en restera-t-il s’il ne met fin aux attaques répétées par une contre-attaque ? Ne faut-il pas laisser à Winzingerode le temps d’arriver par Festieux sur les derrières des Français ?

Soudain l’armée russo-prussienne s’ébranle. A sa droite, elle rabat Nansouty, le ramène aux crêtes du Trou d’Enfer ; au centre, elle avance droit aux jeunes gardes de Rebeval qui tirent mal ; elle se rue à gauche, sur les soldats de Ney qui, pris de panique, et malgré les coups de plat de sabre du maréchal et ses furieux jurons, se précipitent dans la vallée de l’Ailette. En quelques moments, Woronzof a rétabli sa situation.

Le malheur est que Napoléon continue à ne pouvoir faire donner sérieusement sur le centre. Les troupes, — cavaliers, fantassins, canonniers, — si vite qu’elles arrivent par Craonne de leurs bivouacs de plaine, trouvent les pentes si verglassées qu’elles les escaladent avec une pénible lenteur. A une heure seulement, les grenadiers à cheval, l’infanterie de la division Charpentier, la réserve d’artillerie abordent enfin l’extrémité du plateau. Mais enfin ils y sont. Napoléon, — comme jadis à Iéna, — s’avance sur le plateau : le petit chapeau se voit au-dessus des baïonnettes, l’Empereur domine le champ de bataille. C’est toujours l’indice que l’heure a sonné de vaincre.

La cavalerie de la garde, grenadiers a. cheval, s’avance au galop vers l’isthme ; en un instant, le centre ennemi est chargé ; il répond par un feu meurtrier qui fait reculer les cavaliers ; mais derrière eux la division Charpentier s’est avancée, qui occupe l’entrée du Chemin des Dames, prolongeant ainsi la gauche de la division Rebeval dont les derniers survivants se rallient aux camarades. A son tour, Ney aborde pour la troisième fois le plateau. Enfin à notre gauche, entre Vassogne et la ferme des Roches, Nansouty réparait avec 5 000 cavaliers. Mais la décision n’est pas là. Elle est dans l’artillerie : l’Empereur dispose enfin de ses soixante-douze pièces : elles s’avancent. L’Empereur les pousse vers le défilé. Le front russe sous leur tir oscille et vacille.

Woronzof résiste encore, mais pour combien de temps ? Sa gauche est derechef repliée, sa droite entamée, son centre ébranlé. Winzingerode ne viendra-t-il pas tout sauver ?

Or, à cette heure, ce Winzingerode, tant attendu, se trouvait engagé dans la pire aventure. Le fond de la vallée de l’Ailette n’avait pas bénéficié de la gelée : elle était restée si marécageuse que les cavaliers, la traversant entre Filain et Chevregny, s’y étaient embourbés, y perdant dans un incroyable désordre près de trois heures. Il avait fallu ensuite escalader les pontes du plateau septentrional, elles, verglassées, glissantes, raboteuses : sur le plateau même les chevaux buttaient, s’abattaient ; des années après, les officiers gardaient un souvenir odieux de cette marche : « De toute ma vie, écrit Henckel von Donnersmarck, je n’ai fait une marche plus horrible », et un officier d’York : « Je ne saurais indiquer les villages que je traversais… L’état de rage continuelle où je me trouvais, m’a empêché d’en garder la mémoire. Ce que je sais, c’est que, pour être sûr de ne pas arriver à destination, il n’y avait qu’à suivre cette route et marcher dans cet ordre. Le terrain entre l’Aisne et la Lette (l’Ailette) est très accidenté, très coupé, les chemins de traverse y sont détestables et la gelée, survenant après de grandes pluies, les avait rendus absolument impraticables. Force fut de hisser en haut des côtes les canons, de les retenir à bras d’hommes sur les descentes couvertes d’une épaisse couche de glace. » Dans la vallée bourbeuse, sur l’autre plateau, on n’avança pas[13]. Le vieux Blücher lui-même survenant, avec ses gros jurons prussiens, n’y fit rien. Il fallut bien reconnaître qu’à s’acharner, on s’exposait à pire mésaventure. On avait mal calculé le temps ou mal étudié le terrain. La diversion se produirait trop tard. Qui sait si, débouchant à Festieux, on n’y trouverait pas des corps français faisant tête ? Qui sait surtout si on ne serait pas pris dans le massif entre ceux-ci et les vainqueurs de Craonne ?

