Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CLXX

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Texte établi par J. A. C. Buchon (Ip. 147-148).
Livre I. — Partie I. [1342]

CHAPITRE CLXX.


Comment les seigneurs de France retournèrent en Bretagne par devers monseigneur Charles de Blois et comment ils assiégèrent la cité de Rennes que la comtesse de Montfort avoit bien garnie.


Vous devez savoir que quand le duc de Normandie, le duc de Bourgogne, le comte d’Alençon, le duc de Bourbon, le comte de Blois, le connétable de France, le comte de Ghines son fils, messire Jacques de Bourbon, messire Louis d’Espaigne, et les comtes et barons de France se furent partis de Bretagne, qu’ils eurent conquis le fort châtel de Chastonceaulx, et puis après la cité de Nantes, et pris le comte de Montfort, et livré au roi Philippe de France, et il l’eut fait mettre en prison au Louvre à Paris, ainsi comme vous avez ouï, et comment messire Charles de Blois étoit demeuré tout coi en la cité de Nantes et au pays d’entour, qui obéissoit à lui, pour attendre la saison d’été, en laquelle il fait meilleur guerroyer qu’il ne fait en la saison d’hiver, et cette douce saison fut revenue, tous ces seigneurs dessus nommés, et grand’foison de gens avec eux, s’en rallèrent devers Bretagne à grand'puissance, pour aider à messire Charles de Blois à conquérir le remenant de la duché de Bretagne, dont avinrent de grands et merveilleux faits d’armes, ainsi comme vous pourrez ouïr. Quand ils furent venus à Nantes, où ils trouvèrent messire Charles de Blois, ils eurent conseil qu’ils assiégeroient la cité de Rennes. Si issirent de Nantes et allèrent assiéger Rennes tout autour.

La comtesse de Montfort par avant l’avoit si fort garnie et rafraîchie de gens d’armes et de tout ce qu’il afféroit, que rien n’y failloit ; et y avoit établi un vaillant chevalier et hardi pour capitaine, qu’on appeloit messire Guillaume Quadudal, gentilhomme durement, du pays de Bretagne. Aussi avoit la dite comtesse mis grands garnisons par toutes les autres cités, châteaux et bonnes villes qui à li obéissoient ; et partout bons capitaines, des gentilshommes du pays, qui à li se tenoient et obéissoient, lesquels avoit tous acquis par beau parler, par promettre et par donner ; car elle n’y vouloit rien épargner. Desquels l’évêque de Léon, messire Almaury de Cliçon, messire Yvain de Treseguidi, le sire de Landernaux, le châtelain de Guingamp, messire Henry et messire Olivier de Pennefort, messire Geffroy de Malestroit, messire Guillaume de Quadudal, les deux frères de Quintin, messire Geoffroi de Maillechat, messire Robert de Guiche, messire Jean de Kerriec y étoient, et plusieurs autres chevaliers et écuyers que je ne sais mie tous nommer. Aussi en y avoit de l’accord messire Charles Blois grand’foison, qui à lui se tenoient, avec messire Hervey de Léon, qui fut de premier de l’accord, du comte de Montfort et maître de son conseil, jusques à tant que la cité de Nantes fut rendue, et le comte de Montfort pris, ainsi que vous avez ouï. De quoi le dit messire Hervey fut durement blâmé ; car, on vouloit dire qu’il avoit trait les bourgeois à ce et pourchassé la prisent du comte de Montfort. Ce apparoit à ce que, depuis ce fait, ce fut celui qui plus se pénoit de gréver la comtesse de Montfort et ses aidans.