Les Choses horribles contenues en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris

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Les choses horribles contenues en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris.

1589



Les choses horribles contenue en une lettre envoyée à Henry de Valois par un enfant de Paris, le vingt-huitiesme de janvier 1589, selon la coppie qui a esté trouvée en ceste ville de Paris, près l’orloge du Palais. Pour Jacques Gregoire, imprimeur.
M. D. LXXXIX

Henry, vous sçavez bien que, si tost que vous fistes mettre la vray croix de Jesus Christ hors de France1, bien tost après par dissimulation avez exercé l’estat de la religion catholique, et fut lors vostre cœur environné d’actes et faits damnables.

Vous sçavez bien que, lorsque vous donnastes liberté à tous sorciers, enchanteurs et autres devinateurs, de tenir libres escholes ès chambres de vostre Louvre, et mesme dans vostre cabinet, à chacun d’iceux une heure le jour, pour mieux vous en instruire2.

Vous sçavez bien qu’avez obligé vostre ame à tels gens.

Vous sçavez bien qu’ils vous ont donné un esprit familier en jouyssance, tiré du nombre de soixante esprits nourris en l’eschole de Soliman, nommé Téragon3.

Vous sçavez bien que, pour passer plus oultre vostre malignité, avez contrainct iceux sorciers et enchanteurs de transmuer cest esprit en figure d’un homme naturel, ce qu’ils trouvèrent fort estrange ; et neantmoins, avec leur art diabolique, ont accordé ceste requeste, et par faicts obliques, en corps et ame ont faict sortir un diable d’enfer, figuré en homme ; et de la region ou il fust premier apparu, ce fut en Gascogne, d’un nommé Nogeno, où il print le nom de Nogaret, ou Teragon, à cause de son premier nom Teragon, et se vint trouver au milieu de ces sorciers et enchanteurs. De bonne volonté le presentèrent à Henry estant au Louvre, accommodé comme un gentil-homme pour son conseil ; le roy de Navarre, qui sçavoit la tragedie, luy envoya un homme damné nommé du Beloy, pour l’introduire plus ardemment à trahison.

Henry, vous sçavez bien que, tout aussi tost que vistes Teragon, vous l’appellastes vostre frère, en l’accolant, et la nuict suyvante il coucha dans vostre chambre, seul avec vous dans vostre lict.

Vous sçavez bien que toute la nuict il tint sur vostre ventre droict au nombril un anneau, et sa main liée dans la vostre, et fust le matin vostre main trouvée comme toute cuitte ; et meit sur icelle un applic, et ce matin il vous monstra que dans la pierre de son anneau estoit la vostre ame figurée.

Vous sçavez bien que toute la nuict, sur ce serment damné, il vous enseigna mille trahisons et violenses assasinatiques. Henry, vous sçavez bien que, pour mieux couvrir vostre charme et l’honneur de vostre frère Teragon, l’avez mis en parenté d’un nommé de la Valette, ce qu’il trouva fort estrange, mais par grands dons y accorda cest accueil. Le dict de la Valette a juré et faict grand serment que ce Nogaret ou Teragon ne fust jamais son frère4, et en a asseuré le roy de Navarre.

L’on tient que ce dit Teragon eust affaire un certain jour à une fille de joye en la chambre secrette, de quoy icelle cuida mourir, suivant le recit qu’elle en a faict à ses privez amis, certifiant que Nogaret ou Teragon n’est point un homme naturel, parce que son corps est trop chaut et bruslant.

Madame la comtesse de Foix, sa femme, laquelle dict qu’elle aime mieux mourir que d’estre habitée de luy, et a dict que son mariage a esté faict par sort et par charme, et du tout contre sa volonté, et que la première nuict fut Teragon d’elle esvanouy, et puis le matin se trouva couché près d’elle, et alors iceluy Teragon la vouloit depuceler, elle ne sçeut endurer sa chair si chaulde qu’elle estoit, dont le jour ensuyvant ne cessa de plorer devant sa tante.

Or de croire cest effect damnable de ce diable desguisé est possible, car un conte de Flandres espousa le diable en figure de femme.

À Lucques, le primat tenoit le diable en figure d’un page.

À Toscane, une dame de nom tenoit une fille qui devinoit tout, et estoit un diable, comme enfin fut apparu.

En la ville de Bordeaux, un diable a esté veu un mois entier par la ville, monté sur un cheval, figuré en homme ; et, en fin du temps predit, emporta un homme à luy voué par achapt.

En Angleterre, le roy Edouard tenoit Gaverston, qui enfin fut trouvé diable desguisé, et fut cause que ce roy fist mourir des bons seigneurs ; dont, pour sa juste recompense, ce roy Edouard fut vif embroché en fer bruslant.

Toutes ces choses icy, ce sont des advertissemens à tous seigneurs de laisser Henry : car la verité est telle que tout homme ayant l’ame bonne accompaignant Henry, tous y seront perdus, par guerre ou par sort, ou par charmes, ou par femmes desbordées ou trahison : car c’est chose asseurée que l’estat du diable, regnant avec Henry, oste la vie, le renom, la gloire, l’honneur et la vertu des hommes.

Dialogue de Henry le tyran et du grand sorcier d’Espernon,
pour faire mourir Monseigneur de Guise
.