Blücher renonça ; il entendait maintenant ramener son monde à Laon pour y pouvoir, appuyé sur la montagne, gagner la seconde manche. Il fallait livrer les plateaux. Il expédia à Woronzof, à Sacken l’ordre de se replier. Woronzof, si ébranlé que fût son corps, refusa d’abord, puis se soumit. Il le fallait bien d’ailleurs, car l’ordre de Blücher ne sauvait que l’honneur ; déjà les Russes lâchaient pied ; Belliard arrivant par leur droite les harcelait, tandis que, débouchant d’Aillés, la brigade Boyer faisait mine de leur couper la retraite.

Celle-ci commença : Woronzof y maintenait de l’ordre, mais ayant pensé trois fois s’arrêter pour faire front, il en fut trois fois empêché. Les deux armées suivaient le Chemin des Dames et ses bas-côtés, l’une harcelant l’autre. A Cerny, où Woronzof faisait mettre ses pièces en batterie, il devait aussitôt abandonner la position ; Belliard sabrait ses arrière-gardes, débordait le chemin. Sacken dut faire établir du canon au grand Tilliolet (ce qu’on appelle aujourd’hui le Tilleul de Courtecon), mais Drouot marchait avec son artillerie et, en quelques salves, démonta les pièces ; de Cerny à Courtecon, de Courtecon à l’Epine de Chevregny, de l’Epine à la Royère, la retraite harcelée continuait. De temps en temps, un corps à corps s’engageait ; des hommes étaient précipités sur les pentes de l’Ailette que longe le Chemin des Dames. Enfin, arrivé à la jonction de la route de Soissons à Laon, Woronzof se jeta vers Chavignon au Nord ; nos avant-gardes arrivaient, après avoir dépassé la Malmaison, à l’auberge de l’Ange Gardien. On avait tout le Chemin des Dames : la nuit seule empêchait de poursuivre plus avant. Napoléon arriva lui-même à l’Ange Gardien : il y écrivit à son frère : « Je leur ai pris leur canon ; je les ai poussés jusqu’à l’Ange Gardien depuis Craonne. » Il revint coucher à Brave chez M. de Noue de Villers (la maison existait encore en 1914). Il écrivit de là à Berthier : « Faites afficher que nous les avons menés tambours battant sous la mitraille de cent pièces de canons depuis Craonne jusqu’à l’Ange Gardien. » Ainsi le Chemin des Dames entra définitivement dans l’histoire.


L’armée s’était arrêtée à sept heures du soir, la cavalerie de Colbert cantonna à Aizy, la cavalerie de la Garde bivouaqua à hauteur de Jouy entre Aisne et Ailette, ’la division Roussel vers Ostel, le gros de l’artillerie entre Filain et Ostel, la garde avec l’Empereur à Brave. A l’aube, l’infanterie arrivait à son tour sur la route de Soissons à Laon. Derrière la cavalerie remise en route, elle essaya de déboucher dans la plaine de Laon à Urcel et s’y arrêta. La division Friant était à Chavignon, les divisions Charpentier et Rebeval à la Malmaison.

