Les Chansons des trains et des gares/Ingénieuse réponse d’un jeune garçon

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Édition de la Revue blanche (p. 101-104).


INGÉNIEUSE RÉPONSE D’UN JEUNE GARÇON


À la terrasse d’un café, avec son père,
            Le voilà installé, tout comme
                    Un homme,
            Comme un homme le petit Albert ;
                    J’espère !
            Y en a-t-il beaucoup en France,
Beaucoup de garçonnets de votre connaissance,
    Qui, à cette heure, boivent dans un grand verre
    Du sirop de grenadine ? Non, je pense ;

            C’est qu’aussi il n’y en a guère
    Dont les parents puissent être aussi fiers,
Et qui soient aussi forts en histoire de France.
            Il faut bien qu’on le récompense,
            Il vient encore d’être premier.
(La composition était sur Jeanne d’Arc.)
            On est allé voir les baraques,
            Les baraques du premier janvier.

Et maintenant, tant pis si l’on rentre en retard !
            Tant pis si maman gronde un peu
Que le plat trop longtemps, attendit sur le feu :
C’est la vie, c’est la grande vie du boulevard !

Grenadine à l’enfant, au père absinthe verte ;
            — Puis, vous nous apporterez
            Tous les journaux illustrés, —
            Pour que la fête soit complète !

(Admirer de Forain le crayon incisif
            En savourant l’apéritif !
Joie ! à nous Hermann Paul, Caran d’Ache, et Willette !)

            Cependant des gens vont et viennent,
S’arrêtant, en passant, devant le jeune Étienne ;
            (Albert s’appelle Etienne aussi,
                                    Ceci
Soit dit pour la commodité de mon récit, —
Stéphanie est d’ailleurs le nom de sa marraine).
            Donc tous au jeune Albert-Étienne
            Proposent d’une voix méliflue
            Divers objets qui constituent
Le cadeau le plus séduisant, à leur avis,
            Qu’un père, à son enfant ravi,
            Puisse donner pour ses étrennes.

Mais le père d’Albert, du geste les écarte,
            Et à son fils tient ce discours :

            — Albert, tu n’as reçu le jour
            Que longtemps après nos désastres.
Mais, cher petit, digne espoir de ma race.
            Tu dois t’en souvenir toujours !

            Or, ces jouets, que l’on te vante,
            Je rougis rien que d’y penser,

                                    C’est
    De la fabrication allemande !
Étienne-Albert voudrait-il donc encourager
            Le commerce de l’étranger ?
            Ah ! mon fils, je te le demande !…

            L’enfant réfléchit un moment :
De m’avoir prévenu, père je te rends grâces,
            Dit-il, et reçois mon serment :
La terre m’engloutisse, ou la foudre m’écrase,
Si je touche jamais ces jouets allemands !

            Mais, ajouta-t-il à voix basse,
            N’est-il pas des ballons d’Alsace ?