Les Chroniques de Sire Jean Froissart/Livre I, Partie I/Chapitre CXII

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Livre I. — Partie I. [1340]

CHAPITRE CXII.


Comment le duc de Normandie se partit de Castres et ardit plusieurs villes entre Cambray et Valenciennes et prit le château d’Escandeuvre.


Quand le duc de Normandie et ses batailles, qui très belles étoient à regarder, ainsi que ci-dessus est devisé, se furent tenus une grand’pièce sur le mont de Castres et ils virent que nul ne viendroit ni istroit hors de Valenciennes pour eux combattre, adonc furent envoyés le duc d’Athènes et les deux maréchaux de France, et le comte d’Aucerre et le sire de Chastillon, à bien trois cents lances de gens bien montés, pour courir jusques à Valenciennes. Cils chevauchèrent en très bonne ordonnance et vinrent au lez devers la tourelle à Goguel, et chevauchèrent moult arréement jusques aux barrières de la ville, mais ils n’y demeurèrent mie planté ; car ils redoutèrent le trait pour leurs chevaux ; et toute fois le sire de Chastillon chevaucha si avant que son cheval fut féru et chey desous lui, et le convint monter sur un autre.

Cette chevauchée prit son tour devers les tentes, et les ardirent, et abattirent tous les moulins qui là étoient sur la rivière de Wincel ; et puis prirent leur tour par derrière les chartreux et revinrent à leur bataille. Or vous dis qu’ils étoient demeurés aucuns compagnons François derrière en la ville des Marlis pour mieux fourrer à leur aise. Dont il avint que ceux qui gardoient une tour qui là est aux hoirs de Hainaut, et fut jadis à messire Robert de Namur, de par madame Isabelle de Hainaut, sa femme, perçurent ces François qui là étoient, et si virent bien que la grosse chevauchée étoit retraite. Si issirent baudement hors, et assaillirent de grand courage, et les menèrent tellement qu’ils en tuèrent bien la moitié et leur ôtèrent tout le pillage ; et puis rentrèrent en leur tour. Encore se tenoient les batailles sur le mont de Castres, et tinrent tout le jour jusques après nonne que les coureurs revinrent de tous côtés. Dont eurent conseil là entr’eux moult grand ; et disoient les seigneurs que, tout considéré, ils n’étoient mie assez gens pour assiéger une si grand’ville que Valenciennes est. Si eurent finalement conseil de partir d’illec et d’eux retraire devers Cambray. Si s’en vinrent ce soir loger à Maing et à Fontenelles ; et là furent toute nuit et firent bon guet et grand. Lendemain ils s’en partirent, mais il ardirent Maing et Fontenelles, et toute l’abbaye qui étoit à madame de Valois, tante au dit duc et sœur germaine du roi son père. De quoi le duc fut trop courroucé ; et fit pendre ceux qui le feu y avoient mis et bouté. À ce département fut pararse la ville de Trith, le châtel et le moulin abattu, et Prouvy, Rouvegny, Thians, Monceaux, et tout le plat pays entre Cambray et Valenciennes.

Ce jour chevaucha tant le duc de Normandie[1] qu’il vint devant Escandeuvre, un bon châtel et fort du comte de Hainaut, séant sur la rivière d’Escaut, et qui moult grévoit ceux de Cambray avec ceux de la garnison de Thun-l’Évêque : duquel châtel d’Escandeuvre étoit capitaine et souverain messire Girard de Sassegnies, qui devant ce n’avoit eu aucune reproche de diffame, Or ne sçai-je que ce fut, ni qui l’enchanta, mais le duc n’eut mie sis devant la forteresse six jours quand elle lui fut rendue saine et entière, dont tout le pays fut émerveillé ; et en furent soupçonnés de trahison messire Girard de Sassegnies et un sien écuyer qui s’appeloit Robert de Marmaux. Ces deux en furent pris et encoulpés, et en moururent vilainement à Mons en Hainaut ; et ceux de Cambray abattirent le châtel d’Escandeuvre et emportèrent toute la pierre en Cambray, et en firent réparer et fortifier leur ville.

  1. La plupart des chroniques disent que Philippe de Valois était en personne au siège d’Escandeuvre et le font durer beaucoup plus long-temps que Froissart. Suivant eux, ce château était assiégé depuis environ quinze jours quand le roi y arriva ; et il ne se rendit que plusieurs semaines après son arrivée.