Napoléon espérait emporter Laon par une attaque brusquée. Ayant perdu 5 400 hommes, il était affaibli ; mais, incontestablement vainqueur, il estimait en outre bien supérieures, — en quoi il se trompait, — les pertes de l’ennemi, qui étaient simplement égales. Ignorant que le feld-maréchal fût parvenu à Laon, le 9 mars, il poussa les dragons de Roussel sur la ville ; ils furent reçus par des salves de mitraille et durent se replier. Napoléon pensa réduire la ville par une bataille en règle. Il ne se résignait point à une victoire qui, ayant coûté cher, resterait en outre sans lendemain. Ici son dépit l’inspira mal. Il fallait bien reconnaître que la bataille de Craonne, si glorieuse qu’elle fût pour nous, avait, en le retardant, fait échouer une partie de son plan. Il avait voulu tourner le massif pour arriver promptement à Laon ; on l’avait forcé à le conquérir pour garder son flanc ; il l’avait conquis, mais il arrivait trop tard en face de « la grande redoute. » Il lui paraissait cependant qu’il ne pouvait, sans avoir au préalable anéanti Blücher, poursuivre le grand plan de rabattement sur la Haute-Marne dont la bataille de l’Aisne était le principe. Il eut la prétention, presque folle, de compléter sa victoire en forçant Laon, la ville inforçable.

On sait ce qui se passa : je ne m’y arrêterai que pour le rappeler en quelques mots. Pendant deux jours l’Empereur se consuma en de vains assauts.

D’abord refoulés, le 9 au matin, jusqu’aux premières rampes dans les faubourgs d’Ardon et de Semilly, les Prussiens par des contre-attaques débusquèrent les Français de Semilly et encore que, d’Ardon, une aventureuse compagnie fût parvenue à escalader les sentiers escarpés de cette « formidable falaise, » la division Poiret de Morvan fut à son tour expulsée du faubourg.

L’Empereur, arrivé de Chavignon, combinait pour le lendemain une nouvelle attaque. Marmont, arrivant fort en retard de Corbeny sur Festieux par la route de Reims, y devait jouer un rôle important ; or, cette nuit du 9 au 10, le Maréchal (« le duc de Raguse, dira Napoléon, s’est conduit comme un sous-lieutenant ») laissait surprendre à Athies son corps qui, pris dans une formidable hourrah, faillit y rester tout entier, ne s’en tirant qu’en y perdant la moitié de son effectif. Cependant l’Empereur maintint ses plans ; le résultat fut qu’il fit en vain, le 10, attaquer derechef les faubourgs. Cette attaque n’eut qu’un avantage : elle en imposa à Gneisenau qui remplaçait Blücher, terrassé par la maladie. Celui-ci qui, après le coup d’Athies, croyait à la retraite immédiate des Français, avait dicté un ordre de poursuite sur les routes de Soissons et de Reims. Décontenancé par l’offensive de gens qu’il s’apprêtait à poursuivre, Gneisenau avait naturellement dû renoncer à pourchasser un ennemi qui, si hardiment, le relançait ; mais son impression avait été si forte que, le 10 au soir, Napoléon se décidant à la retraite, le général prussien n’osa reprendre l’ordre de poursuite de Blücher, craignant une feinte.

Napoléon put donc gagner Soissons, — la ville avait été la veille réoccupée par les Français, — assez tranquillement ; Charpentier et la cavalerie marchèrent par Mons, Anizy et Laffaux ; Mortier et Priant par la grand’route ; Ney resta devant Laon pour en imposer et ne retraita que le lendemain 11 à l’aube.

Ce n’est qu’à ce moment que Gneisenau se décida à lancer ses hommes à la poursuite.

Seuls les Cosaques de Benkendorff avaient été, le 10 au soir, jetés dans le massif pour inquiéter nos, derrières : ils en avaient abordé le Sud par un énorme détour (Anizy-le-Château, Coucy-le-Château, Bagneux et Vauxrezis). Mais, débouchant du côté de Crouy, ils avaient été si mal reçus qu’ils avaient dû se replier, n’ayant pu qu’enlever dans sa voiture- le préfet de l’Aisne, le baron Malouet, qui, sur le bruit prématuré de la reprise de son chef-lieu, courait en poste de Soissons à Laon. Ce qui permit plus tard à Benkendorff d’écrire une brochure : Des Cosaques et de leur utilité à la guerre.