D’Espernon parle.

Sire, qu’attendez-vous ? Voilà le Guysien
Qui, comme une brebis amiable innocente,
Vers vous, trop cauteleux, pour mourir se presente :
Car, veu qu’avez juré, il s’asseure trop bien.

Henry.

N’a-t-il de l’entreprise encore entendu rien ?

D’Espernon.

Vostre amitié luy est autant qu’à moi plaisante ;
Il faut le despecher.

Henry.

Il faut le despecherJ’y ay bien mon attente ;
Puis le peuple de Blois n’est pas Parisien.

D’Espernon.

Et que craignez-vous donc ?

Henry.

Et que craignez-vous doJe doute d’une chose,
Qu’on vengera sa mort, parquoy si tost je n’ose
Que je ne sois certain d’avoir quelque secours.

D’Espernon.

Ne craignez rien ; je vay armer cent mille diables,
Terribles à chacun, mays à moy amiables,
Qui pourront tout destruire en moins de quatre jours.

Qui pourront tout destruire en moins de quatre de quatrePar tout gaillard.

Invocation des diables pour le secours de Henry le tyran,
faicte par le grand sorcier d’Espernon.

Trouppes des bas enfers, gendarmes sataniques,
Qui les lieux souterrains terribles habités,
La voix du magicien d’Espernon escoutés,
Vostre plus grand amy, frère des heretiques.
Sortez, sortez, soldats des antres plutoniques ;
De venir au secours de vostre Henry hastés ;
Venez, venez icy, en armes apprestés :
Nous voulons à ce coup chasser les catholiques.
Capitaine Astarot, sors de tes bas manoirs,
Ameine nous cent mil de tes gendarmes noirs,
Que renge Lucifer soubs sa noire cornette.
Desployez, mes amis, en l’air vos estandars,
Le vaillant Belzebut face de toutes parts
De peur trembler le peuple, au son de sa trompette.




1. Il s’agit du vol qui eut lieu à la sainte Chapelle dans la nuit du 10 mai 1575, et dont on accusa Catherine de Médicis, « de quoi, dit l’Estoille, la ville fut toute troublée… La commune opinion étoit qu’on l’avoit envoyée en Italie pour gage d’une grande somme de deniers, du consentement tacite de la reine mère. » (Journal de l’Estoille, Coll. Petitot, 1re série, t. 45, p. 115.) « Mais, dit encore L’Estoille (Ibid., p. 132), le 15 d’avril de l’année suivante, jour de Pâques fleuries, le Roi fit publier aux prônes de toutes les paroisses de Paris qu’il avoit fait faire une croix de nouveau, semblable à celle qu’on avoit dérobée l’année précédente, et qu’en icelle il avoit fait enchasser une partie d’une grande pièce de la vraie croix gardée au tresor de la sainte chapelle, et pour que dans la semaine sainte chacun l’allât baiser et adorer, comme de coutume ; de quoi le peuple de Paris fut fort joyeux et content. » À ce propos, Sablier, qui rapporte le fait dans ses Variétés amusantes (1765, in-8, t. 1, p. 25), ajoute : « Il me paroît que le peuple étoit bien simple d’en croire Henri III et Catherine. » Je suis bien de son avis.

2. En cette même année parut un petit livre ayant pour titre : Les sorcelleries de Henri de Valois et les oblations qu’il faisoit au diable dans le bois de Vincennes, avec la figure des demons d’argent doré ausquels il faisoit ses offrandes, et lesquels se voyent encore en celle ville ; Didier-Millot, près la porte St-Jacques, 1589. Ce livret a été réimprimé dans les Preuves du Journal de l’Estoille, t. III, p. 369 et suiv. Il y est dit de Henri III et de d’Épernon : « Lesquels quasi publiquement faisoient profession de la sorcellerie » ; puis encore, qu’en outre des deux figures, on trouva « une peau d’enfant, laquelle etoit courroyée, et sur icelle y avoit aussi plusieurs mots de sorcellerie et divers caractères, dont l’intelligence n’est requise aux catholiques ».

3. Ce nom doit être une altération de celui de Tervagan ou Tarvagan, fameux démon d’origine orientale, dont il est parlé au 99e vers du conte de La Fontaine, la Fiancée du roi de Garbe. V., pour de plus longs renseignements, notre petit volume, Un prétendant portugais au XVIe siècle, à la suite duquel se trouve une étude sur l’Origine portugaise de la Fiancée du Roi de Garbe, p. 118–119.

4. Il y a ici une allusion aux prétentions de M. d’Épernon, qui, bien que simple cadet de La Valette ( v. la 17e épitre de Busbecq à l’empereur Maximilien), et même, à en croire les ligueurs, fils d’un pauvre porte-paniers (Avertiss. des cathol. anglois, 1590, feuill. 28), se disoit de l’ancienne famille de Nogaret. « M. d’Espernon dit qu’il est sorti des Nogaret, lit-on dans le Scaligerana, 1667, in-12, p. 75 ; il se trompe : le père de son grand père, qui estoit son bisaïeul, estoit notaire ; La Valette estoit son nom. Monsieur du Bartas avoit encore beaucoup d’instruments du notaire La Valette, d’où est descendu d’Épernon. »