Si « utiles qu’ils soient à la guerre, » les Cosaques s’y laissent parfois prendre ; car, poursuivie par eux, toute une vaillante compagnie, devant le Moulin de Laffaux, — que les affaires de 1917 ont rendu glorieusement célèbre, — les attira dans un guet-apens et en nettoya la région pour un jour. En fait, le 11 à trois heures, toute l’armée était en sûreté à Soissons, couverte à la ferme La Perrière, au Nord de Crouy, par les avant-postes.

Gneisenau songeait moins à aller relancer l’Empereur à Soissons qu’à envelopper, à l’Ouest, le massif de l’Aisne, qu’il n’osait reprendre par le Nord. Bülow reçut l’ordre de gagner, par la Fère et la vallée de l’Oise, Compiègne qu’on espérait enlever aussi facilement que, le 3 mars, Soissons. La cavalerie battrait le pays entre l’Aisne et l’Oise. Sacken, le 15, reçut cependant mission de marcher sur Chavignon, Kleist d’occuper le plateau du Nord de Cliermizy à Bouconville, York de se porter sur Corbeuy et Berry-au-Bac. Sacken resta derrière l’Ailette, tâtant simplement le plateau méridional sans trop s’y aventurer. Bülow qui, à Compiègne, avait échoué devant la ferme attitude du général Othenin, se replia sur Laon. Mais déjà Napoléon était loin de Soissons. Il avait perdu la partie. La bataille de l’Aisne, c’était pour lui la destruction de l’armée Blücher. Celle-ci lui avait deux fois échappé. Certes il avait fallu un coup du Fatum, — la lamentable capitulation de Soissons, — pour qu’il ne l’acculât point sur la rive gauche même du fleuve à un engagement qui, étant donné l’état de l’armée prussienne, avait neuf chances sur dix de tourner pour elle en désastre. Il avait admirablement manœuvré de la Ferté-sous-Jouarre à Berry en tournant le feld-maréchal ; il avait vu juste en ne l’attaquant point sur la rive droite où la possession du plateau assurait à Blücher une supériorité écrasante ; il avait conçu un projet plein de simple grandeur en courant de Berry-au-Bac vers Laon ; il avait été prudent en s’assurant le plateau de Craonne et son armée y avait montré une valeur que pour la dernière fois la fortune avait couronnée. Mais la bataille de Craonne au lieu de durer cinq ou six heures, ainsi qu’il eût pu très rationnellement arriver, dura, — en raison du verglas, — toute une longue journée. Et cela suffisait à changer le destin, puisque, durant une journée, elle rendait caduc le projet sur Laon ; l’Empereur eut tort de ne pas s’incliner devant un fait, l’arrivée de Blücher dans Laon, et de s’entêter, n’ayant pu l’y précéder, à l’y suivre. Car, l’y précédant, il l’y écrasait presque à coup sûr ; mais, presque à coup sûr, l’y suivant, il s’y faisait repousser.

Sans doute, le soir de cette victoire à la Pyrrhus qu’était la victoire de Craonne, s’était-il dit que, de toute façon, la bataille de l’Aisne échouant, mieux valait tenter une suprême chance pour qu’elle réussit. Que Blücher fût, le 7 au soir, atteint du mal qui lui faisait, le 11 au soir, passer le commandement au médiocre Gneisenau, la fatalité, qui s’était si nettement, le 4 mars, à Soissons, tournée contre Napoléon, lui eût ainsi assuré une revanche. Mais il était dit qu’en 1814 la fatalité serait toujours contre lui.

C’est bien en cette région de l’Aisne, — de Soissons à Laon, — qu’elle se prononça le plus haut contre lui, là que plus qu’en aucun lieu il joua et perdit sa fortune. En ces lieux où César avait de loin gagné l’Empire, Napoléon le perdit.

C’est là également qu’un siècle après, allait se livrer, — au lendemain de la bataille de la Marne de septembre 1914, — une partie où peut-être s’est jouée la fortune de la guerre, car, suivant qu’on y réussît ou qu’on y échouât, la durée de l’énorme lutte pouvait être prolongée, — et partant modifié, dès l’automne de 1914, le sort de la France et de l’Europe.


Louis MADELIN.

  1. A plus forte raison peut-on le dire de celle de 1918 qui s’est déroulée quand la présente étude était sous presse.
  2. Conférence prononcée le 12 mars 1915 à la Société des Conférences. Revue hebdomadaire du 27 mars 1915.
  3. Les uns placent Bibrax à Beaurieux, au Sud-Est du massif de l’Aisne, les autres à Bièvres en plein massif, les autres au lieu-dit Vieux Laon entre Saint-Thomas au Sud et Erne au Nord, sur le glacis oriental du massif ; après avoir relu la Guerre des Gaules de César, il me paraît, bien que l’hésitation n’est guère permise. Bièvres, qui ne se recommande que par son nom, doit être cependant écarté ; César situe son camp à 8 000 pieds de Bibrax, soit 11 kilomètres 8 280, — disons 12, — ce qui est la distance exacte de Vieux Laon comme à la vérité de Beaurieux. Mais l’examen permet, entre Beaurieux et Vieux Laon, — « Camp des Romains », — de pencher fortement pour ce dernier.
  4. Cf. pour toute cette géographie, Desjardins, Géographie de la Gaule romaine, t. II.
  5. Id fieri posse si suas copias Haedui in fines Bellovacorum introducerent.
  6. Nous savons toute cette histoire par le général lui-même, porté naturellement, après victoire, à grossir le mérite avec le péril ; on a émis l’hypothèse que les chapitres des Commentaires pouvaient bien être, sinon des Communiqués, au moins des Bulletins de l’Armée des Gaules, fort analogues à ceux de Napoléon, expédiés aux amis de Rome et par eux répandus, ce qui expliquerait la rapidité étonnante avec laquelle, six ans plus tard, César put écrire son admirable chronique. En ce cas, il faut faire la part de ce que nous appelons le battage. Napoléon écrivait, le 10 février 1814, à Joseph : « Les journaux ne sont pas l’histoire, pas plus que les Bulletins ne sont l’histoire »
  7. Il dit que la butte était inclinée, comme la pente d’un toit (fastigatus), des deux côtés : la description de la butte de Mauchamp est des plus exactes.
  8. Nos hommes devaient creuser là une longue tranchée, qui reçut le nom de tranchée du Capitole. Parmi tant de dénominations fâcheuses, celle-là fait plaisir, liant nos poilus aux grands ancêtres légionnaires.
  9. Au moment où la guerre survint, je venais d’étudier, pour trouver place dans une histoire de l’Empire, la campagne de 1814. Je ne renverrai pas aujourd’hui à mes sources, me contentant de dire que, en complétant le célèbre 1814 de Houssaye, aujourd’hui un peu vieilli, par l’ouvrage en quatre tomes du commandant Weil, La Campagne de 1814, écrit en 1892 d’après les archives de la guerre de Vienne, on a déjà sur la campagne un bien excellent ensemble.
  10. Nous possédons ses Mémoires, édités par le commandant Weil.
  11. Cf. dans les Mémoires du général Dautencourt le joli récit, très enlevé, de ce combat.
  12. Rapport du chef d’état-major de la division Boyer de Rebeval. C’est un des documents (aux Archives du ministère de la Guerre) qui paraissent les plus exacts. Il a été publié dans Berlin. La campagne de 1814, d’après les témoignages oculaires. Paris, 1887.
  13. « Quelle belle canonnade on eût fait là-dedans ! » écrit Henry Houssaye avec un soupir de regret.